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Monet - Champ de coquelicots près de Vétheuil - 1879 - © collection E. Bührle
La Collection Emil Bührle
Au moment même où le Mémorial de la Shoah présente une exposition sur « le Marché de l’Art pendant l’Occupation » (1) montrant que, durant les difficiles années de guerre, le marché de l’Art avait été florissant et mettant en relief les spoliations dont les marchands d’Art ou simples collectionneurs juifs avaient été l’objet, le Musée Maillol, présente une collection ayant appartenu à Emil Bührle dont il convient de rappeler le rôle pendant la seconde guerre mondiale.
Emil Bührle naquit en Allemagne en 1890 ; il fit des études de lettres et d’art à Fribourg puis à Munich. C’est au cours d’un séjour à Berlin qu’il découvrit la peinture impressionniste française.
Il fut incorporé dans l’armée allemande de 1914 à 1918 ; à l’issue de la guerre il épousa la fille d’un banquier, Charlotte Schalk et grâce à son beau-père, il intégra une usine de machines-outils à Magdebourg ; lors d’un séjour à Zurich, il acheta le brevet d’un canon qui servit au réarmement de l’armée allemande, interdit pourtant par le Traité de Versailles signé en 1919.
Renoir - Portrait de Mademoiselle Irène Cahen d'Anvers - 1880 © collection E. Bührle
Il s’installa en Suisse où il obtint la nationalité helvétique ; dès lors il se mit à collectionner des œuvres d’art acquises auprès de galeristes de Lucerne et de Zurich. Ses affaires prospérèrent et il devint propriétaire de l’usine de machines-outils Oerlikon Bührle & Co. Tout en participant au réarmement allemand, il fournit des armes à la France et à la Grande-Bretagne jusqu’en 1939 pour se consacrer ensuite à l’armement de la Wehrmacht. En 1945, son usine figura sur la liste noire des alliés au titre de la collaboration ce qui ne l’empêcha pas de reprendre ses ventes avec les États-Unis quelques années plus tard.
Si le Musée Maillol insiste, dans une salle de l’exposition consacrée à l’origine et à la constitution de la collection, sur le fait qu’une grande partie des œuvres avait été achetée par l’industriel entre 1950 et 1956, elle a néanmoins commencé avant la guerre et s’est largement enrichie durant la guerre (76 œuvres furent acquises sur le marché de l’art suisse entre 39 et 45, certaines d’entre elles étant issues du pillage des collections juives françaises par les nazis ; Bührle dit avoir fait confiance à ses marchands qui lui vendirent ces œuvres).
Corot - La Liseuse - 1845-1850 © collection E. Bührle
Lorsqu’en 1948, un tribunal suisse exigea la restitution d’œuvres spoliées en France et transférées en Suisse, 13 furent répertoriées chez Bührle. Il dût les restituer et sur ces 13 tableaux, il en racheta 9 à leurs légitimes propriétaires (dont le galeriste Paul Rosenberg). Il intenta un procès à la galerie Fischer de Lucerne qui lui avait vendu les œuvres spoliées, procès qu’il remporta, « sa bonne foi » étant reconnue par le tribunal ; Fischer dût lui rembourser le prix d’achat des œuvres.
Grand admirateur de la peinture de Monet, Bührle se rendit, à plusieurs reprises, à Giverny où le fils de Monet lui vendit un certain nombre de panneaux représentant des Nymphéas. En 1954, deux ans avant sa mort, il donna une conférence à l’université de Zurich pour expliquer l’origine de sa collection.
Pissarro - Route de Versailles, Louveciennes, neige, 1845 - © collection E. Bührle
En 1960, les héritiers de Bührle créèrent une fondation pour présenter au public les œuvres de la collection ; si celle-ci rassembla six cents œuvres d’art, dont en grande partie des toiles impressionnistes françaises, elle comporte également des œuvres plus anciennes (Cuyp, Guardi, Greuze) ainsi que des œuvres postimpressionnistes (Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec…), quelques œuvres de nabis (Bonnard, Vuillard), de fauves (Derain, Vlaminck), de cubistes et de peintres de l’École de Paris.
Cézanne - Le Jardinier Vallier - 1904 © collection E. Bührle
Difficile de ne pas penser, lorsqu’on accède à l’exposition consacrée à la Collection Bührle, à l’homme derrière le collectionneur, un industriel qui s’est enrichi en vendant des armes à qui voulait bien les lui acheter puis une fois la guerre engagée, exclusivement à la Wehrmacht (sa fortune était passée entre 1940 et 1944, de 140 000 francs suisses à 127 000 000) et qui a profité d’œuvres d’art spoliées mises sur le marché de l’art suisse pour acheter, à bas prix, certains chefs-d’œuvre.
Van Gogh - Le Semeur, soleil couchant - 1888 © collection E. Bührle
Par contre, on ne peut pas lui reprocher ses goûts artistiques : un grand nombre des tableaux présentés dans cette exposition sont remarquables et nous rappellent, une fois encore, le rayonnement de l’art français en Europe et au-delà. Après la Collection Chtchoukine présentée à la Fondation Vuitton en 2017, puis actuellement la Collection Courtauld à la même fondation, on peut admirer à Maillol des toiles françaises exceptionnelles, qu’elles soient de Renoir (« Les deux Fillettes - le Chapeau épinglé » 1893, « La Petite Irène » 1880 ), de Cézanne (« Autoportrait » 1886-1887, « Le Garçon au Gilet rouge » 1888-1890 , « Le Jardinier Vallier »1904), de Pissarro (« Route de Versailles – Louveciennes, neige » 1870), de Monet (« Champ de Coquelicots près de Vétheuil » 1979 ), de Degas (« Danseuse au Foyer », « Ludovic Lepic et ses filles », 1871 )
Ces oeuvres devraient être exposées au Kunsthaus de Zurich, où une extension est actuellement en construction pour les abriter, ce qui nous permet, en attendant, de voir cette collection à Paris, au Musée Maillol jusqu’au 21 juillet.
