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La Sauvegarde de l'Art Français - mai 2018


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À la découverte du siège de la Sauvegarde de l’Art Français

 

Avec le concours précieux de Jean Aubert, ancien président de 9ème Histoire et conservateur général honoraire du patrimoine ainsi que de Olivier de Rohan Chabot, président de la Sauvegarde de l’Art Français, qui a accueilli le premier groupe de 9ème Histoire, nous avons pu le mercredi 16 mai, lors d’une visite pour 9ème Histoire au siège de l’institution, 22 rue de Douai, découvrir à la fois les missions poursuivies par celle-ci et le site qui l’abrite exemple du style éclectique de la fin du XIXe siècle.

D’abord un peu d’histoire sur la Sauvegarde de l’Art Français :

Au lendemain de la première guerre mondiale en 1921, Édouard Mortier, duc de Trévise, crée une association, La Sauvegarde de l’Art Français, pour s’opposer à la destruction ou à la vente à l’étranger d’œuvres majeures du patrimoine français monumental et mobilier, reconnue d’utilité publique en 1925 car contribuant à la protection des trésors nationaux.  Il parvient ainsi en collectant des fonds, aussi bien auprès des pouvoirs publics qu’auprès de mécènes privés, à sauver de nombreux chefs-d’œuvre monumentaux et mobiliers.

A la mort du duc en 1946, Aliette de Rohan Chabot, marquise de Maillé, poursuit ses combats pour la défense du patrimoine, en participant à la création de l’Inventaire des monuments historiques auprès d’André Malraux, et en contribuant à la création du corps des Architectes des Bâtiments de France et des conservateurs régionaux des monuments historiques. Elle fait à sa mort, en 1972, un legs à la Sauvegarde, destiné principalement aux églises rurales de France et dont fait partie l’immeuble du 22 de la rue de Douai. L’institution occupe le 2e étage du bâtiment qui fait le coin de la rue de Douai et de la rue Fromentin depuis la fin des années 1990.


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Olivier de Rohan Chabot conversant avec Mr & Mme Kempf et Mme Plotitza.

 

A partir de 2005, l’actuel président, Olivier de Rohan Chabot, ancien président de la Société des Amis de Versailles et du conseil d’administration de la Société des Amis du Louvre, continue l’œuvre entreprise. Le 27 novembre 2017, l’association est devenue d’ailleurs Fondation reconnue d’utilité publique : la Fondation pour la Sauvegarde de l’Art Français.

L’action de la Sauvegarde en faveur du patrimoine mobilier est l’objet de sa campagne « le Plus Grand Musée de France, les trésors de nos communes », au bénéfice de tableaux, sculptures, tapisseries, tissus, objets d’art…  Depuis 2013 cette campagne a ainsi permis de restaurer 42 œuvres d’art.  

La Sauvegarde se consacre en priorité, et depuis plus de 40 ans, plutôt à la transmission du patrimoine religieux, principalement des églises et des chapelles rurales, à travers toute la France. Elle leur consacre plus d’un million d’euros par an, pour financer leurs travaux de restauration. À titre d’exemple, Le Christ au jardin des Oliviers de Delacroix, hébergé dans l’église Saint-Paul Saint-Louis, a pu ainsi être restauré à l’occasion de la rétrospective consacrée au peintre, et présentée actuellement au musée du Louvre. 
 


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Le salon du Café Carmen.
 

Jean Aubert, évoque alors le lieu lui-même, lié à la famille Cruchet, ornemanistes de père en fils ! Michel-Victor Cruchet est né en 1815 d’un père, Jean-Philippe, qui possédait son atelier de décors d’opéras et de théâtre rue La Fayette. C’est lui qui va inventer le matériau innovant à l’époque : le carton pierre, sorte de papier mâché composé aussi d’argile, utilisé pour la décoration intérieure (moulures, frises, etc).
 


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Plafond à putti en carton pierre.

 

Michel-Victor Cruchet achète des terrains en 1846 sur le périmètre de l’actuelle rue de Douai et de la rue Fontaine puis en 1853 fait construire l’immeuble où nous nous trouvons pour y installer au rez-de-chaussée ses différents ateliers de modelage et de sculpture ainsi que ses salons d’exposition. Le décorateur viendra ensuite y habiter lui-même au 2e étage, après avoir occupé le 58 rue Notre Dame de Lorette, où se trouvait l'atelier de Delacroix .

Sculpteur aussi bien qu’ébéniste, il commence à répondre à des commandes dès le règne de Louis Philippe et travaillera ainsi pour le salon gothique de Marie d’Orléans au palais des Tuileries.  Jean Aubert nous rapporte également qu’il a travaillé au Salon Carré du Louvre, ainsi que dans la résidence royale de Fontainebleau. Cruchet connaissait bien les styles de décoration des époques passées et savait se les approprier et en faire des copies. Il a participé ainsi avec d'autres, dès la fin du règne de Louis-Philippe, au mélange de différents styles qui a conduit à l'éclectisme du style Second Empire.
Cruchet va d’ailleurs beaucoup travailler sur le mobilier de la princesse Eugénie en créant des pastiches de style Louis XVI ! En 1856, il réalise la décoration du petit salon de Napoléon III à l'orangerie à Saint-Cloud. En 1869, il cède l’entreprise florissante à son fils qui s’installe en partie au 20 de la rue Pétrelle, avant de mourir en 1899, 3, rue Ballu.

