George Sand et la Musique
© Didier Chagnas - 2015 © 9e Histoire - 2015
GEORGE SAND, LA MUSIQUE ET LE 9e
Cet article fait suite à la conférence donnée sur le même sujet en juin 2014 par Martine Reid, professeure de littérature du 19e siècle à l’université de Lille 3, pour les adhérents de 9ème Histoire.
Dans son récit autobiographique « Histoire de ma vie », George Sand fait remonter ses premiers souvenirs à l’époque où elle vivait avec sa mère Sophie Dupin au n° 22 rue de la Grange-Batelière, ce qui correspond aux trois premières années de sa vie (1804 -1807).
«…je ne me retrace qu'une suite indéterminée d'heures passées dans mon petit lit sans dormir, et remplies de la contemplation de quelque pli de rideau ...Il n'est donc pas étonnant que je me rappelle parfaitement l'appartement que nous occupions rue Grange-Batelière,...»
Aurore Dupin en 1810
LES ADRESSES DE GEORGE SAND DANS LE 9e
Après la rue de la Grange-Batelière de son enfance, l’ancrage de la romancière dans notre arrondissement sera suivi à la maturité par d’autres adresses dans le neuvième, dont la plus mythique reste le square d’Orléans, phalanstère d’artistes où George vécut avec Chopin de 1842 jusqu’à la rupture en 1847. On peut citer aussi comme autres lieux sandiens dans le 9e:
- L’église Saint-Louis d’Antin dans laquelle Aurore Dupin âgée de 18 ans épousa Casimir Dudevant, le 17 septembre 1822,
- L’hôtel de Florence, aujourd’hui Hôtel George-Sand, 26 rue des Mathurins (9e) où Maurice Sand, son fils, est né le 30 juin 1823,
- L’hôtel de France, 21- 23 rue Laffitte (qui n’existe plus). Au retour du voyage en Suisse, en octobre 1836, George Sand habita pendant plusieurs mois la même « auberge » que Liszt et Marie d’Agoult. George faisait salon commun avec la belle princesse dite encore Arabella,
- En 1838, on retrouve George Sand rue de la Grange-Batelière mais cette fois au n°15 (l’actuel n° 10). La romancière qui débute son histoire d’amour avec Frédéric Chopin, était hébergée par son amie Charlotte Marliani, épouse du consul d’Espagne. Elle y logea de juillet à octobre 1838,
- 20 rue Pigalle : George Sand loua deux pavillons au fond du jardin et sous-loua l'un deux à Chopin. Ils emménagèrent en novembre 1841. George Sand reçut dans ce pavillon le Tout-Paris romantique des arts et des lettres. Chopin y donna ses leçons de piano sur le piano Pleyel en palissandre qui impressionnait tant Balzac,
- 80, rue Taitbout (square d’Orléans) : À l’automne 1842, George Sand s’installa au premier étage du n° 5 ; elle y restera jusqu'en 1847, date de sa rupture avec Chopin. Dans le même temps, Chopin louait un petit appartement composé d'une chambre et d'un salon à l’entresol du n° 9. « Je demeure dans le même corps de logis que la famille Marliani, Chopin dans le pavillon suivant, de sorte que, sans sortir de cette grande cour d’Orléans, bien éclairée et bien sablée, nous courons le soir des uns chez les autres, comme de bons voisins de province »,
- Enfin comment ne pas mentionner la maison du peintre Ary Scheffer et les deux ateliers, 16 rue Chaptal aujourd’hui musée de la Vie romantique, consacré en partie au souvenir de George Sand, Delacroix, Liszt, Rossini, Sand, Chopin, Tourgueniev, Pauline Viardot etc. ne manquaient pas les concerts que le peintre organisait dans son atelier.
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UNE ÉDUCATION PARISIENNE ET MUSICALE
Née à Paris rue Meslay dans le 3e arrondissement, la romancière écrit : «Le 5 juillet 1804, je vins au monde, mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie robe rose. »
Ce souvenir recomposé témoigne de l’importance de la musique dans l’environnement de la petite Aurore et du lien particulier entretenu avec ce père musicien, par ailleurs officier de l’armée impériale, souvent absent, rejoint un moment à Madrid dans le palais de Murat, en 1808. Une fois la famille rapatriée à Nohant, un accident de cheval enleva brutalement Maurice Dupin à l’affection des siens. Aurore avait quatre ans.
