Nouvelles des Amis -

9e histoire, 9ème Histoire, Société pour l'étude du patrimoine et de l'histoire du 9e arrondissement de Paris, neufhistoire,

Gabriel Fauré (1845-1924)
article de © Eric Lebrun
Gabriel Fauré par Paul Nadar (1905)
Gabriel Fauré fut un créateur de génie à la fois brillant, prolixe et excessivement discret. Organiste de l’église de la Madeleine à Paris, il n’a pourtant pas écrit une seule ligne de musique pour son instrument. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes.
Le 9e arrondissement a été marqué à plusieurs reprises par son passage, et plus encore par son action. Nous y reviendrons à plusieurs reprises dans le cours de ce récit.
De l’Ariège à l’école Niedermeyer dans le 9e arrondissement.
Son enfance passée dans l’Ariège, puisqu’il naquit à Pamiers en 1845, lui a laissé le goût de la rêverie et de la contemplation. Mais très tôt, encore garçonnet, il eut l’occasion de partir seul à Paris, pour rejoindre la toute nouvelle École Niedermeyer, où il allait rester une dizaine d’années.
Cette institution spécialisée dans la musique religieuse était sise 10, rue Neuve-Fontaine (aujourd’hui rue Fromentin). Le chant choral était restitué dans l’église Saint-Louis-d’Antin, 4, rue du Havre. Là, il côtoya dans un esprit d’estime réciproque et de franche amitié un jeune professeur nommé Camille Saint-Saëns, et des camarades comme André Messager (1853-1929) ou Eugène Gigout (1844-1925), l’organiste de Saint-Augustin à Paris.
Gabriel Fauré à l’école Niedermeyer vers 1860
Camille Saint-Saëns en 1858
Il bénéficia en fait d’une éducation basée, entre autres disciplines, sur la pratique assidue du chant choral, ce qui lui permit de connaître intimement de grands auteurs de la Renaissance, mais aussi, ce qui était assez rare à cette époque, l’œuvre de Bach. Il obtint son prix de composition avec le Cantique de Jean Racine, au répertoire des chœurs du monde entier depuis lors (et souvent donné dans les églises de notre arrondissement !)
Puis il fut envoyé à la tribune de Saint-Sauveur de Rennes, où il resta quatre ans. Dans cette ville bretonne il se fit quelques amis, mais, organiste un peu indiscipliné, il aimait fumer tranquillement devant l’église plutôt que d’écouter les sermons, et, danseur invétéré, il pouvait lui arriver de se rendre à son poste en costume de bal…
La découverte des salons parisiens.
La Province l’ennuyait et il repartit bientôt à Paris, où, après les parenthèses de la guerre Franco-Prussienne (où il s’engagea chez les Voltigeurs), puis de la Commune, il tint plusieurs claviers successivement, comme ceux de l’orgue de chœur de Saint-Sulpice, ou ceux des grandes orgues de Saint-Honoré-d’Eylau, ou encore de Notre-Dame-de-Clignancourt. Parallèlement, il fut introduit dans les salons parisiens par Camille Saint-Saëns (1835-1921), le jeune maître de l’école Niedermeyer, mais surtout l’éternel ami qui lui restera attaché jusqu’à sa mort.
Parmi ces lieux emblématiques de la vie artistique, celui de Pauline Viardot (1821-1910), 50, rue de Douai, joua un rôle primordial. Fille du fameux ténor, chef d’orchestre, compositeur et professeur de chant sévillan Manuel Garcia (1775-1732), et sœur de Maria, la cantatrice surnommée La Malibran (1808-1836), Pauline Viardot était elle-même une artiste lyrique de premier plan. Mais à cela il fallait ajouter ses talents de pianiste, très estimés de Franz Liszt (1811-1886), et aussi ceux d’organiste, puisqu’elle possédait un très bel orgue d’Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) (dont les ateliers était sis au début de sa carrière juste derrière le chevet de l’église Notre-Dame-de-Lorette), qui se trouve aujourd’hui installé dans l’église Notre-Dame de Melun.
