L'église St Eugène Ste Cécile
© Claude Mignot 2020 © 9e Histoire - 2020
L’Église Saint-Eugène-Sainte-Cécile
(1854-1855)
Vue de l’extérieur de l’église St-Eugène-Ste-Cécile - © Mbzt
Saint-Eugène a déjà fait objet d’une notice bien illustrée sur le site de 9e Histoire[1], mais la singularité de cette église, dont nous avons fait une visite approfondie le 11 avril 2019, nous invite à y revenir ici.
Saint-Eugène-Sainte-Cécile est l’une des quatre églises paroissiales du 9e, avec Saint-Louis-d’Antin (1782, chapelle d’un couvent de Capucins, devenue église paroissiale en 1802), Notre-Dame-de-Lorette (1823-1836) et la Trinité (1862-1867).
Saint-Louis-d’Antin et Notre-Dame-de-Lorette relèvent du style néo-classique ; la Trinité est un bel exemple d’éclectisme historiciste ; Saint-Eugène illustre l’architecture néo-gothique moderne, qui utilise des structures de fonte et de fer sous des formes gothiques ; à ce titre, n’étant pas bâtie en pierre, elle ne fut consacrée qu’en 2000. Toutes sont classées « Monument historique »[2]. Après Notre-Dame-de-Lorette classée pour ses peintures dès 1908 et en totalité en 1968, et après Saint-Louis classé en 1981, Saint-Eugène classé en partie en 1976 ne le fut « en totalité » qu’en 1983, avant la Trinité qui, inscrite à l’Inventaire supplémentaire en 1977, ne fut classée qu’en 2016.
Ces dates sont significatives de la progressive réhabilitation de l’architecture du XIXe. Longtemps en effet, et jusqu’en 1969[3], l’architecture du XIXe était considérée comme un art de pastiche sans invention. On lui attribuait parfois le mérite d’avoir mis en œuvre les matériaux modernes, fonte, fer et verre, mais on honnissait l’éclectisme historiciste. D’où une lecture schizophrénique des édifices de ce siècle : admiration pour les structures métalliques ; mépris pour leurs enveloppes de pierre. D’où le classement seulement partiel de l’église de Saint-Eugène, et très tardif de la Trinité, qui relève de l’éclectisme, le style du XIXe siècle qui fut le plus déprécié. Le renversement complet des perspectives ne se fit que dix ans plus tard avec des lectures reconnaissant la remarquable part d’invention de ce XIXe siècle, plus conformes aux belles intentions des créateurs de l’époque[4].
nouvelle église paroissiale, bâtie à l’économie et dans l’urgence
L’accroissement démographique considérable de Paris sous le Second Empire a conduit à la création de nouvelles paroisses, et donc à la construction de nouvelles églises. Saint-Eugène s’inscrit dans ce mouvement, comme Saint-Vincent-de-Paul, antérieure de dix ans.
Système des pendentifs à nervures de L.A. Boileau et coupes transversales de l'église St-Eugène - 1855
Propriétaire de l’ancien terrain de l'Hôtel des Menus-Plaisirs d’une surface relativement réduite, et finançant la construction, le maître d'ouvrage, l'abbé Coquant, curé de la paroisse, amateur d'art et historien, a joué un rôle décisif dans le choix du parti constructif, une structure économique moderne. « Construire une église dans le style de la fin du XIIIe siècle, mais en employant la fonte et le fer pour remplacer les piliers et les nervures de pierre », tel était le cahier des charges.
D’où le choix d’architectes de cultures complémentaires : Adrien-Louis Lusson (1788-1864) et Louis-Auguste Boileau (1812-1896). Le premier, élève à l'école des Beaux-Arts, est formé dans la meilleure tradition classique par Charles Percier et Pierre Fontaine ; il devient agent voyer de la ville de Paris, puis architecte des travaux publics de la ville de Paris en 1835 ; c’est à ce titre qu’il travaille sur le chantier de Saint-Eugène. Le second, marqué par l’enseignement de Viollet-le-Duc, conduit des réflexions et des expériences sur l’emploi du fer en architecture[5]. Saint-Eugène est son premier essai de grandes dimensions. De manière paradoxale, Viollet-le-Duc s’en prit vivement au parti adopté par Boileau, considérant comme un « mensonge architectural » le fait de reprendre une structure gothique, avec un autre matériau que la pierre traditionnelle[6]. Les colonnes de fonte de Saint-Eugène ont en effet les proportions et les moulurations des colonnes de pierre du réfectoire de Saint-Martin-des-Champs. S’ensuivit une querelle encore vive en 1871[7].
Construite en vingt mois, du 6 mars 1854 au 21décembre 1855, l’église fut inaugurée pour Noël 1855 sous le nom de Saint-Eugène, en l’honneur du saint patron de l’oncle de Napoléon III. L’impératrice Eugénie en fut la marraine. Depuis 1952 l’église porte le double nom Saint-Eugène-Sainte-Cécile, la seconde titulature choisie en fonction de la proximité du conservatoire.