Degas - La Petite danseuse de quatorze ans - © collection E. Bührle
- Commissaire de l’exposition : Emmanuelle Polack qui est l’auteur du livre « Le Marché de l’Art sous l’Occupation, 1940-1944 », Edition Tallandier, 2019.
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Musée Maillol
59/ 61, rue de Grenelle
75007 Paris
Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 18 h 30
Jusqu’au 21 juillet 2019
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Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire 2019
E. Manet - Un bar aux Folies Bergère - 1881-1882 © Courtauld Institute of Art
Histoire d’une collection : La Collection Courtauld
Après avoir présenté, dans le grand vaisseau blanc de Frank Gehry, en 1917, l’immense collection Chtchoukine, exposition dont l’organisation avait été très difficile puisqu’elle réunissait des tableaux appartenant désormais à deux musées, le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et le Musée Pouchkine à Moscou, la Fondation Vuitton propose aujourd’hui la Collection Courtauld et ce jusqu’au 17 juin 2019.
Si cette collection n’a pas la grandeur de celle de Sergueï Chtchoukine, ni par son ampleur, ni par sa variété de styles, elle est cependant exceptionnelle et c’est à la fermeture pour travaux de l’Institut et de la Galerie Courtauld de Londres (maintenant abrités à Somerset House, à deux pas de l’Hôtel Savoy où Monet, la reconnaissance venue, peignait, depuis sa chambre, les ponts de Londres sous différents éclairages) qu’on doit cette exposition.
Samuel Courtauld (1876-1947) était un descendant de Huguenots français de l’île d’Oléron. Ses aïeuls avaient quitté la France après la révocation de l’édit de Nantes et s’étaient installés en Grande-Bretagne. Ils avaient commencé par être orfèvres avant de se diriger vers le textile et d’y faire fortune. Une fois, ses études secondaires à la réputée Public School de Rugby, terminées, Samuel Courtauld ne souhaita pas entrer à l’université mais préféra parfaire ses connaissances dans le domaine des métiers de l’industrie textile, en voyageant en France (où il fut très certainement en contact avec l’art français) et en Allemagne avant de rejoindre l’entreprise familiale dont il devint le directeur en 1908. La famille Courtauld avait peu auparavant fait fortune grâce à l’invention d’un nouveau textile synthétique, la viscose.
Samuel Courtauld Samuel & Elizabeth Courtauld
L’attirance de Samuel pour la peinture française, vint à la suite de deux rencontres avec l’art ; en 1917, il vit, présentée à la Tate Gallery, la collection d’art moderne français d’un riche collectionneur irlandais, Hugh Lane, mort prématurément et qui avait légué sa collection au musée. Il était en possession d’œuvres de Manet, Monet, Pissarro, Renoir, Morisot, Vuillard et Degas ; puis, en 1922, le deuxième choc artistique se produisit lors d’une exposition d’artistes français au Burlington Fine Arts Club où il fit la découverte de la peinture de Cézanne (il parlait de magie en faisant allusion à l’œuvre du peintre et Cézanne est d’ailleurs l’artiste le plus représenté dans sa collection privée puisqu’il en acquit onze toiles et plusieurs aquarelles).
Une exposition récente au Petit Palais, « Les Impressionnistes français à Londres » (suivre ce lien), a évoqué la présence des artistes français à Londres dans les années 1870 et même avant. Il faut rappeler que certains artistes avaient quitté la France au moment où le prince Louis-Napoléon Bonaparte accédait au pouvoir, puis d’autres avaient suivi une vingtaine d’années plus tard au moment de la guerre franco-prussienne puis ensuite au moment de la Commune. Il y avait donc, dans les années 70, une colonie d’artistes français installés dans le quartier de Soho ainsi que des galeristes (dont Paul Durand-Ruel) qui essayaient de promouvoir l’art français en Angleterre mais sans grand succès ; Pissarro et Monet, tous deux réfugiés à Londres, disaient n’avoir rien pu vendre.
C’est au début des années 20 que Samuel Courtauld décida avec son épouse, Elizabeth, de monter une collection de peinture et la plupart de leurs acquisitions se firent en un temps très ramassé, entre 1923 et 1929.
Paul Cézanne - Le Lac d'Annecy - 1896 - © Courtauld Institute of Art
La famille Courtauld avait toujours veillé sur les ouvriers de ses usines de textile en créant, pour eux, des logements, des crèches, des bibliothèques et en leur proposant des cours du soir ; de même, Samuel, élevé avec des valeurs d’éducation et de justice sociale, souhaita faire profiter ses semblables de sa fortune en leur permettant eux aussi d’accéder à l’art. Son épouse fit de même dans le domaine de la musique.
