Maupassant dans le 9e
© D. Chagnas 2016 © 9ème Histoire 2016
GUY DE MAUPASSANT UN ÉCRIVAIN
DANS LE 9e ARRONDISSEMENT
Ce ne fut pas l’angoisse de la feuille blanche. Non, mais bien au contraire celle du trop-plein. Plus d’une fois j’eus envie de faire appel à Mme Forestier, personnage-clé du roman Bel-Ami, qui conseillait Georges Duroy et, avant lui, son mari dans la rédaction de leurs chroniques. Et aussi à Laure de Maupassant, la mère de l’écrivain, à qui Guy écrivait pour qu’elle lui envoie des sujets de nouvelles.
Déjà la fiction et la réalité se mêlaient, les personnages et leurs modèles se confondaient.
Mais c’était aussi la peur de terminer trop tôt ce cheminement avec un Maupassant inconnu et masqué, un « Horla », dans un quartier hanté par le souvenir des poètes et artistes maudits : Gérard de Nerval chez Gautier 14, rue de Navarin, en 1840-41, Isidore Ducasse 7, rue du faubourg Montmartre, à deux pas du café Brébant, en 1870, Toulouse-Lautrec après 1884 aux numéros 19, 19 bis et 21, rue Fontaine (les Forestier habitaient un appartement au n°17) et Guy de Maupassant, interné dans la clinique du Dr. Blanche, dix-huit mois avant sa mort à quarante-trois ans (1893).
Ce diable de séducteur m’a amené plusieurs fois sur un itinéraire pourtant éprouvé au fil de rues plusieurs fois arpentées. Chaque relecture chaque découverte me faisait apparaître son talent pour brouiller les pistes.
O. Granger - Maupassant huile sur photo de Nadar
« Bel-Ami, c’est moi » a-t-il déclaré, reprenant en riant - j’espère - le mot de Gustave Flaubert qui aurait dit « Madame Bovary, c’est moi ». Maupassant, n’est pas tout à fait Bel-Ami et beaucoup plus que Bel-Ami. Il est aussi Joseph Prunier, son premier pseudo, Guy de Valmont, Maufrigneuse et les innombrables personnages de ses romans et de ses quelque mille contes. Si Valmont renvoie aux sulfureuses Liaisons Dangereuses, roman épistolaire de Choderlos de Laclos dont Bel-Ami est une étonnante réincarnation, Maupassant au début de sa carrière est encore employé de ministères. Le jeune auteur se dissimule derrière un deuxième voile, comme le font les femmes du monde dans ses romans pour aller rejoindre en fiacre leur amant ou aller dîner incognito dans un salon du Café Riche Valmont est aussi une ville du pays cauchois avec château et abbaye plus convenables pour les Maupassant.
Diane de Maufrigneuse, personnage balzacien, croqueuse d’hommes et de fortunes, est un pseudonyme tout aussi compromettant que Valmont, mais l’auteur a déjà signé « Bel-Ami » de son vrai nom en 1885.
Il reste néanmoins facile de faire la part des choses entre les lieux réels où vécut l’écrivain et ceux qu’il a utilisés dans ses romans et nouvelles.
Ainsi de la rue Notre-Dame-de-Lorette dans le roman Bel-Ami, elle existe réellement. Elle est l’axe qui relie les deux ceintures du 9e arrondissement. Georges Duroy l’emprunte venant des hauteurs des boulevards extérieurs (de la place Clichy à Barbès) pour descendre vers les Grands boulevards où se trouvent les cafés et les théâtres à la mode où il est bon d’être vu. C’est le chemin qu’empruntaient les filles de Bréda et les lorettes pour aller chercher bonne fortune aux terrasses des cafés et au bal de l’opéra.
