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Enesco


GEORGES ENESCO : UN MOZART DANS LE 9?

C’est le grand violoncelliste Pablo Casals qui osa cette comparaison avec l’illustre musicien, en appelant  Georges Enesco (1881-1955) le « Mozart du XXe siècle » !

C’est par cette introduction audacieuse qu’allait débuter jeudi 2 juin la conférence donnée par Anne Penesco, professeur à l’université Lyon 2 et spécialiste de ce talentueux musicien roumain aux multiples facettes. Une quarantaine de personnes avaient bravé une journée de grève et aussi de débordement de la Seine, assez inhabituelle à cette période,  pour  mieux connaitre un musicien peu connu du grand public d’aujourd’hui. 

En dépit de quelques problèmes techniques de sonorisation rencontrés en salle du Conseil de la mairie, notre conférencière allait évoquer la vie de Georges Enescu, d’abord par son enfance vécue  en Moldavie où poussé par son père, il apprend dès 4 ans  le violon, sur un instrument à trois cordes! A 7 ans il entre au Conservatoire de Vienne où ses premières prestations en public provoquent l’enthousiasme. A 13 ans le jeune prodige rejoint alors Paris où, inscrit au Conservatoire, il habite non loin, 51 rue de Douai et où il prend le nom d’Enesco.

Bernard Gavoty publiera d’ailleurs dans son ouvrage  Les souvenirs de Georges Enesco, ce  que lui racontera le musicien de ses premières années, juste avant sa mort en 1955.  Compositeur précoce, il suit alors là les cours de composition de Jules Massenet et Gabriel Fauré.  Il y rencontre aussi Pablo Casals et Maurice Ravel !

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  Gabriel Fauré tableau de J. Singer-Sargent

Son talent de compositeur se traduit par une abondante écriture  alors qu’il n’est encore qu’étudiant : des pièces pour piano, des mélodies, des sonates pour violon et piano, ses premières symphonies dont le Poème roumain interprété par Edouard Colonne au Châtelet en 1898.

Premier prix de violon au Conservatoire en 1899, il avait déjà joué ses sonates en juin 1897 à la salle Pleyel de la rue Rochechouart  où il connait le triomphe. Virtuose, il est en effet capable de jouer tous les morceaux existants créés pour le violon comme il le dira en 1908, sans fanfaronner pour autant !

L’assistance a l’occasion d’écouter ainsi un enregistrement de l’époque, malheureusement quelque peu massacré par la sonorisation déplorable de la salle du Conseil. On y perçoit cependant le caractère mélancolique de la doina (passage lent en roumain) du Poème roumain.

Sa jeune célébrité lui fait fréquenter les salons parisiens comme celui de la princesse BibescoIl rencontre lors d'un concert en 1913, Marcel Proust. Celui ci impressionné par la manière dont Enesco a interprété la sonate pour piano et violon de César Frank, s'en inspirera pour écrire un passage sur la sonate de Vinteuil (morceau et personnage fictifs) dans « À la recherche du temps perdu ».

Membre de la SACEM en 1902, il habite depuis 1900 au 16 rue de Bruxelles (voisin donc d’Emile Zola !), puis en 1908, 26 rue de Clichy, dans un bel appartement de trois pièces au 2e étage. Cette même année il compose les Sept chansons de Clément Marot et dont Anne Penesco nous fait écouter un extrait là aussi historique, chanté par le ténor Ion Piso. Elle fait remarquer cette attirance qu’avait le compositeur pour la littérature française et  la correspondance ici entre sa musique où on note l’influence de Debussy et la finesse poétique de Marot.

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La Princesse Bibesco    -    

Alors qu’il effectue durant les premières années du XXe siècle des tournées dans l’Europe entière, Enesco n’oublie cependant pas ses origines et s’inspire souvent de la musique traditionnelle de son pays avec par exemple la Suite roumaine. A Bucarest où il revient l’été, sensible à d’autres musiciens, il joue en 1913 au château de la reine, l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner et surtout en 1914 la Neuvième symphonie de Beethoven jamais encore donnée ici dans son intégralité. Il va d’ailleurs passer l’essentiel de la première guerre mondiale dans son pays d’origine. Même à son retour ensuite rue de Clichy, il

cette attirance vers les sons issus de la nature et de ceux provenant des instruments roumains.

Notre conférencière nous donne alors un aperçu de son talent de grand orchestrateur, avec un enregistrement de 1938  la Suite villageoise inspirée d’un tableau de Stuart Bord de rivière au clair de lune.

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Stuart - Bord de rivière au clair de lune

Parmi les très nombreuses photos présentées où le musicien apparait souvent grave et méditatif, Anne Penesco montre des images rares et très expressives où il apparait en tant que chef d’orchestre, pénétré par ce qu’il dirige.

Durant la période de l’entre deux guerres, l’activité de Georges Enesco est intense aussi bien comme compositeur prolixe que comme musicien présent sur toutes les scènes internationales (y compris à New York). On peut l’entendre ainsi en duo avec le pianiste Alfred Cortot. Il joue également avec Gabriel Fauré et Richard Strauss. Il assure les créations en France ou en Roumanie de certaines compositions de  Maurice Ravel et de Gabriel Fauré.

Chevalier de la Légion d’honneur, son activité de pédagogue est aussi reconnue et Yehudi Menuhin,  tout jeune élève du maître en 1924, reconnaitra  plus tard ce qu’il lui doit.

En 1936, il crée à l’Opéra Garnier son seul opéra  Œdipe, dans lequel il renonça à prendre Chaliapine dans le rôle-titre, en raison de son grand âge. Grâce à Mathias Auclair, directeur du département musique à la BNF et conservateur de la bibliothèque musée de l’Opéra, nous sont montrés des costumes de scène et des décors de la création dus à André Boll. Ce chef d’œuvre avait été inspiré à l’artiste en voyant Mounet-Sully à la Comédie-Française dans le rôle d’Œdipe roi ! Il voulait  en effet écrire un opéra dont le livret s’élevait au-dessus de ceux qui prenaient comme thèmes de simples événements de la vie de tous les jours…

Cet opéra, dont Anne Penesco nous propose d’écouter un extrait, sera joué à maintes reprises (à Covent Garden et en version concert au théâtre des Champs-Elysées en 1998, par exemple) et contribuera à sa renommée. Durant la deuxième guerre mondiale, en proie à de grandes difficultés financières, il retourne en Roumanie où il compose encore beaucoup, comme ces Impressions d'enfance pour violon et piano ou ce Quintette pour piano et cordes (1940).

L’instauration du régime communiste en 1945 le pousse alors à revenir définitivement en France et plus particulièrement dans ce 9e arrondissement qu’il côtoie depuis son adolescence. Connaissant un certain dénuement qui assombrira la fin de sa vie, il avait été cependant obligé dès 1936 de s’installer dans un appartement nettement plus modeste, situé à l’étage inférieur de celui qu’il occupait au 26 rue de Clichy. C’est là qu’il s’éteindra le 5 mai 1955, veillé par la reine de Belgique qui l’admirait…

Une plaque apposée à cette adresse garde le souvenir de ce musicien souvent méconnu aujourd’hui, qu’Anne Penesco, auteure d’un ouvrage qui lui est consacré, aura contribué à  faire reconnaître au cours de sa brillante conférence ! On peut alors mieux juger de la pertinence de l’audacieuse comparaison émise par Pablo Casals, mesurée aux importantes productions et aux nombreux concerts donnés en leur temps par ces deux artistes.

Emmanuel FOUQUET


Date de création : 06/06/2016 • 22:27
Catégorie : - Echos du Terrain
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