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Place Osiris


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SE SOUVENIR DE « MONSIEUR OSIRIS » 

 

Cet homme discret qui fréquentait en toute simplicité les petits restaurants, évitait les endroits renommés et que l’on appelait avec respect et sympathie « Monsieur Osiris », dans cette rue La Bruyère où il possédait cinq hôtels particuliers (dont celui où il habitait, au n° 9), fût l’un des personnages les plus attachants et les plus extraordinaires de notre arrondissement au XIXe siècle.
Une reconnaissance éclatante vient de lui être accordée  par
Mmes Hidalgo et Bürkli le 20 juin en donnant officiellement son nom à la place située à l’angle des boulevards Haussmann et des Italiens (face au carrefour Drouot/Richelieu/ Montmartre), au cœur du quartier où siègent somptueusement nombre de nos grandes banques : « place Daniel Iffla-Osiris ».

Né à Bordeaux le 23 juillet 1825, dans une famille de commerçants juifs modestes (d’origines marocaine, ibérique et portugaise), Daniel Iffla a fréquenté l’école israélite locale jusqu’à l’âge de quatorze ans. Mais il est très intelligent, ambitieux et fasciné par la réussite de quelques financiers parisiens aux racines marranes comme lui et il veut monter à Paris.
L’actuel lycée Turgot conserve une trace de son passage entre 1839 et 1842, avant qu’il commence à travailler, à l’âge de dix-sept ans, comme grouillot pour
l’agent de change Moreau, qui l’initie aux subtilités de la Bourse. Il intègrera rapidement le cercle fermé des financiers d’origine sépharade (Jules Mirès, Moïse Polydore Milliaud, Félix Solar, Émile et Isaac Pereire…) et son ascension sera fulgurante.
Malgré sa prudence (il se contenta de jolis coups de Bourse et d’opérations immobilières fructueuses sans jamais créer de banque), il sera éclaboussé dans un scandale financier qui le poussera dans les années 1860 non seulement à prendre ses distances avec le monde financier, lui préférant les milieux artistiques, littéraires et scientifiques, mais aussi à changer son patronyme :
par décret impérial du 24 août 1861,  il put ajouter à son nom celui d’Osiris. Tout un symbole que le nom de ce « dieu bienfaisant et civilisateur », ramené à la vie par son épouse, garant de la survie des défunts dans l’au-delà…



UN PHILANTHROPE PATRIOTE

 

C’est surtout après 1855 qu’il s’est consacré au mécénat, après la mort en couche de son épouse, Léonie Carlier, (une jeune femme catholique issue d’une très riche famille, épousée quinze mois plus tôt) et celle de leurs jumeaux à naître. Il avait à peine trente ans et ce drame qui a bouleversé sa vie lui fit adopter une nouvelle philosophie.
Il ne se remariera jamais et conservera intacte la chambre de son épouse sa vie durant, lui vouant un véritable culte. Obstiné, il batailla pendant trente ans pour pouvoir faire édifier son tombeau à côté de celui de son épouse, au cimetière Montmartre, de part et d’autre de l’allée (un mur à l’époque) séparant les carrés juif et chrétien. Ornée d’une reproduction de la statue de Moïse de Michel Ange réalisée par son ami le sculpteur Antonin Mercié, sa dernière demeure mérite qu’on s’y arrête.  Elle est entretenue par
l’Institut Pasteur, légataire universel et exécuteur testamentaire après sa mort le 4 février 1907 : ce legs, le plus important jamais reçu par l’institut, a servi notamment à la création de l’Institut du Radium, devenu l’Institut Curie.



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Tombe d'Osiris au cimetière Montmartre

 

Le respect des valeurs restera pour Daniel Iffla-Osiris est  un phare. Pas question pour lui d’enrichir abondamment sa famille : cet amoureux de la fidélité, n’acceptait pas la frivolité dispendieuse mondaine. Deux personnages de la famille deviendront célèbres à son grand dam : l’une de ses nièces, Emma, en divorçant de son mari, un riche banquier juif d’origine russe, Sigismond Bardac, pour épouser Claude Debussy; et sa petite nièce, Charlotte Lejeune dite Lysès, comédienne, amie de Tristan Bernard et de Maurice Donnay, qui deviendra la maîtresse de Lucien Guitry avant d’être la première épouse de son fils Sacha.

Daniel Iffla-Osiris fut  le prototype du mécène moderne. Son obsession philanthropique procédait à la fois de la tradition de la « tsedaka » (charité), des valeurs républicaines et parfois d’un certain plaisir à étaler sa fortune. Mais il savait aussi être généreux et discret. Qui se rappelle que c’est à lui que l’on doit la fameuse statue équestre de Jeanne d’Arc d’ Emmanuel Frémiet à Nancy, celle d’Alfred de Musset au parc Monceau, trois des six fontaines Wallace encore existantes à Bordeaux, nombre de  pavillons hospitaliers, crèches et asiles. Il mettra à la disposition du Maire du 9e arrondissement ses quatre immeubles de rapport de la rue la Bruyère pendant le siège de Paris pour y installer des cantines et des asiles pour réfugiés.