Georges Duroy est un de ces hommes-filles que dépeint Maupassant dans une nouvelle, écrite au cours de la période où il habitait un immeuble rue Clauzel avec des prostituées comme voisines. L'Homme-fille, nouvelle parue en 1883, fait le portrait des jeunes hommes arrivistes et peu scrupuleux qui fréquentent les boulevards et préfigure ainsi le roman Bel-Ami (1885).
Duroy « remontera » la rue Notre-Dame-de-Lorette et la rue Fontaine au fur et à mesure de son ascension sociale dont le point de départ est le dîner chez les Forestier 17, rue Fontaine où il séduit l’assemblée et en particulier, les trois femmes à qui il devra sa réussite et sa fortune.
Après la mort de Forestier, Duroy obtient son poste à La Vie Française, épouse Madeleine Forestier et occupe son appartement rue Fontaine.
Non loin de la rue Fontaine, se trouve la rue Clauzel (anciennement rue Neuve-Bréda) où vécut Maupassant pendant six années de 1876 à 1882. Alain Pagès donne une description de son installation : « C’est dans l’appartement de Maupassant, rue Clauzel, que les Cinq se sont réunis, au début du mois de janvier 1880, pour arrêter la composition de leur volume. Non loin de la place Pigalle, Maupassant habite alors au cœur du quartier Bréda, un lieu pittoresque où se côtoient dans un joyeux voisinage, maisons de passe et ateliers d’artistes. Au 17 de la rue Clauzel, son logis se trouve à quelques pas de la boutique du père Tanguy, le marchand de couleurs des peintres impressionnistes, à qui Cézanne vendra plus tard un certain nombre de tableaux. Il vit dans un deux-pièces assez mal éclairé, pourvu d’une minuscule cuisine au milieu d’une agitation à laquelle il s’est accoutumé, provoquée par les clients des filles qui louent les appartements mitoyens. « La maison était une ruche garnie d’abeilles du quartier de Bréda », se souvient Léon Fontaine. « Elle était bruyante, il y avait constamment des coups de sonnette de personnes qui se trompaient d’étage et des quiproquos comme dans les vaudevilles. Le jeune auteur s’en amusait et ne travaillait pas moins avec persistance et ténacité. »[1]
Guy de Maupassant retrouve les volages abeilles du quartier de Bréda rue Richer, au théâtre des Folies Bergère. Léon Sari, directeur de théâtre, qui a racheté l’établissement en 1871, a fait aménager un immense jardin d'hiver et un promenoir. Sari vit avec la chanteuse Suzanne Lagier bien connue de Flaubert, des frères Goncourt et surtout de Maupassant à qui elle inspire « 69 », un poème grivois. En connaisseur, Maupassant dédicace à Sari un exemplaire de son recueil Des vers (1880).
Formule hybride entre le théâtre et le café-concert, les Folies Bergère accueillent un public louche qui boit, fume et circule librement de la salle au jardin d'hiver et du bar au promenoir fréquenté, entre autres, par des petites dames peu farouches : « Le jardin, (…) ressemble tout à la fois au bouillon de la rue Montesquieu et à un bazar algérien ou turc... Ce théâtre, avec sa salle de spectacle dont le rouge flétri et l'or crasse jurent auprès du luxe tout battant neuf du faux jardin, est le seul endroit de Paris qui pue aussi délicieusement le maquillage des tendresses payées et les abois des corruptions qui se lassent »[2]
Maupassant situe deux scènes importantes de Bel-Ami aux Folies Bergère.
E. Manet - Un bar aux Folies Bergère
Après leur rencontre sur le boulevard et une visite de La Vie Française, boulevard Poissonnière, Forestier et Duroy prennent un bock au Café napolitain. Le journaliste Forestier demande à son camarade : « Où veux-tu aller ? Duroy, perplexe, ne savait que dire ; enfin, il se décida : - Je ne connais pas les Folies Bergère. J’y ferais volontiers un tour.
