Madame de Stael
(RE) LIRE GERMAINE DE STAËL
Le 14 juillet 2017, nous célébrerons le bicentenaire de la mort d' Anne Louise Germaine de Staël-Holstein, née Necker cinquante et un ans auparavant, connue sous son troisième prénom qu’elle préférât aux deux premiers. Elle était la fille du fameux ministre de Louis XVI, le banquier et homme d’affaires genevois Jacques Necker, possesseur de la plus grosse fortune d’Europe à la fin du XVIIIe, père qu’elle adora et qu’elle perdît en avril 1804.
Germaine Necker
Mme de Staël est plus célèbre pour son tempérament et sa réflexion (peu féministe) sur « la gloire » qui « ne saurait être pour une femme que le deuil éclatant du bonheur » que pour ses écrits politiques, pourtant fort intéressants et réédités à cette occasion.
Cette pionnière du libéralisme, opposée à tous les extrêmes, « centriste » en quelque sorte avant l’heure, s’intéressa toute sa vie à la politique. Elle fît de son salon de la rue du Bac (le n°94 actuel) le rendez-vous des Feuillants et devint l’ennemie de Bonaparte, qui l’exila en octobre 1803, après avoir vainement tenté de la faire revenir sur son opposition.
Ce fût une grande « européenne », qui dialoguait d’égal à égal avec Goethe, Schiller, Byron, le prince de Ligne, le prince royal de Suède Bernadotte, Wellington, le tsar Alexandre… Si son salon parisien fût en son temps le plus célèbre de la capitale, lors de sa résidence assignée pendant dix ans au château de son père à Coppet (Suisse), elle réunira, d’après Stendhal, « les états généraux de l’opinion européenne », en s’intéressant aux caractères originaux de chaque peuple avec empathie alors que la plupart de ses contemporains n’y voyaient que matière à critiques.
Le château de Coppet, au bord du Lac Léman, résidence de Jacques Necker, qui l'acheta en 1784, et de sa fille Germaine de Staël.
« Salonnière », elle le devint tôt, vers dix ans, chez sa mère, Suzanne Necker (née Curchod), dans leur hôtel de la Chaussée d’Antin à Paris, où l’on parlait autant de politique et de révolution que de coups de bourse et de littérature, et où la toute jeune fille dialoguait avec, entre autres, Diderot, d’Alembert et Buffon, émerveillés par son intelligence… « Une sorte de Mozart de la littérature et de la politique » pour l’historien Laurent Theis.
Commandé en 1775 à Mathurin Charpitel (1), cet hôtel était situé au n°7 de la rue de la Chaussée d’Antin (alors nommée rue du Mont-Blanc) (2), dans ce quartier à la mode et en plein développement sous le Directoire et le Consulat. Germaine y vécut de l’âge de 10 à 20 ans, jusqu’à son mariage (3), enfin conclu le 14 janvier 1786, avec le baron Erik Magnus de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède auprès de Louis XVI, de dix-sept ans son aîné, fort endetté mais candidat agréé par la reine Marie-Antoinette, qui n’aurait pas souhaité voir le comte de Fersen s’intéresser davantage à cette riche héritière.
RECOMMANDATION ROYALE - En 1785, Erik Magnus de Staël-Holstein, chargé d’affaires à la Cour de France depuis 1783, est nommé ambassadeur en France du roi de Suède « à perpétuité ». C’était la condition pour épouser Germaine Necker. Il reçoit le titre de baron suédois en 1788. Mariée le 14 janvier 1786 à la chapelle protestante de l’ambassade de Suède rue du Bac, la nouvelle ambassadrice, déjà célèbre pour son esprit et son intelligence, est présentée à la cour en février 1786.
