Le Mont-Valérien
© 9ème Histoire - 2020
Un aprÈs-midi au Mont-ValÉrien …
Une petite quinzaine d’adhérents à 9ème Histoire ont participé mercredi 23 septembre malgré le temps incertain et l’accès assez rude, à une émouvante visite du site du Mont-Valérien sur les hauteurs de Suresnes qui abrite, depuis soixante ans maintenant, le mémorial de la France combattante.
Notre jeune et savante guide conférencière, attachée au site, débute d’abord la visite justement devant la large esplanade où a pris place le long monument en grès rose surmonté d’une imposante Croix de Lorraine, devant laquelle brûle en permanence la flamme du souvenir.
Haut relief "La Déportation" d'Henri Lagriffoul
C’est en effet le général De Gaulle qui a l’idée, dès 1945, de rendre hommage ici aux combattants et résistants morts pour la France durant la seconde guerre mondiale. Le site est adossé à une forteresse militaire voulue par Louis-Philippe et qui sera particulièrement active, par sa situation élevée, pour bombarder les troupes prussiennes assiégeant Paris en 1870-71. Occupée par les allemands en 1940 puis libérée par la 2e DB en 1944, elle abrite toujours aujourd’hui un régiment de transmissions.
Devenu président de la République, De Gaulle inaugure le 18 juin 1960 le site conçu par l’architecte Frédéric Brunau. Seize hauts-reliefs en bronze, œuvres de seize sculpteurs différents, représentent ici l’héroïsme des combattants. À la suite de notre guide, nous pénétrons alors dans la crypte de taille assez réduite et qui abrite une urne contenant les cendres de déportés inconnus et seize cénotaphes de combattants et résistants reposant dans ce lieu, sans indication de noms, disposés en arc de cercle (le dernier arrivé en 1952 dans la crypte étant le corps d’un soldat fusillé en Indochine par les japonais en 1945). Notre guide nous précise d’ailleurs que le dix-septième caveau est réservé à sa mort, au dernier Compagnon de la Libération …
Les hauts-reliefs encadrant la croix de Lorraine - © J. Robert
Nous empruntons ensuite le chemin montant vers la chapelle construite en 1828 et rattachée au château de Forbin-Janson (prélat du XIXe siècle amateur d’art) que nous longeons, avec ses quatre tourelles d’angle. Cette chapelle désaffectée dès le début du XXe siècle allait ensuite connaitre une terrible fonction puisque en 1941, l’armée allemande allait l’utiliser pour enfermer ici brièvement les condamnés juste avant leur exécution …
L'abbé Franz Stock
Notre guide nous explique que sont encore conservés sur une partie des murs certains graffitis des futurs suppliciés et le rôle qu’a joué alors l’abbé Stock, aumônier allemand des prisons parisiennes. En effet celui-ci a pu accompagner ceux qui allaient être exécutés en s’efforçant de noter leurs noms sur des carnets qui ont pu être retrouvés. C’est ainsi qu’on sait qu’un peu plus de 1 000 victimes allaient succomber à cet endroit.
Devant la chapelle du Mont Valérien - © J. Aubert
Moment très émouvant de découvrir à l’intérieur de la chapelle les restes de poteaux d’exécution cachés hâtivement près de la clairière lors des combats de la Libération et des répliques de cercueils en bois grossier servant au transport vers des cimetières autour de Paris et pouvant contenir jusqu’à trois corps …
En sortant, nous nous attardons devant l’énorme cloche en bronze posée à même le sol et sur laquelle sont gravés par ordre chronologique les noms des 1 014 fusillés entre 1941 et 1944. C’est Robert Badinter en 1998 qui a souhaité de cette manière matérialiser l’hommage aux martyrs, la cloche étant inaugurée en 2003. Notre guide nous fait remarquer que ne figurent ici que des hommes, les femmes n’ayant pas droit à ce mode d’exécution, mais, loin des regards, à la décapitation, y compris parfois à la hache dans certaines prisons allemandes … On remarque aussi que les années 1941 et 1942 ont été les années au plus grand nombre d’exécutions car ensuite l’armée allemande envoyait plutôt les condamnés en camps de travail pour contribuer à l’effort de guerre.
