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La Rue de Londres

© A. Boutillon © 9e Histoire 2015

LONDRES ET ATHÈNES, DEUX RUES BIEN HABITÉES.

 


LA RUE DE LONDRES
 


En 1826, deux spéculateurs, le banquier suédois Jonas Hagerman et l’entrepreneur Sylvain Mignon, s’étaient associés pour créer, à l’emplacement du Tivoli de Simon-Charles Boutin, un nouveau quartier, qu’ils baptiseront quartier de l’Europe, et dont les rues recevront le nom de capitales européennes (1).

                                                                  

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  Le Tivoli de M. Boutin                  Le quartier de l’Europe en 1830 
(Plan Andriveau-Goujon, Atlas historique de Paris)

La rue de Londres (2), l’une des premières à être percées, va immédiatement attirer les grands noms et les grosses fortunes de l’époque. On y verra nombre d’aristocrates, mais c’est surtout le monde de la haute finance qui s’y fera édifier d’élégants hôtels particuliers, aux façades ornées de colonnades et de bas-reliefs. Il y aura aussi des immeubles de rapport, où des anonymes côtoieront parfois des gens célèbres.  

Partant de la place de Budapest, aménagée à partir de 1886 pour dégager les abords de la gare Saint-Lazare, on voyait encore, jusqu’à l’hiver 2014, sur la droite, un énorme bâtiment, dont l’édification a fait disparaître, il y a quelques décennies, les numéros 23 à 35 de la rue. Il est en passe d’être remplacé à son tour par une autre construction, au moins aussi imposante que la précédente.

Au 35 aujourd’hui disparu était venu s’installer, en septembre 1836, Hector Berlioz (1803-1869) avec sa première femme, l’actrice irlandaise Harriet Smithson, et leur fils Louis. Ce n’était pas leur premier séjour rue de Londres : en octobre 1834 ils avaient loué un appartement en face, au 34 ; à cette époque-là  ils vivaient à Montmartre, rue Saint-Denis (future rue du Mont-Cenis), mais l’hiver, sur la butte, est rude, et c’est sans doute pour échapper aux frimas montmartrois qu’ils ont décidé de prendre leurs quartiers à Paris ; ils y resteront jusqu’au printemps. Ils passeront l’hiver suivant à Montmartre, qu’ils quitteront définitivement à la fin de l’été. En octobre 1837 ils déménagent un peu plus bas, au 31 ; c’est là qu’ils habiteront jusqu’à leur séparation, en 1844; lui partira alors pour le 41, rue de Provence et elle pour le 43, rue Blanche (3).

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         Berlioz en 1839                             Harriet Smithson en 1830
Miniature de Paul de Pommayrac              par  Claude-Marie Dubufe

Au 33 avait été établi en 1847 le bureau de poste du quartier ; il sera déplacé en 1868 au 19 de la rue d’Amsterdam. Dans le même immeuble viendront s’installer, autour de 1855, le peintre Frédéric Millet (1796-1859) et sa femme, née Eugénie Rioult (1800-1873). Frédéric est l’auteur d’un nombre considérable de portraits et de miniatures ; quant à Eugénie, elle a pris une part importante à la transposition en France des « Infant Schools » anglaises, ces institutions charitables destinées à la première enfance, et devient, en 1830, inspectrice générale des salles d’asile de la Ville de Paris. Leur fils, le sculpteur Aimé Millet, est l’auteur, entre autres œuvres, du groupe Apollon, la Poésie et la Musique, au sommet de l’Opéra Garnier.

                 

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    Aimé Millet : Autoportrait                                    Aimé Millet : La Leçon de Piano                                 Mme Millet par  son mari

Du 29 au 23, ce sont quelques unes des plus belles maisons qui ont disparu. Au 29 on trouvait le banquier James Odier,  régent de la Banque de France de 1849 à 1857. Sa fille Louise, mariée en 1851 au général Cavaignac, s’installera aussi dans cet immeuble avec son mari. En 1848 Eugène Cavaignac (1802-1857) s’était présenté à l’élection présidentielle et sa campagne avait été soutenue auprès de la grande bourgeoisie d’affaires par Odier, qui avait même fondé un journal dans ce but, Le Crédit. Le général Cavaignac aura donc souvent l’occasion d’être reçu chez les Odier, où la jeune Louise, de 31 ans sa cadette, tombera amoureuse de lui. Le général sera nettement battu par Bonaparte et, par la suite, continuera à s’opposer au prince président (4). Il mourra, hélas, d’une crise cardiaque six ans seulement après leur mariage!

