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George P. Healy

© B. Pradié-Ottinger 2004 © 9e Histoire 2004 - 2014

 

LE PEINTRE AMERICAIN GEORGE P. HEALY

(Boston, 1813 - Chicago, 1894)
 

Avant que l’art américain, sur le terreau des avant-gardes importées d’Europe, n’affirme avec fracas son autonomie, un temps d’échanges féconds et réciproques vit le jour entre les deux continents au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Dans une Amérique en plein essor, l’art occupe alors une place grandissante. Des collections et des musées se constituent, des artistes oeuvrent en plus grand nombre. Terre de tradition, l’Europe joue dans cette effervescence culturelle le rôle de mère nourricière. Florence, Rome, Düsseldorf et Paris offrent des trésors patrimoniaux et un enseignement de qualité aux peintres venus d’Outre-Atlantique. Le séjour formateur se transforme parfois en une installation plus durable, comme l’illustre l’exemple du portraitiste George P. A. Healy.

Après avoir vécu en France dans les années 1830 et 40, cet artiste s’installe de 1873 à 1892 dans le IXe arrondissement de Paris, sans pour autant renoncer à de nombreux voyages au gré des commandes qu’il reçoit, ni à l’Amérique qu’il retrouve finalement. Ce personnage constitue un jalon intéressant dans l’histoire des échanges culturels franco-américains. 
 

Une œuvre, deux continents.

L’œuvre d’Healy détient tous les ingrédients d’une success story. En raison de la longévité et de l’ambition de son auteur, elle compose une imposante galerie de grands hommes. Peu d’artistes peuvent en effet prétendre avoir eu pour modèles Franz Listz, James Audubon, Otto von Bismarck, Charles Ier de Roumanie, Pie IX, François Guizot, Adolphe Thiers, une belle succession de présidents américains, dont Abraham Lincoln demeure le plus connu, puisque son portrait, décliné en plusieurs versions (l’une d’entre elle est conservée à la Maison-Blanche), a même donné lieu à l’édition d’un timbre-poste en 1959.

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Un style quelque peu austère et mécanique, résultant en partie d’une trop grande productivité  explique sans doute le purgatoire dans lequel est tenue cette œuvre d’inégale qualité. Auprès de beaux portraits comme ceux de Fanny Peabody (Springfield, MA, Museum of Fine Arts) ou de Mrs. White Van Rensselear (New York, Metropolitan Museum of Art), la suite des chefs d’état, intellectuels et généraux, composée au fil des années et des rencontres, apparaît souvent convenue aux yeux de notre sensibilité contemporaine. Cette œuvre reflète en fait le climat d’une époque, le style de vie de son auteur, homme de conviction, solidement ancré dans la vie et doté d’un remarquable esprit d’entreprise.

Healy a peu retenu l’attention des biographes et historiens d’art. On le connaît surtout grâce aux publications familiales : les mémoires de l’artiste , celles de sa fille, la femme de lettres, Mary Bigot, enfin la biographie rédigée par sa petite-fille, Marie de Mare, qui a offert la documentation de son livre et les archives qu’elle possédait à plusieurs institutions. Quelques musées ont dans le passé organisé des expositions et publié leurs collections.Une galerie new-yorkaise s’est également intéressée à cet artiste. Toutefois une monographie actualisée reste à publier.


Healy est le fils d’un émigré irlandais, capitaine de la marine marchande et d’une mère américaine. Ses origines expliquent sans doute la place tenue dans sa vie par la religion et la famille. Son mariage en 1839 avec la jeune anglaise Louisa Phipps lui donnera neuf enfants. Catholique ardent, il assiste à la messe plusieurs fois par semaine et réalise le portrait de nombreux ecclésiastiques, du modeste curé de Veules (Springfield, Illinois State Museum) en Normandie où il réside au cours de l’été 1889 à une belle série d’archevêques (Baltimore, New York, San Francisco).