Maurice Dupin de Francueil, le père de George Sand
en uniforme d'officier de l'armée impériale.
« Fille d’un patricien et d’une bohémienne », George Sand aimait rappeler sa double filiation. La fille du patricien fut bercée par les chansons que lui chantait sa mère, fille d’un oiseleur. C’est avec la même émotion qu’elle entendait la musique « naturelle » des paysans berrichons :
« Il y a une musique qu’on pourrait appeler naturelle, parce qu’elle n’est point le produit de la science et de la réflexion, mais celui d’une inspiration qui échappe à la rigueur des règles et des conventions. C’est la musique populaire, celle des paysans particulièrement ». (George Sand, Consuelo).
« La musique, ça dit ce qu’on pense, ça montre comme avec les yeux ; ça raconte comme avec les mots, ça aime comme avec le cœur ; ça vit, ça existe ». (George Sand, Les Maîtres sonneurs).
Madame Dupin de Francueil, sa grand-mère
En 1808, après la mort de son père, Aurore fut séparée de sa mère et confiée à sa grand-mère comme celle-ci l’avait exigé. Ainsi, son éducation musicale fut-elle assurée par madame Dupin de Francueil qui, ayant fréquenté Gluck et Piccinni dans sa jeunesse, était elle-même musicienne et chantait admirablement. A l’adolescence, Aurore fut pensionnaire pendant deux ans au couvent des Dames augustines anglaises à Paris (1818-1820). L'écriture, le dessin, la danse et le piano faisaient partie de l'éducation que recevaient les jeunes filles. George Sand qui était profondément musicienne, jouait également de la harpe. Elle avait de réelles dispositions pour un art qui la bouleversait plus que tous les autres.
L'AMIE DES MUSICIENS
Plus tard, George Sand sera l’amie des plus grands musiciens, parmi lesquels Frédéric Chopin qu’elle protégea et aima pendant neuf ans (1838 -1847). Mais Chopin n’est pas le seul musicien au panthéon de George Sand. Franz Liszt la fascinait. Plus tard, elle reconnut en Charles Gounod « le génie musical qui allait ouvrir une nouvelle ère ».
FRANZ LISZT. C’est en 1834 que George Sand fit la connaissance de Liszt par l’intermédiaire de Musset. La rencontre avec Franz Liszt fut déterminante pour les deux artistes. L’amour du musicien pour la littérature, « Voici quinze jours que mon esprit et mes doigts travaillent comme des damnés. Homère, la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber sont tous à l’entour de moi. Je les étudie, les médite, les dévore avec fureur», comme l’amour-passion pour la musique dont George Sand est pétrie « Je donnerais tout mon être à la musique, et c’est dans cette langue -là, la plus parfaite de toutes, que je voudrais exprimer les sentiments et mes émotions » ont certainement contribué à rapprocher les deux artistes.
Quand Franz joue du piano, je suis soulagée. Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts s’exaltent. Il fait surtout vibrer la corde généreuse. (Journal intime, T.II. Œuvres autobiographiques)
Elle l’écoutait lovée sous son piano pour mieux ressentir sa musique : «Vous savez que je me mets sous le piano quand il en joue. J’ai la fibre très forte et je ne trouve jamais les instruments assez puissants. Il est au reste, le seul artiste du monde qui sache donner l’âme et la vie à un piano.» (George Sand à Marie d’Agoult, 10 juillet 1836). George Sand admirait Liszt passionnément et lui voua une amitié exaltée. Avidité et exaltation, même quête mystique !
En 1836, George partit retrouver Franz et Marie en Suisse. (Récit par Georges Sand, lettre n° VII) « Ce fut seulement lorsque Franz posa librement ses mains sur le clavier, et nous fit entendre un fragment du Dies irae de Mozart, que nous comprîmes la supériorité de l’orgue de Fribourg sur tout ce que nous connaissions en ce genre. […] Jamais le profil florentin de Franz ne s’était dessiné plus pâle et plus pur, dans une nuée plus sombre de terreurs mystiques et de religieuses tristesses.» (Lettre X.)