Pauline Viardot © Paris musées
Chez les Viardot, il bénéficiait d’un environnement musical exceptionnel, et se fiança avec Marianne, fille de Pauline, qu’il aima passionnément. Hélas, cet amour n’était peut-être pas réciproque, du moins pas à cette intensité, et, la mort dans l’âme, Gabriel dut renoncer à ce mariage tant espéré.
Avec son ami Saint-Saëns et plusieurs autres artistes, il fonda en février 1871 la Société Nationale de Musique qui fut si bénéfique pour la diffusion de la musique de chambre, de piano, mais aussi pour celle de la musique vocale, françaises bien sûr (après la guerre de 70). C’est ainsi qu’il fit connaître dans ces différents cercles ses mélodies, qu’il composa jusqu’à ses dernières années avec une inspiration constante, prenant en France dans ce domaine la place qu’occupèrent en Allemagne un Schubert (1797-1828) et un Schumann (1810-1856).
L’art des mélodies, du piano et de la musique de chambre
Les mélodies de Gabriel Fauré, composées de 1861 à 1921, forment un continuum jusqu’alors assez inédit dans l’histoire de la musique française. Ce genre avait été amorcé par Hector Berlioz (1803-1869), dont le cycle Les Nuits d’été, d’après Théophile Gautier (1811-1870), était publié dès 1841 dans sa version originale avec piano. Mais Fauré prisait peu le langage harmonique de Berlioz, et, s’il faut le situer, c’est davantage dans le sillage de son maître et ami Saint-Saëns, ou de Gounod, auquel il emprunta à ses débuts la forme strophique, ou encore d’Edouard Lalo (1823-1892), d’Emmanuel Chabrier (1841-1894), ou dans le voisinage inspirant d’Henri Duparc (1848-1933). Cet art sera en renouvellement permanent, nous y reviendrons.
De même, on vit assez rapidement éclore ses premiers chefs-d’œuvre de musique de chambre, Sonate pour violon et piano, Quatuor avec piano. Pour ce dernier instrument, il composa en 1879 la Ballade qu’il présenta à Franz Liszt, lequel lui conseilla d’ajouter une discrète parure orchestrale, ce qu’il fit en 1881. Une pléiade de merveilleux morceaux pour le piano allait d’ailleurs se mettre en route, portant les noms génériques de Barcarolles, Nocturnes (tous deux au nombre de treize) ou Impromptus, chers à Frédéric Chopin (1810-1849). Son style se montra d’une constante mais discrète évolution, depuis ses premiers essais, proches de Felix Mendelssohn (1809-1847), jusqu’à l’apothéose au XXème siècle, caractérisée par un double raffinement mélodique et harmonique, en dépit des problèmes auditifs qui troublèrent les vingt dernières années de sa vie créatrice. Assez rapidement, son catalogue s’étoffait déjà de pages immortelles, comme l’Elégie pour violoncelle et piano, ou la Pavane, composée en 1887 pour sa chère amie la comtesse Greffulhe (1860-1952) ; une année assez pauvre en nouvelles compositions par ailleurs, ce dont il se désolait.
A l’église de la Madeleine
Fauré accéda aux fonctions de maître de chapelle de l’église de la Madeleine. Il écrivit à l’intention de la maîtrise plusieurs motets ; mais surtout, il composa son célèbre Requiem, achevé l’année suivante, en1888. Cette Messe reprenait le plan de l’œuvre homonyme de Théodore Dubois, dans une ambiance douce que l’auteur définira lui-même comme celle d’une « berceuse de la mort ». La genèse de cette admirable partition s’enracinait d’abord dans la naissance d’un Libera me dramatique, bien des années plus tôt, composé et donné chez les Viardot.