Vue d’ensemble de l’intérieur de l’église St-Eugène-Ste-Cécile - © Mossot.
Le terrain retenu pour élever la nouvelle église paroissiale étant relativement étroit à l’angle de la rue du Conservatoire et de la rue Sainte-Cécile, il fallait éviter toute perte d’espace pour accueillir la population industrieuse et modeste du quartier. La nouvelle église occupe tout le terrain disponible. À l’intérieur d’une enveloppe de pierre de style néogothique, l’architecte déploie une couverture métallique reposant sur 44 minces colonnes de fonte.
La préfabrication de ces colonnes de fonte creuses d’une épaisseur de 2 cm et des nervures métalliques des voûtes ogivales permit à la fois de réduire considérablement les coûts et de bâtir en un temps record. La structure métallique facilita aussi l’installation du confort moderne, éclairage au gaz et chauffage par calorifère. Le plan adopté, sans transept, offre la plus grande surface au sol pour accueillir les fidèles.
Accès aux tribunes de St Eugène - © D. Bureau.
Celle-ci est encore accrue par la présence de tribunes tout le long des murs de la nef, qui jouent aussi le rôle de contrebutement. Le profil des colonnes, peintes comme les colonnes de pierre de Saint-Germain-des-Prés, s’inspire du réfectoire de Saint-Martin-des-Champs (aujourd’hui bibliothèque des Arts-et-Métiers). Longtemps on a interprété ces choix comme un médiocre pastiche du style médiéval en oubliant l’innovation majeure de l’emploi de la fonte. On oubliait aussi que l’architecture de la Renaissance copiait plus littéralement encore l’antiquité.
Une façade néo-gothique d’une subtile sobriété
Pour admirer les dehors de Saint-Eugène, le mieux est la vue oblique depuis l’angle sud-ouest du carrefour des rues Sainte-Cécile et du Conservatoire, d’autant que la piétonisation de la rue Sainte-Cécile en 2008 entre les rues du Faubourg-Poissonnière et du Conservatoire a créé une sorte de parvis.
La façade exprime parfaitement la composition en cinq parties du volume intérieur : la travée centrale correspond à la nef axiale avec le portail et le grand oculus qui éclaire l’intérieur ; les deux travées contiguës correspondent aux nefs latérales avec des fenêtres basses et une grande lancette au-dessus ; puis une travée plus étroite ornée de trois registres de niches correspond aux tribunes. La surface de ce vaste pignon, qui suit la pente du toit est scandée de contreforts saillants au centre, plats sur les travées extérieures. Le haut des travées intermédiaires est orné d’un relief qui suggère un arc boutant. Les éléments décoratifs se réduisent aux crochets sur le gable du portail.
L’élévation latérale sur la rue du Conservatoire est constituée, elle, de quatre pignons groupant chacun deux fenêtres étroites du même type que celles de la façade au-dessus d’un rez-de-chaussée bas éclairé de fenêtres rectangulaires à linteau contré. Ce type de baies étranger à l’architecture gothique est typique du néo-gothique qui ne copie pas littéralement l’architecture du XIIIe siècle, mais choisit librement ses motifs.
Colonnes et voûtes de St-Eugène - © D. Bureau
Un espace intérieur ouvert et lumineux
En pénétrant dans l’église, longue de 50 m, large de 25 m et haute de 23 m, on est frappé par la légèreté des colonnes et la vive polychromie des surfaces
Seuls les murs extérieurs sont édifiés en maçonnerie, 44 colonnes en fonte creuse bleu acier (de 2 cm d’épaisseur) délimitent trois nefs couvertes de voutes ogivales portées par des arcatures métalliques ornées d’un décor étoilé. Les nefs latérales sont accotées de tribunes, qui font office de contrebutement avec les escaliers en vis qui y conduisent. Tous les éléments de décor sont peints, ce qui lui donne un aspect théâtral.
Vitraux
Comme l’architecture médiévale, l’architecture de Saint-Eugène laisse une place considérable aux surfaces vitrées, réalisées par quatre ateliers pionniers de la Renaissance à Paris du vitrail coloré : ceux de Gaspard Gsell (1814-1905), d’Antoine Lusson fils (+ 1876), qui remporte en 1849 le concours pour les vitraux de la Sainte-Chapelle et qui vitre une dizaine d’églises à Paris[8], d’Eugène Oudinot (1827-1889)[9], et de Pierre Petit-Gérard.
Le chœur est orné de trois grandes verrières réalisées par Gaspard Gsell : la Cène à gauche, le Jardin des Oliviers à droite, et la Transfiguration au centre. À gauche, au-dessus d’une statue de la Vierge à l’enfant par Aimé-Napoléon Perrey (1813-1883), la chapelle de la Vierge dispose avec bonheur des scènes vitrées de la vie de Marie ; à droite la chapelle Saint-Eugène est vitrée de scènes de la vie du saint, compagnon de Saint-Denis. Les unes et les autres sont dues au maître verrier Antoine Lusson fils.
