Fécondité au XIXe - mars 2018
Le 9e, arrondissement témoin de l’évolution de la fécondité
à Paris au cours du XIXe siècle ?
C’est un sujet un peu plus « technique » qu’habituellement que Sandra Brée, sympathique historienne et démographe du C.N.R.S, a abordé lors de sa conférence vendredi 9 mars, en traitant de l’évolution de la natalité parisienne durant le XIXe siècle, sujet traité aussi dans son ouvrage « Paris l’inféconde ».
Il convenait d’abord de préciser le sens réel de certains mots ou expressions. C’est le cas ainsi de la transition démographique qui désigne le passage d'une population ayant des taux de natalité et de mortalité élevés à une population ayant des taux de natalité et de mortalité faibles. Ce modèle démographique concerne d’ailleurs la plupart des pays européens au cours du XIXe siècle à l’exception de la France, pionnière en matière de natalité. Le terme de natalité évoque le rapport entre le nombre annuel de naissances et la population totale moyenne sur une année, à ne pas confondre avec le taux de fécondité qui évoque lui le nombre moyen d'enfants par femme en âge de procréer.
Ces précisions données, et avec l’appui de nombreux tableaux chiffrés (dont on ne trouvera d’ailleurs que quelques-uns ici !), Sandra Brée parle alors de ce qui caractérise la démographie française à l’époque du XIXe siècle, à savoir une explosion de la population entre le début et la fin du siècle. La première explication qui s’impose est l’impact de l’industrialisation et de l’immigration souvent liée avec une population dite laborieuse qui s’accroit ainsi fortement.
En revanche, notre conférencière nous fait remarquer le contraste existant entre l’évolution de Paris par rapport à la province, pour ce qui concerne le nombre de naissances, nettement inférieur. Il en est d’ailleurs de même aussi par rapport aux autres capitales européennes (sauf Genève).
Sandra Brée parle d’un taux de fécondité parisien qui ne cesse de baisser en passant de 3,5 enfants par femme à 2,1 entre le début et la fin du siècle. Cela tient très probablement à l’embourgeoisement progressif de la capitale, classe sociale pas vraiment prolifique en matière de fécondité !
L’autre caractéristique mise en avant sur les cartes de Paris présentées est la différenciation assez nette entre la fécondité de l’est parisien assez développée et celle de l’ouest plus réduite. Cela tient à la composition socio-démographique de la capitale et qui s’est d’ailleurs perpétuée bien au-delà du XIXe : les populations ouvrières se concentrent davantage à l’est et connaissent un taux de fécondité bien plus élevé que celles de l’ouest, plus bourgeoises et qui utilisent davantage de moyens de contraception, y compris aussi naturels que le retrait ! Les moyens contraceptifs n’étaient en effet que peu utilisés par les classes populaires, aussi bien pour des raisons de manque d’information que de coût. Les arrondissements du centre (2e, 3e 4e) plus liés à des activités de commerce et d’artisanat se situent eux plutôt entre ces deux tendances.
Notre conférencière donne alors un coup de projecteur sur notre arrondissement, initialement partie du 2e arrondissement avant de devenir en 1860 le 9e lors du redécoupage parisien sous Napoléon III.
Il s’avère que notre arrondissement plutôt placé centralement sur le plan géographique s’est plus classé à l’ouest sur le plan des comportements démographiques, si on s’en tient aux critères décrits plus haut, avec donc une population assez aisée et bourgeoise. Il est même classé comme un des plus contraceptifs de la capitale ! Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’au sein même de l’arrondissement, un quartier comme celui de Rochechouart, plus laborieux, connait par exemple en 1881 un taux de naissances moyen plus élevé (2, 4) que celui de Saint-Georges (1,5), plus bourgeois. En cela notre arrondissement est un peu le témoin de l’évolution de la fécondité à l’échelle de la capitale !
Les raisons qu’avancent Sandra Brée pour expliquer une fécondité plus faible dans les classes bourgeoises sont liées essentiellement au souci de transmission du patrimoine dont l’intérêt n’est pas d’être disséminé parmi une descendance trop nombreuse…
L’autre aspect qui domine est le nombre élevé d’avortements ou d’abandons d’enfants à cette époque, plus lié aux catégories populaires. Le pourcentage d’enfants non désirés varie en effet selon les classes sociales et semble en effet plus important parmi la population ouvrière et pauvre. Le poids de la religion exerce sans doute une influence à ce sujet même si Sandra Brée ne dispose pas à ce propos de données chiffrées : l’éducation chrétienne reçue davantage dans les classes bourgeoises de la société proscrit en effet officiellement la notion d’avortement !
Sandra Brée s’attache ensuite à différencier la fécondité entre les couples légitimes et illégitimes, fort nombreux au XIXe siècle pour ces derniers. Un tiers des enfants naissaient encore ainsi hors mariage au début du XXe siècle à Paris, soit un taux supérieur à celui de la France entière !
Le fait marquant effectivement est que Paris connait une fécondité plus basse que dans le reste de la France ou dans les autres capitales européennes parmi les couples légitimes qui s’explique encore par la surreprésentation dans la capitale des catégories aisées où la contraception est davantage présente.
La notion de transmission du patrimoine joue également un rôle important chez cette population encore une fois plus représentée spatialement dans l’ouest parisien que dans l’est.
Notre conférencière note que le 9e correspond bien à ces critères discriminants, avec là aussi une fécondité assez basse chez les couples légitimes et au contraire élevée pour les couples illégitimes avec faible présence paternelle, qui s’apparente plus à ce qui est observé dans l’ouest parisien. On peut y voir l’incidence sans doute des nombreuses naissances illégitimes sans père reconnu dans la catégorie du personnel de maison, fort représenté ici avec les « filles-mères, état souvent vécu par les domestiques !
Faut-il y voir aussi comme explication la présence de nombreuses maisons closes dans notre arrondissement ? Ce n’est pas certain car les prostituées n’accouchaient que rarement sur leurs lieux de travail (!) mais plutôt dans des quartiers justement plus populaires à l’est.
Une bien intéressante conférence qui a montré l’interaction entre l’évolution socio démographique de la capitale, comme aussi de notre arrondissement, et la nature même de la fécondité parisienne au XIXe siècle.
Emmanuel FOUQUET
© 9ème Histoire 2018
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