Il donnera à l’État La Tour Blanche, son domaine viticole de 65 hectares à Bommes (Sauternes), où Louis Pasteur s’était penché à sa demande sur le rôle des levures, cru prestigieux concurrent du château d’Yquem, pour y voir créer une école « populaire et gratuite » de viticulture et vinification (toujours en fonction).

Il offrira également à l’État en 1903 le château de Malmaison, acheté en ruine, restauré par ses soins, à condition qu’on y poursuive le retour du mobilier d’origine qu’il avait largement initié et qu’on y présente en permanence sa propre  collection d’œuvres d’art. Assez éclectique, elle y est exposée, dans le pavillon « Osiris » construit à cet effet en 1924. Sa passion pour l’empereur Napoléon 1er venait de son grand-père Daniel, fidèle lieutenant de Bonaparte, Bordelais devenu agriculteur en Martinique, qui se distingua aux sièges de Toulon (1793) et à la bataille du Boulu (1794).

Enfin, on peut dire qu’Osiris a été quelque part « le grand-père de …Coluche » (cf. « Le Parisien ») en donnant à la ville de Bordeaux deux millions de francs (environ 7M € actuels) pour créer sur les berges de la Garonne un asile de jour pour les travailleurs pauvres et les indigents où il fera organiser un bateau-soupe baptisé «Osiris » (plus de 14 000 repas y seront servis par mois jusqu’en 1940). À Paris, il soutiendra le « Pain pour tous » et fera partie du Comité du Réfectoire populaire du 9e. Il sera même précurseur dans le micro-crédit sans intérêt accordé aux artisans et petits marchands parisiens…  



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Le Bateau-Soupe Osiris à Bordeaux.

 


JUIF ET MÉCÈNE

 

Fidèle à sa judaïcité et à la tradition des grands banquiers juifs du XIXe, Osiris a financé la construction de huit synagogues : à Arcachon, Tours, Vincennes, Bruyères, Tunis, Lausanne, … Celle de la rue Buffault, dans notre 9e arrondissement, est l’une des plus belles. Elle entendait rivaliser avec celle de la rue de la Victoire.

Très personnel dans ses approches, très sépharade, Daniel Iffla-Osiris a eu des relations avec les consistoires et les rabbins qui n’ont pas toujours été au beau fixe. Il avait des idées bien arrêtées et n’aimait pas se soumettre à d’autres règles que les siennes… Il voulait imposer ses plans, ses goûts, ses plaques. Pourtant les noms de Baruch Spinoza (jugé hérétique) et de Heinrich Heine (baptisé protestant) ne figurent pas sur le marbre qu’il a dédié « Aux illustres enfants d’Israël » à la synagogue Buffault : les rabbins n’ont pas cédé… Mais Osiris dépassait tous les clivages. Lausanne lui doit en 1902 une statue de Guillaume Tell (signée Antonin Mercié) et une chapelle, en remerciement du refuge accordé en 1871 à l’armée française en déroute du général Bourbaki.  Son culte de Jeanne d’Arc alla jusqu’à lui faire envisager de racheter sa maison natale à Domrémy.


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Statue de Guillaume Tell à Lausanne.
 

Une telle personnalité mérite une abondante bibliographie… C’est chose faite. Nous citerons seulement l’ouvrage très documenté de M. Dominique Jarrassé, « Osiris, mécène juif et nationaliste français » dans la collection Patrimoines des Éditions Esthétiques du Divers.  

 


LA PLAQUE DEVOILÉE
 


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Devant la plaque dévoilée, Mme Delphine Bürkli, Maire du 9e, avec à ses côtés le Grand Rabbin de France, M. Haïm Korsia (à droite) et des représentants des communautés israélites de l’arrondissement.
 

C’est le 27 juin 2018 en fin de matinée que la place Daniel Iffla-Osiris a été inaugurée par Delphine Bürkli, Maire du 9e, et Catherine Vieu-Charier, conseillère de Paris, adjointe à la Maire de Paris. Cette cérémonie a rassemblé une importante communauté juive, avec à sa tête le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, accompagné notamment d'Élie Balmain, président de la Communauté de Buffault, de Salomon Malka, Rabbin de la Synagogue de Saint-Lazare. Étaient aussi présents Amaury Lefébure, Conservateur général du Patrimoine et directeur du Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, et Dominique Jarrassé, président de l’Association des Amis de Daniel Iffla-Osiris. Les admirateurs philanthropes anonymes étaient nombreux.
De vibrants hommages émus lui ont été rendus, montrant à quel point
cet exceptionnel humanisme, si original, si généreux, sans clivages, fait l’unanimité. Nous aurons l’occasion d’en reparler.


Anick PUYÔOU

 


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© A. Puyôou - 9ème Histoire - 2018
 


Date de création : 05/07/2018 • 21:22
Catégorie : - Fiches Express-Figures du 9e
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