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Le général Cavaignac en 1848  (J.B. Delafosse)       Louise Cavaignac et son fils Godefroy 
                                     

Le 27 était la demeure parisienne du richissime banquier Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) et de sa femme Anna Lullin de Châteauvieux.  Né à Lyon dans une famille originaire de la Drôme, Eynard avait fait ses premières armes dans le commerce en Italie, où  il allait faire fortune dans la ferme des tabacs du royaume d’Etrurie (5) ; en 1808 il se retirera en Suisse, près de Genève. En 1821 il s’engagera, politiquement et financièrement, aux côtés des Grecs lors de leur révolte contre le pouvoir ottoman, ce qui lui vaudra le surnom d’Eynard le philhellène.

Il s’est intéressé dès 1830 au projet de Hagermann, à qui il achètera quelques parcelles afin de les revendre avec plus-value ; c’est à cette époque qu’Horace Vernet fera son portrait et celui de sa femme (ci-dessous).

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C’est néanmoins plus tard qu’il se fera construire ici un  hôtel particulier « à rez-de-chaussée, avec galerie et colonnes ».  Entre temps, il va se passionner pour la photographie ; entre 1842 et 1863 il réalisera  plus de 300 daguerréotypes de sa famille et de ses amis, ainsi que des autoportraits et des paysages.

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«Un hôtel à rez-de-chaussée...»                  Maison de la rue Londres, côté du jardin (6)                        M. et Mme Eynard
                                                                            

En 1859 Eynard cède l’hôtel à Jules Samuel Joly de Bammeville (1787-1870), déjà propriétaire de plusieurs immeubles à Paris, notamment, dans le 9e, 60, rue de la Chaussée d’Antin, où il habitait (7). Il était marié à  Clémence Poupart de Neuflize. Leur fille Alice avait épousé en 1858 le banquier Alfred André, qui sera régent de la Banque de France et député de la Seine ; en 1870-1871 il exercera pendant quelques mois la fonction de maire adjoint du 9e. Le jeune couple avait emménagé également ici.

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Alice Joly de Bammeville, Mme André, par Winterhalter (1859)                  Alfred André (caricature de 1873)

Le 25 était habité par le comte et la comtesse de Pourtalès. La comtesse, née Adèle Anna Hagerman (1825-1898), était la fille cadette du banquier suédois. Elle  avait épousé en 1846 le comte Jacques-Robert de Pourtalès (1821-1874). Ils sont mentionnés à cette adresse en 1854, mais c’est peut-être aussitôt après leur mariage qu’ils se sont installés ici, succédant à la propriétaire précédente,  Mme Lanchère de la Glandière,  veuve d’un maître de la poste aux chevaux de Paris, qui y était décédée le 12 juin 1846. La comtesse de Pourtalès continuera d’habiter l’hôtel après le décès de son mari, au moins  jusqu’en 1887.

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Le comte et la comtesse de Pourtalès photographiés par Disdéri

Un banquier, encore, au 23 : Farquhar Jameson (1789-1857), d’origine écossaise. Associé de la banque Hottinguer, d’abord au Havre, puis à Paris,  il avait épousé en 1828 Anna Hottinguer (1794-1887), la fille du fondateur. Comme les Odier, les Eynard, les Pourtalès, les Joly de Bammeville et la plupart des financiers de l’époque, les Jameson étaient des membres importants de la communauté protestante. Ils ont longtemps habité leur hôtel de la rue de Londres, puisqu’on les trouve déjà à cette adresse en 1836 ; Mme Jameson y est toujours en 1861, quand  elle vend à l’impératrice Eugénie des terrains situés à La Celle Saint-Cloud.

Le 21, le 19 et le 17, de facture similaire, sont trois vestiges datant de la naissance de la rue. Le 21 était habité, en 1855, par le Comte Amédée de Béhague (1803-1884), conseiller général du Loiret et agronome réputé : en 1826 il avait acheté 2.000 hectares de terrain en Sologne, où il avait planté des résineux et des bouleaux, et créé une forêt de 440 hectares, qui recevra le nom de Bois-Béhague. Il s’est aussi intéressé à l’élevage, introduisant en France de nouvelles races de moutons les dishley-Mérinos et dishley-Solognot.