Il était temps alors de découvrir le salon Carmen, aujourd’hui établissement branché des nuits parisiennes, donnant rue Fromentin, après avoir abrité un bureau de poste (!), qui a heureusement gardé toute sa décoration intérieure et à l'époque salon d'exposition (on dirait maintenant show-room !) et la bibliothèque de Cruchet. Tout n’est ici qu’artifice et pastiche !


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Le salon du Café Carmen.

 


Jean Aubert nous indique ainsi qu’on y trouve des moulages décoratifs du château de Bercy… On voit également un beau plafond polychrome peuplé d’angelots attribué à Pierre Victor Galland, un des décorateurs de l’Elysée.  

Notre guide conférencier nous parle ensuite des nombreux locataires souvent illustres, y compris des académiciens, qui ont habité cet immeuble de rapport (dont on ignore qui est l’architecte) du 22 rue de Douai. C’est ce qu’entreprend Jean Aubert dans le passage cocher de l'immeuble en évoquant la famille Halévy et en commençant par lire un extrait de texte de l’historien et essayiste Daniel Halévy (1872-1962), directeur de la collection Les cahiers verts chez Grasset, beau-père lui-même de Louis Joxe, ministre de De Gaulle et grand père de Pierre Joxe, ministre de Mitterrand ! On est plongé ainsi dans l’ambiance de cette époque où enfant, il côtoyait lui-même d’autres personnages ayant fréquenté cet immeuble et où il se moque du style Napoléon III cher à Cruchet, qualifié de simple « entrepreneur » …

Jean Aubert s’attarde sur la famille Halévy qui a vécu ici, Léon d’abord, spécialiste de littérature grecque et latine dont il est traducteur, puis Ludovic (1834-1908) dramaturge et librettiste d’opéras écrits avec Henri Meilhac, aussi célèbres que La Belle Hélène, La Vie Parisienne d’Offenbach ou Carmen de Bizet !  Au 22 rue de Douai, celui-ci tenait d’ailleurs salon dans les années 1870-80, en compagnie de sa cousine Geneviève Bizet - qui sera le modèle de Marcel Proust pour la duchesse de Guermantes dans  A la recherche du temps perdu - où il recevait le Tout Paris artistique (Degas, Manet, Gounod, Maupassant …) qu’il décrira dans ses Carnets racontant la vie parisienne.
On ne pouvait parler non plus de ce lieu sans évoquer
Georges Bizet qui s’installe en 1869 dans un des appartements de l’immeuble à la suite de son mariage avec Geneviève. C’est là qu’il commencera à travailler sur son chef-d’œuvre Carmen. Il y vivra presque jusqu’à sa mort à 36 ans, à Bougival en 1875.
 


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D’autres locataires ont habité l’immeuble : Henri Scheffer (1798-1862), peintre moins connu certes que son frère Ary, qui a pourtant réalisé le portrait d’Ernest Renan, aujourd’hui au musée de la Vie Romantique.

La visite allait se terminer en pénétrant dans l’appartement du 2e étage qui abrite désormais le siège de la Sauvegarde de l’Art Français, avec son décor conservé du XIXe siècle mais occupé maintenant par un certain nombre de bureaux de la fondation. Dans les petits couloirs exigus, sont encore accrochés aux murs des reproductions des années 30 des sauvetages d’œuvres réalisées par la Sauvegarde.
 


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Tableau du peintre Paltronieri dans l'ancien salon Cruchet au second étage.

 

Le bureau du président est l’ancien salon de Michel Victor Cruchet et ses murs sont entièrement décorés par des moulages provenant du château de Marly !  De chaque côté de la porte ont pris place des tableaux du peintre d’architecture bolognais Pietro Paltronieri (1673-1741). Dans la chambre de Madame Cruchet, relativement petite, on trouve au plafond une œuvre restaurée de Simon Vouet (1590-1649) représentant Aurore et Céphale que Jean Aubert pense provenir d'un des grands décors que l'artiste avait réalisés dans les hôtels parisiens ou des châteaux des environs, probablement celui de Chilly-Mazarin.



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Simon Vouet  - Décor du plafond de la chambre de Madame Cruchet.

 

La visite se conclut en allant dans la grande salle à manger, aujourd’hui salle de réunion de la fondation, avec son superbe plafond à caissons tout en carton pierre et sa belle cheminée en marbre brun des Pyrénées.

Une après-midi riche de découvertes !  

Emmanuel FOUQUET



© 9ème Histoire 2018


Date de création : 17/05/2018 • 12:18
Catégorie : - Echos du Terrain
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