Amedeo Modigliani - Nu féminin - ca 1916 - © Courtauld Institute of Art Auguste Renoir - La Loge - 1874 - © Courtauld Institute of Art
Ainsi, parallèlement à sa collection privée de peinture et en s’appuyant sur les conseils de Roger Fry, historien d’art et critique et de Percy Moore Turner, conseiller artistique et galeriste à Londres et à Paris, il décida, en 1923, de créer un fonds d’acquisition de £ 50 000 (connu sous le nom de « Courtauld Fund ») pour permettre à la Tate Gallery d’acheter des œuvres étrangères contemporaines, car il jugeait les musées anglais trop conservateurs dans le choix des peintres qu’ils exposaient et les artistes étrangers contemporains sous-représentés. Les tableaux achetés pour la Tate furent transférés, dans les années 50, à la National Gallery.
Après la mort de son épouse, en 1931, et avec l’aide de Lee of Fareham (1868-1947), militaire, diplomate, ministre, mécène, administrateur de la Wallace Collection et de la National Gallery, il fonda le « The Courtauld Institute of Art », après avoir pris conscience qu’il n’existait pas de formation pour les historiens de l’art en Grande-Bretagne. Il fit don de sa demeure familiale « Home House », située à Portman Square, ainsi que d’une partie de sa collection privée à l’Institut qui y resta jusqu’en 1989, avant de s’établir à Somerset House (là où se tenaient les expositions de la Royal Academy of Arts du temps de Turner et de Constable). On avait d’ailleurs reproché aux Courtauld d’avoir fait entrer des toiles impressionnistes dans une maison construite au XVIIIe (par le célèbre architecte d’alors, Robert Adam).
Paul Gauguin - Nevermore - 1897 - © Courtauld Institute of Art
L’institut, aujourd’hui rattaché à l’Université de Londres, ne forme pas que des historiens de l’art mais aussi des conservateurs de musées et des restaurateurs d’art. Peu après sa fondation, l’Institut, accueillit l’Institut Warburg de Hambourg, ses archives, sa bibliothèque et ses chercheurs alors menacés par la montée du nazisme.
La collection privée d’œuvres d’art de Courtauld a été également transférée à Somerset House et est aujourd’hui présentée au public en un lieu appelé « Courtauld Gallery », fermé pour travaux pour deux ans.
La collection présentée à la Fondation Vuitton et qui a été exposée juste avant de venir à Paris et de façon plus complète à la National Gallery de Londres, n’est pas la collection complète qui est bien plus vaste (les Courtauld ayant fait des émules, d’autres riches collectionneurs ont eux aussi légué à l’Institut les œuvres qu’ils possédaient et qui, elles, couvrent plusieurs siècles), mais une sélection choisie d’œuvres impressionnistes et postimpressionnistes. Elle comporte les œuvres léguées à l’Institut, celles acquises, grâce au fonds Courtauld, par la National Gallery et une partie de celles léguées à la mort de Courtauld à sa famille ou à ses amis qui ont accepté de les prêter à l’occasion de cette exposition.
Par ailleurs, à la fin de l’exposition, sont réunies dans une salle à part, dix aquarelles de Turner, ayant appartenu non pas à Samuel Courtauld mais à son frère, Stephen. Parmi ces tableaux un très beau tableau de 1841, « Dawn after the Wreck » qui montre l’influence que Turner a pu avoir sur les peintres impressionnistes français et notamment sur Monet.
William Turner - Dawn after the wreck - ca 1841 - © Courtauld Institute of Art
Juste à côté de cette salle se trouve une autre salle dans laquelle est projeté un film sur « Home House », la résidence des Courtauld ; on peut y voir où et comment étaient placés les tableaux acquis par le couple lorsqu’ils y vivaient.
Parmi les tableaux les plus marquants présentés dans cette exposition, le célèbre « Un Bar aux Folies-Bergère », de Manet, de 1882, dernier grand tableau peint par l’artiste avant sa mort, dans lequel le reflet de la serveuse et du client dans le miroir est bien étrange et peu plausible, « La Loge », de Renoir, de 1874, représentant une élégante jeune femme portant une robe à rayures noires et blanches, assise dans une loge pour assister à un spectacle aux côtés d’un compagnon dont l’attention semble retenue ailleurs, une des cinq versions existantes des « Joueurs de Cartes » de Cézanne, un « Lac d’Annecy » , 1896, du même peintre, deux Gauguin de l’époque tahitienne, dont « Nevermore » de 1897, une « Gare Saint-Lazare » de Monet, une esquisse du « Déjeuner sur l’Herbe » de Manet, des Seurat, des Toulouse-Lautrec, un des nus de Modigliani présentés, en 1917, à la Galerie Weill, rue Taitbout, et qui avaient tant choqué que la police avait dû faire fermer la galerie… Tous ces tableaux nous semblent familiers, soit qu’on en ait vu des reproductions, ou bien d’autres versions très proches ou qu’on ait eu la chance de les voir, dans leur contexte, à la Courtauld Gallery.
Vincent Van Gogh - Autoportrait à l'oreille bandée - 1889 © Courtauld Institute of Art.
Parallèlement à la collection Courtauld exposée au niveau -1, la Fondation Louis Vuitton présente des œuvres d’artistes contemporains de 1960 à nos jours, aux autres niveaux, dont des tableaux de l’Américaine Joan Mitchell et des œuvres de Gerhard Richter qui séduiront probablement ceux qui aiment l’art abstrait.
Espérons que les tableaux choisis avec tant de soin par les Courtauld aussi bien pour leur collection privée que pour la collection destinée au public britannique, pourront bientôt être exposés dans leur globalité dans une Galerie Courtauld rénovée et agrandie montrant ainsi le goût et la passion d’un couple de mécènes, Samuel et Elizabeth Courtauld, pour nos peintres impressionnistes.
