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Jacques Decour - mai 2017

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Jacques Decour, un météore des Lettres
et un résistant à la Barbarie

Soirée autant exceptionnelle qu’émouvante que celle du 29 mai 2017 à laquelle assistèrent les personnes présentes salle du Conseil de la mairie, rue Drouot.

En effet, nos trois intervenants, Brigitte Decourdemanche, Pierre Favre et Stefan Ripplinger, ont pu évoquer chacun à leur manière la carrière d’un homme trop vite disparu, et que l’histoire aurait tendance malheureusement à oublier au moment de commémorer, à quelques heures près, le 75e anniversaire de la mort de Daniel Decourdemanche, tombé sous les balles nazies au Mont-Valérien le 30 mai 1942 sous le nom de Jacques Decour.

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Brigitte Decourdemanche

Brigitte Decourdemanche, la fille de Jacques Decour qui n’aura connu son père que les toutes premières années de sa vie, nous fait l’honneur d’ouvrir la conférence en lisant avec une émotion que le temps n’a pas diminué, la troublante note écrite par son père au moment des accords de Munich en 1938, événement marquant le début d’une période sombre pour l’Europe.

Cette note, non publiée à l’époque, était en effet prémonitoire et débutait par cette phrase : « Nous nous préparons à mourir les uns et les autres ». Ce texte montrait aussi le grand humanisme de l’homme qui a senti d’emblée que le monde allait basculer et pour qui l’amour semblait constituer la seule parade possible.

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Pierre Favre

Pierre Favre, le seul biographe à ce jour de Jacques Decour, notamment par son livre « Jacques Decour, l'oublié des lettres françaises », allait alors évoquer la brève et fulgurante existence de l’homme.
Né le 21 février1910 dans les beaux quartiers du XVIIe arrondissement, rue Brunel, quatrième enfant d’un agent de change, Daniel Decourdemanche connait tout d’abord une enfance heureuse faite aussi de nombreux voyages à l’adolescence. Élève d’abord à Sainte Croix de Neuilly, puis au lycée Pasteur de la même ville où il passe brillamment son baccalauréat, il s’engage dans des études de droit sur les conseils de son père, qu’il abandonne vite pour se consacrer aux études d’allemand terminées en 1932 en tant que plus jeune agrégé de France ! Entre temps il avait connu la crise de l’adolescence en empruntant la voiture de son père à 17 ans, fugue dont il fait d’ailleurs le récit.

Car il commence à écrire très jeune, et échange même rapidement des lettres avec celui qui deviendra son ami, Jean Paulhan, le créateur et directeur de la Nouvelle Revue Française (NRF), lettres qu’il signe DD. Il publie déjà quelques notes critiques dans cette revue comme celle sur David Golder d’Irène Némirovski. C’est à cette époque qu’il écrit à 17 ans, sous le pseudonyme Jacques Decour, son premier roman Le Sage et le Caporal, publié chez Gallimard en 1930 et salué par Jean Prévost, autre écrivain et résistant.
C’est également jeune qu’il se marie (à 19 ans) avec Jacqueline Bailly, la fille de son professeur de français, de grec et de latin, union dont naitra en 1933 sa fille Brigitte.

En 1930, il part à Magdebourg en Allemagne comme « professeur d’échange » où il commence à rédiger Philisterburg, récit de son séjour sous forme de journal et où il dénonce avec précocité la montée du nationalisme et du culte de la race « pure » qui allait vite aboutir au nazisme …

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A son retour en France en 1932, il est nommé au lycée de Reims et il écrit des nouvelles comme La Révolte, traduit des auteurs allemands : Vicki Baum, La Carrière de Doris Hart, Heinrich von Kleist, Le suivi de L’élaboration de la pensée par le discours ou encore Les Mystères de la maturité de Hans Carossa, écrivain que le régime nazi allait ensuite honorer.

C’est à ce moment aussi qu’il commence à militer au sein des Jeunesses Communistes, nommé au lycée de Tours en 1936 et collègue de Léopold Sedar Senghor, il crée la Maison de la Culture et le ciné-club Ciné-Liberté tout en côtoyant au sein de la NRF des écrivains aussi célèbres que Cocteau ou Gide (qu’il admirait particulièrement) ! Il écrit également dans La Voix du Peuple de Touraine et publie toujours chez Gallimard son second roman Les Pères.

C’est en 1937 qu’il est nommé au lycée Rollin de l’avenue Trudaine et enseigne l’allemand des classes de 6e à la 1ère. On se souvient de lui comme un professeur très apprécié et soucieux de faire connaitre à ses élèves la culture allemande en mettant d’ailleurs de côté ses opinions politiques. Et pourtant il est plus que jamais militant : il devient rédacteur en chef de la revue Commune organe de l’AEAR (Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires) succédant à Paul Nizan et Aragon.

À la déclaration de guerre en 1939, il est réformé mais mobilisé en 1940 en tant que chauffeur du général de Lattre de Tassigny !C’est alors qu’il entre en résistance active toujours avec Jean Paulhan mais aussi dans le cadre du groupe qu’il forme avec le philosophe Georges Politzer et le physicien Jacques Solomon en créant L’Université Libre, revue au ton dénonciateur du régime de Vichy, puis en 1941 Pensée libre. Il inaugure en même temps le Front national des écrivains et le Comité national des écrivains.

C’est à ce moment qu’il travaille aussi avec Jean Paulhan à la création des Lettres Françaises dont le premier numéro sortira quelques mois après sa mort. Le 30 mai 1942, après une centaine de jours de captivité et alors qu’il n’avait pas cessé par ailleurs ses activités d’homme de lettres en travaillant sur la pièce de Goethe, Egmont, il est en effet exécuté au Mont-Valérien par les nazis.

Pierre Favre termine alors son intervention très érudite, en lisant un extrait de la poignante lettre écrite à ses parents mais aussi à sa fille, quelques heures avant son exécution. C’est là le point final et terriblement émouvant d’une existence météorique, qui laisse à peine deviner ce qu’elle aurait pu être sans cette issue fatale et prématurée. Comment ne pas citer les derniers vers d’un poème prémonitoire écrit par Jacques Decour et titre d’un ouvrage qui lui est consacré à l’occasion du 75e anniversaire de sa mort :

« Quand vous voudrez de mes nouvelles
N’en demandez à personne, ils ne diront rien
. »

C’est alors au tour de Stefan Ripplinger, traducteur en Allemagne de Philisterburg dont il évoque d’ailleurs la genèse, de rappeler un volet un peu moins connu de Jacques Decour, celui de son passage en Allemagne au début des années trente et surtout l’image qu’en gardent après guerre les allemands, notamment dans la partie orientale du pays où se situait Magdebourg. C’est ainsi qu’une pierre en l’honneur de Jacques Decour a été posée devant le lycée où il avait enseigné, seul témoignage encore visible de sa présence.

La soirée se termine autour de notre traditionnel pot qui a là une saveur particulière, avant que la manifestation de commémoration se poursuive le lendemain au lycée Jacques Decour même, puis au cimetière Montmartre où il repose dorénavant, non loin de la tombe de Stendhal qu’il vénérait et où le poème déchirant d’Aragon mis en musique par Léo Ferré, L’affiche rouge, fut entonné par les participants.

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Buste de Jacques Decour dans la galerie du lycée.

Emmanuel FOUQUET


Date de création : 31/05/2017 • 19:34
Catégorie : - Echos du Terrain
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