Puis il prit la succession du même Théodore Dubois à la tribune du grand orgue de la Madeleine. Par ailleurs, au départ de Charles-Marie Widor, la question de reprendre la classe d’orgue du Conservatoire, vénérable institution de notre arrondissement, se posa. Il refusa catégoriquement cette idée et laissa la place à Alexandre Guilmant, organiste de l’église de la Trinité ; il préféra rester inspecteur de l’enseignement musical, ce qui l’amenait à voyager dans toute la France, l’éloignant de son épouse et de ses deux enfants ; car il s’était marié quelques années plus tôt (en 1883) avec Marie Frémiet, fille du sculpteur Emmanuel Frémiet (1824-1910). C’était évidemment un mode de vie assez éprouvant.
Il obtint finalement un peu plus tard la classe de composition du Conservatoire qui l’intéressait davantage et réunit autour de lui la fine fleur des créateurs de son époque : Maurice Ravel (1875-1937), Charles Koechlin (1867-1950), Nadia Boulanger (1887-1979) qui résidait 36, rue Ballu, pour ne citer que trois exemples célèbres.
Nadia Boulanger en 1910 © Gallica
Parallèlement, il fut aussi critique musical au Figaro, montrant un modèle d’équilibre dans son jugement, et, le plus souvent, de bienveillance. A cette époque, Le Figaro était installé au 26, rue Drouot (comme l’on sait, ce bâtiment n’existe plus aujourd’hui).
Une évolution remarquable
Cette période où le travail était écrasant fut cependant propice à l’écriture de nouveaux chefs-d’œuvre, qui montrèrent une évolution continue de son style, comme la musique de scène de Pelléas et Mélisande, pour des représentations londoniennes en 1898, le merveilleux Thème et variations pour piano quelques années plus tôt, ou encore les cinq Mélodies de Venise, dédiées à sa protectrice la princesse de Polignac, d’après Paul Verlaine (1844-1896). Cette dernière partition n’eut en réalité de Venise que le moteur de son inspiration, ce qui était déjà beaucoup ! Sa chère Wirannetta Singer (1865-1943) successivement future princesse de Scey-Montbéliard puis princesse de Polignac, lui avait fait découvrir la cité des Doges où il ébaucha ces pages. En sourdine, deuxième pièce du cycle, lui avait, paraît-il, donné beaucoup de mal ; et pourtant, quelle réussite que cette mélodie qui semble jaillir du texte même, soutenue par d’extatiques contrechants du piano, accompagnés par des arpèges sereins ! Les Mélodies de Venise qui évoquent l’univers d’un Watteau seront incorporées au Troisième livre de Mélodies, publié en 1908 par l’éditeur Heugel (aujourd’hui racheté par Leduc, 10, rue de la Grange Batelière-notons par ailleurs que les archives Heugel ont été vendues en 2011 à l’Hôtel Drouot).
Mais c’est avec La bonne Chanson, composée en 1894 sur une bonne partie du recueil homonyme du même Verlaine, que le principe de cycle, avec de véritables motifs conducteurs, prit son envol. Le poète comme le musicien chantaient l’amour rédempteur dans des pages incandescentes, ici en hommage vibrant à Emma Bardac (1862-1934), qui allait devenir dix ans plus tard l’épouse de Claude Debussy (1862-1918). « Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore » introduit avec un geste musical irrésistiblement ascendant la deuxième mélodie de La bonne Chanson, reflet d’un élargissement considérable de la pensée et du langage du compositeur, au risque de provoquer l’incompréhension de son ami Saint-Saëns qui confiera : « Fauré est devenu complètement fou ! » Par la suite, il allait ajouter au seul piano un quintette à cordes. A Londres, l’œuvre avait été reçue avec une émotion palpable sous cette forme instrumentale que le compositeur n’approuvait pas vraiment ; et pourtant plusieurs autres mélodies, comme Les Roses d’Ispahan bénéficièrent d’une véritable orchestration, pour une formation symphonique.
