Le Bas-relief de la Grange Batelière
Le mystérieux bas-relief
du 21, rue du Faubourg Montmartre
En arpentant la très ancienne rue du Faubourg Montmartre lotie à partir du début du XVIIIe siècle, on arrive alors au coin de la rue Grange Batelière où on trouve un immeuble avec une grande hauteur de plafond sur ses deux premiers étages, bâti en 1719 par un maitre paveur (et non en 1819, ainsi qu’indiqué par erreur dans le dictionnaire des rues de Jacques Hillairet).
Cette demeure (peut-être ancien relais de poste au XIXe siècle qui aurait remplacé auparavant une abbaye) a d’ailleurs encore conservé son beau portail et possède un étroit pan coupé donnant sur l’angle de la rue, agrémenté d’un original et gracieux petit balcon arrondi.
Le Bas-relief de la rue de la Grange Batelière Murillo - L'Annonciation - 1665/1670 © Wallace Collection
Mais le plus curieux se trouve côté Faubourg Montmartre avec ce bas-relief assez mystérieux à hauteur du balcon du premier étage.
De taille respectable (environ deux mètres de haut sur un mètre de large, avec un bord supérieur arrondi), il représente une scène d’inspiration visiblement biblique un peu surprenante dans cette rue commerçante et animée et lorsqu’on sait aussi que derrière les fenêtres à barreaux de cet étage est logée une antenne de police abritant la brigade des enquêtes de proximité !
© E. Fouquet
On est surpris d’emblée par la curieuse abondance d’objets de forme ronde qui envahissent le décor, suggérant peut-être des miches de pain à l’ancienne. L’ensemble pourrait donc être interprété comme une scène symbolisant la Multiplication des Pains, miracle accompli par Jésus de Nazareth et raconté dans les Évangiles. Mais on ne distingue ici ni corbeilles, ni poissons, comme rapporté par saint Matthieu, saint Marc et saint Luc … Et puis les personnages féminins, comme celui de la Vierge, n’apparaissent pas habituellement dans cette scène de la Bible, le Christ étant entouré de ses apôtres.
Si on entre alors dans le détail du bas-relief, on peut distinguer, en haut, deux anges encadrant un personnage qui pourrait être le Christ (ou Dieu le Père) comme semble le montrer le geste de bénédiction, lui-même surmonté d’un oiseau aux ailes déployées (une colombe illustrant le Saint-Esprit ?). Dans la partie inférieure se trouvent deux femmes dont une, à droite, les bras levés, tient une branche sans doute de fleurs de lys (qui pourrait l’assimiler à l’archange Gabriel), le buste de femme à gauche peut même faire penser à la Vierge Marie en prière les bras croisés sur la poitrine.
© E. Fouquet
On remarque enfin sur la partie inférieure gauche, sur une sorte de socle où on distingue un livre ouvert (Les Saintes Ecritures ?), une inscription qui pourrait être le chiffre XXI en caractères romains (donnant ainsi le numéro de l’immeuble dans la rue, la plaque auparavant présente sur le mur a d’ailleurs disparu lors d’un récent ravalement), à moins que ce ne soit les lettres AM entrecroisées (comme Ave Maria)... Tous ces éléments renvoient ainsi clairement à la Vierge Marie, qui serait en fait le sujet principal de ce bas-relief. Les fameuses formes rondes présentes sur tout le pourtour du bas-relief pourraient également figurer les nuages du ciel…
Cette représentation a d’ailleurs beaucoup de similitude avec celle de l’Annonciation peint par Murillo en 1665, tableau exposé à la Wallace Collection à Londres, sur lequel on retrouve presque tous les éléments décrits sur ce bas-relief (mais avec une seule miche de pain en bas du tableau, au contraire des nombreux exemplaires présents rue du Faubourg Montmartre!).
Beaucoup suggèrent qu’on a voulu figurer là une scène de l’Annonciation faite à Marie, interprétation qui semble en effet avoir quelque fondement.
© E. Fouquet
Le mystère subsiste enfin sur la date de pose de cette œuvre et sur la raison de sa présence à cet endroit.
Remonte-elle à la construction même de l’immeuble au début du XVIIIe siècle ou beaucoup plus tard pour représenter, par exemple, un commerce de boulangerie qui aurait occupé le rez-de-chaussée (bistrot dédié maintenant à la vente de burgers …) ?
Beaucoup de questions sans réponses réelles subsistent donc aujourd’hui, notamment sur les significations possibles de cet étonnant bas relief pour lesquelles sont pourtant apportées ici quelques hypothèses.
Une première information sur son origine avait cependant été donnée par Bernard Vassor dans son blog " Autour du Père Tanguy ". Il évoquait alors « l'histoire de la rue du Faubourg Montmartre au temps jadis » et précisait à son propos :
« Au numéro 21, était le couvent de la Visitation. Vendu pendant la révolution au titre de la confiscation des biens du clergé, la maison fut reconstruite en 1819. Un curieux bas-relief datant de 1720 fut conservé, et placé sur la façade à l'angle de la rue de la Grange Batelière... On peut encore le voir aujourd'hui sur le mur du commissariat de Police. »
Emmanuel FOUQUET
Catégorie : - Un Lieu à Découvrir
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