Extrait d’une lettre de Marie-Antoinette, reine de France, au roi de Suède Gustave III, le 11 mai 1783
« Monsieur mon frère et cousin, M. le comte de Creutz, en quittant la France, emporte les regrets de toutes les personnes qui ont eu l’occasion de le connaître. Je profite de son départ pour témoigner à votre majesté ma reconnaissance à l’égard qu’elle a eu à ma recommandation en faveur de M. de Staël. J’espère que sa conduite justifiera ce choix à la satisfaction des deux cours. Votre majesté ne doit pas ignorer que, dans la guerre qui est heureusement terminée, les officiers suédois se sont particulièrement distingués.
J’ai applaudi de tout mon cœur à l’éloge public que le roi a fait de leur conduite, et j’ai saisi cette occasion de manifester le sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine ».
Erik Magnus Staël von Holstein
Necker ayant réussi à être rayé de la liste des émigrés, l’hôtel put être cédé (en monnaie espagnole pour éviter les assignats) en 1798 à son banquier Jacques-Rose Récamier, mari (et, disait-on, peut-être père biologique) de la célèbre Juliette, qui chargea l’architecte Louis-Martin Berthaud, élève de Charles Percier, de l’enjoliver et le rendre plus luxueux (4).
Il dût s’en défaire en 1806 suite à des difficultés financières et le céder à un autre banquier. L’hôtel Récamier, où Juliette donnait des bals somptueux et recevait dans sa chambre, fût pendant sept ans une curiosité que tous les provinciaux et étrangers de marque se devaient de visiter. Affinités obligent, Juliette devint la grande amie de Germaine et elle fût punie pour cela, elle aussi, d’exil par Napoléon 1er.
Juliette Récamier, détail, François Gérard, 1805. Madame de Staël, par François Gérard, circa 1817.
La Révolution a aiguisé l’esprit critique de la jeune lettrée, fille des Lumières, aux côtés de Mirabeau, Barras, Sieyès et Talleyrand dans un premier temps. Germaine Necker-de Staël, qui aurait souhaité une Constitution sociale et politique à l’anglaise (une sorte de régime dont elle eut l’occasion d’apprécier les effets bénéfiques durant plusieurs séjours outre-Manche), était intransigeante sur la liberté et « rousseauiste » (elle consacra son premier ouvrage célèbre au philosophe).
Elle faisait partie des républicains modérés : « Le principe de la révolution de France étant la philosophie, c’est par les lumières et non par la force que son état politique peut s’améliorer ». Petite fille d’un pasteur du pays de Vaud côté maternel, la tolérance convenait à son éducation calviniste : « La grande erreur des hommes passionnés en politique, c’est d’attribuer tous les genres de vices et de bassesses à leurs adversaires. Il faut savoir apprécier à quelques égards même ceux qu’on hait ».
Plaque à l'hôtel de Galliffet, rue du Bac n° 471, actuellement 50 rue de Varenne.
Des haines, cette passionnée en eût.., la plus célèbre étant celle qu’elle vouât à Napoléon Bonaparte. Elle le vit d’abord comme une sorte de Washington français capable de rétablir la république, avant de le considérer comme un monstre et devenir sa pire critique. « J’ai quatre ennemies : la Prusse, la Russie, l’Angleterre et Mme de Staël », aimait à dire le Premier Consul, qui finit par choisir de l’éloigner de Paris pour diminuer son influence.
Dans « Dix ans d’exil », elle dresse ce portrait peu flatteur : « Il n’était ni bon ni violent, ni cruel ni doux (…) mais c’était un être qui, n’ayant point de pareil, ne pouvait ressentir ni faire éprouver de sympathie à personne(…). Sa force consiste dans un imperturbable égoïsme que ni la pitié, ni l’attrait, ni la religion, ni la morale ne peuvent détourner un instant de sa direction (…). De tout temps, sa taille a été ignoble, sa gaieté vulgaire, sa politesse gauche quand il en avait, sa façon d’être grossière et rude, surtout avec les femmes ».
