La Petite Danseuse
La Petite danseuse de quatorze ans
de Camille Laurens
Après avoir revu la statue « Petite danseuse de quatorze ans », lors de l’exposition du musée d’Orsay consacrée à Degas vu à travers des écrits de Paul Valéry, il m’a été impossible de résister à l’envie de lire le livre de Camille Laurens qui porte le même titre, publié aux éditions Stock, en 2017.
« Elle est célèbre dans le monde entier mais combien connaissent son nom ?... On ne sait que son âge, quatorze ans, et le travail qu’elle faisait, car c’était déjà un travail, à cet âge où nos enfants vont à l’école. Dans les années 1880, elle dansait comme petit rat à l’Opéra de Paris, et ce qui fait souvent rêver nos petites filles n’était pas un rêve pour elle, pas l’âge heureux de notre jeunesse »
C’est par ces mots que commence l’auteur pour présenter Marie Geneviève Van Goethem dont elle reconstitue la vie à l’Opéra et plus généralement celle de ses condisciples à l’époque de Degas. Et c’est le portrait de fillettes issues de milieux défavorisés (mères célibataires, veuves, personnes sans revenus…) qui s’offre à nous. Leurs conditions de vie, on pourrait dire de survie, à une époque où les législateurs s’étaient déjà penchés sur le problème des enfants au travail (1841), étaient effroyables : elles vivaient, pour la plupart, dans de misérables taudis, sans hygiène, situés aux alentours de l’Opéra (elles étaient tenues d’habiter à proximité pour éviter les frais de transport et afin d’être ponctuelles). Elles ne mangeaient pas à leur faim et devaient, chaque jour, se consacrer dix à douze heures à la danse, entre les leçons, les répétitions et les éventuelles représentations sur scène.
C’était un métier exigeant et douloureux pour des jeunes filles menues, au corps fragilisé par les heures passées à la barre et sur les pointes. Camille Laurens montre bien que pour ces fillettes, devenir danseuses n’était pas une vocation mais une façon de survivre. Les mères, incapables de subvenir seules aux besoins de leurs familles les avaient mises à l’Opéra, ce qui leur rapportait deux francs par jour auxquels il fallait ôter les amendes pour retard, absentéisme et autre manquement. Et des retards la petite danseuse de Degas en a eus beaucoup puisque pour « arrondir ses fins de mois », elle posait pour des peintres et des sculpteurs si bien qu’elle finit par se faire renvoyer de l’Opéra.
Les mères, jouant les entremetteuses, mettaient leurs filles à l’Opéra, en espérant les caser auprès des messieurs qui en fréquentaient les coulisses.
Camille Laurens nous entraîne dans une véritable enquête sur la petite danseuse, cherchant à savoir qui elle était et ce qu’elle était devenue après son exclusion de l’Opéra, mais en vain. Elle réussit à reconstituer le climat qui régnait à l’époque dans ce milieu artistique et grâce à des recherches faites sur Internet sur l’État Civil des personnes nées à Paris, dans le 9e arrondissement, au XIXe siècle , elle a pu transmettre aux lecteurs des informations sur Marie (parents d’origine belge, vivant dans le 9e arrondissement de Paris, à deux pas des ateliers successifs de Degas ; père apparemment disparu lors de la naissance de Marie en 1865 ; une autre enfant, elle aussi appelée Marie, était née un an plus tôt et était morte à l’âge de dix-huit jours) . L’acharnement de l’auteur pour en savoir plus découle en partie du fait qu’elle-même avait vécu un pareil drame (la perte d’un enfant et la naissance d’un autre enfant un an plus tard) et que sa propre arrière-grand-mère avait évolué dans un milieu aussi misérable que celui du petit rat.
Elle perd la piste de Marie en 1882, date à laquelle celle-ci, renvoyée de l’Opéra, tenta de s’enfuir avec sa mère et sa sœur, Antoinette, qui venait de dérober sept cents francs à un « client », sans doute pour venir en aide à sa famille. Ensuite plus aucune trace de Marie.
Tout au long du récit, on sent l’empathie de l’auteur pour la petite danseuse dont la statue (de cire, vêtue de vrais vêtements, avec de vrais cheveux, présentée sous une cloche de verre) a tant choqué le public au Salon de 1881 : décrite comme simiesque, dégénérée, vulgaire, effrontée, méprisante…et si ce n’était que la statue d’une personne solitaire et éprise de liberté, se moquant du jugement des autres comme Degas.
Dans ce livre, l’auteur rapproche le sort des petits rats de l’Opéra de celui de certains enfants syriens réfugiés, exploités de nos jours dans des ateliers de textile. Par ailleurs elle répond à des questions sur les rapports de Degas avec le milieu de l’Opéra, avec ses modèles et avec ses contemporains.
Hélène TANNENBAUM
- Camille Laurens - La Petite Danseuse de Quatorze Ans - Collection: La Bleue - Editions Stock.
- Nous vous rappelons qu'un article de Didier Chagnas sur le ballet « La Petite Danseuse de Degas », créé en 2003 à l’Opéra de Paris sur un sujet de Martine Kahane et Patrice Bart, a été publié sur notre site neufhistoire.fr - Vous pouvez le consulter en suivant ce lien.
Catégorie : - Un Livre à Découvrir
Page lue 4575 fois