Le Prix Goncourt
Les frères Goncourt - © Librairie Arthème Fayard in "Renée Mauperin " - 1875
LE PRIX GONCOURT
Voulu par les frères Goncourt, Jules (1830-1870) et Edmond (1822-1896), afin « …qu’on n'oublie pas leur nom ! », le célèbre Prix Goncourt récompense chaque année un écrivain méritant.
Ils avaient du bien, ce qui permettra de concrétiser leur projet ; en 1897 les ventes posthumes de leurs collections ont rapporté 1.300.000 Francs*.
Dans l’ouvrage d’Alexandre Gady « La Place St Georges et son Quartier » (Paris musées), Alain Barbier de Sainte Marie précise à propos de leur appartement du 43, rue St Georges:
« Ils étaient sans aucun doute les seuls dans l’immeuble à posséder autant d’œuvres littéraires et artistiques. Un véritable petit musée, comme en témoigne la description de ces collections dans les sept catalogues de la vente posthume à Drouot de février à juin 1897.
Les frères Goncourt avaient donc raison de prétendre : « nous sommes le seul appartement dans la maison où il y ait des objets d’art » (Journal du 2 février 1868). Prétention justifiée par les souvenirs des visiteurs… ou des dîneurs (dix autour de la table le 28 mars 1858). Flaubert (12 janvier 1860) et d’autres plumes de moindre renommée pouvaient admirer le lustre de cristal de Bohême de la salle à manger qui éclairait « le triomphant Moreau [le jeune] de la Revue du Roi [à la plaine des Sablons] » ; au salon un secrétaire et une commode Louis XVI et « …deux bijoux ! Une marqueterie et des bronzes ! » (Journal 30 octobre 1857). Pour orner cette salle à manger, où ils traitent leurs hôtes en gourmets exigeants, ils avaient acheté des tapisseries Louis XV fond blanc (Journal du 24 mars 1858). Tapisseries exécutées sur les dessins de Jean-Baptiste Le Prince et Jean-Baptiste Huet, ainsi que le rapporte l’un de leurs commensaux, le critique d’art Philippe Burty… Sur la cheminée des flambeaux en bronze, « d’un modèle unique » étaient encadrés par deux hauts vases en biscuit de Sèvres, « d’un blanc qui fait penser à une neige tassée, durcie et coupée au canif et qui, dans leur grâce rococo, semblaient être sortis des mêmes tombeaux que les figures de Tanagra ».
Edmond de Goncourt - © RMN musée d'Orsay.
Après la mort de Jules, son frère Edmond fixe les détails dans son testament : « Pour avoir l’honneur de faire partie de la Société, il sera nécessaire d’être homme de lettres, rien qu’homme de lettres. On n’y recevra ni grands seigneurs, ni hommes politiques » ! C’est une pierre dans le jardin de l’Académie Française !
La première réunion a lieu en 1903. En 1904 interviendra la concurrence féminine de « La Vie Heureuse », ancêtre du « Femina ».
Les règles de l’Académie Goncourt sont clairement établies : le lauréat est choisi à l’issue d’un repas dans les salons d’un grand restaurant parisien - « L’Académie de la nappe » dira Forain ! – qui se déroulera longtemps au “Café de Paris” avant de se tenir chez “Drouant”. Le prix est décerné par un vote à main levée lors de la dernière réunion de l’année par les « Dix ».
En 1919, quand Proust obtient le prix Goncourt, les « Dix » sont : Rosny “aîné” et Rosny “le jeune”, Léon Daudet, Geffroy, Bourges, Descaves, Céard, Ajalbert, Mirebeau, Hennique. Certains sont célèbres, ont fait partie du groupe de Médan autour de Zola, d’autres sont nettement moins connus. La moyenne d’âge est de 63 ans ; « maison de retraite pour vieux amis » grince Jules Renard !
Le montant du Prix est alors de 5.000 frs (environ 6.500 €).
Quand le 19 décembre 1919 le Prix Goncourt est décerné à Marcel Proust pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » par six voix contre quatre, c’est un beau tollé ! Tous pensaient que Dorgelès avec « Les Croix de Bois » serait choisi.Proust est âgé, juif, riche, il n’a pas fait la guerre et, pour beaucoup, son œuvre est illisible.
Les commentaires sont au vitriol :
C’est bien moins dangereux que la peste et la rage ;
Mais un cas provoqua les plus graves torpeurs :
Celui d’un imprudent qui lisait un ouvrage
De Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs.
Édition de 1918 du roman de Marcel Proust © Gallica BNF
Selon le témoignage de Céleste Albaret, sa gouvernante, il apprend son élection par Gallimard alors qu’il est couché dans sa chambre, 44, rue Hamelin, dont il ne sort pratiquement plus.
Il s’amuse des commentaires : « La veille du Prix Goncourt je n’avais pas de chance de l’obtenir parce que j’avais 47 ans. Le lendemain, j’étais indigne de l’avoir obtenu parce que je “frisais” la cinquantaine. Puis en 24 heures je la dépassai, j’en suis maintenant à 58 ans ! N’ayez pas de déception si vous me retrouvez sans les cheveux blancs dont une presse anticipatrice se plaît à couronner mon front».
Il n’en reste pas moins que le Prix Goncourt est probablement le plus célèbre et le plus attendu des prix littéraires, ce qui aurait manifestement réjoui les frères Goncourt !
*: Le testament d'Edmond de Goncourt a cependant été contesté en justice par des cousins ainsi que des associations.
Françoise ROBERT
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Sources :
Alexandre Gady « La Place St Georges et son Quartier » (Paris musées),
Thierry Laget « Proust, Prix Goncourt, une émeute littéraire » (nrf Gallimard).
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© Françoise Robert - 2019 © 9e Histoire - 2019
Catégorie : - Fiches Express - Auteurs
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