Béranger
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BÉRANGER, DES CHANSONS POUR UN PEUPLE CITOYEN
Tout le monde connaît le nom de Pierre-Jean de Béranger, mais qui est encore capable de chanter, ou même de citer, l'une de ses chansons ? Béranger est un « illustre inconnu ». Le triste état de son tombeau, au cimetière du Père Lachaise, témoigne de l'oubli où est tombé cet homme, dont la gloire fut pourtant immense, au point de faire écrire à Pierre Larousse qu'il était « aussi célèbre que Napoléon ».
Béranger est né à Paris le 19 août 1780. Ses parents se sont séparés rapidement, et l'enfant a été élevé par son grand-père, tailleur rue Montorgueil, à l'exception de la période de sa mise en nourrice. Il a grandi à Péronne, chez sa tante paternelle, qui tenait une auberge dans un faubourg de la ville. Il n'a donc pas été un acteur de la « grande Révolution », mais en a perçu certains échos, et sa formation en a subi les conséquences. Béranger va l'école primaire, apprend des rudiments, mais pas le latin, bréviaire d'une éducation bourgeoise à l'époque. A quatorze ans, il est mis en apprentissage chez un imprimeur. Il revient à Paris dans les dernières années du siècle, y fait ses premières tentatives littéraires, jusqu'à ce que la mort de sa mère l'oblige à trouver un gagne-pain. En 1806, il devient commis expéditionnaire dans les bureaux de l'Université, emploi modeste mais stable, qui lui laisse le temps et la liberté d'esprit nécessaires à son art. C'est l'Empire, période de conquêtes et de gloire à l'extérieur, de surveillance et de censure à l'intérieur ; après la floraison de chansons patriotiques de la Révolution, la chanson épicurienne a seule droit de cité. Pendant ces années, Béranger poursuit ses essais dans des genres divers (idylles, théâtre), tandis qu'il interprète ses chansons pour ses proches. Il écrit et chante surtout des chansons de circonstance, mais en fait imprimer quelques-unes en 1811. Il en donne dans des fêtes intimes à Péronne, puis à Paris lors de dîners, en dehors de son cercle privé.
De 1813 datent « Le Sénateur », « Le Roi d'Yvetot », des chansons vouées à la plus grande célébrité et un tournant dans la production de Béranger. Il était auteur, il devient chansonnier. Il est introduit aux Soupers de Momus et au Caveau, sociétés chantantes bourgeoises renommées, qui impriment certaines de ses chansons. Il publie son premier recueil, en mentionnant son appartenance à ces sociétés. A défaut de l'enrichir, l'édition augmente sa notoriété. En 1815, année de Waterloo, de l'occupation du territoire, le chansonnier rencontre Manuel, membre éminent du parti libéral, et devient son ami intime (ils partagent d'ailleurs le même tombeau). Ses chansons prennent un tour politique de plus en plus marqué. Il écrit « Gaulois et Francs », « Requête pour les chiens de qualité ». En 1819, la Minerve publie quelques-unes de ses chansons. Tancé par Cuvier, son supérieur hiérarchique, Béranger lui répond : « Le presse est esclave, il nous faut des chansons. »
Le voilà engagé dans la chanson d'opposition, ce qui ne manque pas de susciter des poursuites. Son deuxième recueil lui vaut un procès en 1821, trois mois de prison et cinq cents francs d'amende. En fait, c'est le début de la gloire, qui passe par la contrefaçon belge de ses chansons, leur diffusion beaucoup plus large, en dépit de la censure. En 1828, pour un nouveau recueil de chansons, il encourt un second procès, cette fois en correctionnelle. Il est condamné à neuf mois de prison et dix mille francs d'amende. « Cette condamnation était un triomphe. Pour se faire si cruelle, en effet, il fallait bien que la Restauration s'avouât vaincue. » En effet, tandis que l'amende est payée par une souscription, les visiteurs célèbres défilent dans sa cellule. La gloire du chansonnier est alors à son zénith.