Germaine de Staël prônait la morale et avait une conception exigeante de l’éthique du pouvoir : « Dès qu’on se met à négocier avec les circonstances, tout est perdu (…) les uns ont une femme, des enfants ou des neveux, pour lesquels il faut de la fortune ; d’autres, un besoin d’activité, d’occupation, que sais-je, une quantité de vertus qui toutes conduisent à la nécessité d’avoir une place à laquelle sont attachés de l’argent et du pouvoir (…). Quand une fois on s’est dit qu’il fallait sacrifier la morale à l’intérêt national, on est bien près de resserrer de jour en jour le sens du mot nation et d’en faire d’abord ses partisans, puis ses amis, puis sa famille, qui n’est qu’un terme décent pour se désigner soi-même ». (De l’Allemagne, 3e partie, chapitre 13). On ne peut s’empêcher de penser à certains…
Madame de Staël, détail, par Vladimir Borovikovski, 1812 (Galerie Tretiakov, Moscou)
Elle croyait à la vertu et aussi au progrès. Elle eût une sorte de conception morale du progrès, qu’elle professât durant tout sa vie : le perfectionnement de soi, des sociétés comme des individus, qu’il appartient de cultiver en soi et atour de soi. « À quoi servirait-il de vivre si ce n’était dans l’espoir de s’améliorer ? » (Correspondance, 1813).
Mais cette femme exceptionnellement libre pour son époque, grande amoureuse (Benjamin Constant fût son amant le plus célèbre), ne peut pas être considérée comme résolument féministe. Elle dresse ainsi son auto-portrait en 1814 : « Il arrive que les femmes d’un esprit supérieur sont en même temps des personnes d’un caractère très passionné ; toutefois la culture des lettres diminue les dangers de ce caractère, au lieu de les augmenter ; les jouissances de l’esprit sont faites pour calmer les orages du cœur ».
Seule sa quête de liberté ne souffre aucune faiblesse : « Les progrès de la littérature, c'est-à-dire le perfectionnement de l’art de penser et de s’exprimer, sont nécessaires à l’établissement et à la conservation de la liberté »
Anick Puyôou
(Remerciements à Didier Chagnas pour sa contribution)
Madame de Staël avec sa fille Albertine par Marguerite Gérard 1805
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Notes
(1) Elève de J.-F Blondel, Grand prix d’architecture en 1758, académicien en 1776, puis professeur à l’Académie, Mathurin Cherpitel appartient à cette génération d’artistes qui furent marqués par l’étude des ruines romaines. Son style était proche de celui de Victor Louis. Il a élevé à Paris de nombreux hôtels particuliers entre 1766 et 1790, dont celui-ci à la Chaussée d’Antin, celui de Rochechouart au 110 rue de Grenelle (siège du Ministère de l’Education nationale) et celui du Châtelet (siège du Ministère du Travail).
(2) La rue de la Chaussée d’Antin s’est successivement appelée chemin de la Ferme de l’Hôtel-Dieu, chemin de la Grand’Pinte, ou des Porcherons, ou chaussée Gaillon. Mirabeau étant mort au n°45 en 1791, on l’appela rue Mirabeau puis elle fût nommée rue du Mont-Blanc en 1793, en l’honneur du nouveau département réuni à la France en 1792. Son nom actuel lui a été rendu en 1876 sous la Restauration.
(3) Mme de Staël perdit son mari en avril 1802, dans une auberge de Poligny. Ils étaient en route pour les thermes d’Aix-les-Bains (Savoie).
(4) Le mobilier de la chambre de Juliette Récamier, de style Empire, réalisé en acajou et bronze doré par les frères Jacob, d’après des dessins de Berthault et Percier, est conservé depuis 2004 au Musée du Louvre.