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Fondation Louis Vuitton
La Collection Courtauld
Le parti de l’Impressionnisme
8, avenue du Mahatma Gandhi
Bois de Boulogne
75116 Paris
Ouvert tous les jours sauf mardi de 10 h à 20 h
Jusqu’au 17 juin 2019
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Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire 2019
Les Nadar, Une Légende Photographique
« Dans la famille Nadar, je demande Félix, le frère ainé !» C’est à une partie de jeu des sept familles qu’on a l’impression de jouer en parcourant l’exposition Nadar, présentée actuellement à la BNF/ François Mitterand jusqu’au 3 février 2019.
Ils étaient trois : Félix (1820-1910), le frère ainé, Adrien (1825-1903), le fils cadet et Paul (1856-1939), le fils de Félix.
Ils ne s’appelaient pas « Nadar » mais « Tournachon » ; c’est Félix qui avait décidé de changer de nom (de Tournachon, il était passé à Tournachondar, puis Tournadar, Nadarchon, Nadard et enfin Nadar).
Si à l’évocation du nom Nadar, on pense généralement à Félix, c’est à cause de sa personnalité qui écrasait littéralement celle des deux autres mais, chacun à sa façon, les trois hommes ont contribué à l’existence et à la gloire de l’atelier Nadar.
Au début, Félix ne connaissait rien à la photographie et rêvait d’une carrière d’écrivain ; il fut, tour à tour, chroniqueur, journaliste, caricaturiste (fréquentant Daumier, Gavarni, Carjat, Gill…) ce qui lui permit de connaître grand nombre de célébrités dans le domaine littéraire et artistique (notamment Dumas, Balzac, Nerval, Baudelaire, Hugo…)
De caricaturiste il devint « caricaturé », son physique (géant à la silhouette dégingandée, à la chevelure rousse, portant gilets ou vareuses rouges) faisant le bonheur des autres caricaturistes.
Caricature de Félix Nadar - Nadar: à nous deux!! par Edourad Riou.
Il conçût tout d’abord le projet d’un « Panthéon des célébrités littéraires » (qu’il souhaitait étendre aux peintres, dessinateurs, sculpteurs, compositeurs…), œuvre plus connue sous le nom de « Panthéon Nadar » et dans laquelle il caricaturait les célébrités de l’époque, tout en accompagnant chaque caricature d’une biographie amusante mais l’œuvre resta inachevée.
Ce sont les activités photographiques d’Adrien qui firent comprendre à son ainé l’intérêt de ce nouvel art ainsi que le potentiel de revenus et de notoriété qu’il comportait. Délaissant la caricature, il se lança, à son tour, dans la photographie.
Autoportrait d'Adrien Tournachon allongé sur un sofa - ca 1858.
Selon Baudelaire, Félix vivait dans un état d’agitation permanent ; il disait que Félix avait « la plus étonnante expression de vitalité, un tempérament exubérant et incontrôlable ».
Dans « Les Mémoires du Géant », Félix faisait de lui-même ce portrait : « La plus solide et la mieux établie des réputations des cerveaux brûlés… un vrai casse-cou… bravant l’opinion, inconciliable avec tout esprit d’ordre… mal élevé jusqu’à appeler les choses par leurs noms et les gens aussi, n’ayant jamais raté l’occasion de parler de corde dans la maison de gens pendus ou à pendre ».
Portraits d'Alexandre Dumas - 1855 - de Sarah Bernhardt drapée en blanc - 1864 - et de Jacques Offenbach - 1878 - par Nadar.
Il était un touche-à-tout de génie, excellait dans toutes ses entreprises, n’hésitant jamais devant les prises de risques, y compris financiers. A plusieurs reprises, il évita la faillite grâce à la gestion rigoureuse de son épouse, Ernestine qui joua jusqu’en 1887, date de son attaque cérébrale, un rôle de modérateur entre Félix et son frère, Adrien, et entre Félix et son fils, Paul, atténuant les brouilles familiales ; malgré cela le climat ne fut jamais serein entre les différents membres de la famille Nadar et les conflits se terminaient quelquefois par des procès.
Après deux ans de procédure (1856-1857), Félix obtint l’usage exclusif du pseudonyme « Nadar », en interdisant ainsi à son frère l’utilisation ; la même bataille opposera plus tard Félix et son fils. Malgré le verdict du procès, Adrien continua à signer ses œuvres du nom de Nadar, ce qui explique que, souvent, des photographies prises par Adrien aient été attribuées à Félix et qu’il est parfois difficile de savoir qui a fait quoi.
Pourtant leurs personnalités étaient différentes, tout comme l’étaient leurs œuvres. Adrien Tournachon, d’un tempérament bohème, nonchalant voire irresponsable, était avant tout un peintre et il entendait hisser la photographie au rang des Beaux-Arts ; Il fut le seul de la famille Nadar à avoir reçu une formation auprès d’un photographe et non des moindres puisqu’il s’agit de Gustave Le Gray qui avait lui-même commencé par être peintre. Adrien avait le sens du décor et de la mise en scène et souhaitait faire du commercial sans pour autant renoncer à la création d’une œuvre d’art. La BNF présente une très belle série de photographies prises par Adrien du mime Deburau en « Pierrot ».
Le mime Deburau par Adrien Tournachon.