En 1830, après la Révolution de Juillet, il déclare lui-même que son rôle est fini. « J'ai dit qu'en détrônant Charles X, on me détrônait. C'est vrai à la lettre ; le mérite de mes chansons disparaît aux trois quarts ». Par convention avec son éditeur Perrotin, il décide de ne plus publier et lui cède tous ses écrits à venir pour être édités après sa mort, moyennant une rente viagère. De 1833 à 1841, sa retraite est totale. Auteur célébré, il fuit la popularité, quitte Paris pour se retirer à Fontainebleau (janvier 1833-juillet 1835), puis en Touraine (août 1837-mars 1839). Il revient à Paris fin 1839 (habite en 1840 Fontenay-sous-Bois, de 1842 à 1845 Passy, de 1845 à 1857 successivement rue d'Enfer, rue Chateaubriand, rue de Vendôme). Mais pendant ce temps, les chansons de Béranger sont le modèle de quantité d'autres chansons écrites par des hommes du peuple qui osent enfin prendre la plume et se faire entendre, en dehors des temps de révolutions. Ils se réunissent pour chanter dans les goguettes qui foisonnent alors à Paris. La chanson est un mode d'expression privilégié de ce peuple devenu citoyen. Le chansonnier Béranger, devenu un « classique » du peuple, est aussi porté à la scène, il devient une figure de fiction. Resté très populaire, il est brièvement élu représentant du peuple en 1848, mais démissionne après quinze jours, et ne jouera plus aucun rôle politique actif jusqu'à sa mort, en 1857. Dès sa disparition, les querelles s'élèvent sur sa personne et sur son œuvre. Son enterrement en grande pompe par le régime impérial fait peser sur lui le soupçon d'avoir été un traître à la cause libérale. L'histoire littéraire ne lui est pas plus favorable. Porté aux nues par les critiques de son temps, Béranger est très vite exclu de la littérature pour l'avoir utilisée dans un but politique.
Curieuse destinée ! La gloire de Béranger repose sur les chansons de combat publiées sous la Restauration, mais aussi sur la popularité qu'elles ont valu à leur auteur pendant plus d'une génération et sur le grand nombre de ses émules. Béranger est devenu en 1830 l'incarnation de la chanson populaire : plus qu'un homme, une sorte de légende.
Pour le juger, encore faut-il le connaître. Le livre-disque que nous venons de publier (aux presses universitaires de Rennes), qui a fait l'objet d'une présentation le 5 décembre 2013 à la mairie du 9ème arrondissement de Paris, vous permettra, si vous le souhaitez, de découvrir ce personnage extraordinaire, d'écouter certaines de ses meilleures chansons, d'en découvrir certaines illustrations, car Béranger, artiste « médiatique » avant la lettre, a su également mettre à profit le talent de jeunes artistes romantiques pour donner vie à sa propre Comédie humaine.
Sophie-Anne LETERRIER
Professeur d'Histoire Contemporaine à l'Université d'Artois
Pierre-Jean Béranger a résidé dans divers quartiers de Paris. Il convient néanmoins de noter les adresses qui furent les siennes dans le 9ème arrondissement. En 1821, il s'était installé dans l'ancien hôtel de Charolais, rue de Bellefond, transformé alors en pension de famille. Il y fut arrêté "pour outrage à la morale publique et religieuse et délit envers Louis XVIII", on l'envoya à la prison de Sainte-Pélagie. En 1824, il s'installe dans un immeuble, 23, rue des Martyrs où résidait également son ami le député Manuel. Et en 1830, il occupe un appartement dans un hôtel construit à la fin du XVIIIème siècle, situé 30, rue de La Tour d'Auvergne. C'est là que Chateaubriand qui fut son ami lui rendit visite de 1831, "dans une de ces petites maisons retirée derrière un petit jardin et calculée sur la modicité des fortunes actuelles, vous trouvez le chansonnier : une tête chauve, deux gros yeux gris, de grosses lèvres, un air rustique, fin et voluptueux, annoncent le poète...."
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Dernière modification : 26/02/2014 • 18:27
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