Son compagnon s’écria : - Les Folies Bergère, bigre ? Nous y cuirons comme dans une rôtissoire. Enfin, soit, c’est toujours drôle. Et ils pivotèrent sur leurs talons pour gagner la rue du faubourg-Montmartre.»
S’ensuit une description haute en couleurs des Folies Bergère et de sa faune.
Le Café napolitain se trouvait boulevard des Capucines au n°1. Ici, dans le roman, Maupassant le situe au sortir de La Vie Française, entre le boulevard Poissonnière et la rue du faubourg Montmartre. L’explication en est que le journal Gil Blas d’Auguste Dumont auquel collaborait Maupassant avait son siège 19, boulevard des Capucines. En sortant du journal, Maupassant avait probablement l’habitude de prendre un bock au Napolitain voisin.
A la deuxième scène de Bel-Ami aux Folies Bergère, la situation est renversée. C’est Bel-Ami qui cette fois y conduit sa maîtresse Clotilde de Marelle, mais l’affaire tourne mal : « Clotilde fut reprise de sa rage pour les excursions nocturnes dans tous les lieux suspects de Paris (…) Un soir elle lui dit : - Croiras-tu que je n’ai jamais été aux Folies Bergère ? Veux-tu m’y mener (…) Une foule énorme encombrait le promenoir. Ils eurent grand peine à passer à travers la cohue des hommes et des rôdeuses. Ils atteignirent enfin leur case et s’installèrent, enfermés entre l’orchestre immobile et le remous de la galerie. »
Ils croisent Rachel, une fille avec qui Duroy a eu des relations. Celle-ci se venge du comportement de Duroy qui semble ne pas la reconnaître et l’apostrophe crûment. Mme de Marelle comprenant que son argent a servi à payer une prostituée s’enfuit.
J. Béraud: Après la faute
Aujourd’hui dans l’axe de la rue Fontaine, se dresse la silhouette du Moulin Rouge. À l’époque de Maupassant, de la rue Clauzel et de Bel-Ami et jusqu’en 1889, c’était encore le Bal de la Reine Blanche.
Avant la scène des Folies Bergère, Clotilde de Marelle avait demandé à Duroy :« -Veux-tu me conduire à La Reine Blanche ? Ce sera une fête complète. (…)
Souriant, il répondit : - Mais certainement, ma chérie.
Lorsqu’ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences : - Je n’osais point te demander ça, jusqu’ici ; mais tu ne te figures pas comme j’aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. Pendant le carnaval je m’habillerai en collégien. Je suis drôle comme tout en collégien.
Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d’un œil ravi les filles et les souteneurs et, de temps en temps, comme pour se rassurer contre un danger possible, elle disait, en apercevant un municipal grave et immobile : « Voilà un agent qui a l’air solide. »
Au bout d’un quart d’heure, elle en eut assez, et il la reconduisit chez elle.
Alors commença une série d’excursions dans tous les endroits louches où s’amuse le peuple ; et Duroy découvrit dans sa maîtresse un goût passionné pour ce vagabondage d’étudiants en goguette. »[3]
À quelques pas du quartier de Bréda et de la rue Clauzel, les mœurs des boulevards extérieurs et des anciennes barrières choquent encore davantage les salons bourgeois : « Quelle opinion avez-vous des messieurs à casquette de soie qui font sur les boulevards extérieurs le joli métier que vous savez, et qui en vivent ? »[4]
Toulouse-Lautrec – « Au Rat Mort » 1899
Cependant, la curiosité, les lumières, le goût du vice attirent la bonne société qui vient s’encanailler place Pigalle, au café-restaurant Le Rat-Mort, face au café de La Nouvelle-Athènes.