Paul est le seul à avoir consacré toute sa vie exclusivement à la photographie ; il était pratiquement né dans l’atelier de son père et ne le quitta jamais si ce n’est pour passer d'un atelier à un autre. De devant l’objectif (photographies de Paul au sein de sa nourrice, de Paul enfant entre deux membres de l’ambassade japonaise, qu’on peut voir dans l’exposition) il passa derrière l’objectif. Vu la personnalité écrasante de son père il eut du mal à se faire un prénom ; en 1895, lorsqu‘il devint propriétaire de l’atelier, il se hâta d’afficher que la maison n’avait pas de succursale (au moment même où Félix, exilé à Marseille, avait ouvert un studio).
Paul transforma l’atelier en une entreprise moderne ; il devint le représentant exclusif de la firme américaine Kodak en France où il introduisit l’instantané de George Eastman et le film souple, ce qui permit de rendre la photographie plus accessible aux non-professionnels. Il s’adapta au goût de ses contemporains, se consacra beaucoup à la photographie des arts du spectacle ; son sens du théâtre l’amenait souvent à placer ses sujets dans des décors peints en trompe-l’œil.
Au début de leur aventure, pour mieux faire connaître leur art encore méconnu, les Nadar eurent recours aux autoportraits ou aux portraits de famille, comme le montre la première partie de l’exposition.C’était pour eux une façon de promouvoir leur atelier. Même s’ils avaient tous trois un goût prononcé pour le déguisement et l’exotisme, certaines photos montrent bien le caractère de chacun d’entre eux (Adrien est représenté en dandy, Ernestine en femme d’affaires, Félix en esquimau, Paul en chef d’entreprise ou explorateur).
Au gré de leur popularité et de leur fortune, les Nadar ont occupé un certain nombre d’ateliers à Paris, presque jamais très loin du 9e arrondissement. Félix a d’abord travaillé au 115, rue Saint-Lazare, puis Adrien a ouvert un atelier au 11, boulevard des Capucines avant que Félix ne s’installe au 35, boulevard des Capucines, atelier qui fut incontestablement le plus célèbre et auquel on pense en évoquant les Nadar. Il fut choisi au cœur d’un quartier en plein essor, à proximité du futur opéra de Charles Garnier et des avenues haussmanniennes à venir. C’est dans ce même atelier que les Nadar avaient alors quitté que se tint, en 1874, l’exposition des peintres refusés par le Salon de Paris (Monet, Renoir, Degas, Caillebotte, Pissarro…).
Façade de l'atelier Nadar au 35 boulevard des Capucines.
L’atelier du boulevard des Capucines très spacieux entraîna des charges considérables et la présence d’un grand nombre d’employés ; les frais trop élevés menèrent Félix à la faillite et il dût y renoncer et s’installer dans un lieu plus modeste au 51, rue d’Anjou. Quant à Paul, le dernier des Nadar, il finit sa carrière rue de Bassano, dans l’ancien atelier du peintre Léon Bonnat.
Les Nadar qui étaient des précurseurs dans bien des domaines affirmèrent leur goût pour la modernité dans tous les locaux qu’ils occupèrent, y installant des ascenseurs, l’air chaud, la climatisation et éclairant les façades au gaz, sur lesquelles la signature zigzagante de Nadar ne manquait de s’afficher en rouge. Tous leurs studios de photographie comportèrent soit des espaces extérieurs (jardins, terrasses, toits) soit des locaux recouverts d’une verrière pour pouvoir profiter de la lumière naturelle, indispensable alors à la photographie.
L’œuvre des Nadar est également associée aux avancées scientifiques et techniques de leur époque.
Adrien, par ses photos, participa à la recherche pour l’amélioration de la race animale et collabora avec des médecins des hôpitaux à propos du mécanisme de la physionomie humaine. Il fit également des recherches dans le domaine de l’agrandissement photographique.
Félix Nadar et sa femme, Ernestine, en ballon - 1863 - par Nadar.
Félix, passionné d’aéronautique, avait fait l’acquisition d’un ballon, « Le Géant », dans lequel on peut le voir photographié seul ou en compagnie d’Ernestine (ces photos furent prises en studio) mais cela lui donna l’idée de l’intérêt des photographies aériennes et de la réalisation de cartes topographiques.
En 1861, il déposa un brevet concernant la photographie à la lumière artificielle qui lui permit de réaliser des portraits de nuit et une série de clichés dans les Catacombes (1862) et les égouts de Paris (1865) ; il se lança aussi dans la photographie sous-marine.
Paul s’efforça de travailler sur le problème de la réduction du temps de pose et développa donc l’instantané. Il pratiqua également la retouche à même les négatifs, colorisa des photos en noir et blanc et travailla sur les effets de flou photographique.
Les Nadar, personnages à multiples facettes, parfois alliés mais souvent rivaux, avec des personnalités complémentaires avaient tous trois foi dans le progrès et un goût très prononcé pour l’innovation et cette exposition rend un légitime hommage aux deux Nadar (Adrien et Paul) longtemps éclipsés par le charisme de Félix.
Portraits de Joséphine Baker - 1930 - et de Charles Baudelaire - 1855 - par Paul et Félix Nadar.
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11, quai François-Mauriac
75013 Paris
Ouvert tous les jours sauf lundi de 10 h à 19 h
Jusqu’au 3 février 2019
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Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire 2018
P. Gauguin - Nature morte à l'Espérance" - 1901
Collections Privées
Chefs-d’œuvre de Collections particulières
de l’Impressionnisme au Fauvisme
C’est, une fois de plus, à des collectionneurs privés que le Musée Marmottan a fait appel pour monter leur nouvelle exposition qui se tient en leurs murs jusqu’au 10 février. Cette exposition, conçue dans le même esprit, fait suite à celle présentée, en 2014, intitulée « Impressionnistes en Privé », qui célébrait le 80e anniversaire du musée.
