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Apollonie Sabatier

© F. Robert 2006 © 9e Histoire 2006 - 2014

APOLLONIE SABATIER : « LA PRÉSIDENTE » (1822-1890)


« Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair »


Extrait de "A celle qui est trop gaie"

C’est un des poèmes que Charles Baudelaire a adressés anonymement à Apollonie Sabatier entre 1852 et 1854. Il fréquente son salon 4, rue Frochot où elle reçoit le dimanche et il lui a sans doute été présenté par Théophile Gautier, grand ami d’Apollonie.

De nombreuses célébrités se retrouvent là : Delacroix, Maxime du Camp, Flaubert et Henri Monnier président d’honneur de l’assemblée, mais souvent absent, si bien que Théophile Gautier avait désigné Apollonie pour présider, d’où la « Présidente »

Elle est née Aglaé Savatier à Mézières (Ardennes), fille d’une lingère et de Louis Harmand, vicomte d’Abancourt, préfet des Ardennes de 1819 à 1823. Celui-ci s ‘empresse de marier la mère - et fait reconnaître la fille - à André Savatier, militaire !

En 1832 la famille s’installe à Paris, Aglaé est jolie, chante bien, la directrice d’un pensionnat voisin lui fait donner des cours, elle pose pour des artistes et mène une vie très libre. En 1846 elle accepta la protection d’un riche industriel et mécène, Alfred Mosselman, grand bourgeois et marié, qui se consacre à l’entreprise familiale « La société des Mines et Fonderies de Zinc de la Vieille Montagne ». Par sa sœur Fanny, épouse de Charles Le Hon, ambassadeur de Belgique et ami de Morny (demi-frère de Napoléon III), il côtoie la haute société.

Il installe Aglaé au 4, rue Frochot dans un appartement du second étage, dans un quartier à la mode et connu pour abriter bien des femmes entretenues, le quartier Bréda derrière Notre-Dame de Lorette. L’appartement est confortable et raffiné, Mosselman a bon goût, les fenêtres donnent en partie sur l’avenue, le voisin d’en face est Isabey.

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C’est à ce moment qu’elle se fait appeler Apollonie Sabatier en modifiant légèrement son nom, et commence à tenir salon en rassemblant autour d’elle tout ce que Paris compte d’artistes à la mode. C’est une belle femme, heureuse, enjouée, les Goncourt disent « une vivandière de faunes », mais Meissonier est très élogieux : « Elle savait mieux que personne grouper autour d’elle des hommes célèbres et organiser un salon de telle sorte qu’on avait toujours plaisir à s’y trouver. Raffinée, subtile, chaleureuse, toujours intelligente, toujours souriante, pondérée, excellant dans tout ce qu’elle entreprenait, elle aimait la gaieté, la lumière, le soleil dont elle paraissait elle-même pétrie.

Pour l’homme qui lui arrivait fatigué, préoccupé, c’était un délassement exquis que de pouvoir la retrouver toujours pareille à elle-même, l’humeur égale, refuge constant contre les peines de l’existence, auxquelles elle savait gracieusement fermer la porte »

Depuis 1847 Clésinger en la sculptant (buste et moulage de son corps) l’a fait connaître dans le milieu artistique ; « La femme piquée par un serpent » a fait scandale : « …depuis les pieds jusqu’au front, la belle victime de l’amour cède au charme suprême ! »

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Clésinger: La femme piquée par un serpent

Dans son salon, les propos sont souvent très libres ; ceux de Théophile Gautier étant toujours à la limite de la pornographie ! Beaucoup d’œuvres d’art voient le jour pendant ces soirées : G. Ricard croque la Présidente parmi ses hôtes, Gautier en fait un pastel, Meissonier peint un polichinelle sur un panneau de porte…

Quelles ont été les relations d’Apollonie et de Charles Baudelaire ? Elle a sans doute été déroutée et charmée par la dizaine de poèmes qu’il lui a consacrés et par l’admiration qu’il lui portait : «… vous êtes pour moi non seulement la plus attrayante des femmes, de toutes les femmes, mais encore la plus chère et la plus précieuse des superstitions ».
Mais
Baudelaire n’avait pas vocation au bonheur, peut-être a-t'il été effrayé par la perspective d’une relation physique et durable. Il lui écrit «… il y a quelques jours tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant ! »

Ils ne se perdent pas de vue ; en 1857 au moment du procès fait à Baudelaire pour immoralité à la sortie des « Fleurs du Mal », il demande à Apollonie d’intervenir auprès de Morny ; sans succès, Morny n’ayant plus de relation avec la Comtesse Le Hon.
 

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En 1860, Mosselman la quitte pour une plus jeune ! Elle n’a plus de ressources et en décembre 1861 elle vend la plupart des objets d’art et des œuvres rassemblés au 4, rue Frochot. Maxime du Camp écrit à Flaubert « aujourd’hui je vais passer ma journée à la salle des ventes. C’est la vente de la Présidente, tous les bibelots de son pauvre local vont s’en aller aux quatre vents ».

Elle fait preuve d’un grand courage, peint quelques miniatures pour survivre, quitte le 9e et s’installe 10, rue de la Faisanderie, retrouve un protecteur en la personne de Richard Wallace, fils de Lord Hertford.

Sa fin de vie est sereine, elle reçoit toujours mais n’est plus au centre de la vie mondaine ; d’autres salons sont plus en vue, celui de la Comtesse Greffulhe par exemple. Elle déménage plusieurs fois dans le 16e, dont avenue d’Eylau (aujourd’hui avenue Victor Hugo) et meurt à Neuilly à 68 ans où elle repose au Vieux Cimetière.

Bien plus qu’une courtisane ou demi-mondaine, elle reste pour l’histoire une des muses de Baudelaire. Belle destinée !

 

Françoise ROBERT



© F. Robert 2006 © 9e Histoire 2006 - 2014


Date de création : 26/02/2014 • 22:26
Catégorie : - Personnages
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