La Synagogue Buffault - octobre 2018
La Synagogue Buffault
En cette fin d’après-midi ensoleillé d’octobre, une quarantaine d’adhérents de 9ème Histoire se sont retrouvés au 28, rue Buffault, devant la synagogue où les attendait Claude Nataf, historien et président de la société d’histoire des Juifs d’Afrique du Nord.
La visite commença par une brève présentation de l’extérieur de ce temple construit en 1877 par l’architecte Stanislas Ferrand qui en confia la décoration intérieure à Albert Philippe Le Roy de Bonneville. La façade de la synagogue est de style néo-roman avec, en son centre, une grande rosace gothique (dont les douze lobes rappellent les tribus d’Israël), surmontée de deux grands arcs concentriques entre lesquels est inscrit en caractères hébraïques « Sois béni en entrant, sois béni en sortant ». L’ensemble est surmonté d’un fronton au-dessus duquel se trouvent les Tables de la Loi. Une triple arcade sur rue permet d’accéder à un vestibule dans lequel figure une plaque rappelant que le temple a été élevé par Daniel Iffla Osiris (consulter le récent article d'Anick Puyôou en suivant ce lien) et offert à la communauté des Israélites de rite portugais.
Façade de la synagogue de la rue Buffault.
La synagogue de la rue Buffault a été construite à deux pas de celle (aujourd’hui disparue) édifiée en 1851 au 23, rue Lamartine.
Synagogue Buffault: de la téba au héchal.
Une fois l’assistance assise à côté de la téba (estrade d’où est lue la Torah) placée au centre de l’édifice, selon la tradition portugaise, Claude Nataf nous a alors rappelé l’histoire de la communauté juive hispano-portugaise. En 1492, sous le règne d’Isabelle la Catholique, après un siècle de persécutions, les Juifs espagnols ont été contraints de se convertir au catholicisme ou de quitter l’Espagne. Certains se convertirent effectivement, d’autres (les « marranes ») firent mine de se convertir tout en continuant à pratiquer, dans le secret, les rites de la religion juive et d’autres, enfin, quittèrent l’Espagne pour se réfugier au Portugal où ils eurent la possibilité, jusqu’en 1496, d'exercer librement leur religion et les métiers de leur choix. Puis la règle espagnole s’appliquant au Portugal, certains Juifs refusant de se convertir au catholicisme quittèrent le Portugal pour s’établir dans le sud-ouest de la France, notamment à Bayonne et Bordeaux où ils purent se livrer au commerce et à l’industrie. Plus tard certains Juifs prospères du sud-ouest s’établirent à Paris pour leurs affaires.
Les Juifs portugais de rite séfarade s’étaient établis en France avant les Juifs de l’est (pour beaucoup originaires d’Alsace et de Lorraine) de rite ashkénaze mais ils étaient moins nombreux.
Détail de la rosace de la synagogue Buffault
Lors de la construction de la grande synagogue de la rue de la Victoire (terminée en 1874), une fusion entre les deux communautés juives, ashkénaze et séfarade, avait été envisagée mais n’avait pas abouti ; les Juifs portugais minoritaires tenant à conserver leurs traditions et leurs rites décidèrent alors de construire un nouveau temple, rue Buffault, dont l’architecture eut bien des points communs avec les autres grandes synagogues de la même époque ( celle de la rue de la Victoire et celle de la rue des Tournelles). Elle est beaucoup plus petite que celle de la rue de la Victoire mais, par contre, elle est, selon la tradition, orientée vers Jérusalem.
Son édification fut rendue possible grâce d’abord, à la générosité de riches donateurs (parmi eux, Gustave de Rothschild, Eugène Pereire, les Camondo…). Une souscription fut ouverte, les donations et les fonds recueillis s’avérant insuffisants, Daniel Iffla Osiris, d’origine bordelaise, qui avait travaillé dans la banque et fait de bonnes affaires en bourse, décida, après avoir perdu son épouse et ses enfants à leur naissance, de se lancer dans la philanthropie et le mécénat. Il s’engagea à apporter le complément d’argent nécessaire à l’édification de cette synagogue tout en posant ses conditions : le temple devait être uniquement voué au culte hispano-portugais et il exigea l’apposition de deux plaques dans l’édifice qui posèrent problème ; sur l’une d’entre elles figuraient les noms de son épouse catholique, Léonie Carlier, et de convertis (Heine, Gozlan…), mais si les autorités religieuses cédèrent pour Léonie, elles se montrèrent intraitables pour les autres ; sur l'autre plaque il s'auto-proclamait le seul donateur du temple.
Daniel Iffla Osiris - L'une des plaques commémoratives figurant dans la synagogue Buffault.
Comme pour la plupart des synagogues construites au XIXe, l’architecture intérieure fut influencée par celle des églises d’alors : construite selon un plan basilical avec une nef centrale et dans le chœur le héchal comportant, caché par un rideau, l’armoire sainte avec son fronton triangulaire où sont disposés les rouleaux de la Torah recouverts de tissus de velours sur lesquels sont indiqués les noms des donateurs. Au-dessus de l’armoire, sur le mur, est peint un ciel nuageux qui s’éclaircit en se rapprochant de la Torah. On accède au héchal par sept marches bordées de balustrades ajourées d’étoiles de David et supportant des torchères.
Chandelier à huit branches.
Les Portugais tenaient à la disposition centrale de la téba, précédée d’un chandelier à huit branches et ornée de magnifiques candélabres offerts par des notables.
La synagogue Buffault, contrairement à la plupart des synagogues, a la particularité d’avoir une chaire située sur la gauche, depuis laquelle le rabbin fait ses sermons. Les places du bas sont généralement réservées aux hommes et les tribunes à l’étage aux femmes mais pour certaines cérémonies (mariages par exemple), les femmes et les hommes sont en bas mais séparés.
Intérieur de la synagogue Buffault.
Ce qui frappe dans ce temple c’est sa clarté due à la très belle lumière filtrant à travers la rosace et les vitraux du plafond, à l’abondance de marbre blanc et aux nombreuses torchères et on s’en rend bien compte en sortant lorsqu’on se retrouve dans l’étroite rue Buffault.
La visite s’est terminée vers 18 h 10 pour laisser la place aux fidèles venus assister aux prières du soir, juste le temps de remercier Monsieur Nataf d’avoir partagé avec nous, avec beaucoup de clarté et de passion, sa profonde connaissance de l’histoire des Juifs hispano-portugais et du temple Buffault.
Synagogue Buffault: la soirée des mariés.
Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire - 2018
Catégorie : Publications de 9ème Histoire - Echos du Terrain
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