Autodidacte, Healy ouvre d’abord un atelier à Boston, sa ville natale. En 1834, il décide sur les conseils du portraitiste Thomas Sully de rejoindre l’Europe. Il ne cessera par la suite de déménager au gré des évènements et des commandes reçues, partageant sa carrière entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis.

A Paris, Healy fréquente l’atelier du baron Gros où il rencontre le peintre Thomas Couture. Très proche de ce dernier jusqu’à sa mort en 1879, il offrira au musée de Chicago un important tableau de sa jeunesse, Le Fils prodigue, détruit dans l’incendie de la ville.

Après avoir séjourné en 1836 en Angleterre où il peint différents personnages importants, dont son confrère et compatriote James Audubon (Cambridge, MA, Harvard University Portrait Collection), Healy revient en France où il approche les cercles du pouvoir par l’intermédiaire du Général Cass, l’ambassadeur des Etats-Unis en France. La médaille qu’obtient au salon de 1840 le Portrait de la générale Cass lui procure de nouveaux modèles. A la demande d’un groupe de citoyens américains résidant à Paris, il peint en 1841 le ministre Guizot (Santa Barbara Museum of Art et Smithsonian American Art Museum), auteur d’un essai historique sur Washington.

Ayant réalisé l’effigie de Louis-Philippe (Springfield, Illinois State Museum), le souverain lui commande plusieurs portraits, originaux et copies, d’hommes d’état, de ministres américains et anglais destinés aux galeries historiques qu’il vient d’instituer au château de Versailles. La Révolution de 1848 met un terme à ces commandes royales. Cependant la renommée de celui que l’on considère comme one of the best American portrait painters of the French school est désormais établie des deux côtés de l’Atlantique.

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Portrait de Guizot par Healy 
© 
Smithsonian American Art Museum

Healy quitte la France. A l’invitation du maire de Chicago, William Butler Ogden, il s’installe en 1854 dans cette ville. Il y réside jusqu’à la fin de la Guerre Civile (1865), période au cours de laquelle il réalise de nombreux portraits de généraux. Il trouve également en Louisiane, où il séjourne à plusieurs reprises depuis les années quarante, de nombreux commanditaires.

Ses relations avec l’Europe sont loin d’être rompues. Healy est médaillé à l’Exposition Universelle de Paris en 1855 avec l’une de ses rares compositions à plusieurs personnages dont le sujet reflète bien la double appartenance culturelle de son auteur : Franklin urging the Claims of the American Colonies before Louis XVI.

L’Europe exerçant toujours sur lui un fort attrait, le Yankee Painter s’installe à Rome en 1867 où il évolue dans le cercle du directeur de la Villa Médicis, le peintre Ernest Hébert, dont il restera proche. Healy peint alors le portrait de Liszt (Cambridge, MA, Longfellow National Historic Site) et demande au fondeur Barbedienne, un ami proche dont il fera le portrait, d’exécuter un moulage de ses mains. Parmi ses modèles se trouvent encore le pape Pie IX, ainsi que le célèbre poète américain Ernst Longfellow et sa fille Edith (Worcester Art Museum, MA), qui séjournent alors dans la Ville Eternelle.

Le grand incendie de Chicago en 1871 marque une rupture dans sa vie. Sa maison et son atelier sont détruits, ainsi qu’un grand nombre de ses œuvres et souvenirs. Paris, qu’il quittera seulement deux ans avant sa mort pour revenir à Chicago, accueille celui qui a tout perdu. La rue de la Rochefoucauld sera son havre pendant près de deux décennies, en même temps qu’un haut-lieu de la vie culturelle franco-américaine.
 

64-66 rue de la Rochefoucauld : l’hôtel particulier et l’atelier d’un américain à Paris.

