Dumas & le théâtre - novembre 2021
© 9ème Histoire - 2021
Alexandre Dumas et le THÉÂTRE par Jacqueline Razgonnikoff
Dans un lieu inhabituel pour nos conférences, la (belle) Salle des Mariages de la mairie du 9e, Jacqueline Razgonnikoff, ancienne bibliothécaire archiviste de la Comédie-Française, déjà intervenue pour 9ème Histoire à deux reprises, nous a parlé ce jeudi 25 novembre de l’œuvre théâtrale d’Alexandre Dumas, personnage qu’elle connaît parfaitement en tant que vice-présidente des Amis de cet écrivain prolifique, entré au Panthéon en 2002.
En préambule, il est rappelé que l’auteur des Trois Mousquetaires a beaucoup fréquenté ce qui allait devenir le 9e arrondissement avec pas moins de dix adresses successives (!), car poursuivi la plupart du temps par ses créanciers, il était amené à déménager régulièrement … Parmi celles-ci on peut noter la première, au square d’Orléans, où il donna même un bal costumé qui a fait date le 30 mars 1833 avec près de 700 participants … On pourrait citer aussi l’adresse du 30, rue Bleue, entre 1833 et 1836, disparue désormais avec la création à cet endroit par Haussmann de la portion de la rue La Fayette, ou encore celle du 46, rue Richer en 1849 et 1850 ou celle du pavillon du 7, avenue Frochot entre 1850 et 1851, où il eut comme voisin l’auteur dramatique Paul Meurice qui collabora pour sa pièce Hamlet, prince du Danemark.
Paul Meurice - © CNRS/ENS Lyon
Mais le sujet de la conférence portait bien justement sur le théâtre, genre qu’Alexandre Dumas a traité sous presque toutes ses formes et qui occupe 20 volumes dans son édition complète ! l’écrivain a pu en effet traiter une grande variété de genres allant de la comédie au vaudeville ou du drame au mélodrame …
Enfant à Villers-Cotterêts (où il est né en 1802), une représentation d’Hamlet l’avait déjà impressionné au plus haut point. A l’âge de vingt ans, il écrit une première pièce, Ivanhoé. Très vite son caractère ambitieux allait le persuader que le genre théâtral pouvait lui permettre de sortir de la pauvreté qu’il connaissait et de gagner des sommes importantes d’argent, surtout s’il parvenait aussi à posséder lui-même un théâtre où jouer ses pièces ; ce qu’il parviendra à faire en 1847 avec la construction de son Théâtre historique, boulevard du Temple.
Arrivé à Paris en 1822 comme clerc de notaire, Alexandre Dumas découvre la Comédie-Française où il rencontre Talma, tragédien reconnu, avec qui il sympathise. Il se met à écrire des vaudevilles, comme La Chasse et l’amour en 1825 qui obtient un certain succès et lit Shakespeare, dont le théâtre donne selon lui « la possibilité de construire un monde ».
Son premier drame historique, Henri III et sa cour, qu’il parvient à donner en 1829 à la Comédie-Française avec Mademoiselle Mars, va s’avérer un triomphe, même s’il sera qualifié par la critique de « scandale en prose », un an donc avant celui d’Hernani de Victor Hugo. Jacqueline Razgonnikoff rapporte alors que c’est la scène où se déroule une sorte de ronde sabbatique autour du buste de Racine qui est la cause de ce scandale !
En 1830, la nouvelle pièce d’Alexandre Dumas, Christine ou Stockholm, Fontainebleau et Rome, tragédie évoquant la vie de la reine Christine de Suède, d’abord refusée à la Comédie-Française dans sa première version, sera un nouveau succès à l’Odéon comme drame romantique en mettant en scène la tragédienne Mademoiselle George. Il considère alors que le théâtre peut être une véritable tribune.
Mademoiselle George dans Christine ou Stckholm, Fontainebleau et Rome - © BNF
Dumas va continuer à écrire, un peu comme un forcené, des drames ou des mélodrames au début des années 1830 dont Antony, pièce inspirée d’une relation amoureuse vécue par le bouillant auteur, qui s’avère être encore un triomphe en 1831 au théâtre de la Porte Saint-Martin avec les deux « stars » que sont Bocage et Marie Dorval (suivre ce lien) qui ne s’entendaient d’ailleurs pas beaucoup : Marie Dorval en s’adressant à son partenaire aurait transformé sensiblement le texte avec notamment cette tirade : « Je lui résistais, il m’a assassinée ! », nous révèle Jacqueline Razgonnikoff. Dumas enchaine avec un nouveau drame historique Charles VII et ses vassaux puis en 1832, revient à la comédie avec Le Mari de la veuve. La même année, alors que le choléra l’avait pourtant fait fuir de Paris pour voyager en Suisse et en Italie, La Tour de Nesle, drame donné toujours à la Porte Saint-Martin sera, avec plus de 800 représentations consécutives, la plus jouée au XIXe siècle. En 1835, ce sera Cromwell et Charles Ier, en puisant ainsi son inspiration dans l’histoire anglaise. C’est aussi un comédien britannique, cette fois ci contemporain, qui va être en 1836 au théâtre des Variétés, le sujet d’une pièce également à grand succès, Kean (succès qui se poursuivra au XXe siècle avec une adaptation par Jean-Paul Sartre et des versions cinématographiques).
