Visite rue Bleue et cité Trévise - novembre 2022
Visite rue Bleue et cité Trévise
du 16 novembre 2022
récit d'Emmanuel Fouquet
Le risque était grand ce mercredi 16 novembre de subir les caprices de la météo et pourtant très peu de défections ont été constatées en définitive lorsque a pu démarrer la visite proposée ce jour, de la rue Bleue et de la Cité Trévise, sous la conduite d’Emmanuel Fouquet et d’Hélène Tannenbaum.
Celle-ci a débuté par un rappel rapide de l‘historique du lieu depuis la fin du Moyen-Age :
© Emmanuel Fouquet
- À l’extrémité est de la rue actuelle, se trouvait l’ancien chemin de la marée qui la croisait (l’ancienne rue Sainte-Anne, maintenant rue du Faubourg-Poissonnière), permettant depuis le port de Boulogne l’approvisionnement des Halles en poissons.
- À l’extrémité ouest de la rue, la limite du vaste domaine des Porcherons se terminait rue de la Voirie (actuelle rue Cadet).
- On se trouve alors au sud du quartier de la Nouvelle-France créé en 1644 (en mémoire des 4 000 hommes enrôlés pour partir au Québec sur ordre de Richelieu), sur une levée de terre au milieu du marais, lieu-dit très humide, dénommé « Vallaroneux » (vallée aux rainettes, espèce de grenouille verte qui fréquentait ces lieux).
Jusqu’au XVIIe siècle, le chemin qui menait au village du Roule plus à l’ouest passait par le clos Cadet (du nom d’une famille de maraîchers), à travers une large zone de marécages parsemée de près et de vergers, parallèle au Grand Égout (à l’emplacement de l’actuelle rue Richer) venant de Ménilmontant pour se jeter dans un bras de la Seine.
La voie elle-même devient alors ruelle des Volarnaux (plan de Gomboust en 1652), nom issu de la contraction latine vallis ranarum, « le val des grenouilles ».
Puis en 1714, elle prend le nom d’Enfer mais ne comprend encore ni maisons ni lanternes.
Appellation sans doute trouvée par opposition à la rue de Paradis dans son prolongement (dans le 10e aujourd’hui).
Nom justifié aussi peut-être par le vacarme « d’enfer » que feront un peu plus tard les soldats pour se rendre à leur caserne de la Nouvelle-France (construite en 1773) en revenant des guinguettes.
Début XVIIIe siècle de nombreux artisans ou boutiques occupent en effet les lieux à la suite de l’autorisation royale de construire dans les « faubourgs ».
Puis commence une importante spéculation immobilière débutant à la fin de l’Ancien Régime et surtout lors de la Restauration au XIXe siècle, avec la construction d’immeubles de rapport ou d’hôtels particuliers.
La maison du bourreau
On note la présence dans cette rue (au nom d’enfer prédestiné) de la maison où naquit en 1739 Charles-Henri Sanson, exécuteur (entre autres…) de Damien, puis de Danton, Charlotte Corday, et surtout de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
Dès 1707, son père Charles Sanson (premier membre de six générations de bourreaux entre 1688 et 1847) vint en effet habiter discrètement une des premières maisons construites au début du XVIIIe siècle dans ce qui était encore la rue d’Enfer.
Cette maison à deux étages se situait à l’angle de la rue Sainte-Anne et de la rue d’Enfer (rue du Faubourg-Poissonnière et de la rue Bleue donc) et possédait un grand jardin de deux arpents, accessible par un petit escalier, avec deux puits et un verger qui se poursuivait jusqu’au croisement avec la rue Riboutté actuelle, en allant jusqu’à l’emplacement du square Montholon.
Après l’exécution du roi le 21 janvier 1793, Charles Henri Sanson ne pratiquera d’ailleurs plus lui-même les exécutions, mais confiera cela à son fils et à ses aides avant sa mort en 1806.
Il avait occupé cette maison pendant quarante ans, avant de s’installer en 1778, rue Neuve- Saint-Jean (actuelle rue du Château-d ’eau dans le 10e).
Il y a encore une cinquantaine d’années, des descendants des Sanson auraient tenu un commerce rue du Faubourg-Poissonnière (fleuriste), à proximité immédiate de la maison d’origine…
Aménagement du site
A la fin du XVIIIe siècle, la rue est progressivement lotie, comme ses alentours et rattachée sous le Directoire au quartier du faubourg Montmartre du 2ème arrondissement.