C’est Fauré qui tint les grandes orgues de l’église Saint-Etienne-du-Mont pour les funérailles de Paul Verlaine.
Directeur du Conservatoire
A la suite du « scandale Ravel », Fauré fut propulsé directeur du Conservatoire, dans le 9e arrondissement, aujourd’hui Conservatoire National d’Art Dramatique, lui qui n’était jamais passé par cette institution. Il engagea de nombreuses réformes et déménagea en 1911 cet établissement dans l’ancien collège des Jésuites 14, rue de Madrid, dans le 8e arrondissement.
Gabriel Fauré dans le jardin du Conservatoire, rue de Madrid (1918)
Cette école était alors tournée presque tout entière vers l’art lyrique. Il l’orienta davantage dans d’autres directions et imposa ses décisions avec une énergie qu’on n’aurait pas forcément imaginée. Son influence fut profonde, au-delà de son départ en 1919, comme son ouverture d’esprit au point qu’il n’hésita pas à nommer peu après son arrivée des membres assez éloignés de son univers musical pour présider aux décisions de la maison, tel Claude Debussy !
Pendant plusieurs années, il se retira l’été au bord des lacs pour écrire, entre autres, son opéra Pénélope, sur un livret de René Fauchois (1882-1862), qui fut un temps président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), dont le siège est toujours Hôtel de Blémont, 11, rue Ballu. Pénélope, hélas, ne connut pas le même succès que d’autres ouvrages, notamment italiens, qui font vibrer le public habituel de manière épidermique. C’est navrant, car il s’agit d’un prodigieux chef-d’œuvre.
Affiche de Pénélope © Gallica/BNF
Cela faisait bien longtemps maintenant que Fauré ne tenait plus l’orgue de La Madeleine, mais il gravit encore les marches de cette prestigieuse tribune pour réaliser un portrait aux claviers, destiné à la couverture de la revue Musica. Car cet homme discret, doutant souvent de lui, était devenu une référence, un repère important de la vie artistique. Il accepta, pour soutenir les jeunes, de présider une nouvelle institution, la Société Musicale Indépendante.
Ses dernières années virent comme un magnifique lever de soleil éclore des pages de musique de chambre : Sonates pour violoncelle et piano, Deuxième Quintette pour cordes et piano, des cycles de mélodies sur des poètes symbolistes (quelquefois dépouillées, réduites à l’essentiel), Quatuor à cordes, enfin.
Les éditions Durand entreprirent une publication exhaustive de l’œuvre de Bach. Fauré se chargea des partitions pour orgue du Cantor, réalisant un travail remarquable, très respectueux des sources, ne proposant aucune idée personnelle propre à trahir la pensée du compositeur. Cette démarche est à rapprocher de celle de Debussy, attaché de son côté à l’œuvre de piano de Chopin.
La dernière phrase de L’Horizon chimérique, composé en 1921 sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont (1886-mort sur le front en 1914), résume assez bien l’état d’esprit du compositeur au soir de sa vie : « j’ai de grands départs inassouvis en moi. » Œuvre bouleversante réunissant la poésie d’un jeune auteur et la musique d’un compositeur à la fin de sa vie.
Fauré est le génie du « clair-obscur » selon le juste mot de Jean-Michel Nectoux (1946). « Sans rien en lui qui pèse ou qui pose » dirait Verlaine. Il incarne une forme rare de modernisme extrêmement personnel dans des formes traditionnelles. Sa musique possède un charme, un « je ne sais quoi » qui la rend immédiatement reconnaissable, et qui avait été merveilleusement décelé de son vivant par Marcel Proust (1871-1922), lequel écrivit à Fauré son amour pour son œuvre dans une lettre prophétique !
