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La Rue d'Athènes

© A. Boutillon © 9e Histoire 2015

LONDRES ET ATHÈNES, DEUX RUES BIEN HABITÉES.

 


LA RUE D'ATHÈNES
 



Nous repartons à nouveau de la place de Budapest pour prendre la rue d’Athènes. Créée comme la précédente en 1826 sur les ruines de la folie Boutin, elle sera ouverte sous le nom de rue de Tivoli ; elle ne recevra le nom de la capitale de la Grèce qu’en 1881.

Le 27 correspond au 38 de la rue de Londres. On y trouvait, dès 1831, et encore en 1842, un homme de lettres, Pierre-Edouard Alletz (1798-1850). Il travaillait au ministère des Affaires Etrangères comme rédacteur, et c’est sans doute là, autour de 1825, qu’il fait la connaissance de Lamartine, à l’époque secrétaire d’ambassade en Italie, avec lequel il échangera une correspondance pendant plus de vingt ans. Alletz sera plus tard lui-même consul général à Gênes, puis à Barcelone.

Dans le même immeuble vivait, à la même époque, Marie-Joseph-François Mahérault (1795-1879). Haut fonctionnaire au ministère de la Guerre, il s’était très tôt passionné pour le théâtre et était devenu conseiller dramatique, notamment auprès de son ami Eugène Scribe, qui, nous dit Ernest Legouvé dans une biographie consacrée à Mahérault en 1879, « n'a pas écrit une comédie, un vaudeville, un opéra, un opéra-comique, un roman, sans le montrer, avant toute publicité, à Mahérault ».  

En face du 27, au coin de la rue d’Amsterdam, le 26 est l’une des premières maisons du lotissement. On y trouve à un moment donné un homme de lettres, André Marchais, un ancien carbonaro devenu secrétaire de la société Aide-toi, le Ciel t’aidera, groupe de pression créé en 1827, dont le siège était à l’emplacement de la cité de Trévise. Il fondera ensuite La Revue républicaine, dont il sera le principal rédacteur, mais où l’on pourra lire aussi des articles de Louis Blanc, Godefroy Cavaignac,  Etienne Arago…

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A droite, au coin de la rue d’Amsterdam, le 26, rue d’Athènes.

Le 23 est une reconstruction de 1890 ; il est l’œuvre de l’architecte Edmond Navarre. Le 20 était occupé, en 1835, par la légation du Portugal. Le 18 était, à la même époque, la demeure du marquis Louis-Félix-Etienne de Turgot, pair de France, ministre des Affaires étrangères en 1851, puis ambassadeur ; il était arrière-petit-fils du prévôt des marchands Michel-Etienne Turgot.

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                Le marquis de Turgot             Le pasteur Athanase Coquerel, par Carjat

Le 22 était habité en 1854 par le pasteur Athanase Coquerel, orateur brillant, dont les prêches étaient les plus suivis de Paris ; dix ans plus tard, néanmoins, il sera interdit de chaire à l’Oratoire en raison de ses prises de position trop libérales. En 1909 emménageront dans cet immeuble Xavier Cyprien Godebski, dit Cipa, fils du sculpteur, et sa femme Ida ; ils recevaient le dimanche dans leur salon tous les artistes et écrivains qui comptaient à l’époque. L’un de ceux qui fréquentaient le plus assidûment l’appartement de la rue d’Athènes était leur ami Maurice Ravel, qui leur dédiera sa Sonatine pour piano, et c’est à l’intention de leurs enfants Jean et Mimie qu’il composera Ma Mère l’Oye.

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                             « Réunion de musiciens chez M. Godebski », par Georges d’Espagnac. On reconnaît Cipa, assis, parlant au petit Jean,  Ricardo Viñes, au piano et Ravel, en face de lui, accoudé à l’instrument.