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Les principaux ouvrages de Mme de Staël sont regroupés dans le volume que les Éditions Gallimard sortent dans La Bibliothèque de La Pléiade à l’occasion du bicentenaire de sa mort :
« Considérations sur les principaux événements de la Révolution française » (1816)
« Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République de France » (1798)
« De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations » (1796)
« De l’Allemagne » (Londres, 1813)
« De la littérature »
« Dix années d’exil »
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(RE) LIRE GERMAINE DE STAËL
Le 14 juillet 2017, nous célébrerons le bicentenaire de la mort d' Anne Louise Germaine de Staël-Holstein, née Necker cinquante et un ans auparavant, connue sous son troisième prénom qu’elle préférât aux deux premiers. Elle était la fille du fameux ministre de Louis XVI, le banquier et homme d’affaires genevois Jacques Necker, possesseur de la plus grosse fortune d’Europe à la fin du XVIIIe, père qu’elle adora et qu’elle perdît en avril 1804.
Germaine Necker
Mme de Staël est plus célèbre pour son tempérament et sa réflexion (peu féministe) sur « la gloire » qui « ne saurait être pour une femme que le deuil éclatant du bonheur » que pour ses écrits politiques, pourtant fort intéressants et réédités à cette occasion.
Cette pionnière du libéralisme, opposée à tous les extrêmes, « centriste » en quelque sorte avant l’heure, s’intéressa toute sa vie à la politique. Elle fît de son salon de la rue du Bac (le n°94 actuel) le rendez-vous des Feuillants et devint l’ennemie de Bonaparte, qui l’exila en octobre 1803, après avoir vainement tenté de la faire revenir sur son opposition.
Ce fût une grande « européenne », qui dialoguait d’égal à égal avec Goethe, Schiller, Byron, le prince de Ligne, le prince royal de Suède Bernadotte, Wellington, le tsar Alexandre… Si son salon parisien fût en son temps le plus célèbre de la capitale, lors de sa résidence assignée pendant dix ans au château de son père à Coppet (Suisse), elle réunira, d’après Stendhal, « les états généraux de l’opinion européenne », en s’intéressant aux caractères originaux de chaque peuple avec empathie alors que la plupart de ses contemporains n’y voyaient que matière à critiques.
Le château de Coppet, au bord du Lac Léman, résidence de Jacques Necker, qui l'acheta en 1784, et de sa fille Germaine de Staël.
« Salonnière », elle le devint tôt, vers dix ans, chez sa mère, Suzanne Necker (née Curchod), dans leur hôtel de la Chaussée d’Antin à Paris, où l’on parlait autant de politique et de révolution que de coups de bourse et de littérature, et où la toute jeune fille dialoguait avec, entre autres, Diderot, d’Alembert et Buffon, émerveillés par son intelligence… « Une sorte de Mozart de la littérature et de la politique » pour l’historien Laurent Theis.
Commandé en 1775 à Mathurin Charpitel (1), cet hôtel était situé au n°7 de la rue de la Chaussée d’Antin (alors nommée rue du Mont-Blanc) (2), dans ce quartier à la mode et en plein développement sous le Directoire et le Consulat. Germaine y vécut de l’âge de 10 à 20 ans, jusqu’à son mariage (3), enfin conclu le 14 janvier 1786, avec le baron Erik Magnus de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède auprès de Louis XVI, de dix-sept ans son aîné, fort endetté mais candidat agréé par la reine Marie-Antoinette, qui n’aurait pas souhaité voir le comte de Fersen s’intéresser davantage à cette riche héritière.
RECOMMANDATION ROYALE - En 1785, Erik Magnus de Staël-Holstein, chargé d’affaires à la Cour de France depuis 1783, est nommé ambassadeur en France du roi de Suède « à perpétuité ». C’était la condition pour épouser Germaine Necker. Il reçoit le titre de baron suédois en 1788. Mariée le 14 janvier 1786 à la chapelle protestante de l’ambassade de Suède rue du Bac, la nouvelle ambassadrice, déjà célèbre pour son esprit et son intelligence, est présentée à la cour en février 1786.