«J’étais dans un de ces accès de vie que nous communique une belle musique ou un vin généreux, dans une de ces excitations intérieures où l’âme longtemps engourdie semble gronder comme un torrent qui va rompre les glaces de l’hiver […]» (Lettre X.)
Liszt passa avec Marie d'Agoult quelques mois du printemps 1837 à Nohant.
FRÉDÉRIC CHOPIN. C’est en 1836, dans le salon de Marie d’Agoult, à une soirée à l’hôtel de France, que George Sand fit la connaissance de Chopin. Mais ce n’est qu’en juin 1838, que débuta leur liaison. A l’automne1838, après avoir passé un été idyllique avec Chopin, Sand décida de partir passer l’hiver aux Baléares pour soigner la santé de Chopin et celle de Maurice, son fils. Ils embarquèrent tous pour l’île de Majorque, s’installèrent d’abord à Palma, puis à la chartreuse de Valldemosa. « Sa composition de ce soir-là était bien pleine de gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur. Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini.» (Histoire de ma vie, t. II, p. 421)
Chopin par Ary Scheffer Chopin par Maria Wodzinska 1835
Après un séjour désastreux de quelques mois à Majorque, Les deux amants allaient organiser leur vie : l’hiver à Paris, l’été à Nohant. «Chopin venait passer trois ou quatre mois chaque année à Nohant […] Ce n’est qu’à Nohant qu’il créait et écrivait.» (George Sand Histoire de ma vie, t. II, p. 434-436)
« Il me faut travailler dans le silence et la solitude tandis que le musicien vit d’accord, de sympathie et d’union. Chopin voulait toujours Nohant et ne supportait jamais Nohant…» (George Sand, VIIe des Lettres d’un voyageur adressée à Liszt. Œuvres autobiographiques, t. II)
Il est inutile de rappeler les liens forts qui unirent George Sand et Frédéric Chopin : «Pendant huit ans, en m’initiant chaque jour au secret de son inspiration ou de sa méditation musicale, son piano me révélait les entraînements, les embarras, les victoires ou les tortures de sa pensée.
Mozart seul est supérieur [à Chopin], parce que Mozart a en plus le calme de la santé, par conséquent la plénitude de la vie» (George Sand, Histoire de ma vie, t. II, p. 421).
Meyerbeer, Liszt et Berlioz sont les « dédicataires » directs ou indirects des Lettres d’un voyageur. Ces trois noms semblent bien constituer une déclinaison de la figure idéale du musicien romantique selon George Sand.
« Je veux m'entourer d'hommes purs et distingués. Loin de moi les forts, je veux voir des artistes : Liszt, Delacroix, Berlioz, Meyerbeer. Je ne sais qui encore. Je serai homme avec eux et on jasera d'abord »
PAULINE VIARDOT. On ne peut pas parler de l’amour de George Sand pour la musique et les musiciens sans évoquer l’amitié et l’admiration qu’elle portait à Pauline Garcia-Viardot, à la fois cantatrice, compositrice, pédagogue et sœur de la Malibran. Le roman « Consuelo » inspiré de sa carrière et de sa personnalité lui est dédié. Nul n’a aussi bien décrit qu’elle l’effet du feu divin qui monte avec le chant, embrase l’interprète et libère progressivement les harmonies de ses sens: harmonie des sons, des couleurs, des parfums…
Le feu divin monta à ses joues, et la flamme sacrée jaillit de ses grands yeux noirs, lorsqu’elle remplit la voûte de cette voix sans égale et de cet accent victorieux, pur, vraiment grandiose, qui ne peut sortir que d’une grande intelligence jointe à un grand cœur ;(Consuelo).
Il y avait longtemps que l’harmonie des sons lui avait semblé répondre d’une certaine manière à l’harmonie des couleurs ; mais l’harmonie de ces harmonies, il lui sembla que c’était le parfum ; (Consuelo).
