La Presse au XIXe dans le 9e
© Didier Chagnas- 2017 © 9e Histoire - 2017
J. Béraud - Boulevard des Capucines
LA PRESSE AU 19e SIÈCLE DANS LE
9e ARRONDISSEMENT POUVOIR ET PASSION
Jeudi 13 octobre 2016, Didier Chagnas administrateur de 9ème Histoire présentait à la mairie du 9e une conférence « La presse au 19e siècle dans le 9e arrondissement » qui nous a permis de mieux comprendre la naissance dans notre arrondissement d’un « quatrième pouvoir » face à l’Etat. L’exposé commençait par un hommage à Joseph-Antoine Cerutti (1738-1792) journaliste des Lumières et de la Révolution.
Joseph-Antoine Cerutti (1738-1792)
La Révolution, née des cahiers des doléances, abolit le dispositif de contrôle de la presse et des publications en usage sous l'Ancien Régime. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 stipulait que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement ». Dans ce contexte particulier, la presse en France va connaître dès 1789 une incroyable expansion.
Non loin de là, rue Chantereine (aujourd’hui rue de la Victoire) résidait en 1796 le général Bonaparte, après son mariage avec Joséphine de Beauharnais. Remarquable communiquant, le général en chef de l’armée d’Italie créa « Le Courrier de l’armée d’Italie » et « La France vue de l’armée d’Italie » qui éclairaient d’un éclat particulier ses victoires (1797). Pour autant, la liberté de la presse n'en restait pas moins fragile. Aussitôt le coup d’État de Brumaire accompli (novembre 1799), le premier consul rétablit la censure.
Le siècle commença le 17 janvier 1800, par un arrêt dirigé contre la presse jacobine et libérale, qui limitait à treize le nombre des journaux parisiens pendant la durée de la guerre. Sous l’Empire, ce nombre sera réduit à quatre journaux « surveillés » à Paris en 1811.
Tout le 19e siècle et notre arrondissement portent l’empreinte des luttes pour la liberté de la presse, aussi bien dans la rue, sur les barricades, dans les salons, les cercles, les grands cafés des boulevards, qu’à la Chambre. Les différents gouvernements qui se sont succédés hésitant entre indulgence et répression, ce combat ne cessera réellement qu'avec la loi du 29 juillet 1881 encore en vigueur aujourd’hui, votée sous la IIIe République avec un large soutien.
Après la chute de l’Empire et le retour des Bourbon, la Charte de 1814 reconnaissait les droits des Français « de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté ».
La Restauration fluctua entre le chaud et le froid. La loi de Serre de 1819 sous Louis XVIII, relativement libérale, n’empêcha pas Charles X de commettre l’irréparable en 1830.
En 1815, pendant les Cent-Jours, « l’acte additionnel » aux constitutions de l’Empire garantissait la liberté de presse et d’expression. Et l’on verra Joseph Fouché (1759-1820), ministre de la police générale de l’empereur créer « Le Constitutionnel » en son hôtel 9, rue d'Artois, aujourd'hui rue Laffitte. Après un rachat par Louis Véron en 1844 puis par le banquier Jules Mirès en 1852, le journal « Le Constitutionnel » cessa de paraître en 1914.
Adolphe Thiers François-Auguste Mignet Armand Carrel
Le 3 janvier 1830, trois journalistes Adolphe Thiers, François Auguste Mignet, Armand Carrel et un imprimeur s'associent pour fonder « Le National », journal de l’opposition libérale, hébergé rue d'Artois chez le banquier Laffitte.
Quelques mois plus tard, la première des ordonnances de 1830 suspend la liberté de la presse, rétablit la censure et l'autorisation préalable. Dans les bureaux du « National », Adolphe Thiers organise la riposte et rédige le 26 juillet la protestation solennelle de 44 journalistes représentant 12 journaux. Malgré l'interdiction, plusieurs d’entre eux publient la proclamation pour la liberté de la presse.
Après trois jours d’émeutes, la couronne est offerte à Louis-Philippe, le roi des barricades. La charte de 1830 rétablit la liberté de la presse. De nombreux journaux voient le jour. Certains participent aussitôt à la « campagne de l’irrespect » : « La Caricature » (1831) « Le Charivari » (1832) auxquels collaborent Gavarni et Henry Monnier.