Gabriel Fauré aux claviers de l’église de la Madeleine © Gallica/BNF
© Eric Lebrun
© 9ème Histoire - 2025

Gabriel Fauré (1845-1924)
article de © Eric Lebrun
Gabriel Fauré par Paul Nadar (1905)
Gabriel Fauré fut un créateur de génie à la fois brillant, prolixe et excessivement discret. Organiste de l’église de la Madeleine à Paris, il n’a pourtant pas écrit une seule ligne de musique pour son instrument. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes.
Le 9e arrondissement a été marqué à plusieurs reprises par son passage, et plus encore par son action. Nous y reviendrons à plusieurs reprises dans le cours de ce récit.
De l’Ariège à l’école Niedermeyer dans le 9e arrondissement.
Son enfance passée dans l’Ariège, puisqu’il naquit à Pamiers en 1845, lui a laissé le goût de la rêverie et de la contemplation. Mais très tôt, encore garçonnet, il eut l’occasion de partir seul à Paris, pour rejoindre la toute nouvelle École Niedermeyer, où il allait rester une dizaine d’années.
Cette institution spécialisée dans la musique religieuse était sise 10, rue Neuve-Fontaine (aujourd’hui rue Fromentin). Le chant choral était restitué dans l’église Saint-Louis-d’Antin, 4, rue du Havre. Là, il côtoya dans un esprit d’estime réciproque et de franche amitié un jeune professeur nommé Camille Saint-Saëns, et des camarades comme André Messager (1853-1929) ou Eugène Gigout (1844-1925), l’organiste de Saint-Augustin à Paris.
Gabriel Fauré à l’école Niedermeyer vers 1860
Camille Saint-Saëns en 1858
Il bénéficia en fait d’une éducation basée, entre autres disciplines, sur la pratique assidue du chant choral, ce qui lui permit de connaître intimement de grands auteurs de la Renaissance, mais aussi, ce qui était assez rare à cette époque, l’œuvre de Bach. Il obtint son prix de composition avec le Cantique de Jean Racine, au répertoire des chœurs du monde entier depuis lors (et souvent donné dans les églises de notre arrondissement !)
Puis il fut envoyé à la tribune de Saint-Sauveur de Rennes, où il resta quatre ans. Dans cette ville bretonne il se fit quelques amis, mais, organiste un peu indiscipliné, il aimait fumer tranquillement devant l’église plutôt que d’écouter les sermons, et, danseur invétéré, il pouvait lui arriver de se rendre à son poste en costume de bal…
La découverte des salons parisiens.
La Province l’ennuyait et il repartit bientôt à Paris, où, après les parenthèses de la guerre Franco-Prussienne (où il s’engagea chez les Voltigeurs), puis de la Commune, il tint plusieurs claviers successivement, comme ceux de l’orgue de chœur de Saint-Sulpice, ou ceux des grandes orgues de Saint-Honoré-d’Eylau, ou encore de Notre-Dame-de-Clignancourt. Parallèlement, il fut introduit dans les salons parisiens par Camille Saint-Saëns (1835-1921), le jeune maître de l’école Niedermeyer, mais surtout l’éternel ami qui lui restera attaché jusqu’à sa mort.
Parmi ces lieux emblématiques de la vie artistique, celui de Pauline Viardot (1821-1910), 50, rue de Douai, joua un rôle primordial. Fille du fameux ténor, chef d’orchestre, compositeur et professeur de chant sévillan Manuel Garcia (1775-1732), et sœur de Maria, la cantatrice surnommée La Malibran (1808-1836), Pauline Viardot était elle-même une artiste lyrique de premier plan. Mais à cela il fallait ajouter ses talents de pianiste, très estimés de Franz Liszt (1811-1886), et aussi ceux d’organiste, puisqu’elle possédait un très bel orgue d’Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) (dont les ateliers était sis au début de sa carrière juste derrière le chevet de l’église Notre-Dame-de-Lorette), qui se trouve aujourd’hui installé dans l’église Notre-Dame de Melun.