Plutôt itinérant lors de ses précédents séjours en France si l’on en croit la diversité de ses adresses dans les catalogues du Salon, Healy se fixe de 1873 à 1892 au 64-66 rue La Rochefoucauld. Situé au cœur du quartier des artistes, la demeure est idéale : « Mon père avait découvert un hôtel particulier du XVIIIe siècle, agrémenté d’un charmant jardin. Dans le bâtiment adjacent, il installa son atelier qui avait été jadis celui de Winterhalter. Il fit percer une porte dans le mur du jardin afin de pouvoir aller et venir à sa guise. Matinal, il était souvent dans son atelier avant le lever du jour». Longfellow envia particulièrement cette découverte : « J’ai entendu parler de votre magnifique hôtel… Si je pouvais en trouver un, je serais tenté d’embarquer dans l’instant pour aller là où les bons Bostoniens vont pour mourir… »

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Portrait d’Andrew Jackson

Healy peut accueillir en ces lieux sa progéniture comme ses amis. Le ménage de sa fille Mary réside à l’étage supérieur. « Nous étions proches, tout en étant indépendants. Le thé sonnait l’heure de nos retrouvailles dehors ou dans le boudoir de notre mère » écrit-elle. Le jardin, havre de paix au cœur de la cité comme le IXe arrondissement en dissimule tant derrière ses façades, figure dans certains de ses tableaux où de manière exceptionnelle le paysage prend le pas sur la représentation des personnages.

La réussite d’Healy repose sur une vie sociale dont l’intensité se dévoile à la lecture de ses agendas, rédigés en français. Labeur pictural interrompu, vie familiale, visites et réceptions nourrissent son quotidien . La rue de la Rochefoucauld était un cadre idéal pour recevoir. Ce fut un lieu d’échanges entre deux cultures : « Bien que l’atmosphère fut très américaine, beaucoup d’amis français étaient bienvenus chez les Healy. On faisait de la musique, parfois du théâtre, on dansait…. ». Les jeunes artistes américains -John Sargent et Childe Hassam notamment- étaient aussi bienvenus chez celui que l’on surnommait Pop Healy.

L’atelier constitue le pôle d’attraction majeur des lieux. Des personnalités nombreuses le visitent ou figurent à sa cimaise. Au premier rang desquelles, pour ne s’attacher qu’aux Français, des hommes politiques, Adolphe Thiers (1874), puis Léon Gambetta (1877) et Jules Simon (1889), dans des tableaux qu’Healy offrira à la Newberry Library de Chicago.

Ses liens avec la branche orléaniste n’ayant pas été rompus à la chute de Louis-Philippe, Healy réalise en 1882 le portrait du Comte de Paris (Springfield, Illinois State Museum), qui regrettait vivement que celui de son grand-père ait disparu dans le grand incendie de Chicago et, dix ans plus tard, celui du duc d’Aumale (non localisé). Parmi ses modèles dans la haute société figure la princesse de Caraman-Chimay (Springfield, Illinois State Museum), dont il fixe les traits peu avant de quitter Paris.

Peintre des chefs d’état, Healy n’abandonne pas sa carrière internationale qui l’appelle souvent hors des frontières. Il se rend à Berlin en 1877 où il peint le portrait de Bismarck, à Bucarest en 1881 où il a pour modèle la famille royale, puis aux Etats-Unis en 1884, pour réaliser celui du Président Arthur.

Deux ans avant sa mort, il quitte la France pour retrouver Chicago. Les critiques que lui adresse la jeune génération, en un temps de profonde mutation artistique, auraient compté pour beaucoup dans sa décision. Le genre pictural du portrait se trouve profondément bouleversé par l’invention de la photographie. L’art d’Healy ne correspond plus au style de l’époque. Il n’en demeure pas moins un jalon important de l’histoire artistique franco-américaine.

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Portrait de Louis-Philippe


Bénédicte PRADIE-OTTINGER



© B; Pradié-Ottinger 2004 © 9e Histoire 2004 - 2014


Date de création : 02/03/2014 • 21:12
Catégorie : - Peintres
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