Le 17, construit autour de 1828, a une façade plus élégante, avec sa grande porte encadrée de part et d’autre d’une niche et de pilastres, le tout surmonté d’une frise dorique. Plusieurs annuaires y mentionnent, dès 1835, et encore en 1841, le comte Frédéric-Christophe de Houdetot (1778-1859), qui avait occupé plusieurs postes administratifs sous l’Empire. A la Restauration il avait été nommé pair de France ; sous le second Empire il sera élu à l’Assemblée et restera député jusqu’à sa mort. Très doué pour le dessin, on lui doit près de 250 portraits de ses contemporains.

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17, rue de Londres © A.B   
 

Il semble avoir été propriétaire, par ailleurs, du 10 de la même rue, car c’est à cette adresse qu’il figure dans l’annuaire de l’Institut de France de 1835 et c’est là aussi qu’il meurt, le 21 janvier 1859. Sa veuve, Madeleine Masseron, y décédera à son tour en 1870 (8). Le 21 et le 17 bénéficient, depuis 1877, d’une protection au titre des Monuments historiques.

Le 9 bis n’existe plus ; il a disparu avec le 5, le 7 et le 9 au profit d’un grand immeuble moderne ; le comte Stanislas Julien Ostorog (1833-1890), mieux connu sous son nom professionnel de Walery, photographe et peintre en miniature sur photographie, y avait fait construire en 1878 une galerie-atelier. C’est à cette époque qu’il réalisera cette photo de Victor Hugo.

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Victor Hugo assis, la tête reposant sur sa main gauche, accoudé sur son fauteuil.

Le côté pair de la rue offre aussi quelques immeubles intéressants. Le 8 était l’hôtel de M. et Mme de Vatry. Alphée Bourdon de Vatry (1793-1871) avait commencé par embrasser la carrière militaire, puis il avait  acheté une charge d’agent de change. En 1821 il avait épousé Rose-Pamela Hainguerlot, fille d’un des fondateurs de la compagnie du canal de l’Ourcq. Par la suite il se lancera en politique et sera successivement député de la Moselle et maire de Stains. En janvier 1861 les Vatry vendront leur hôtel à  la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Orléans, qui y installera son siège (9). C’est aujourd’hui Google qui y est installé.

 
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Cour du 8, rue de Londres
© A.B   

 

Le 16 est une reconstruction de 1881 pour le Crédit de France. D’un style éclectique tendant vers le néo-Renaissance, avec sa façade à l’abondant décor sculpté, on le doit à l’architecte Jean-Jacques Revel. Dans le vestibule, des médaillons de mosaïque à fond d'or représentent les quatre parties du monde, tandis que d’autres arborent le monogramme du Crédit de France. Un escalier à la superbe rampe en fer forgé mène à l’étage, où la salle de réunion est ornée au plafond d’une allégorie de la Banque, œuvre conjointe d’Henri Gervex et A. Louis Rey.  L’institution bancaire ne jouira pas longtemps de son nouveau siège social, car elle fera faillite l’année suivante. L’immeuble sera repris par le syndicat des Chemins de Fer de ceinture qui y installera à son tour son siège.

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16, rue de Londres   © A.B   
 

Le 18, dans sa première version, avait été édifié par Etienne-Hippolyte Godde pour Hagermann. Il était alors habité par le comte Achille Le Tonnelier de Breteuil (1781-1864) diplomate et homme politique, qui fut notamment préfet, pair de France puis sénateur. C’est ici que décède, en 1836, sa femme, Elisabeth Cottin de Fontaine. Le comte de Breteuil est sans doute encore à cette adresse en 1851. Reconstruit en 1898 par l’architecte Pellechet (probablement Auguste-Raoul), l’immeuble abritera, autour de 1940, le siège de la compagnie d’assurances La Préservatrice. Le vestibule, de style art déco, a été doté, dans les années vingt, d’une magnifique verrière.