Pauline Viardot © Paris musées
Chez les Viardot, il bénéficiait d’un environnement musical exceptionnel, et se fiança avec Marianne, fille de Pauline, qu’il aima passionnément. Hélas, cet amour n’était peut-être pas réciproque, du moins pas à cette intensité, et, la mort dans l’âme, Gabriel dut renoncer à ce mariage tant espéré.
Avec son ami Saint-Saëns et plusieurs autres artistes, il fonda en février 1871 la Société Nationale de Musique qui fut si bénéfique pour la diffusion de la musique de chambre, de piano, mais aussi pour celle de la musique vocale, françaises bien sûr (après la guerre de 70). C’est ainsi qu’il fit connaître dans ces différents cercles ses mélodies, qu’il composa jusqu’à ses dernières années avec une inspiration constante, prenant en France dans ce domaine la place qu’occupèrent en Allemagne un Schubert (1797-1828) et un Schumann (1810-1856).
L’art des mélodies, du piano et de la musique de chambre
Les mélodies de Gabriel Fauré, composées de 1861 à 1921, forment un continuum jusqu’alors assez inédit dans l’histoire de la musique française. Ce genre avait été amorcé par Hector Berlioz (1803-1869), dont le cycle Les Nuits d’été, d’après Théophile Gautier (1811-1870), était publié dès 1841 dans sa version originale avec piano. Mais Fauré prisait peu le langage harmonique de Berlioz, et, s’il faut le situer, c’est davantage dans le sillage de son maître et ami Saint-Saëns, ou de Gounod, auquel il emprunta à ses débuts la forme strophique, ou encore d’Edouard Lalo (1823-1892), d’Emmanuel Chabrier (1841-1894), ou dans le voisinage inspirant d’Henri Duparc (1848-1933). Cet art sera en renouvellement permanent, nous y reviendrons.
De même, on vit assez rapidement éclore ses premiers chefs-d’œuvre de musique de chambre, Sonate pour violon et piano, Quatuor avec piano. Pour ce dernier instrument, il composa en 1879 la Ballade qu’il présenta à Franz Liszt, lequel lui conseilla d’ajouter une discrète parure orchestrale, ce qu’il fit en 1881. Une pléiade de merveilleux morceaux pour le piano allait d’ailleurs se mettre en route, portant les noms génériques de Barcarolles, Nocturnes (tous deux au nombre de treize) ou Impromptus, chers à Frédéric Chopin (1810-1849). Son style se montra d’une constante mais discrète évolution, depuis ses premiers essais, proches de Felix Mendelssohn (1809-1847), jusqu’à l’apothéose au XXème siècle, caractérisée par un double raffinement mélodique et harmonique, en dépit des problèmes auditifs qui troublèrent les vingt dernières années de sa vie créatrice. Assez rapidement, son catalogue s’étoffait déjà de pages immortelles, comme l’Elégie pour violoncelle et piano, ou la Pavane, composée en 1887 pour sa chère amie la comtesse Greffulhe (1860-1952) ; une année assez pauvre en nouvelles compositions par ailleurs, ce dont il se désolait.
A l’église de la Madeleine
Fauré accéda aux fonctions de maître de chapelle de l’église de la Madeleine. Il écrivit à l’intention de la maîtrise plusieurs motets ; mais surtout, il composa son célèbre Requiem, achevé l’année suivante, en1888. Cette Messe reprenait le plan de l’œuvre homonyme de Théodore Dubois, dans une ambiance douce que l’auteur définira lui-même comme celle d’une « berceuse de la mort ». La genèse de cette admirable partition s’enracinait d’abord dans la naissance d’un Libera me dramatique, bien des années plus tôt, composé et donné chez les Viardot.
