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L'Interview Impossible - mai 2018

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Degas autoportrait ca 1863 © Calouste Gulbenkian Museum Lisbon

 



« L’INTERVIEW IMPOSSIBLE » D’EDGAR DEGAS

 


imaginée par ANNE PINGEOT

 

C’est une formule séduisante que celle qui consiste, pour faire connaître un personnage, à évoquer sa vie, ses origines, ses amis, ses sentiments, ses opinions, en sélectionnant des extraits de ses écrits et de ses déclarations présentés sous la forme d’une interview illustrée, entrecoupés de questions adéquates inventées sur mesure.
 

Ce jeu de questions-réponses à deux voix, qui avait été créé et mené magistralement fin janvier à l’auditorium du Musée d’Orsay, Anne Pingeot, conservateur honoraire au Musée d’Orsay, grande spécialiste de la sculpture du 19e siècle, a accepté de le refaire pour les amis de 9e Histoire, à la Mairie de notre arrondissement, le 28 mai, avec notre talentueux secrétaire général Emmanuel Fouquet dans le rôle du très secret Hilaire Germain Edgar De Gas, dit Edgar Degas, dont on sait qu’il se méfiait de tout ce que l’on pourrait dire ou écrire sur lui et qui voulait être tout à la fois « illustre et inconnu »… D’où le terme « impossible » accolé avec finesse à cette « interview » provocante.  

Car Edgar Degas n’était pas un personnage très sociable. Son mauvais caractère, son côté antidreyfusard, sa misogynie, rien n’a été occulté… Il était sentencieux et certaines de ses déclarations à l’emporte-pièce sur l’art sont devenues célèbres, dont celles-ci : « La peinture, c’est très facile quand vous ne savez pas comment faire. Quand vous le savez, c’est très difficile »(...). « Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme »(…). « Le goût, c’est la mort de l’art »(…).  « Rien en art ne doit ressembler à un accident, même le mouvement »(…).  « C’est très bien de copier ce que l’on voit ; c’est beaucoup mieux de dessiner ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire »(…). «Il faut avoir une très haute idée, non pas de ce que l’on fait mais de ce que l’on pourrait faire un jour. Sans quoi, ce ne serait pas la peine de travailler » (…). « L’art n’est pas ce que vous voyez mais ce que vous faites voir aux autres »…

Ses réflexions dans la vie courante révèlent un sens critique féroce : « Tout le monde a du talent à vingt-cinq ans »(…). « Si j’étais le gouvernement, j’aurais une brigade de gendarmerie pour surveiller les gens qui font du paysage sur nature. Oh ! Je ne veux la mort de personne, j’accepterais bien encore qu’on mît du petit plomb pour commencer »(…). « Quand quelqu’un paye un tableau 3 000 francs, c’est qu’il lui plaît. Quand il le paye 300 000 francs, c’est qu’il plaît aux autres »(…).  « On met des fils de fer autour des pelouses pour arrêter les gens qui vont y déposer des statues »(…). « A partir de quarante ans, on a la gueule qu’on mérite »(…).  « C’est ça le téléphone ? On vous sonne comme un domestique et vous accourez ! » (…). « En aimant la nature, nous ne pouvons jamais savoir si elle nous le rendra ».

Même ses bons amis, comme Édouard Manet, Henri Rouart, Alfred Stevens, Jean-Louis Forain ou Gustave Moreau (avec lequel il aimait aller au café du 49 rue de La Rochefoucauld ou chez la Mère Lefebvre, rue de la tour d’Auvergne et qu’il peignit), n’ont pas échappé à ses morsures. A propos de Moreau, Paul Valéry rapporte qu’il disait avec humour : « Il veut nous faire croire que les Dieux portaient des chaînes de montres à double breloque ». Ceci explique pourquoi Marcel Proust l’appelait « l’Alceste de la peinture »…

Sa misogynie était aussi célèbre. L’actrice Adélaïde Ristori, dans le rôle de « Médée » à l’Opéra, reçut une de ses flèches : « Quand elle court, elle a souvent le mouvement de la Victoire de Samothrace ». Les femmes et leur sensualité lui ont fait beaucoup peur et il se réjouissait de peu les séduire même s’il n’a pas boudé son plaisir de les dessiner, les peindre et les sculpter. « Jusqu’à présent, le nu avait toujours  été représenté dans des poses qui supposent un public. Mais mes femmes sont des gens simples… Je les montre sans coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient ». Ce terme animal reviendra plusieurs fois dans ses écrits. Il ne se maria jamais.