La collection permanente de Marmottan est elle-même composée de donations faites par des particuliers, artistes, descendants d’artistes ou collectionneurs privés ; c’est notamment le cas pour les œuvres de Claude Monet et de Berthe Morisot. Pour « Collections Privées », ce sont trente collectionneurs qui ont accepté de prêter leurs œuvres et si beaucoup ont souhaité garder l’anonymat, les noms de certains d’entre eux (David Nahmad, Perez Simon, Isabelle et Scott Black…) ou tout au moins leur pays d’origine sont indiqués sur les cartels.
Interviewée, Claire Durand-Ruel, l’une des commissaires de l’exposition, dit qu’il est souvent facile de convaincre les collectionneurs de prêter leurs biens car ce sont, dit-elle, des gens qui ont le sens du partage. Il fallait bien sûr trouver des personnes disposées à se séparer de leurs tableaux pendant cinq mois, durée de l’exposition, mais les autres critères du choix des œuvres exposées ont été selon les commissaires (Marianne Mathieu et Claire Durand-Ruel), la qualité intrinsèque des œuvres et le fait qu’elles n’ont jamais été montrées au public ou tout au moins pas récemment.
E. Vuillard - Messieurs et Mesdames Josse et Gaston Bernheim-Jeune au 107, avenue Henri Martin" - 1905
L’exposition s’ouvre sur une toile de Vuillard montrant des marchands d’art/ collectionneurs, contemporains des impressionnistes : Josse et Gaston Bernheim-Jeune, dans leur appartement de l’avenue Henri Martin dont les murs sont couverts de tableaux. Les marchands recevaient généralement leurs clients dans leur galerie mais étant également des collectionneurs, ils possédaient aussi un grand nombre d’œuvres dans leur appartement qu’ils ouvraient à l’occasion aux visiteurs.
L’exposition qui ne comporte que 62 œuvres (essentiellement des tableaux, quelques dessins et de rares sculptures) recouvre la période 1880 - 1923, comme l’indique l’intitulé, de l’Impressionnisme au Fauvisme, et donne un aperçu de tous les mouvements qui se sont succédés (les Impressionnistes avec Monet, Renoir, Pissarro, Degas et Caillebotte ; les Néo-Impressionnistes avec Seurat, Signac, Rysselberghe ; l’École de Pont-Aven avec Gauguin et Émile Bernard ; les Nabis avec Vuillard et Bonnard ; les Fauves avec Derain, Vlaminck, Van Dongen et des peintres inclassables tels que Toulouse-Lautrec, Matisse, Picasso…). La sculpture est représentée par Camille Claudel, Rodin et Bourdelle.
Dans les premières salles figurent les peintres impressionnistes : plusieurs tableaux de Monet, parmi lesquels « Les Pyramides à Port Coton, effet de soleil », 1886, peint lors d’un voyage à Belle-Ile ; le peintre, habitué aux côtes normandes, fut émerveillé par l’aspect sauvage du paysage et les côtes déchiquetées de l’île.
Plus tard, en se rendant en compagnie de Renoir dans le midi, il s’arrêta à l’Estaque qu’il connaissait à travers les œuvres de Cézanne, avant de gagner la riviera italienne («Villas à Bodighera »,1884) dont la végétation luxuriante l’avait ébloui. Monet qui est considéré avant tout comme un peintre de plein air, a peint relativement peu de natures mortes et de bouquets coupés mais on peut admirer à Marmottan « Les Chrysanthèmes rouges », 1880 ; ce tableau avait appartenu à Caillebotte qui partageait avec Monet l’amour des jardins et des fleurs ; il l’avait légué à l’état français qui choisit de ne pas le retenir !
C. Monet - Les Chrysanthèmes rouges - 1880
De Caillebotte, plusieurs tableaux ; en premier lieu celui qui fait l’affiche de l’exposition, « La Berge du Petit Gennevilliers et la Seine »,1890, puis un intérieur bourgeois, peut-être celui de la famille Caillebotte et le célèbre tableau représentant la gare St-Lazare vue depuis le pont de l’Europe, mettant en relief les changements intervenus au cours de l’ère haussmannienne.
G. Caillebotte - La Berge du Petit Gennevilliers et la Seine - 1890 C. Pissarro - Déchargement de bois, quai de la Bourse, au coucher du soleil » - 1898
De Pissarro, un tableau à Rouen : «Déchargement de bois, quai de la Bourse, au coucher du soleil », 1898. Tout comme Monet l’avait fait avec la cathédrale de Rouen, Pissarro avait peint une série de quais de la Seine, sous différents éclairages, depuis sa chambre d’hôtel. De Renoir, plusieurs portraits de la famille Bernheim (l’un de Mme Josse Bernheim-Dauberville, 1901, et un autre de l’une de ses futures belles-filles). De Degas, un tableau d’une danseuse rattachant son chausson, 1887, image familière pour ce peintre qui se rendait quasiment tous les jours à l’opéra, arpentant les coulisses, les vestiaires et les salles de répétition de l’institution.