Extrait d’une lettre de Marie-Antoinette, reine de France, au roi de Suède Gustave III, le 11 mai 1783
« Monsieur mon frère et cousin, M. le comte de Creutz, en quittant la France, emporte les regrets de toutes les personnes qui ont eu l’occasion de le connaître. Je profite de son départ pour témoigner à votre majesté ma reconnaissance à l’égard qu’elle a eu à ma recommandation en faveur de M. de Staël. J’espère que sa conduite justifiera ce choix à la satisfaction des deux cours. Votre majesté ne doit pas ignorer que, dans la guerre qui est heureusement terminée, les officiers suédois se sont particulièrement distingués.
J’ai applaudi de tout mon cœur à l’éloge public que le roi a fait de leur conduite, et j’ai saisi cette occasion de manifester le sincère attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère et cousin, votre bonne sœur et cousine ».
Erik Magnus Staël von Holstein
Necker ayant réussi à être rayé de la liste des émigrés, l’hôtel put être cédé (en monnaie espagnole pour éviter les assignats) en 1798 à son banquier Jacques-Rose Récamier, mari (et, disait-on, peut-être père biologique) de la célèbre Juliette, qui chargea l’architecte Louis-Martin Berthaud, élève de Charles Percier, de l’enjoliver et le rendre plus luxueux (4).
Il dût s’en défaire en 1806 suite à des difficultés financières et le céder à un autre banquier. L’hôtel Récamier, où Juliette donnait des bals somptueux et recevait dans sa chambre, fût pendant sept ans une curiosité que tous les provinciaux et étrangers de marque se devaient de visiter. Affinités obligent, Juliette devint la grande amie de Germaine et elle fût punie pour cela, elle aussi, d’exil par Napoléon 1er.
Juliette Récamier, détail, François Gérard, 1805. Madame de Staël, par François Gérard, circa 1817.
La Révolution a aiguisé l’esprit critique de la jeune lettrée, fille des Lumières, aux côtés de Mirabeau, Barras, Sieyès et Talleyrand dans un premier temps. Germaine Necker-de Staël, qui aurait souhaité une Constitution sociale et politique à l’anglaise (une sorte de régime dont elle eut l’occasion d’apprécier les effets bénéfiques durant plusieurs séjours outre-Manche), était intransigeante sur la liberté et « rousseauiste » (elle consacra son premier ouvrage célèbre au philosophe).
Elle faisait partie des républicains modérés : « Le principe de la révolution de France étant la philosophie, c’est par les lumières et non par la force que son état politique peut s’améliorer ». Petite fille d’un pasteur du pays de Vaud côté maternel, la tolérance convenait à son éducation calviniste : « La grande erreur des hommes passionnés en politique, c’est d’attribuer tous les genres de vices et de bassesses à leurs adversaires. Il faut savoir apprécier à quelques égards même ceux qu’on hait ».
Plaque à l'hôtel de Galliffet, rue du Bac n° 471, actuellement 50 rue de Varenne.
Des haines, cette passionnée en eût.., la plus célèbre étant celle qu’elle vouât à Napoléon Bonaparte. Elle le vit d’abord comme une sorte de Washington français capable de rétablir la république, avant de le considérer comme un monstre et devenir sa pire critique. « J’ai quatre ennemies : la Prusse, la Russie, l’Angleterre et Mme de Staël », aimait à dire le Premier Consul, qui finit par choisir de l’éloigner de Paris pour diminuer son influence.
Dans « Dix ans d’exil », elle dresse ce portrait peu flatteur : « Il n’était ni bon ni violent, ni cruel ni doux (…) mais c’était un être qui, n’ayant point de pareil, ne pouvait ressentir ni faire éprouver de sympathie à personne(…). Sa force consiste dans un imperturbable égoïsme que ni la pitié, ni l’attrait, ni la religion, ni la morale ne peuvent détourner un instant de sa direction (…). De tout temps, sa taille a été ignoble, sa gaieté vulgaire, sa politesse gauche quand il en avait, sa façon d’être grossière et rude, surtout avec les femmes ».