Maupassant conte avec humour la mésaventure de Maître Saval, notaire à Vernon, venu passer la journée à Paris pour écouter Henry VIII de Camille Saint-Saëns à l’Opéra :
« Mais tout à coup une idée le frappa. Il avait entendu citer de petits cafés des boulevards extérieurs, où se réunissaient des peintres déjà connus, des hommes de lettres, même des musiciens, et il se mit à monter vers Montmartre d’un pas lent. Il avait deux heures devant lui. Il voulait voir. Il passa devant les brasseries fréquentées par les derniers bohèmes, regardant les têtes, cherchant à deviner les artistes. Enfin il entra au Rat-Mort, alléché par le titre ».
Au petit matin, le notaire se retrouve dépouillé de son habit, nu dans l’atelier du peintre Romantin, 15, boulevard de Clichy. On pense au peintre Fromentin au nom à peine modifié qui eut son atelier 1, puis 8, place Pigalle. Maupassant ne se prive pas du plaisir d’inviter à une pendaison de crémaillère digne d’une scène de Mürger, les peintres vivants les plus prestigieux de l’époque : Bonnat, Guillemet, Gervex, Béraud, Hébert, Duez, Clairin, Laurens. Improbable palette ! Même pour le plus naïf des notaires normands en goguette : « Je n'ai plus mes habits. On me les a pris. Il dut attendre, expliquer son cas, prévenir des amis, emprunter de l'argent pour se vêtir. Il ne repartit que le soir. Et quand on parle musique chez lui, dans son beau salon de Vernon, il déclare avec autorité que la peinture est un art fort inférieur. »[5]
Remarquons la fusion-confusion entre la fiction et la réalité, le réel et l’imaginaire. Fromentin devient Romantin comme Arthur Meyer, patron du Gaulois, devient « le père Walter », directeur de la Vie Française (Bel-Ami). Dans la nouvelle La Parure, les Loisel habitent la rue des Martyrs et le ministre de l’Instruction, Georges Ramponneau, a pour nom celui du célèbre cabaretier.
E. Grandjean - La Place Clichy
La ceinture nord du 9e (Pigalle - Blanche - Place de Clichy) est très présente dans l’œuvre parisienne de Maupassant qui a situé plus à l’ouest dans le 17e, boulevard des Batignolles, précisément rue Boursault, le modeste logement de Georges Duroy à son arrivée à Paris: « Il revint à grands pas, gagna le boulevard extérieur, et le suivit jusqu'à la rue Boursault qu'il habitait. Sa maison, haute de six étages, était peuplée par vingt petits ménages ouvriers et bourgeois.»
On devine que ce boulevard extérieur plus populaire, où s’amuse le peuple est aussi familier à Maupassant que l’autre plus élégant au sud, le flot d'hommes en chapeaux noirs des boulevardiers, banquiers et journalistes. Il les dépeint tous les deux avec poésie et sensualité.
De part et d’autre de ce boulevard, en 1877, le groupe des Cinq[6] s’est réuni chez un marchand de vins à l’angle de la rue Coustou et de la rue Puget (Chez la mère Machini), puis dans une crémerie 51, rue Condorcet (Chez Joseph): « Zola, curieux de voir où se tenaient nos faméliques assises de littérature et d’art, un soir, vint avec nous. Il se trouva mal à l’aise dans l’asphyxiante atmosphère du milieu et sortit mal restauré. (…) Maupassant proposa d’offrir à Zola un repas plus soigné. Il choisit un établissement de cuisine meilleure, de tapage moindre : la maison Trapp, au coin du passage du Havre et de la rue de Saint-Lazare. Par expérience, il en répondait. On inviterait de Goncourt, Maupassant se déclarait sûr d’amener Gustave Flaubert. »[7]