«Plus exquise et plus vaste que les beaux paysages en peinture, la symphonie pastorale de Beethoven n'ouvre-t-elle pas à l'imagination des perspectives enchantées, toute une vallée de l’Engadine ou de la Misnie, tout un paradis terrestre…» (George Sand, XIe des Lettres d’un voyageur adressée à Giacomo Meyerbeer).
«Je reste convaincue qu’il est au pouvoir du plus beau de tous les arts de peindre toutes les nuances du sentiment et toutes les phases de la passion. Sauf la dissertation métaphysique (et pour ma part, je n’y ai pas regret), la musique peut tout exprimer.» (George Sand, XIe des Lettres d’un voyageur adressée à Giacomo Meyerbeer).
«Nos yeux se remplissent peu à peu des teintes douces qui correspondent aux suaves ondulations saisies par le sens auditif. Et puis la note bleue résonne et nous voilà dans l’azur de la nuit transparente.» (George Sand, Impressions et souvenirs, p. 86).
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En décembre 1848, deux ans après la rupture avec Chopin, George Sand avoue à Pauline Viardot: « Il y a si longtemps que je n’ai entendu de la vraie musique que j’en rêve et que je crois en entendre. Mais c’est vague, c’est interrompu à chaque instant et c’est comme un cauchemar qui me fatigue en pure perte. Comment ferais-je pour aller vous demander l’aumône d’un peu de ce bonheur ? »
La demande est claire. Et le feu de la passion pour la musique et pour les musiciens prêt à reprendre …
CHARLES GOUNOD. En 1851, Pauline Viardot créa à la salle Le Peletier, le rôle de Sapho que Gounod avait écrit pour elle. «Un chef d'œuvre ! C'est grand, c'est simple, c'est beau comme ce qu'il y a de plus beau !» (G. Sand). Cette même année la pièce Molière de Sand était jouée au Théâtre de la Gaîté. Gounod accepta de collaborer pour une musique de scène. Il arrangea également l’air Lascia ch'io pianga de Haendel pour La baronnie de Mühldorf (Nello le violoniste).
Enthousiasmée, maternelle et admirative, Sand écrivait à Gounod : «Mon cher enfant, c’est superbe. Merci, merci mille fois, j’en suis enchantée, enthousiasmée et je l’ai dans la tête, dans les oreilles comme si je l’entendais avec les instruments (…) Vous avez fait un miracle, et si vite !»
Charles Gounod par C.O Blanchard, 1841
George Sand n’était pas insensible au charme et au talent du jeune compositeur qui, comme Liszt et elle-même, avait connu une profonde crise mystique. Un peu plus de deux ans après la mort de Chopin, elle écrivait à "son cher enfant": « Quand ferons-nous un opéra? Cet été j'espère. Je me croyais prête à me donner toute entière à notre projet et je ne le suis pas. Espérons que vous pourrez venir cet été vous berrichonner musicalement. Peut-être que grâce à vous, la musique dont je suis privée depuis tant d'années à mon ordinaire, me ravitaillera quelques temps encore. » (G. Sand 10 janvier 1852)
Le projet ne se fera pas. Gounod épousa en 1852 Anna Zimmerman. Au moment du mariage, le comportement de Gounod blessa profondément Pauline Viardot. Par fidélité à son amie Pauline, George Sand ne collabora plus avec lui.
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Ah ! Que je voudrais parfois avoir quinze ans, un maître intelligent et toute ma vie à moi seule !
Je donnerais tout mon être à la musique … (George Sand à Pauline Viardot, 1849)
George Sand, gravure de Manceau d'après Thomas Couture.
Salon de décembre 1850. Alexandre Manceau fut secrétaire-intendant
et compagnon de George Sand de 1850 jusqu’à sa mort à Palaiseau en 1865
Ouvrages de Martine Reid consacrés à George Sand :
L’ABCédaire de George Sand, Paris, Flammarion, 1999 -
Signer Sand. L’oeuvre et le nom, Paris, Belin, 2003 -
Des femmes en littérature, Paris, Belin, 2010
George Sand, Paris, Gallimard, Folio, 2013.
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Didier CHAGNAS
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