Mathilde BONAPARTE
MATHILDE PRINCESSE BONAPARTE ET GRANDE SALONNIÈRE (1820-1904)
Jean Baptiste Carpeaux, la princesse Mathilde (1862)
Mathilde Létizia Bonaparte, fille de Jérôme Bonaparte et de Catherine de Wurtemberg, est donc la nièce de l’Empereur Napoléon Bonaparte.
Née en exil à Trieste, elle a été, dans sa jeunesse, très proche de son cousin, le futur Napoléon III (dont elle a été même à 15 ans la fiancée !), et a beaucoup fréquenté la résidence d’Arenenberg (sur le lac de Constance) propriété d’Hortense de Beauharnais.
Le mariage prévu entre les deux cousins ne se fera pas, Jérôme jugeant le parti financièrement peu intéressant, et préfèrera la marier à un noble russe très riche, le prince Demidoff. Le mariage qui a lieu à Florence en novembre 1840 s’avère très malheureux, Demidoff est un noceur, au surplus violent.
Au cours de l’un de ses voyages en Russie, Mathilde se confie à l’Empereur Nicolas Ier qui autorisera le divorce en 1846. Dès 1841, elle peut d’ailleurs rentrer en France longtemps donc après la mort de Napoléon, les lois sur l’exil ne la concernant plus, et elle retrouve là des amis de l’Empire dont la maréchale Suchet.
Même si elle est très fière d’appartenir à la famille Bonaparte -dont elle dit qu’elle leur doit tout sinon « elle aurait vendu des oranges dans les rues d’Ajaccio » - Mathilde voit volontiers les Orléans et tisse des liens amicaux avec Adolphe Thiers par exemple, notamment dans la résidence de celui-ci place Saint-Georges.
Quand son cousin Louis-Napoléon Bonaparte devient « Prince-Président », elle fait office de « première dame » et reçoit à l’Élysée jusqu’au mariage de celui-ci en 1853 avec Eugénie (qu’elle n’apprécie guère).
Au cours d’un voyage qu’entreprend Eugénie à Cherbourg, Mathilde déclare : « si elle pouvait faire un plongeon, comme on serait débarrassés. Quel joli petit deuil on porterait cet hiver et comme les choses s’éclairciraient ! » Les « séries » de Compiègne avec sa centaine d’invités à la semaine qu’Eugénie et Napoléon III organisent à l’automne lui pèsent beaucoup et elle trouve Eugénie superficielle et frivole.
Quant à son cousin, il l’agace et Mathilde déclare : « … mais moi si je l’avais épousé, je lui aurais cassé la tête pour voir ce qu’il y a dedans ».
Sébastien-Charles Giraud -1857- Salon atelier de la princesse Mathilde rue de Courcelles - © Courtesy Artcurial
C’est à ce moment-là que Mathilde va organiser son salon d’abord rue de Courcelles (au 10 puis au 24) et plus tard 20, rue de Berri. Il devient vite le rendez-vous de tout ce qui compte à Paris.
Une description du salon de la rue de Berri nous est parvenue : « une fois passé la double voûte des communs, écuries et logement du concierge, seuls visibles depuis la rue, les hôtes traversent une cour sablée et pénètrent par une porte décorée de fleurs peintes à l’intérieur du corps principal. Là, dans une pièce tendue de rouge, qui commande à la fois l’escalier et les salons, se dressent un buste de Napoléon III et un autre d’Eugénie, juste hommage au dernier représentant de l’Empire souverain. Puis c’est un premier salon où dominent les figures de la famille, les bustes du roi Jérôme, de la reine Hortense, de l’impératrice Joséphine, de Madame mère et aussi le grand buste de la maîtresse de maison par Carpeaux. Dans le deuxième se trouve la table recouverte d’un tapis de soie rouge sur lequel on a posé les journaux récents, les livres reçus, quelques bibelots, des flacons, des bonbonnières, un panier à ouvrage. C’est ici que chaque soir après dîner la princesse prendra place à l’extrémité d’un canapé donnant la gauche à ses intimes et réservant la droite aux visiteurs.
Une serre aménagée par Mathilde répète en plus petit et en plus simple celle de la rue de Courcelles : dix mètres sur vingt avec quatre beaux palmiers dans des pots de cuivre sous un toit-verrière équipé d’un velum qui permet d’en user aussi comme espace ordinaire de réception. Au centre, juché sur sa colonne de marbre gris en buste le vrai génie du lieu, Napoléon ! »
Sainte-Beuve l’a beaucoup aidée ainsi que son ami de cœur Nieuwerkerke (directeur des musées puis intendant des Beaux-Arts de la Maison de l’Empereur).