Puis il prit la succession du même Théodore Dubois à la tribune du grand orgue de la Madeleine. Par ailleurs, au départ de Charles-Marie Widor, la question de reprendre la classe d’orgue du Conservatoire, vénérable institution de notre arrondissement, se posa. Il refusa catégoriquement cette idée et laissa la place à Alexandre Guilmant, organiste de l’église de la Trinité ; il préféra rester inspecteur de l’enseignement musical, ce qui l’amenait à voyager dans toute la France, l’éloignant de son épouse et de ses deux enfants ; car il s’était marié quelques années plus tôt (en 1883) avec Marie Frémiet, fille du sculpteur Emmanuel Frémiet (1824-1910). C’était évidemment un mode de vie assez éprouvant.
Il obtint finalement un peu plus tard la classe de composition du Conservatoire qui l’intéressait davantage et réunit autour de lui la fine fleur des créateurs de son époque : Maurice Ravel (1875-1937), Charles Koechlin (1867-1950), Nadia Boulanger (1887-1979) qui résidait 36, rue Ballu, pour ne citer que trois exemples célèbres.
Nadia Boulanger en 1910 © Gallica
Parallèlement, il fut aussi critique musical au Figaro, montrant un modèle d’équilibre dans son jugement, et, le plus souvent, de bienveillance. A cette époque, Le Figaro était installé au 26, rue Drouot (comme l’on sait, ce bâtiment n’existe plus aujourd’hui).
Une évolution remarquable
Cette période où le travail était écrasant fut cependant propice à l’écriture de nouveaux chefs-d’œuvre, qui montrèrent une évolution continue de son style, comme la musique de scène de Pelléas et Mélisande, pour des représentations londoniennes en 1898, le merveilleux Thème et variations pour piano quelques années plus tôt, ou encore les cinq Mélodies de Venise, dédiées à sa protectrice la princesse de Polignac, d’après Paul Verlaine (1844-1896). Cette dernière partition n’eut en réalité de Venise que le moteur de son inspiration, ce qui était déjà beaucoup ! Sa chère Wirannetta Singer (1865-1943) successivement future princesse de Scey-Montbéliard puis princesse de Polignac, lui avait fait découvrir la cité des Doges où il ébaucha ces pages. En sourdine, deuxième pièce du cycle, lui avait, paraît-il, donné beaucoup de mal ; et pourtant, quelle réussite que cette mélodie qui semble jaillir du texte même, soutenue par d’extatiques contrechants du piano, accompagnés par des arpèges sereins ! Les Mélodies de Venise qui évoquent l’univers d’un Watteau seront incorporées au Troisième livre de Mélodies, publié en 1908 par l’éditeur Heugel (aujourd’hui racheté par Leduc, 10, rue de la Grange Batelière-notons par ailleurs que les archives Heugel ont été vendues en 2011 à l’Hôtel Drouot).
Mais c’est avec La bonne Chanson, composée en 1894 sur une bonne partie du recueil homonyme du même Verlaine, que le principe de cycle, avec de véritables motifs conducteurs, prit son envol. Le poète comme le musicien chantaient l’amour rédempteur dans des pages incandescentes, ici en hommage vibrant à Emma Bardac (1862-1934), qui allait devenir dix ans plus tard l’épouse de Claude Debussy (1862-1918). « Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore » introduit avec un geste musical irrésistiblement ascendant la deuxième mélodie de La bonne Chanson, reflet d’un élargissement considérable de la pensée et du langage du compositeur, au risque de provoquer l’incompréhension de son ami Saint-Saëns qui confiera : « Fauré est devenu complètement fou ! » Par la suite, il allait ajouter au seul piano un quintette à cordes. A Londres, l’œuvre avait été reçue avec une émotion palpable sous cette forme instrumentale que le compositeur n’approuvait pas vraiment ; et pourtant plusieurs autres mélodies, comme Les Roses d’Ispahan bénéficièrent d’une véritable orchestration, pour une formation symphonique.