Le 22 et le 24 donnent l’impression d’avoir été les deux moitiés d’un hôtel particulier, dont la partie centrale, en retrait par rapport à la rue, donne sur une terrasse ; si le 22 a conservé peu ou prou l’aspect qu’il devait avoir à l’époque de son édification, autour de 1830, le 24, quant à lui, est devenu un immeuble de cinq étages ; son seul intérêt architectural réside dans une étroite façade abondamment ornée de sculptures : la porte est surmontée d’un joli bas-relief à thème mythologique; au-dessus des fenêtres des quatre premiers étages quatre têtes en haut relief figurent les saisons.

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Le 30 a été le siège de la
Société Française des Eaux Minérales. Celle-ci  avait été autorisée, en 1885, à exploiter une source minérale gazeuse froide sur la commune de Vals-les-Bains en Ardèche ; cette source était dite Les Perles de Vals, l’appellation de perles faisant référence aux innombrables bulles pétillantes qui se dégageaient de cette eau. La façade a été revêtue autour de 1920 de céramique émaillée bleue et verte, œuvre de la manufacture Fourmaintraux et Delassus, de Desvres, dans le Pas-de-Calais. On y retrouve, sur les côtés, les fameuses perles de Vals. 





Notes :

  1. Voir à ce propos l’article paru dans notre Bulletin annuel n° 10 sous le titre « La rue d’Amsterdam, un pont entre deux arrondissements », également consultable sur notre site www.neufhistoire.fr .
  2. La rue de Londres part de la place de l’Europe, dans le 8è, et se poursuit, dans le 9è, jusqu’à la rue de Clichy ; nous ne considérerons ici que la partie appartenant au 9è.
  3. A Musical Gazetteer”, Nigel Simeone, 2000. Aussi mentionné à cette adresse en janvier 1841par Anton Felix Schindler, ainsi que dans le Bottin de 1842. Après la mort de Harriet, le compositeur épousera, en 1854, la cantatrice Marie Recio.  Louis, qui s’est engagé dans la Marine, mourra de la fièvre jaune à La Havane en 1867.
  4. Arrêté lors du coup d’Etat du 2 décembre 1851, il est détenu au fort de Ham. Le mariage a bien failli avoir lieu en prison, mais, grâce à l’intervention du duc de Morny, Cavaignac sera remis en liberté et pourra épouser la jeune Louise le 23 décembre à la mairie de l’ancien 1er arrondissement.
  5. Etat créé par Bonaparte en 1801 et dissous six ans plus tard.
  6. Reproduction tirée du livre « J.-G. Eynard, Au temps du daguerréotype, Genève 1840-1860 », Photoarchives 4.
  7. C’est dans cet immeuble qu’est mort, en 1825, le général Foy.
  8.  Resté orphelin de mère à l’âge de deux ans, il sera élevé par sa grand-mère, la comtesse Sophie de Houdetot, née Lalive de Bellegarde, qui inspira une grande passion à Jean-Jacques Rousseau. Ary Scheffer a peint le portrait de sa demi-sœur Césarine, baronne de Barante.
  9. A sa mort, en en 1871, Alphée Bourdon de Vatry était domicilié 20, rue Notre-Dame-de-Lorette ; il est également mentionné à cette adresse en 1842 et en 1865. Mme de Vatry a été, sous la monarchie de Juillet, l’une des reines de la Chaussée d’Antin ; elle donnait, selon un chroniqueur, des fêtes très brillantes dans sa petite, mais très élégante, maison de la place Saint-Georges.



Aline BOUTILLON

© A. Boutillon © 9e Histoire 2015

PRINCIPALES SOURCES
Archives de Paris : Calepin du Cadastre D1P4, Rue d’Amsterdam, 1852, 1862, 1876. Annuaire du Commerce Didot-Bottin 1852, 1887, 1909, 1931, 1942, 1946, 1950. Guide Paris Hachette 1897 à 1900. Annuaire officiel des Abonnés au Téléphone 1909 à 1912, 1968, 1970, 1975. Association Chatou notre ville
Promenades dans toutes les rues de Paris, Marquis de Rochegude, 1910. Dictionnaire administratif et historique des Rues de Paris et de ses Monuments, Félix et Louis Lazare, 1855


Date de création : 20/07/2015 • 12:00
Catégorie : - Articles-Rues & Promenades
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