Héroïnes Romantiques
© 9ème Histoire - 2022
Charles de Steuben -1829- La Liseuse - Photo D. Bureau.
Les héroïnes romantiques
au musée de la Vie romantique
Le musée de la Vie Romantique nous accueillait en cette belle matinée du lundi 9 mai pour la présentation par Gaëlle Rio, directrice du musée et commissaire de l’exposition Héroïnes romantiques, ce sujet fort riche ne pouvant trouver meilleur réceptacle que ce charmant musée de la rue Chaptal !
Dans la première salle, notre sympathique guide nous indique tout d’abord que l’exposition est découpée en trois grandes séquences : les héroïnes vues d’abord sous l’angle du passé, qu’il soit mythologique ou historique, puis par leur représentation dans le roman ou le théâtre et enfin par leur représentation sur scène, que ce soit au théâtre, à l’opéra ou encore par le ballet.
Gaëlle Rio, passionnée par son sujet, ne peut manquer de souligner que cette exposition renvoie d’une certaine manière à la manière de traiter le féminisme tel qu’il a pu être abordé dans l’histoire de l’art. Ainsi dans cette première partie sur les héroïnes situées dans un passé plus ou moins proche, apparaissent des invariants tels que celui de la femme seule face à son destin, avec les personnages de Sapho, Héloïse, Jeanne d’Arc ou encore Marie Stuart. La femme apparait ici comme passionnée, prête à s’exiler ou même à mourir d’aimer, thèmes tragiques propres au romantisme du début du XIXe siècle. Par l’incarnation de sentiments forts ces héroïnes sont enfin des modèles pour les artistes de cette époque, (plus ou moins) habillées de blanc virginal, et très souvent érotisées par un regard la plupart du temps masculin, comme sur le tableau de Jean Gigoux La mort de Cléopâtre représentant théâtralement la célèbre reine d’Egypte allongée et dénudée se donnant la mort.
Edouard Hamman -1863 - Marie Stuart quittant la France. Photo D. Bureau.
Notre attention est d’abord portée par Gaëlle Rio vers le tableau d’Antoine Jean Gros, très représentatif de ces invariants, montrant Sappho à Leucate se jetant au clair de lune d’une falaise dans le vide, scène qui tient d’ailleurs plus du mythe qu’autre chose ! La poétesse de Lesbos aux penchants lesbiens est aussi représentée ici en sculpture par Pradier avec deux statuettes en bronze et par Lamartine dans ses Nouvelles méditations poétiques.
Marie d’Orléans va élargir la perception romantique de ces héroïnes en y intégrant sur un relief présenté ici, d’autres figures telles Rachel ou Héloïse. Gaëlle Rio nous fait aussi remarquer que Marie d’Orléans, fille de celui qui deviendra Louis-Philippe, et son modèle Jeanne d’Arc qu’elle va sculpter, ont connu toutes deux de brèves existences, ce qui ajoute à leur aura romantique.
Cette dernière fait en effet l’objet ici d’un certain nombre de représentations car c’est une figure qui va être populaire au XIXe siècle avec le retour en grâce du Moyen-Age, notamment à travers des tableaux qualifiés d’historicistes ou de style troubadour présents également dans cette exposition. C’est le cas de celui de Jacquand la montrant telle une sainte dans une geôle, scène éminemment romantique, ou sur le tableau de Fragonard Jeanne d’Arc sur le bûcher.
Alexandre-Evariste Fragonard -1822 - Jeanne d'Arc sur le bûcher - Photo D. Bureau
L’histoire tragique de l’amour impossible entre Héloïse et Abélard illustre parfaitement le thème romantique du renoncement, aussi bien sous la forme d’images d’Épinal (largement utilisées à cette époque), comme une planche nous le montre ici, que picturale avec ce tableau assez gothique de Jacques Antoine Laurent qui montre Héloïse recluse dans un couvent.
Marie Stuart, représentée là en trois tableaux, figure également comme exemple d’héroïne romantique, reine au destin tragique ayant vécu plusieurs vies comme reine (Ecosse et France, voire aussi Angleterre) dont l’exil puis la prison s’est terminée par une exécution à la hache … Le tableau de Chassériau Marie Stuart protégeant Riccio contre les assassins, la montre notamment comme une femme aux grandes capacités de résistance, c’est le cas également pour la Condamnation à mort par Deveria.
Nous pénétrons alors dans la petite salle attenante à l’atelier-salon d’Ary Scheffer où on découvre des représentations d’autres héroïnes tragiques, telles l’esquisse de Delacroix montrant l’infanticide commis par Médée sous l’empire d’une folie vengeresse ou Marguerite tenant son enfant mort avec Faust qui l’a abandonnée en arrière-plan, tableau d’Ary Sheffer appartenant au musée de la Vie romantique, ou encore avec la sculpture représentant Christine de Suède, la dure et inflexible reine Christine du XVIIe siècle à la vie si mouvementée .
