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Sarah Bernhardt

SARAH BERNHARDT, sculptrice et peintre

quand même !

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Sarah Bernhardt ©BNF

L’exposition exceptionnelle qu’a consacrée le Petit Palais (1) à Sarah Bernhardt (2), à l’occasion du centenaire de sa mort, a permis à beaucoup de découvrir une créatrice aux multiples talents, dont celui assez rare pour une comédienne, de l’art de la sculpture, alors que la « divine » dotée d’une « voix d’or » (dixit Victor Hugo) avait inventé le « global star system » sur les cinq continents où elle fit des tournées jusqu’à un âge avancé, bien qu’amputée d’une jambe.   

DANS LE 9e ET AUTOUR

Parmi les 400 pièces réunies, une vingtaine d’œuvres sculptées peu connues nous rappellent qu’elle vécut épisodiquement dans le 9e arrondissement, pendant sa maturité mais aussi dans son enfance. Les sœurs Bernard (nom d’origine), sa mère (Judith, surnommée  Youle ) et sa tante ( Rosine ), furent des courtisanes célèbres qui tinrent, rue de la Michodière, proche du quartier Notre-Dame-de-Lorette, un salon très animé, bien fréquenté, notamment par Charles de Morny (amant attitré de Rosine, grâce auquel Sarah fût reçue au Conservatoire d’Art dramatique et pût entrer à la Comédie-Française en 1862), et ses amis, le baron Hippolyte Larrey (chirurgien de Napoléon III, amant officiel de Youle), le peintre Tony-Robert Fleury, le docteur Monod, Alexandre Dumas père, Rossini, le banquier Lavolie, Camille Doucet, alors directeur des Beaux-Arts, etc. (3) L‘enfant, mise en pension en Bretagne, y venait parfois.

Lorsque sa mère partit en Suisse suivre le baron Larrey « sans laisser d’adresse », la petite Sarah, confiée alors à une nourrice de Neuilly, déménagea avec cette dernière et revint dans le 9e arrondissement quand celle-ci s’y remaria avec le concierge du 65 rue de Provence. « La tristesse de ce quartier parisien sombre et peu aéré, qui contrastait avec la campagne bretonne », lui aurait donné une fièvre constante et elle aurait été menacée de tuberculose. Elle se présente d’ailleurs en Cosette dans son autobiographie romancée, Ma Double Vie.

En 1867 elle emménagea au 16 rue Auber, à proximité du chantier de l’Opéra puis, après un incendie, au 4 rue de l’Arcade. En 1870, elle rejoignit l’appartement de sa demi-sœur Jeanne au 4 rue de Rome, où elle accueillit son autre demi-sœur Rosina, malade, qui y mourut. C’est à cette période qu’elle prit l’habitude de se faire photographier dans son cercueil.

Le 9e arrondissement sera pour elle un lieu de bonheur, de rendez-vous quotidiens avec ses ami(e)s écrivains et artistes, dont Alfred Stevens, Gustave Doré, Julien Bastien-Lepage, …. Après ses déconvenues à la Comédie-Française, Sarah envisagea de se tourner vers la sculpture, art dans lequel elle excellait. Elle installera en septembre 1873 son atelier de peinture et de sculpture près de la place Pigalle, attenant à l’avenue Frochot, au fond de la cour du 11 boulevard de Clichy.

Les ateliers d’artistes de l'arrière-cour

du 11 boulevard de Clichy

Maryse Goldemberg a publié dans « Le guide du promeneur du 9e arrondissement » (Parigramme, ©1997) un important article consacré aux ateliers d’artistes du 11 boulevard de Clichy, situés en arrière-cour de l’hôtel particulier où résidèrent le peintre Eugène Leygue puis Théophile Delcassé (1852-1923) avec son épouse Genevière Wallet (voir plaque sur la façade). Les ateliers, très hauts de plafond, conçus pour la plupart en duplex, sont exposés au nord, comme il se doit pour avoir une lumière constante, avec de grandes ouvertures cintrées. C’est là que Sarah Bernhardt travailla la sculpture entre 1873 et 1877.

Elle fut notamment l’élève d’Alfred Stevens, qui encouragea et forma plusieurs femmes en ouvrant un atelier de peinture pour élèves féminines au 15 avenue Frochot, atelier qu’elle fréquenta. Stevens réalisa au moins cinq portraits d’elle et un « tondo (4) » la présentant en train de peindre. Le peintre Jean-Jacques Henner, dont l’atelier était 11 place Pigalle, ouvrit lui aussi, avec le portraitiste Carolus-Duran, un « atelier des dames » et ils eurent pour élève Louise Abbéma. Le peintre et sculpteur Jean-Léon Gérôme œuvrait quant à lui au 65 boulevard de Clichy. On lui doit un très beau buste de Sarah Bernhardt en marbre teinté en 1895.