Le théâtre va continuer à habiter Alexandre Dumas qui livre parallèlement des critiques de représentations pour le journal La Scène. Il écrit ainsi en 1837 que « l’art peut être moral » en ajoutant que le thème du destin a sa place dans le théâtre moderne. Passionné aussi d’histoire romaine, il donne Caligula la même année, grosse production avec un prologue écrit par Gérard de Nerval mais s’avérant un échec avec seulement vingt représentations. Il écrira pourtant encore d’autres pièces « romaines » comme la tragédie Catilina en 1848 puis Le testament de César en 1849, mais là sans y apposer d’abord son nom !
En 1838, Victor Hugo et Alexandre Dumas créent la troupe de la Renaissance qui va jouer certaines de leurs créations respectives salle Ventadour (dans l’actuel 2e arrondissement entre les rues Méhul et Monsigny). Ruy Blas connaitra là le triomphe mais ce ne sera pas vraiment le cas de L’Alchimiste d’Alexandre Dumas …. Cette salle fermera en 1841, concurrencée par d’autres théâtres.
Salle Ventadour - 1883 - © FA Tilly / Wikipedia.
Ayant échoué à entrer à l’Académie Française, ses relations avec la Comédie-Française continuent aussi à être difficiles malgré sa notoriété, même s’il écrit en 1839 pour Mademoiselle Mars, Mademoiselle de Belle-Isle, pièce qui sera interprétée ensuite par Rachel et sera la plus jouée à la Comédie-Française. Puis il écrit en 1850 pour l’hommage à Molière, Trois entractes pour l’Amour médecin.
Alexandre Dumas va alors cultiver le genre pathétique en mêlant les intrigues amoureuses aux questions sociales dans ses nombreuses pièces écrites dans les années 1840, souvent médiocres cependant : Les demoiselles de Saint-Cyr, pièce jouée en 1843, est ainsi démolie par la critique de l’époque en étant qualifiée de vaudeville en costume ! Le public commence à se lasser de cette avalanche de pièces que l’auteur continue à proposer et Dumas se permet même de recycler certaines de ses pièces qui ne marchent pas au théâtre en feuilletons, diffusés dans les journaux de l’époque … Son opposition à l’arrivée au pouvoir de Napoléon III par un coup d’état ne va rien arranger, sa pièce La jeunesse de Louis XIV sera ainsi censurée sous le Second Empire (censure levée après sa mort en 1870).
Caricature de Cham sur la pièce de Dumas La jeunesse de Louis XIV - © AGK Images.
C’est une période difficile qui commence pour Alexandre Dumas menant parallèlement une existence dispendieuse qui l’avait déjà obligé pour payer ses dettes et autres pensions alimentaires, à vendre en 1848 son château baroque de Monte-Cristo construit par lui en 1846 à Port-Marly et où il donnait de grandes réceptions. De même, pour cause de faillite, il se sépare en 1850 de son Théâtre historique dans lequel il aimait proposer des pièces de Shakespeare ou de Goethe, outre les siennes et celles d’auteurs contemporains. Il avait même réussi à faire jouer une adaptation de son roman La Reine Margot qui se terminait à trois heures du matin … Ce théâtre sera d’ailleurs rasé en 1863.
De 1853 à 1857, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, dans Le Mousquetaire, journal littéraire, artistique et quotidien, hébergé dans les locaux de la Maison dorée 1, rue Laffitte, Alexandre Dumas va publier en feuilleton ses propres Mémoires mais aussi ses romans et pièces de théâtre ainsi que des critiques.
Ses dernières années se passeront cependant le plus souvent à l’étranger, Belgique, Angleterre, Italie, Russie, toujours pour fuir ses créanciers. Dans le même temps, sa production théâtrale se ralentit sensiblement, peut-être faute du soutien des prête-plume qu’on l’avait accusé d’utiliser à profusion ! L’adaptation de son roman Les Blancs et les Bleus donnée au Chatelet en 1869 (un an avant sa mort), sera sa dernière pièce jouée de son vivant.
Encore une conférence de plus où Jacqueline Razgonnikoff nous a démonté sa grande connaissance du théâtre et ici de l’œuvre d’Alexandre Dumas, moment qui s’est terminé agréablement autour de notre traditionnel verre de l’amitié dont nous avions perdu l’habitude durant ces longs derniers mois
Emmanuel FOUQUET
© 9ème Histoire - 2021
Catégorie : - Echos du Terrain
Page lue 2262 fois