On peut noter ici par une lecture attentive, les noms de grands résistants comme ceux d’Estienne d’Orves, Daniel Decourdemanche (Jacques Decour) sur lequel on reviendra plus loin ou des membres du groupe Manouchian dont notre guide nous parle plus particulièrement en évoquant son chef, Missak Manouchian, commissaire politique des FTP MOI (main-d’œuvre ouvrière immigrée, ici d’origine arménienne) de mouvance communiste, dont le destin tragique donnera naissance à l’Affiche rouge et dont la propagande allemande voulait se servir pour dénoncer les auteurs d’attentats mais qui suscitera l’effet inverse en glorifiant les martyrs du régime nazi …
L'affiche rouge.
Nous parcourons ensuite le même petit chemin qu’empruntaient les condamnés pour descendre à la clairière, située dans une sorte de cuvette entourée d’arbres et donc à l’abri des regards (le site n’était pas gagné par l’urbanisation actuelle mais entouré à l’époque par la forêt). Les exécutions par l’armée allemande se faisaient toujours par petits groupes de trois à cinq personnes au maximum qui descendaient donc chacun à leur tour en sinistres processions.
Honoré d'Estienne d'Orves - Sculpture de tête de Jacques Decour au Lycée J. Decour - © D. Bureau
Le silence règne toujours ici et si les poteaux d’exécution adossés à un petit remblai ne sont plus en place, un mat où flotte le drapeau français se dresse au-dessus d’une dalle du souvenir en grès posée en 1959. Or celle-ci, nous fait remarquer notre guide, contient un certain nombre d’erreurs : ce n’est pas 4 500 personnes qui ont été exécutées ici mais 1 014 comme indiqué précédemment, car ce chiffre renvoie à une estimation, elle-même inexacte, du nombre de résistants morts durant toute la guerre en France. La date de 1940 figurant également là est fausse car on sait que ce lieu n’a été utilisé pour l'exécution de prisonniers (résistants, pour la plupart communistes ou juifs, ou bien otages) qu'à partir de 1941...
La clairière du Mont Valérien - © J. Aubert
Il était alors temps d’évoquer rapidement un résistant du 9e qui a fait l’objet d’ailleurs d’une conférence en 2017 pour 9ème Histoire, à l’occasion du 75e anniversaire de sa disparition dans ce même lieu, le 30 mai 1942, à 32 ans, après avoir été arrêté par la police française le 17 février et interné à la prison de la Santé. Emmanuel Fouquet rappelle alors la brève existence de Daniel Decourdemanche, brillant universitaire, plus jeune agrégé de France en 1932, auteur de son premier roman à 17 ans, germanophile et professeur d’allemand entre 1937 et 1942 au lycée Rollin qui sera appelé dès la Libération Jacques Decour (son nom de résistant).
Pour évoquer le personnage, un poème inédit, écrit de sa main au début de la guerre, est alors lu dont voici la dernière strophe, prémonitoire :
Si vous voulez de mes nouvelles
Arrêtez doucement la canne blanche des aveugles
Et croyez ce qu’ils vous diront à l’oreille
Ecoutez le bruit qui court qui parle de tout
Le hurlement des villes où je ne serai pas
La voix des affairés qui ne savent pas mon absence
Quand vous voudrez de mes nouvelles
N’en demandez à personne, ils ne diront rien.
Puis, en guise de conclusion à cette visite émouvante, sont lues les deux dernières lettres écrites à 6 h 45 le jour fatidique, à ses parents et à sa fille Brigitte (âgée de 8 ans à l’époque, présente aussi à la conférence donnée à la mairie du 9e en 2017), dont voici un court extrait de celle adressée à ses parents :
… Vous savez que je m’attendais depuis deux mois à ce qui m’arrive ce matin, aussi ai-je eu le temps de m’y préparer mais comme je n’ai pas de religion, je n’ai pas sombré dans la méditation de la mort.
Je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau - la qualité du terreau dépendra de celle des feuilles – je veux parler de la jeunesse française en qui je mets tout mon espoir …
Emmanuel FOUQUET
© 9ème Histoire - 2020.
Catégorie : - Echos du Terrain
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