Le plus célèbre des artistes ayant travaillé au 11 boulevard de Clichy a été Pablo Picasso, entre 1909 et 1912

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Arrière cour du 11 boulevard de Clichy © A.Puyoou

Elle y travaillera et y recevra pendant deux ans en « costume de sculpteur », avant de s’installer avenue de Villiers dans un hôtel particulier somptueux de style Louis XIII dont elle confiera la réalisation à l’architecte Escalier. Il fut malheureusement détruit après sa vente en 1885 à la veuve Dervillé qui le transformera en pastiche néo-gothique/Renaissance (pastiche lui-même remplacé dans les années 1950 par un immeuble de bureaux moderne).

Sarah s’installe alors pour quelque temps au 15 rue Saint-Georges dans l’hôtel construit au XVIIIe siècle par l’architecte F.J. Bellanger (et qui deviendra plus tard le siège de « L’Illustration »).Bonheur aussi dans le 9e dans des relations saphiques très tendres abritées au 47 rue Laffitte, avec l’aristocratique et très mondaine Louise Abbéma, rencontrée en 1874. Loulou pour ses intimes, peintre et sculptrice, descendante du Comte de Narbonne (fils naturel de Louis XV) d’une part et d’une célèbre actrice de la fin du XVIIIe siècle, Louise Contat, créatrice du rôle de Suzanne dans Le Mariage de Figaro d’autre part, était la fille du vicomte Emile Léon Abbéma, administrateur de la Compagnie du Chemin de Fer de Paris à Orléans, et d’Henriette-Anne-Sophie d’Astoin. Devenue une artiste célèbre, Louise demeura rue Laffitte, en face de l’église Notre-Dame-de-Lorette, jusqu’à son décès en juillet 1927.

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Leurs mains enlacées (rare version bronze). Sculpture de Sarah dédiée à Louise. © A.Puyoou

Les deux femmes peindront, sculpteront et recevront ensemble. C’est un portrait de Sarah qui rendra Louise célèbre en 1875 et lui permettra ensuite de peindre Jean-Jacques Henner (devenu un de ses professeurs), Ferdinand de Lesseps, l’architecte Charles Garnier… Avant de s’attaquer aux décors de l’Opéra-Comique, à ceux de l’Hôtel de Ville de Paris, puis des mairies des 7e, 10e et 20e arrondissements. Louise exposera régulièrement au Salon des Artistes français. En 1878, Sarah signera un buste de Louise très réussi. En 1893 Louise triomphera à L’Exposition Universelle de Chicago (au Woman’s Building).

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 Buste de Louise réalisé par Sarah (1878). © A.Puyoou

On s’est longtemps moqué du goût de Sarah Bernhardt pour les arts plastiques et de sa « dispersion » dans le domaine des arts. Elle riposta en envoyant une lettre ouverte au Figaro disant : « On me reproche de vouloir tout faire : théâtre, sculpture et peinture ; mais cela m’amuse et j’y gagne de l’argent que je dépense ainsi qu’il me plaît ». En juin 1879, la Comédie-Française profitant de travaux qui devaient être réalisés dans ses murs organisa une tournée à Londres. La moitié des places furent vendues sur son seul nom. « Rien ne peut donner une idée de l’engouement qu’elle suscite. C’est de la folie ». Les Anglais s’arrachent aussi les huit sculptures et les dix peintures qu’elle a apportées avec elle pour les exposer dans une galerie de Piccadilly.

A son retour, Emile Zola prendra la plume pour la défendre : « On voudrait réglementer l’emploi du temps de ses journées. Mais dans les prisons on est beaucoup plus libre !  A la vérité on ne lui nie pas le droit de peindre ni de sculpter, on déclare simplement qu’elle ne devrait pas exposer ses œuvres. (…) Qu’on fasse une loi tout de suite pour empêcher le cumul des talents ». Elle protesta ainsi : « Je n’ai même pas emporté mon costume de sculpteur (…) je suis une des sociétaires les moins payées de la Comédie-Française. J’ai donc bien le droit de combler un peu la différence ».

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Sarah Bernhardt caricaturée par André Gill. Les passions de la comédienne, en particulier pour la peinture (palette), la sculpture (marteau et burin),  les sujets morbides (masque mortuaire) et les animaux étranges (chauves-souris), suscitaient des moqueries.  © Paris-musées

MADAME « QUAND MEME !»

Sarah Bernhardt, qui a vite « internationalisé son nom de famille, fût la première artiste à sillonner les cinq continents, de l’Argentine à la Russie, applaudie partout, adulée au point de stigmatiser les collectionneurs de cheveux et de bouts de tissus, mais aussi les amateurs de ses œuvres, sculptures et peintures, où elle faisait toujours preuve d’audace. Cette grande dame n’aimait que les grandes choses, le grand art, les grandes passions, les grandes amitiés. L’exposition du Petit Palais (bâti et inauguré au temps de la gloire de l’artiste), titrée Sarah Bernhardt. Et la femme créa la star, avait de l’emphase ». Normal car chez Sarah dont la devise était « Quand même ! », rien n’était mesuré.