Germaine de Staël prônait la morale et avait une conception exigeante de l’éthique du pouvoir : « Dès qu’on se met à négocier avec les circonstances, tout est perdu (…) les uns ont une femme, des enfants ou des neveux, pour lesquels il faut de la fortune ; d’autres, un besoin d’activité, d’occupation, que sais-je, une quantité de vertus qui toutes conduisent à la nécessité d’avoir une place à laquelle sont attachés de l’argent et du pouvoir (…). Quand une fois on s’est dit qu’il fallait sacrifier la morale à l’intérêt national, on est bien près de resserrer de jour en jour le sens du mot nation et d’en faire d’abord ses partisans, puis ses amis, puis sa famille, qui n’est qu’un terme décent pour se désigner soi-même ». (De l’Allemagne, 3e partie, chapitre 13). On ne peut s’empêcher de penser à certains…
Madame de Staël, détail, par Vladimir Borovikovski, 1812 (Galerie Tretiakov, Moscou)
Elle croyait à la vertu et aussi au progrès. Elle eût une sorte de conception morale du progrès, qu’elle professât durant tout sa vie : le perfectionnement de soi, des sociétés comme des individus, qu’il appartient de cultiver en soi et atour de soi. « À quoi servirait-il de vivre si ce n’était dans l’espoir de s’améliorer ? » (Correspondance, 1813).
Mais cette femme exceptionnellement libre pour son époque, grande amoureuse (Benjamin Constant fût son amant le plus célèbre), ne peut pas être considérée comme résolument féministe. Elle dresse ainsi son auto-portrait en 1814 : « Il arrive que les femmes d’un esprit supérieur sont en même temps des personnes d’un caractère très passionné ; toutefois la culture des lettres diminue les dangers de ce caractère, au lieu de les augmenter ; les jouissances de l’esprit sont faites pour calmer les orages du cœur ».
Seule sa quête de liberté ne souffre aucune faiblesse : « Les progrès de la littérature, c'est-à-dire le perfectionnement de l’art de penser et de s’exprimer, sont nécessaires à l’établissement et à la conservation de la liberté »
Anick Puyôou
(Remerciements à Didier Chagnas pour sa contribution)
Madame de Staël avec sa fille Albertine par Marguerite Gérard 1805
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Notes
(1) Elève de J.-F Blondel, Grand prix d’architecture en 1758, académicien en 1776, puis professeur à l’Académie, Mathurin Cherpitel appartient à cette génération d’artistes qui furent marqués par l’étude des ruines romaines. Son style était proche de celui de Victor Louis. Il a élevé à Paris de nombreux hôtels particuliers entre 1766 et 1790, dont celui-ci à la Chaussée d’Antin, celui de Rochechouart au 110 rue de Grenelle (siège du Ministère de l’Education nationale) et celui du Châtelet (siège du Ministère du Travail).
(2) La rue de la Chaussée d’Antin s’est successivement appelée chemin de la Ferme de l’Hôtel-Dieu, chemin de la Grand’Pinte, ou des Porcherons, ou chaussée Gaillon. Mirabeau étant mort au n°45 en 1791, on l’appela rue Mirabeau puis elle fût nommée rue du Mont-Blanc en 1793, en l’honneur du nouveau département réuni à la France en 1792. Son nom actuel lui a été rendu en 1876 sous la Restauration.
(3) Mme de Staël perdit son mari en avril 1802, dans une auberge de Poligny. Ils étaient en route pour les thermes d’Aix-les-Bains (Savoie).
(4) Le mobilier de la chambre de Juliette Récamier, de style Empire, réalisé en acajou et bronze doré par les frères Jacob, d’après des dessins de Berthault et Percier, est conservé depuis 2004 au Musée du Louvre.
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Les principaux ouvrages de Mme de Staël sont regroupés dans le volume que les Éditions Gallimard sortent dans La Bibliothèque de La Pléiade à l’occasion du bicentenaire de sa mort :
« Considérations sur les principaux événements de la Révolution française » (1816)
« Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République de France » (1798)
« De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations » (1796)
« De l’Allemagne » (Londres, 1813)
« De la littérature »
« Dix années d’exil »
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