G. Seurat - La Seine à Courbevoie - 1885 - T. Van Rysselberghe - La Régate - 1892.
Pour la période néo-impressionniste, on retrouve Seurat avec « La Seine à Courbevoie », 1885 ; de ce tableau se dégage un sentiment de solitude avec la silhouette rigide d’une femme qui ne semble pas sensible à la nature qui l’entoure. Du peintre belge Rysselberghe, le tableau d’une régate à laquelle participait son ami Signac (1892) : on retrouve ici l’influence du pointillisme et du japonisme.
« Castellane », 1902, de Signac qui, installé à St-Tropez, parcourait les chemins de la Haute-Provence à bicyclette, peignant des aquarelles qui servaient de base à de futurs tableaux. Van Gogh, interné volontaire à l’hôpital de St-Rémy, peignait les jardins et les champs à proximité. Cette période qui précéda son départ pour Auvers est illustré par « Les Lauriers Roses »1889.
La Blanchisseuse - Toulouse-Lautrec - 1886-1887
Deux tableaux de Toulouse-Lautrec sont exposés ici, c’est peut-être la même femme rousse qui a posé pour les deux (Suzanne Valadon ? Carmen Gaudin ?). L’un d’entre eux représente une blanchisseuse ; tout comme Degas avec ses repasseuses, le peintre insiste sur le côté pénible et épuisant du métier.
L’école de Pont-Aven est représentée par plusieurs œuvres d’Émile Bernard : « Les Falaises d’Yport », 1892 dans un style très épuré et « Printemps ou Madeleine au Bois d’Amour », 1892, où il peint un monde idéalisé.
Émile Bernard - La Falaise d'Yport - 1892
Un seul tableau de Gauguin : « Nature morte à l’Espérance », 1901, représentant des tournesols ; Gauguin séduit par les tournesols de Van Gogh, avait même planté, avec succès, des graines de tournesols à Tahiti. C’est à la demande de son marchand Vollard que Gauguin avait peint des natures mortes de fleurs.
Le courant « Nabi » est illustré par Vuillard et « La Partie de Bridge au Clos Cézanne », 1923, le peintre avait souvent été témoin de parties de cartes chez Joseph Hessel, le propriétaire de Clos Cézanne. De Bonnard, un tableau de sa future épouse, Marthe : « Nu debout, de profil », 1905.
C. Monet - Les Pyramides de Port Coton, effet de soleil - 1886
Pour la section illustrant le fauvisme, une toile de Matisse représentant Port Coton, un rappel du même site qu’on a pu voir au début de l’exposition peint par Monet et une autre toile représentant la mer à Étretat, peinte comme Matisse avait l’habitude de le faire, depuis la fenêtre de sa chambre. Contrairement aux vues habituelles d’Étretat ce n’est pas la porte d’Aval qui est au premier plan, l’artiste insiste ici sur les contrastes de lumière sur la plage, la mer et dans le ciel. Des tableaux d’autres peintres fauves (Derain, Vlaminck, Van Dongen…) complètent cette section.
« Danseuse espagnole », 1901, de Picasso clôt l’exposition, l’artiste pratique ici la technique pointilliste, inhabituelle chez lui.
P. Picasso - Danseuse espagnole - 1901 C. Claudel - La Valse
Pour la sculpture, c’est Camille Claudel qui est la mieux représentée avec trois œuvres dont un couple dansant la valse et « La petite Châtelaine », 1893, qui montre que même élevée dans un milieu privilégié, l’enfance n’est pas forcément une période sereine comme le montre le visage grave et angoissé de la petite fille. Les autres sculptures sont de Rodin et Bourdelle.
Même si on peut avoir l’impression d’avoir déjà vu à de multiples reprises, dans certains musées, les tableaux évoqués ci-dessus, c’est sans doute parce que certains artistes avaient l’habitude de peindre les mêmes scènes plusieurs fois mais ce sont bien des œuvres appartenant à des collectionneurs privés qui sont présents ici et en réalisant cette exposition, le Musée Marmottan a d’une part permis que le public puisse pendant quelques mois avoir le plaisir de voir ces tableaux et d’autre part, il a voulu rendre hommage aux collectionneurs sans lesquels certains musées, dont Marmottan, n’existeraient pas.
Hélène TANNENBAUM
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2, rue Louis-Boilly
75016 Paris
Ouvert de 10 h à 18 h
Jusqu’au 10 février 2019
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© 9ème Histoire 2018
A. Mucha - Décor pour le pavillon de Bosnie-Herzégovine de l'exposition universelle de 1900.
Alphonse Mucha
Le Musée du Luxembourg présente, jusqu’au 27 janvier 2019, une grande rétrospective de l’artiste tchèque, Alphonse Mucha (1860-1939). En France, les affiches réalisées pour l’actrice Sarah Bernhardt et les publicités destinées à promouvoir certains produits nous étaient familières, mais les œuvres patriotiques ou mystiques du peintre restaient, pour la plupart d’entre nous, inconnues. Enfin une occasion de découvrir l’ensemble de l’œuvre grâce à la collaboration entre le musée du Luxembourg et la Fondation Mucha de Prague.
A. Mucha - Publicité Moet & Chandon.
Né en 1860, en Moravie, une province de l’empire austro-hongrois, Mucha grandit dans un décor de baroque « tchèque ». Bien décidé, depuis son plus jeune âge, à devenir peintre, il réussit à faire financer ses études d’art par le comte Eduard Khuen-Belasi (pour lequel il avait réalisé des fresques) d’abord à Munich puis à Paris, ville considérée alors comme la capitale européenne des arts.