Les frères Emile (1800-1875) et Isaac (1806-1880) Pereire étaient installés avec leurs familles respectives au 16, où ils louaient deux appartements. Quand Emile obtiendra, en 1835, la concession de l’exploitation de la ligne de Paris à Saint-Germain, il établira ici le siège de la Société du Chemin de Fer de Paris à Saint-Germain. C’est encore ici que décédera, en 1837, la première femme d’Isaac, Laurence Fonseca ; il se remariera trois ans plus tard avec sa nièce Fanny, fille de son frère Emile.

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                      L’arrivée du train en 1837                                                            Les frères Pereire

Le 11 et le 13 datent du début des années 1830 ; le 11 était alors habité par le marquis d’Amelot, qui allait créer une importante exploitation sérigène dans sa propriété de Mivoye, près de Montargis. On y trouve, à la même époque, un Italien, Francesco Orioli, esprit brillantissime : avocat, médecin, philosophe, homme de lettres, journaliste..., il s’était aussi engagé en politique et avait soutenu l’insurrection italienne contre les Autrichiens, ce qui lui avait valu de devoir s’exiler. Son errance l’amènera pendant quelques années en France, où il enseignera l’archéologie à la Sorbonne.

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Francesco Orioli                                                      Nicolas Martin du Nord

Construit au début des années 1830, le 10 est habité, à partir de 1835, par un magistrat, Nicolas Martin du Nord, député, ministre des Travaux Publics, puis garde des Sceaux. En tant que procureur général près la cour de Paris, c’est lui qui prononcera le réquisitoire au procès de Fieschi, après l’attentat du 28 juillet 1835.

Au 8 s’éteint, en juin 1889, la comtesse Descantons de Montblanc, baronne d’Ingelmunster.  Son époux, le comte Charles-Albéric-Clément, avait laissé en Belgique, où cette famille française s’était momentanément établie, le souvenir d’un homme généreux, qui avait permis à la population de Flandre occidentale de faire revivre l’art de la tapisserie, ce qui lui valut de se voir conférer le titre de baron d’Ingelmunster. Le fils aîné du ménage, Charles, sera un anthropologue célèbre ; quant au cadet, Albéric-Marie-Ghislain, il fera une carrière politique en Belgique, où il deviendra sénateur.  C’est dans son château d’Ingelmunster que sera transférée la dépouille de la comtesse, après des obsèques célébrées à l’église de la Trinité.

La Société des Agriculteurs de France, créée en 1867, fait, en 1891, l’acquisition de l’ancien hôtel de la famille de Montblanc et s’y installe en 1892.  La salle où les membres se réunissent pour leurs congrès, aménagée comme un petit théâtre à l’italienne, servira de salle de concert de 1894 à 1925, où se produiront des musiciens réputés ; elle sera aussi utilisée par l’Ecole normale de musique pour les concerts d’élèves.

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La salle des congrès de la Société des Agriculteurs de France

A partir de 1928 la Salle des Agriculteurs de France sert de salle de vision pour des films de répertoire ; il y a dix représentations par semaine, animées par un orchestre électromagnétique. Dix ans plus tard elle devient cinéma de quartier sous le nom d’Agriculteurs-Broadway ; elle fermera en 1962 pour cause de démolition de l’immeuble ; celui-ci sera reconstruit à partir de 1964  et la S.A.F. y reprendra ses quartiers en 1967 (1).

La rue de Tivoli était moins chic que la rue de Londres et les constructions y étaient moins opulentes. Une exception, cependant : le 6. Avant d’être reconstruit par  Frédéric Bertrand en 1907, c’était le luxueux hôtel édifié par Etienne-Hippolyte Godde en 1833 pour Jonas Hagermann. La demeure était somptueuse, avec une remise à voitures contenant trois calèches, un char à banc, deux coupés et une grande diligence, ce qui dénote le train de vie fastueux de notre banquier. Hagermann y installera aussi le siège de sa Banque.