Charles Philippon (buste-charge par Daumier, 1833) directeur de « La Caricature », du « Charivari »et du « Journal amusant », etc.
Première de couverture du Charivari du 27 février 1834 annonçant le verdict d'une condamnation sous la forme d’une poire.
Les temps changent, la lune de miel entre la presse et le pouvoir est terminée. Après l'attentat de Fieschi contre le roi (28 juillet 1835), les lois de septembre 1835 sont suivies de procès et d’interdictions. Adolphe Thiers, pourtant venu du journalisme (« Le Constitutionnel », « Le National ») ministre de l’intérieur (1832), puis premier ministre de Louis-Philippe (1836) agit à l’encontre des idées de ses premières années en politique. Suite à la loi contre la liberté de la presse de 1835, les journaux se voient contraints de traiter de sujets moins politiques : la caricature de mœurs ; voire populaires ; les feuilletons.
Le 1er Juillet 1836, le journaliste Émile de Girardin crée « La Presse » dans des locaux situés dans la même rue Saint-Georges que son hôtel particulier. Il s’agit d’un nouveau concept. Grâce aux recettes publicitaires le prix du quotidien est réduit de moitié. Girardin lance ainsi l’abonnements à 40 francs par an (contre 80), développe la vente au numéro. Girardin innove en publiant les premiers romans feuilletons (Alexandre Dumas, Balzac) qui fidélisent un lectorat populaire.
Émile et son épouse Delphine de Girardin née Gay, auteure de « chroniques spirituelles » dans le journal « La Presse » sous le nom de vicomte Delaunay.
La salonnière tenait un prestigieux salon 11, rue Saint-Georges, puis à partir de 1834, 41, rue Laffitte.
Le jour-même de la création de « La Presse », le 1er juillet 1836, non loin de la rue Saint-Georges, dans l'hôtel particulier de Jacques Laffitte, rue Laffitte, paraît « Le Siècle » d’Armand Dutacq. Concurrent direct de « La Presse », au prix de 5 centimes également, « Le Siècle » invente lui aussi la publication de romans feuilletons dont l’engouement va devenir un véritable phénomène de société. Le quotidien est financé par Odilon Barrot, avocat et député monarchiste de gauche.
Le directeur littéraire est l’écrivain Louis Desnoyers, ancien rédacteur à « La Caricature » et au « Charivari », lequel réside 14, rue Navarin.
Louis Desnoyers (1802-1868) journaliste, auteur de romans pour la jeunesse. - Plaque, 14, rue de Navarin, Paris 9e, où fut fondée la Société des Gens de Lettres.
Armand Dutacq (1810-1856), fondateur du Siècle.
Les rivalités, les passions se déchaînent. Émile de Girardin (« La Presse ») accusé de concurrence déloyale et Armand Carrel (« Le National ») menacé de révélations sur sa vie privée, se battent en duel au pistolet le 21 juillet 1836. Émile de Girardin, blessé, échappe à l’amputation. Armand Carrel meurt des suites de sa blessure trois jours plus tard.
Ary Scheffer : Armand Carrel (1836) sur son lit de mort.
Déjà, en 1833, un duel à l’épée avait blessé Carrel face à Roux-Laborie du journal légitimiste « Le Revenant » qui demandait satisfaction pour
un article paru dans le républicain « La Tribune », suite à l’arrestation de la duchesse de Berry.
Au 51, rue Saint-Georges, à l’emplacement de l'actuel Théâtre Saint-Georges, se trouvait l’hôtel particulier de Moise Polydore Millaud, fondateur en 1863 du « Petit Journal ». Millaud avait racheté à Girardin ses droits sur « La Presse » en 1856.
Le quotidien, créé vingt ans auparavant, n’était plus adapté à la société du Second Empire autoritaire (1852-1860). La presse vit sous le régime des avertissements. L’interdiction est définitive après deux avertissements. Avec une telle sévérité, l’autocensure est certaine. Les journaux autorisés gardent néanmoins leur sensibilité et leur coloration dans la présentation et le commentaire de l'actualité
Avec « Le Petit Journal », journal non politique à un sou, Millaud ouvre le marché de la « petite presse », par opposition à la presse politique, appelée « grande presse » car imprimée sur du papier d’un grand format. En 1863, « Le Petit Journal » est plébiscité. Non politique, dispensé du timbre, le quotidien est bon marché (5 c le numéro). Vendu en kiosque, de format pratique (43 × 30 cm), il reste distrayant en faisant large part aux faits divers, aux feuilletons et aux chroniques.