Verrières de la nef de St-Eugène © D. Bureau
Selon un parti iconographique assez rare, les verrières basses de la nef représentent les quatorze stations du Chemin de croix. La première, Jésus condamné à mort, fut réalisée aussi par Antoine Lusson fils ; les treize autres sont dues à Eugène Oudinot sur des cartons de Gérard Seguin. Oudinot, qui apprend l’art du vitrail avec Bontemps, un des précurseurs de la Renaissance du vitrail, puis la peinture dans l’atelier de Delacroix, ouvre son atelier rue du Regard en 1855 ; cette commande importante doit être la première. Au-dessus, les vitraux des tribunes représentent à gauche la vie privée de Jésus-Christ, à droite sa vie publique par Gaspard Gsell. Enfin la grande rosace de la nef axiale est due à Pierre Petit-Gérard de Strasbourg.
Vitraux des tribunes de St-Eugène - © D. Bureau
Si cet ensemble n’est pas le premier du genre à Paris, Saint-Eugène offre cependant un très bel exemple précoce d’un programme complet et cohérent de vitraux colorés[10].
Mobilier : autel, chaire, fonts baptismaux, escaliers, orgue
Le mobilier de bois et de fonte moulée auquel le fils de Boileau, ébéniste, aurait travaillé, s’accorde avec bonheur aux vitraux colorés. On notera l’élégance des escaliers en vis qui desservent les tribunes, la majesté des fonts baptismaux, la légèreté des lustres.
L’orgue imposant au revers de la façade a été réalisé en 1850 par Merklin & Schültze pour l’Exposition Universelle. Classé monument historique, il a été totalement rénové à la fin du XXe siècle. À l’origine l’église n’avait pas été pourvue de clocher selon la règle des églises paroissiales, pour ne pas déranger le conservatoire voisin. En 2000 l’église fut dotée d’un carillon. L’église a bénéficié en 1987 d’une restauration intérieure, qui se dégrade malheureusement déjà.
Buffet d’orgue de St-Eugène - © Sce Audiovisuel Mairie de Paris – R.Liot
Claude MIGNOT
Notes
[1] Emmanuel Fouquet, « L’église Sainte-Eugène », dans 9ème-Histoire, le 9e en bref, 15 avril 2017. Voir aussi Georges Brunel, « Saint-Eugène », dans Jean-Marie Pérouse de Montclos, Guide du Patrimoine, Paris, Hachette, 1994
[2] Ministère de la Culture, Base Mérimée.
[3] Bruno Foucart, Deux siècles précurseurs, Paris, Norma éd., 2008. Bruno Foucart, « Situation du XIXe », Revue de l’art, 1972 (repris dans Foucart, Deux siècles précurseurs, op. cit., p. 25-32.
[4] François Loyer, Le siècle de l’industrie, Skira, 1983 ; Claude Mignot, L’architecture au XIXe siècle, Office du Livre /Le Moniteur, 1983
[5] Bruno Foucart, « La ‘cathédrale synthétique’ de Louis-Auguste Boileau », dans Revue de l’art, n°3, 1969, p. 49-66 (repris dans Foucart, Deux siècles précurseurs, op. cit., p. 235-264). Nouvelle Forme architecturale composée par M. Boileau, Exposé, notes et appréciations, Paris, 1853, Gide et J. Baudry, In-quarto.
[6] La querelle du fer : Eugène Viollet-Le-Duc contre Louis Auguste Boileau, présentation de Bernard Marrey, Éditions du Linteau, 2002.
[7] Le Fer, principal élément constructif de la nouvelle architecture. Conclusions théoriques et pratiques pour servir de clôture au débat ouvert en 1855, sur l'application du métal (fer et fonte) à la construction des édifices publics, Paris, 1871, in-octavo. Dix ans plus tard Boileau publie encore La Halle-Basilique : principes et exemples d'architecture ferronnière : les grandes constructions édilitaires en fer, Paris, 1881, Eugène Lacroix, In-quarto.
[8] Catherine Brisac et Laurent Aliou, « Antoine Lusson, une manufacture de vitraux au XIXe siècle » dans Le vitrail à Lisieux, Lisieux, 1987.
[9] Amélie Duntze-Ouvry, Eugène Stanislas Oudinot de la Faverie artiste peintre-verrier (1827-1889) et le renouveau du vitrail civil au XIXe siècle, thèse de doctorat en Histoire de l'art contemporain, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2016.
[10] Laurence de Finance, « Chronologie de la Renaissance du vitrail à Paris au XIXe siècle. L’exemple de l’église Saint-Laurent », dans In-Situ (revue électronique du Ministère de la Culture), n° 9, 2008. Martine Callias-Bey, « Les édifices néogothiques parisiens et leurs verrières,: églises et chapelles catholiques », dans In-Situ (revue électronique du Ministère de la Culture), n° 11, 2009.
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Cet article a été publié dans le Bulletin XVII- 2019 de l'association 9ème Histoire.
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