Divers personnages des nouvelles sont mis en situation sur le boulevard extérieur. C’est le cas de deux amis Morissot, horloger, et Sauvage, mercier rue Notre-Dame-de-Lorette, qui décident une partie de pêche dont ils ne reviendront pas, sous le nez de l’occupant allemand. « Paris était bloqué, affamé et râlant. Les moineaux se faisaient bien rares sur les toits, et les égouts se dépeuplaient. On mangeait n’importe quoi. Comme il se promenait tristement par un clair matin de janvier le long du boulevard extérieur, les mains dans les poches de sa culotte d’uniforme et le ventre vide, M. Morissot, horloger de son état et pantouflard par occasion, s’arrêta net devant un confrère qu’il reconnut pour un ami. C’était M. Sauvage, une connaissance du bord de l’eau.»[8]
C’est aussi le cas du narrateur des Tombales qui aime flâner jusqu’au cimetière Montmartre. « Le soleil était beau, et l’air tiède ; j’allumai un cigare et je m’en allai tout bêtement sur le boulevard extérieur. Puis comme je flânais, l’idée me vint de pousser jusqu’au cimetière Montmartre et d’y entrer. J’aime beaucoup les cimetières, moi, ça me repose et me mélancolise : j’en ai besoin. Et puis, il y a aussi de bons amis là-dedans, de ceux qu’on ne va plus voir ; et j’y vais encore, moi, de temps en temps. »[9]
« Mais au cimetière Montmartre on peut encore admirer le monument de Baudin, qui a de la grandeur ; celui de Gautier, celui de Mürger, où j’ai vu l’autre jour une seule pauvre couronne d’immortelles jaunes, apportée par qui ? par la dernière grisette, très vieille, et concierge aux environs, peut-être ?
C’est une jolie statuette de Millet, mais que détruisent l’abandon et la saleté. Chante la jeunesse, ô Mürger ! »
Guy de Maupassant souhaitait être enterré au cimetière de Montmartre : « Il avait le pressentiment de sa fin (…) et il me disait : Mon père, si je meurs avant toi, jure-moi que tu feras tout ton possible pour que je sois enterré au cimetière Montmartre. A sa mort, on ne m’a prévenu de sa mort que la veille de son enterrement ou, plutôt, je l’ai apprise par le Petit Marseillais, je n’ai pu protester du choix de Montparnasse qu’après l’enterrement. »[10]
« Mais j'adore surtout dans ce cimetière, la partie abandonnée, solitaire, pleine de grands ifs et de cyprès, vieux quartier des anciens morts qui redeviendra bientôt un quartier neuf, dont on abattra les arbres verts, nourris de cadavres humains, pour aligner les récents trépassés sous de petites galettes de marbre. »[11]
Le cimetière de Montmartre est le cimetière du 9e arrondissement. Le tombeau de Zola est vide et l’on cherche en vain la tombe de Maupassant. L’esprit de Paris et l’âme de Maupassant sont ici et dans le 9e arrondissement fier de ses deux ceintures de boulevards.
La rue des Martyrs qui prolonge la rue du faubourg-Montmartre est maupassantienne! Un cortège bigarré d’hommes et de femmes : employés, boutiquiers, bourgeoises, lingères, « brédas » en cheveux, relie les deux « grandes rues où bat le sang de Paris ». Hauts-de-forme, canotiers, chapeaux ronds et casquettes se croisent, se reconnaissent, se saluent, s’embrassent, se bousculent parfois. Sans oublier les vendeuses de violettes, le marchand d’anguilles de la rue Clauzel, les marchandes de quatre-saisons, les fiacres coupables, antichambres de l’adultère, les omnibus…
Il est ici le panthéon parisien de Maupassant. Au cœur du quartier où il a observé et placé ses personnages : M. et Mme Loisel, employé au ministère de l’Instruction, rue des Martyrs (La Parure) ; Sauvage, mercier, rue Notre-Dame-de-Lorette (Deux amis) ; un couple de gantiers, rue Saint-Lazare (Souvenir) ; M. Dufour, quincailler, et sa famille, rue des Martyrs (Une partie de campagne) ; deux filles Julia et Pauline, rue Bréda et rue Clauzel (Les hommes-filles) ; M. Parent, rentier modeste, rue Blanche (Monsieur Parent) ; César Cachelin, employé au Ministère de la Marine, sa sœur et sa fille, dans le haut de la rue Rochechouart (l’Héritage), Mme de Grangerie, rue Saint-Lazare (Le Signe) ; Mme Haggan , épouse de banquier, rue de Provence (Le rendez-vous ).