Sont présents et fidèles : Théophile Gautier, Flaubert qu’elle adore et à qui elle confie beaucoup de secrets et réciproquement, les Goncourt qui habitent 43, rue Saint-Georges, appelés « bichons » par ce même Flaubert, flattés d’être aussi proches de la princesse qui vient leur rendre visite : « Un roulement, deux voitures à notre porte. C’est la princesse qui tombe chez nous avec sa suite, une de ses cousines, des amis… » mais leur méchanceté prend vite le dessus :
« C’est une grosse femme, un reste de belle femme, un peu couperosée, la physionomie fuyante et des yeux assez petits dont on ne voit pas le regard ; l’air d’une Lorette sur le retour et un ton de bonne enfance qui ne cache pas tout à fait un fond de sécheresse »
Sur la présence de Flaubert, les mêmes disent en 1865 : « La princesse n’a d’yeux, de place à côté d’elle, d’attention et d’intérêt que pour Flaubert, aurait-elle envie de le prendre comme amant ? »
Tourgueniev est présent également, Taine qui sera évincé du cercle après avoir critiqué Maria Letizia Bonaparte, la mère de Napoléon et grand-mère de Mathilde, des musiciens comme Saint-Saëns, Ludovic Halévy et Rossini qui joue ici du piano, des peintres et sculpteurs : Gérôme, Giraud, Dubufe, Carpeaux et tant d’autres ! Certains lisent leurs œuvres, d’autres chantent.
La chère est maigre, le décor très Napoléon III, mais le succès est immense. Après la guerre de 1870 et la Commune durant lesquelles Mathilde s’était réfugiée à Bruxelles, son salon renaît avec de nouvelles célébrités : Claudius Popelin son dernier amant, Geneviève Straus et son mari qui lui font connaître Marcel Proust :
« Le mélange de salon et atelier où la maîtresse de maison était assise à un petit bureau où devant elle, à côté de ses pinceaux, de sa palette et d’une aquarelle de fleurs commencée il y avait dans des verres, dans des soucoupes, dans des tasses, des roses mousseuses, des zinnias, des cheveux de Vénus, qu’à cause de l’affluence des visites à ce moment-là, elle s’était arrêtée de peindre. »
Henri Doucet- La princesse Mathilde peignant – 1894 – © RMN Musée du Louvre
En effet, à cette époque Mathilde peint de très jolis tableaux. Dans « A la recherche du temps perdu » la Princesse Mathilde est décrite par Marcel Proust en Madame de Villeparisis.
Sont présents également Reynaldo Hahn et Lucien Daudet, Edmond Rostand, Guy de Maupassant et aussi Marie Bonaparte, psychanalyste élève de Freud et descendante de Lucien. Malgré tout, le succès de son salon décline, d’autres salonnières plus jeunes attirent davantage, notamment la comtesse Greffulhe qui reçoit beaucoup. Goncourt disait que le salon de Mathilde ressemblait alors à un feu d’artifice sous la pluie !
En été, elle réside dans sa propriété de Saint-Gratien au bord du lac d’Enghien dans le Val d’Oise après avoir fait fermer son hôtel parisien et pour six mois reste à la campagne ou bien au bord du lac Majeur dans sa villa à Belgirate, où elle fait des promenades en barque ; dans ce but elle a même fait réaliser un petit port de plaisance. Cette belle villa néoclassique avec ses bois tout autour, ses sentiers ombreux, ses rives fleuries, constituait en effet une retraite agréable. Elle y est entourée d’une petite cour de dames de compagnie et de domestiques et y reçoit là également.
Villa de la princesse Mathilde à Saint Gratien - © Wikipedia / Parisette
C’est une femme attachante, cultivée, respectée même sous la IIIe République : en 1896 le président Félix Faure la présente d’ailleurs aux souverains russes en visite officielle à Paris au cours d’une cérémonie aux Invalides où elle déclare qu’elle se sent comme chez elle puisqu’une partie de sa famille, dont son père Jérôme, est déjà en ce lieu !
La princesse Mathilde meurt en 1904 et en présence de l’impératrice Eugénie elle est inhumée dans la chapelle de l’église qu’elle avait fait reconstruire à Saint-Gratien, avec pour tout décor sur sa tombe une copie du buste sculpté par Carpeaux (dont l’original est aujourd’hui au musée d’Orsay).
Toute la vie de Mathilde sera relatée par « Gégé », le comte Primoli, fils de sa cousine Charlotte de la descendance de son oncle Joseph.
Pierre François Giraud Portait de la princesse Mathilde Bonaparte 1861 © Château de Versailles/localisation Château de Compiègne.
Bibliographie :
- Mathilde princesse Bonaparte par Jérôme Picon – Flammarion
- Les infréquentables frères Goncourt par Pierre Ménard – Tallandier
- Flaubert par Michel Winock – Gallimard.
© 9ème Histoire - 2023
Catégorie : - Echos du Terrain
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