En 1849 on trouvait à cette adresse Jean-Félix du Barry de Merval, chevalier de l’ordre de Malte et actionnaire de la Banque de France. En 1856 l’hôtel était habité par le deuxième duc de Padoue, Ernest-Louis Arrighi de Casanova (1814-1888). D’origine corse, il a été préfet de Seine-et-Oise, puis conseiller d’Etat, sénateur et vice-président du Sénat ; il sera ministre de l’Intérieur pendant quelques mois  en 1859 et député de Corse de 1876 à 1881. En 1890, c’est la résidence de Jules Jaluzot, le fondateur des Grands Magasins du Printemps ; il y est toujours, en 1905, quand, compromis dans le krach du sucre, il devra vendre tous ses biens pour indemniser ses créanciers.

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L. Arrighi de Casanova                         Jules Jaluzot

Dans les années 1920 le nouvel immeuble était le siège de la Caisse d’Assurances mutuelles. Sa façade était ornée, à l’époque, de sculptures aujourd’hui disparues.

Le 5 a longtemps été l’adresse, dès 1840, et encore en 1856, de Prosper Duvergier de Hauranne (1798-1881). Ecrivain, ami de Stendhal, il a collaboré à divers journaux et revues, dans lesquels il a publié des articles politiques. En 1827 il avait fait partie, en même temps qu’André Marchais (voir ci-dessus), des directeurs de la société Aide-toi, le Ciel t’aidera. En 1831 il avait été élu député du Cher, mandat qui lui sera renouvelé sans interruption pendant vingt ans, jusqu’au 2 décembre 1851, où son opposition à Louis-Napoléon Bonaparte le fera arrêter et exiler pendant quelques mois. En 1847 sa fille Virginie a épousé Paul-Louis Target (1821-1908), et le jeune couple s’installera dans le même immeuble.  Conseiller général du Calvados en 1848, Target démissionnera pour ne pas prêter serment à l’Empire.

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Prosper Duvergier de Hauranne                             Paul-Louis Target

Le 3 bis est exceptionnellement signé et daté, de part et d’autre d’un mascaron placé sous le balcon du 2e étage ; on y voit le nom des architectes : Roze-Henri et Fils et la date de construction : 1857. Il a été inscrit au titre des monuments historiques en 1977, tout comme son presque voisin,  le 1 bis, à la jolie façade néo-Renaissance ; dans ce dernier immeuble aurait habité, si l’on en croit la fiche du ministère de la Culture,  l’actrice Rosine Bernard, mieux connue comme Sarah Bernhardt.

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                           5, rue d’Athènes © A.B                                    3 bis, rue d’Athènes  © A.B                                    1 bis, rue d’Athènes  © A.B   
                 

Au 2, dont l’entrée se fait par le 21, rue de Clichy, viendra s’installer, en 1874, Victor Hugo, avec Juliette Drouet, sa belle-fille Alice (son fils Charles est mort en 1871) et ses petits-enfants Georges et Jeanne. Ils y resteront jusqu’en 1878. Georges écrira, en 1802 : « Mon grand-père occupait, au second étage, un appartement dont presque toutes les fenêtres donnaient sur la triste rue de Tivoli, aujourd’hui rue d’Athènes ». L’écrivain y donnait des réceptions, auxquelles participaient de nombreuses personnalités littéraires et politiques. C’est là qu’il écrira L’Art d’être grand-père.

                                                     

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  1. Archives de la S.A.F., ainsi que « La Passion du Cinéma. Cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929 », Christophe Gauthier, Ecole des Chartes, 1999.



Aline BOUTILLON

© A. Boutillon © 9e Histoire 2015

PRINCIPALES SOURCES
Archives de Paris : Calepin du Cadastre D1P4, Rue d’Amsterdam, 1852, 1862, 1876. Annuaire du Commerce Didot-Bottin 1852, 1887, 1909, 1931, 1942, 1946, 1950. Guide Paris Hachette 1897 à 1900. Annuaire officiel des Abonnés au Téléphone 1909 à 1912, 1968, 1970, 1975. Association Chatou notre ville
Promenades dans toutes les rues de Paris, Marquis de Rochegude, 1910. Dictionnaire administratif et historique des Rues de Paris et de ses Monuments, Félix et Louis Lazare, 1855


Date de création : 06/08/2015 • 15:12
Catégorie : - Articles-Rues & Promenades
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