J. Béraud: Le Boulevard des Capucines
Pour les lecteurs du Gaulois dont le siège est 6, rue Drouot et de Gil Blas, boulevard des Capucines, Maupassant se fait le chantre du boulevard, « seul coin du monde où on se sente vivre largement, d'une vie active et flânante, de la vraie vie de Paris » et propose un véritable parcours guidé de ses chroniques.
« On marche, d'un pas lent, sous la brume verte des feuilles naissantes et on retrouve toutes les figures familières, car les boulevardiers se connaissent aussi bien que des bourgeois de petites villes. Tous les jours, aux mêmes endroits, on rencontre les mêmes hommes. Qu'importe leur nom qu'on ne saura jamais! On est certain d'apercevoir celui-ci devant Tortoni, celui-là devant Bignon, cet autre devant l'Américain.»[12]
« Un volume a suffi à Chateaubriand pour raconter l'itinéraire de Paris à Jérusalem ; mais combien de temps et de volumes faudrait-il pour achever d'écrire un voyage de la Madeleine à la Bastille ? Dans cette grande artère ouverte qu'on appelle les boulevards, et où bat le sang de Paris, une vie prodigieuse s'agite, un remuement d'idées comme il n'en existe nulle part, un bouillonnement d'humanité, un pêle-mêle de tout ce qui se précipite à ce rendez-vous universel. »[13]
La nouvelle « Une Aventure Parisienne » donne à Maupassant l’occasion de décrire le parcours d’un écrivain célèbre sur le grand boulevard à l’heure de l’absinthe.
Accompagné d’une admiratrice provinciale qui s’est imposée, il sacrifie au rituel de l’heure verte dans un grand café - on n’a que l’embarras du choix - dîne au Café Bignon et termine sa soirée au théâtre Le Vaudeville avant de regagner son lit.[14]
Jean Béraud: Devant le Théâtre du Vaudeville
Une autre nouvelle « Le Protecteur » permet de passer en revue les cafés où l’écrivain a ses habitudes.
« …il entrait dans les cafés avec l'ami rencontré pour demander une plume, de l'encre et une feuille de papier à lettre : "Une seule, garçon c'est pour écrire une lettre de recommandation." Et il en écrivait des lettres de recommandation, dix, vingt, cinquante par jour. Il en écrivait au café Américain, chez Bignon, chez Tortoni, à la Maison-Dorée, au café Riche, au Helder, au café Anglais, au Napolitain, partout, partout. »[15]
Comme tous les cafés du boulevard cités dans l’œuvre de Maupassant, le Café Riche 16, boulevard des Italiens, existait réellement. Son restaurant était un des hauts-lieux de la gastronomie. Ses salons particuliers abritaient des rendez-vous amoureux, éventuellement d’affaires, les deux étant souvent liés. Une femme honnête ne s’y montrait pas, ou alors voilée, cachée, discrète. On retrouve plusieurs fois le Café Riche dans l’oeuvre de Maupassant. La nouvelle « Yvette » commence par : « En sortant du Café Riche…» La description du dîner au Café Riche dans Bel-Ami (première partie, chapitre 5) est un haut moment fort de la littérature et de la gastronomie.
Georges Duroy est invité par Mme de Marelle à dîner à quatre dans un salon particulier du Café Riche, en compagnie des Forestier. Il arrive le premier. Maupassant décrit de façon suggestive les mets qui sont servis, et les féminise avec gourmandise et sensualité : huîtres d‘Ostende « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles (…) fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés », truite « rose comme de la chair de jeune fille » ; côtelettes d'agneau, « tendres, légères, couchées sur un lit épais et menu de pointes d’asperges ». Le champagne « échauffait leur sang et troublait leur esprit ».