Dès 1887, il suivit des cours à l’Académie Julian avant de fréquenter la Grande Chaumière. C’est à Paris qu’il fit la connaissance de peintres nabis, de Gauguin avec lequel il partagea, un temps, un atelier, du Praguois Kupka, de l’écrivain suédois Strindberg ; il s’y familiarisa avec l’art japonais, le préraphaélisme et le mouvement britannique « Arts and Crafts ».
Alphonse Mucha dans son studio.
En 1894, il fit la connaissance de Sarah Bernhardt et dut réaliser dans l’urgence une affiche pour la pièce « Gismonda » qu’elle devait interpréter au théâtre de la Renaissance. La comédienne fut tellement séduite par cette affiche (son format, la pose, la richesse du costume, les tons pastel) qu’elle signa un contrat avec l’artiste pour qu’il conçoive les affiches des pièces dans lesquelles elle allait jouer (« La Dame aux Camélias », « Lorenzaccio », « Médée », « Hamlet »…). Elle lui demanda également de réaliser pour les personnages qu’elle incarnait des costumes et des bijoux.
A. Mucha - Affiches des spectacles de Sarah Bernhardt "Gismonda" (1894) et "Médée" (1898)
C’est cette affiche de théâtre pour « Gismonda » qui rendit Mucha célèbre ; à l’époque, en France, l’affiche était un art populaire (Mucha avait pour rivaux en la matière des artistes aussi célèbres que Toulouse-Lautrec et Chéret) rendu facile par le développement de la lithographie en couleurs.
Artiste désormais célèbre, Mucha signa un contrat avec l’imprimeur Champenois qui lui versa une rémunération mensuelle. Il réalisa des affiches publicitaires pour le papier à cigarettes « Job », pour les champagnes « Moët et Chandon » et « Ruinart », ainsi que pour la biscuiterie « Lefèvre-Utile ».
A. Mucha - Affiche publicitaire des biscuits LU 1- 897.
Sur toutes ces publicités, on reconnaît le style baptisé aujourd’hui « style Mucha », avec de belles jeunes femmes sensuelles, à l’abondante chevelure torsadée, revêtues de tenues mettant leur corps en valeur, présentées au milieu de motifs fleuris, dans des tons pastel.
Très versé dans toutes les formes de l’art, Mucha fut également sculpteur, photographe, décorateur ; il enseigna l’art et réalisa des planches d’art décoratif pouvant servir de modèles à la fabrication de papiers peints, de vaisselle, de bijoux…
A. Mucha - Pendentif pour le bijoutier Georges Fouquet - 1901.
Lors de l’Exposition universelle de 1900, il fut pressenti pour décorer le pavillon de la Bosnie-Herzégovine avec une fresque célébrant le peuple bosniaque ; il dessina aussi les menus de certains restaurants présents dans l’Exposition.
En 1901, il réalisa la décoration « Art Nouveau » de la boutique du joaillier Georges Fouquet, située rue Royale (qu’on pourra probablement revoir au Musée Carnavalet où elle se trouve désormais, lors de la réouverture du musée, en 2020). Il s’occupa non seulement de la décoration de la boutique mais dessina pour Fouquet bagues, boucles d’oreilles et pendentifs dont on voit quelques exemples dans l’exposition.
A. Mucha - Décoration de la boutique du joaillier G. Fouquet - 1901.
Mucha pensait sincèrement que les arts décoratifs permettaient d’améliorer la vie quotidienne des gens en y introduisant une forme de beauté mais animé par des aspirations plus profondes, il se servit également de l’art pour exprimer sa spiritualité, son mysticisme et son patriotisme ; il fut initié à l’occultisme par Strindberg et entra au Grand Orient de France en 1898.
Longtemps il œuvra pour un rapprochement des peuples slaves et l’indépendance de son pays.
À la recherche de mécènes pour financer une œuvre slave, il se rendit plusieurs fois aux États-Unis, entre 1904 et 1909, où il réalisa le portrait de notables, donna des cours dans des écoles d’art et finit par trouver un homme d’affaires à Chicago, Richard Crane, qui lui permit de financer son grand projet, « l’Epopée slave » (1911-1928), un appel à l’unité des peuples slaves, les incitant à tirer les enseignements de leur propre histoire. Cette épopée comporte vingt tableaux dont dix sont consacrés à l’histoire tchèque ; elle exigea de l’artiste de nombreuses recherches et de multiples déplacements dans les pays concernés (Croatie, Serbie, Bulgarie, Russie…). Ces tableaux de très grande taille n’ont pas pu être transportés à Paris et c’est donc une vidéo de ces tableaux qui est projetée sur écran avec zooms sur certains détails.
Alphonse Mucha - L'Épopée slave.
Certaines œuvres religieuses destinées à des églises sont visibles dans la dernière partie de l’exposition, soulignant la spiritualité de l’artiste.
Après l’entrée des Allemands à Prague en 1939, la patrie de Mucha perdit l’indépendance acquise en 1919 ; Mucha fut arrêté et torturé par la gestapo pour ses idées. Il décéda peu de temps après.
Cette exposition a le mérite de couvrir tous les aspects de l’art de Mucha de façon chronologique, montrant bien toutes les facettes de sa personnalité et de son œuvre, mettant en valeur des aspects méconnus de l’artiste et pas uniquement son côté affichiste Art Nouveau même s’il est considéré comme l’un des pères fondateurs de ce style.
A. Mucha: Menu du restaurant du pavillon bosniaque
à l'exposition universelle de 1900.
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19, rue de Vaugirard
75006 Paris
Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 19 h
Jusqu’au 27 janvier 2019
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Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire 2018