C’est Fauré qui tint les grandes orgues de l’église Saint-Etienne-du-Mont pour les funérailles de Paul Verlaine.
Directeur du Conservatoire
A la suite du « scandale Ravel », Fauré fut propulsé directeur du Conservatoire, dans le 9e arrondissement, aujourd’hui Conservatoire National d’Art Dramatique, lui qui n’était jamais passé par cette institution. Il engagea de nombreuses réformes et déménagea en 1911 cet établissement dans l’ancien collège des Jésuites 14, rue de Madrid, dans le 8e arrondissement.
Gabriel Fauré dans le jardin du Conservatoire, rue de Madrid (1918)
Cette école était alors tournée presque tout entière vers l’art lyrique. Il l’orienta davantage dans d’autres directions et imposa ses décisions avec une énergie qu’on n’aurait pas forcément imaginée. Son influence fut profonde, au-delà de son départ en 1919, comme son ouverture d’esprit au point qu’il n’hésita pas à nommer peu après son arrivée des membres assez éloignés de son univers musical pour présider aux décisions de la maison, tel Claude Debussy !
Pendant plusieurs années, il se retira l’été au bord des lacs pour écrire, entre autres, son opéra Pénélope, sur un livret de René Fauchois (1882-1862), qui fut un temps président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), dont le siège est toujours Hôtel de Blémont, 11, rue Ballu. Pénélope, hélas, ne connut pas le même succès que d’autres ouvrages, notamment italiens, qui font vibrer le public habituel de manière épidermique. C’est navrant, car il s’agit d’un prodigieux chef-d’œuvre.
Affiche de Pénélope © Gallica/BNF
Cela faisait bien longtemps maintenant que Fauré ne tenait plus l’orgue de La Madeleine, mais il gravit encore les marches de cette prestigieuse tribune pour réaliser un portrait aux claviers, destiné à la couverture de la revue Musica. Car cet homme discret, doutant souvent de lui, était devenu une référence, un repère important de la vie artistique. Il accepta, pour soutenir les jeunes, de présider une nouvelle institution, la Société Musicale Indépendante.
Ses dernières années virent comme un magnifique lever de soleil éclore des pages de musique de chambre : Sonates pour violoncelle et piano, Deuxième Quintette pour cordes et piano, des cycles de mélodies sur des poètes symbolistes (quelquefois dépouillées, réduites à l’essentiel), Quatuor à cordes, enfin.
Les éditions Durand entreprirent une publication exhaustive de l’œuvre de Bach. Fauré se chargea des partitions pour orgue du Cantor, réalisant un travail remarquable, très respectueux des sources, ne proposant aucune idée personnelle propre à trahir la pensée du compositeur. Cette démarche est à rapprocher de celle de Debussy, attaché de son côté à l’œuvre de piano de Chopin.
La dernière phrase de L’Horizon chimérique, composé en 1921 sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont (1886-mort sur le front en 1914), résume assez bien l’état d’esprit du compositeur au soir de sa vie : « j’ai de grands départs inassouvis en moi. » Œuvre bouleversante réunissant la poésie d’un jeune auteur et la musique d’un compositeur à la fin de sa vie.
Fauré est le génie du « clair-obscur » selon le juste mot de Jean-Michel Nectoux (1946). « Sans rien en lui qui pèse ou qui pose » dirait Verlaine. Il incarne une forme rare de modernisme extrêmement personnel dans des formes traditionnelles. Sa musique possède un charme, un « je ne sais quoi » qui la rend immédiatement reconnaissable, et qui avait été merveilleusement décelé de son vivant par Marcel Proust (1871-1922), lequel écrivit à Fauré son amour pour son œuvre dans une lettre prophétique !
Gabriel Fauré aux claviers de l’église de la Madeleine © Gallica/BNF
© Eric Lebrun
© 9ème Histoire - 2025
01/07/2025 &b000000TuesdayTuesday; 00:38