En avril 1877, nous l’avons vu, un dîner à l’entresol d’un restaurant du 9e, Chez Trapp[16], réunit six jeunes écrivains, dont Guy de Valmont, autour de leurs maîtres (Flaubert, E. de Goncourt, Zola). Dans un cabinet semblable à celui du Café Riche, se plaît-on à imaginer. Le menu que n’auraient pas désavoué les Surréalistes de la rue Fontaine, était le suivant : Potage purée « Bovary » ; truite saumonée à la « Fille Élisa » ; poularde truffée à la « Saint-Antoine » ; artichauts au « Cœur simple » ; parfait « naturaliste » ; vin de Coupeau ; liqueur de « l’Assommoir. »
Laissons donc les derniers mots au poète Maupassant dans les rues du 9e :
« On était aux derniers jours de mai, à cette saison délicieuse où le printemps de la campagne semble faire le siège de Paris et le conquérir par-dessus les toits, (…) Mme Haggan (femme d'un agent de change très mondain) fit quelques pas à droite avec l’intention de suivre, comme toujours, la rue de Provence où elle hélerait un fiacre, mais la douceur de l’air, cette émotion de l’été qui nous entre dans la gorge en certains jours, la pénétra si brusquement, que, changeant d’idée, elle prit la rue de la Chaussée-d’ Antin, sans savoir pourquoi, obscurément attirée par le désir de voir des arbres dans le square de la Trinité. ( ..) Au bout de la rue, devant l’église, la verdure du petit square l’attira si fortement qu’elle traversa la place, entra dans le jardin, cette cage à enfants, et fit deux fois le tour de l’étroit gazon, au milieu des nounous enrubannées, épanouies, bariolées, fleuries. Puis elle prit une chaise, s’assit (…). »[17]
« Quand on regarde le ciel dans une rue, ça a l'air d'une rivière, d'une longue rivière qui descend sur Paris en se tortillant ; et les hirondelles passent dedans comme des poissons. (…) L'odeur des violettes venait me chercher à mon fauteuil, derrière ma caisse, et me faisait battre le cœur! »[18]
Victor-Gilbert Gabriel: La Place de la Trinité
Didier CHAGNAS
1] Alain Pagès Zola et le groupe de Médan, Perrin, 2014
[2] Joris-Karl Huysmans - Croquis parisiens - 1880
[3] Bel-Ami, première partie, chapitre 5
[4] Les dimanches d'un bourgeois de Paris. Le Gaulois 31 mai - 18 août 1880.
[5] Guy de Maupassant : Une soirée. Le Gaulois du 21 septembre 1883.
[6] Groupe des Cinq : Alexis, Céard, Hennique, Huysmans, Maupassant.
[7] Henry Céard et Jean de Caldain, Revue hebdomadaire 7 novembre 1908.
[8] Deux amis, revue Gil Blas du 5 février 1883, sous le pseudonyme Maufrigneuse
.[9] Les Tombales, Gil Blas, 1891
.[10] Gustave de Maupassant
[11] Les Tombales, Gil Blas, 1891
.[12] Les boulevards, Gil Blas, 25 mars 1884
.[13] Madeleine Bastille, Le Gaulois, 9 novembre 1880
.[14] Une aventure parisienne, Gil Blas, 22 décembre 188
1[15] Le Protecteur, Gil Blas, 1884, sous le pseudonyme Maufrigneus
e[16] Le restaurant « Chez Trapp » au n°109 de la rue Saint-Lazare, à l’angle du passage du Havre, n’existe plu
s[17] Le rendez-vous, l’Écho de Paris, 188
9[18] Mme Nicolas Beaurin, mercière rue des Martyrs (Au bois, Gil Blas, 1886)
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