Architecte et spéculateur, Nicolas Lenoir, très actif dans ce quartier, constructeur de l’hôtel particulier de Benoît de Sainte Paulle, 30 rue du faubourg-Poissonnière, contribue à l’expansion dès avant la Révolution, en faisant bâtir sur les nouvelles et courtes rues adjacentes ouvertes en 1781, Riboutté et Papillon.
La rue Papillon abrita au n° 10 la maison de Papillon de la Ferté, longtemps intendant des « Menus Plaisirs du Roi » (de 1756 à 1792), vaste établissement situé entre les actuelles rues Richer et Bergère
Au n°18, à l’angle de la rue La Fayette aujourd’hui, habita entre 1837 et 1839, Jacques -Fromental Halévy, compositeur et dont la fille Geneviève épousa Georges Bizet.
Le spéculateur Bony, propriétaire aussi de l’hôtel particulier construit en 1824 au 32 rue de Trévise (voir plus loin), fit construire là en 1830 un grand immeuble de rapport qui fait angle avec le n°2 rue Bleue, dont le bel ordonnancement des façades rappelle celui néoclassique de la rue de Rivoli (arcatures sur entresol, balcon filant au 1er et dernier étage).
Lino Ventura aurait aussi habité dans cette rue dans sa jeunesse.
En décembre 1995, un affaissement de terrain dû aux travaux du RER E, allait provoquer un quasi-effondrement de deux immeubles au début de la rue Papillon, qui allait justifier une semaine commémorative pendant les années qui suivirent, transformant la rue en jardin avec des volières à papillons !
Rue Bleue
Au 1, a habité au 6e étage, Cesare Battisti, militant politique italien et criminel, arrêté en 2004, alors concierge…
Au 3, a habité Gaston Tissandier aérostier qui a battu en 1875 le record de durée en dirigeables (22h) et de hauteur (ayant atteint un peu malgré lui 7 500m).
Au 3 bis, dans la cour, avait existé une fabrique de jambes de bois au moment de la guerre 14-18.
Au n°9, un immeuble bourgeois a été construit en 1886, en remplacement d’une « petite maison » pour les rendez-vous galants présente là au XVIIIe siècle.
La cité Trévise
La cité Trévise a été percée en 1840 à l'emplacement de l'hôtel du maréchal d’Empire Nicolas-Joseph Maison (1771-1840), construit par l’architecte Lenoir en 1786.
C’est à une population fortunée, attirée dans ce quartier par leurs activités professionnelles, que songeaient les spéculateurs de l’époque, en lotissant cette cité.
La voie porte le nom d’Edouard Mortier, maréchal d’Empire qui avait reçu de Napoléon, en 1808, le titre de duc de Trévise. Devenu président du conseil du roi Louis-Philippe, il perdit la vie lors de l’attentat (dit attentat de Fieschi) perpétré contre le roi, boulevard du Temple, en 1835. Pour honorer sa mémoire, il avait été décidé, en 1836, de donner son nom à une rue, la future rue de Trévise, qui allait être percée entre la rue Richer (non loin de là où Mortier avait eu son hôtel particulier) et la rue Bleue avant d’être prolongée en 1844, côté sud, jusqu’à la rue Bergère et en 1859, côté nord jusqu’à la rue La Fayette.
C’est à l’architecte Edouard Moll, connu pour avoir été chargé de l’entretien et de la restauration de la basilique Saint-Denis, que furent confiées la planification et la construction des immeubles destinés à accueillir cité Trévise une clientèle bourgeoise.
Les promoteurs en vantaient les avantages en 1840 : « Bâtie dans le quartier le plus fréquenté et par conséquent le plus bruyant de Paris, la cité Trévise offre, au milieu du bruit des affaires et des plaisirs, une retraite agréable aux personnes amies du calme et de la tranquillité. Des concierges en livrée et des gardiens de nuit sont chargés de l’entretien et de la surveillance. Tout a été prévu pour faire de cette nouvelle cité l’une des plus coquettes et des plus confortables habitations de la capitale. »
Un journaliste de l’Illustration (septembre 1844) mettait lui aussi en avant la tranquillité des lieux, sa proximité avec le monde des affaires et son côté « bucolique ».
Cette cité privée était fermée aux deux extrémités par des grandes grilles et était régie selon un règlement intérieur qui disait notamment : « Interdiction absolue est faite d’établir des boutiques à l’usage du commerce , comme aussi d’y exercer ou d’y laisser exercer aucune profession insalubre, aucun métier ou commerce de marchandises, d’y établir des ateliers quelconques d’ouvriers, de louer à des personnes de mauvaise vie ou mœurs ou tenant des établissements publics de quelque espèce que ce soit. »
Ce n’est qu’au début des années 1950, que la cité fut ouverte à la circulation avant de devenir une voie publique en 1983.