Moïse Polydore Millaud, Le Petit Journal: siège rues Cadet-La Fayette (1876)
Le Dr. Charles Edwards racheta l'hôtel particulier à Millaud. Son fils, Alfred Edwards, fut le fondateur du « Matin ». Le premier numéro du « Matin » parut le 26 février 1884 sur le modèle du britannique « Morning News ». Les locaux du « Matin » étaient regroupés 2-6, boulevard et rue du faubourg-Poissonnière dans le 9e.
À la fin du 19e siècle, les grands journaux ne siègent plus dans les hôtels particuliers de leurs fondateurs devenus trop étroits. Ils occupent désormais des immeubles construits et structurés pour tenir compte de leur expansion et de leurs différents métiers (salle de rédaction, imprimerie, salle de composition, des dépêches, hall d’exposition, salle des fêtes etc.).
Les immeubles de presse font partie du paysage urbain de notre arrondissement, tel le siège de « l’Illustration » dont le nom est gravé dans la pierre depuis 1880, 15 rue Saint-Georges. Il s’agit d’affirmer sa puissance, de tenir son rang, d’avoir « pignon sur rue ».
Ancien hôtel de « L’Illustration » 13, rue Saint-Georges
L’architecture des immeubles de presse est composite, à la fois monumentale et pratique. Fonctionnelle, elle répond aux normes industrielles du 19e siècle. Les façades, parfois ostentatoires, sculptées ou ornées, la riche décoration intérieure (escaliers, salles des fêtes) rivalisent avec celles des journaux concurrents, des banques voisines, des gares, voire des mairies d’arrondissement qui se construisent à cette époque.
Autour des journaux et des imprimeries, se greffent de multiples métiers, grands et petits, vivant le jour comme la nuit de l’industrie de la presse : fournisseurs, sous-traitants, brasseries, restaurants, bouillons qui, comme leur clientèle de typographes et de rédacteurs, travaillent tard le soir et la nuit…
« Le Siècle » fut le premier en 1868, à transférer son siège et ses services dans un immeuble 24, rue Chauchat. Il fut suivi en 1869 par « Le Petit Journal » de Millaud qui emménage avec l’imprimerie dans un impressionnant « complexe » 61, rue La Fayette – 21, rue Cadet.
Ancien hôtel du « Figaro », la porte d’entrée 26, rue Drouot surmontée de la statue de Figaro
L’immeuble-hôtel particulier du « Figaro », non loin de la discrète mairie du 9e rue Drouot, lance aux lecteurs, aux passants et aux officiels, un message clair. Le journal est beau, riche et puissant. Il est une institution sinon l’âme de la rue et du quartier. Hippolyte de Villemessant fait édifier en 1874 un immeuble prestigieux 26, rue Drouot pour héberger « Le Figaro ». Depuis sa création en 1826, « Le Figaro » avait eu plusieurs adresses dans le 9e : cité Bergère, rue Rossini.
Rue Drouot, un carillon sonnait l'air du Barbier de Séville. La statue en bronze du Barbier de la façade est aujourd'hui dans les locaux du groupe, boulevard Haussmann.
Les locaux de « La Lanterne » fondée en 1868 par Henri Rochefort ont été 3, rue Rossini. À son retour d’exil en 1880, le polémiste est accueilli en triomphe. Il habite un petit hôtel particulier 5, cité Malesherbes et devient le premier rédacteur-en-chef de « L’Intransigeant » fondé par Eugène Mayer (directeur du titre « La Lanterne » repris en 1877).
Henri Rochefort - Louis Andrieux - Auguste Nefftzer - Arthur Meyer
En 1876, « La Petite République française », liée à Gambetta est fondée 53, rue de la Chaussée - d’Antin. « Le Petit Parisien », journal politique du soir, créé par Louis Andrieux la même année (1876), s’installe 11, rue faubourg-Montmartre puis rejoint (1878) l’immeuble de Jean Dupuis 18, rue d’Enghien (10e), lequel devient le directeur officiel du quotidien en 1884.