Ary Scheffer -ca 1846- Marguerite tenant son enfant mort - Photo D. Bureau.
Il était temps alors de gagner l’autre partie de l’exposition en descendant dans l’atelier des peintres Ary et Henri Scheffer pour découvrir les héroïnes de fiction.
Gaëlle Rio évoque là le retour en vogue au XIXe siècle du théâtre de Shakespeare, auteur qui a mis en scène superbement ses héroïnes au destin toujours tragique. C’est le cas de Lady Macbeth par Charles-Louis Muller ou de Roméo et Juliette au tombeau des Capulet par Delacroix qui la montre dans un superbe drapé blanc, sorte de linceul. Le même Delacroix évoque la pauvre Desdémone maudite par son père implorant le pardon, la poitrine à moitié dénudée ; celle-ci finira en effet étouffée par Othello… Un peintre un peu moins connu, Léopold Burthe, a représenté La mort d’Ophélie dans Hamlet sur un beau tableau (affiche aussi de l’exposition) émouvant dans sa composition, où Ophélie accrochée à une branche, montre un visage serein bien que gisant à moitié immergée dans l’eau, un sein là aussi découvert !
Léopold Burthe -1852- Mort d'Ophélie - Photo D. Bureau
Dans cette même pièce en sous-sol, nous découvrons par ailleurs la place de l’héroïne romantique dans le roman du XIXe siècle. C’est ce que démontre avec bonheur le joli tableau de Charles de Steuben, La Liseuse, portrait d’une femme songeuse en train de lire, habillée à la mode de l’Empire avec ses fameuses « manches gigot ». On découvre donc ici que Girodet avait fait de l’Atala de Chateaubriand une belle défunte représentée d’une manière assez érotique, la poitrine moulée dans une tunique très transparente, ce qui fera d’ailleurs plutôt scandale car elle n’apparaissait « pas assez morte » ! Le tableau Esmeralda sauvée par Quasimodo, héroïne de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, est peinte ici dans une attitude gracieuse d’abandon par une femme, Eugénie Henry, c‘est suffisamment rare pour le noter. On ne pouvait pas non plus oublier George Sand si présente dans ce musée … Un petit pastel de Delacroix, bien représenté dans cette exposition, montre ainsi Lélia, personnage d’un de ses romans, éplorée face à son amant qui vient de se suicider.
Le propre de ces héroïnes, représentées aussi un peu plus tard par Emma Bovary, est en effet de ne pas pouvoir vivre leurs passions face à un ordre social qui souvent les opprime.
Auguste Clésinger -1850- Rache dans le rôle de Phèdre - Photo D. Bureau.
Nous remontons alors dans la dernière salle représentant sur un de ses murs une salle de théâtre vue depuis la scène, bonne idée pour signifier que les héroïnes romantiques ont beaucoup été interprétées sur scène par de grandes actrices, cantatrices ou encore danseuses qui en deviennent elles-mêmes les icônes. Ainsi voit-on là Rachel dans le rôle de Phèdre, sculptée en buste par Auguste Clesinger (lui-même époux malheureux de la fille de George Sand !) mais aussi Harriet Smithson (muse bientôt abandonnée par Berlioz) sur une lithographie la représentant jouant Roméo et Juliette, ou Maria Malibran dans le rôle de Desdémone sur un tableau de Henri Decaisne dont la mine pensive obéit aux canons du romantisme. Marie Taglioni, grande danseuse de l’époque romantique est représentée aussi dans le ballet La Sylphide un peu de la même manière. Un tutu est d’ailleurs exposé datant de 1971 qui reprend celui créé justement pour ce ballet en 1832 !
L’exposition est conclue dans un coin de cette grande salle par des vidéos projetant des extraits de spectacles (films ou ballets) bien évidemment sur le thème des héroïnes romantiques, avec par exemple le fameux film expressionniste Jeanne d’Arc de Carl Dreyer ou plus récemment le Madame Bovary de Claude Chabrol avec une Isabelle Huppert tourmentée hésitant à sauter dans le vide …
Une bien belle exposition (qui se poursuit d’ailleurs jusqu’à la rentrée de septembre !) que nous a fait vivre avec passion sa très documentée commissaire, Gaëlle Rio, que nous remercions ici vivement.
Emmanuel FOUQUET
Marie-Victoire JAQUOTOT -1825- Corinne au Cap Misène - Photo D. Bureau.
© 9ème Histoire - 2022
Catégorie : - Echos du Terrain
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