Au 10, rue du faubourg-Montmartre « Le Temps » fut créé en 1861 par un ancien journaliste de « La Presse », Auguste Nefftzer, alsacien et protestant, qui le dirigea pendant dix ans. « Le Temps » demeura faubourg-Montmartre treize ans, avant de se fixer en 1885 au n° 5, boulevard des Italiens, toujours dans le 9e.
En 1880, à ce même numéro 10, rue du faubourg-Montmartre, s’était installée « La Justice » de Georges Clemenceau et Camille Pelletan.
Aux 16-18, rue Cadet, on trouvait en 1872, la rédaction et l’imprimerie du « Journal du XIXe siècle » fondé par le journaliste et écrivain Edmond About (1828-1885). About qui habitait 6, rue de Douai s’était associé à son ami et voisin, le critique littéraire Francisque Sarcey qui habitait un hôtel particulier au n°59, le Temple de la rue de Douai, pour créer un nouveau journal « patriote, antimonarchiste et anticlérical ». About dirigea son journal pendant quatorze ans, jusqu’à sa mort en 1885.
À la mort de Sarcey, en 1899, « Le journal du XXe siècle » fut couplé avec « Le Rappel », fondé en 1869 par des républicains proches de Victor Hugo en exil (Paul Meurice, Rochefort, Charles et François Hugo, Auguste Vacquerie). Dans les années 1880, le titre subissait la concurrence de « La Lanterne », « La Marseillaise » ou « La Justice » et avait perdu beaucoup de son influence.
Non loin du faubourg Montmartre, Arthur Meyer installa 4, rue Drouot, le journal « Le Gaulois » qu’il avait acheté aux fondateurs en 1879. Royaliste, antidreyfusard, converti au catholicisme, Meyer en fit le quotidien de la noblesse et de la grande bourgeoisie. En 1881, Meyer et Alfred Grévin eurent l’idée de présenter au public les célébrités qui faisaient la une du « Gaulois » sous forme de mannequins de cire dans une galerie. Ce sera le Musée Grévin en 1882.
On trouvait au 10, boulevard des Capucines, « Gil Blas », quotidien créé en 1879 par Auguste Dumont, et son supplément hebdomadaire « Gil Blas illustré » (1891). Le journal publiait des articles et des contes de Maupassant. Des romans de Zola paraissaient régulièrement en feuilletons.
Revenons pour terminer à l’emblématique Maison Dorée 1, rue Laffitte qui hébergea « L’Événement » (1848-1851) de Paul Meurice et des deux fils de Victor Hugo, « Le Mousquetaire » (1853-1857) d’Alexandre Dumas, « Paris » (1852-1853) du comte Charles Villedeuil, quotidien littéraire auquel collaborèrent ses cousins les frères Goncourt et Gavarni et enfin « La Revue Blanche » (Paris 1891-1903) des frères Natanson installée 1, rue Laffitte après un séjour 19, rue des Martyrs.
Ils ont choisi au XXIe siècle de s‘implanter dans le terreau historique de la presse française :
L’IPJ, Institut Pratique du Journalisme, école de journalisme de l’Université Paris-Dauphine, occupe au 24 rue Saint-Georges les anciennes salles d’expédition de « l’Illustration », à deux pas de l’ancien salon de Madame Émile de Girardin (n° 11, rue Saint-Georges) qui écrivit en 1839 la comédie en cinq actes et en vers « L’école des journalistes ». L’école, créée en 1978, accueille une cinquantaine d’étudiants.
Le groupe Figaro, après avoir délaissé le 9e arrondissement pendant plusieurs décennies est revenu s'y enraciner, 14, boulevard Haussmann, en 2005. Le barbier de bronze a retrouvé ses marques.
La même année, en 2005, le groupe Express-Expansion a emménagé au 29, rue de Châteaudun.
Le 9e arrondissement a été choisi en 2011 par Google France qui s’est installé dans l’ancien hôtel de Vatry entièrement rénové, 8, rue de Londres. Le siège parisien de Google comprend un centre de recherche et développement ainsi qu'un institut culturel.
29 rue de Châteaudun Paris 9e 8 rue de Londres Paris 9e
En décembre 2015, après vingt-huit ans passés rue Béranger, dans le IIIe arrondissement, Paris, Libération a rejoint le bâtiment du groupe Altice Media Group (renommé SFR Presse) 23, rue de Châteaudun.
Didier CHAGNAS
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Dernière modification : 23/06/2017 • 09:00
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