Son antisémitisme affiché lors de l’affaire Dreyfus (à l’instar de Renoir, Rodin, Cézanne, Toulouse-Lautrec et Valéry) le fâchera avec Ludovic Halévy, son ami et condisciple de Louis-le-Grand, jusqu’à la fin de sa vie. Degas était pourtant entré dans la famille Halévy dès 1877 : Ludovic Halévy, flanqué de sa cousine Geneviève Bizet, future Mme Straus et hôtesse d’un célèbre salon littéraire, recevait le tout-Paris artistique et littéraire dont il faisait partie lors des « jeudis de Ludovic » dans son appartement du 22 rue de Douai.

Certains de ses contemporains n’ont pas été tendres non plus avec lui. Paul Valéry, qui s’en inspira pour son livre « Soirée avec Monsieur Teste », le décrit ainsi : « Tous les vendredis, Degas, fidèle, étincelant, insupportable, anime le dîner chez Monsieur Rouart. Il répand l’esprit, la terreur, la gaieté. Il perce, il mime, il prodigue les boutades, les apologues, les maximes, les blagues, tous les traits de l’injustice, la plus intelligente, du goût le plus sûr, de la passion la plus étroite et d’ailleurs la plus lucide. Il abîme les gens de lettres, l’Institut, les faux ermites, les artistes qui « arrivent », cite Saint-Simon, Proudhon, Racine, et les sentences bizarres de Monsieur Ingres »(…)

«Il avait et affectait le plus mauvais caractère du monde, avec des jours charmants qu’on ne savait prévoir. Il amusait alors ; il séduisait par un mélange de blague, de farce, de familiarité, où il entrait du rapin des ateliers de jadis, et je ne sais quel ingrédient venu de Naples »(…)

« Cet atelier sans faste occupait le troisième étage de la maison que Degas habitait, quand je l’ai connu, rue Victor-Massé. Au premier étage, il avait accroché son Musée, composé de quelques tableaux qu’il avait acquis de ses deniers ou par échanges. Au second, son appartement. Il avait pendu aux murs les oeuvres qu’il préférait, de lui-même ou d’autrui : un très beau Corot, des crayons d’Ingres et une certaine étude de danseuse qui excitait chaque fois mon envie ». Mais une visite qu’il fît au Musée de la rue La Rochefoucauld le dissuada de donner suite au projet qu’il avait formé de fonder, lui aussi, son Musée où sa collection (et peut-être une partie de son œuvre) devaient figurer.

Évoquant  ses futures funérailles, il dira un jour : « Je ne veux pas de discours », puis, se reprenant, «Si ! Forain vous en ferez un ; vous direz : « il aimait le dessin. ». Anne Pingeot a été très complète dans ses recherches concernant l’homme, sa vie, sa famille, ses relations, ses opinions, mais elle a peu évoqué son œuvre et fait projeter, à côté de photos de famille et de tableaux de ses contemporains, juste quelques portraits de son cru en évoquant ses amis. L’œuvre n’était pas son sujet… Elle l’a modestement laissé à d’autres. L’exposition du Musée d’Orsay qui lui a été consacrée cet hiver (« Degas, Danse, Dessin ») était, elle, accompagnée de nombreuses visites et conférences qui commentaient ses chefs d’œuvre d’un modernisme éblouissant.  



Anick PUYÔOU - Didier CHAGNAS

 


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Edgar Degas (1834-1917) repose au cimetière de Montmartre, dans le tombeau familial. On lui connaît plusieurs adresses dans le 9e arrondissement, où il est né (cf. article de F. Robert et D. Chagnas). Son dernier déménagement, en 1912, alors qu’il avait 78 ans et que sa vue s’était très obscurcie, l’obligea à quitter sa maison-atelier de trois étages du 37 de la rue Victor Massé où il avait passé vingt-deux ans pour le 6 du boulevard de Clichy. Il fut aidé par Marie-Clémentine (Suzanne) Valadon, modèle et élève protégée de Mary Casatt, dont Degas disait « Voilà quelqu’un qui sent comme moi ». L’américaine vivait au 13 de l’avenue Trudaine et son atelier se situait au 6 boulevard de Clichy en 1878.
 

 En juin 1876 la faillite de la banque familiale napolitaine paternelle, suivie en janvier 1877 de l’absorption de la banque parisienne De Gas par la banque d’Anvers, est un revers de fortune qui a contraint Degas à vendre sa maison du 4 rue Frochot en octobre 1877 et de s’installer en location au 50 de la rue Lepic.

La branche paternelle, qui a fait souche à Naples, a accueilli le jeune Edgar à plusieurs reprises (au 3e étage du palazzo Pignatelli di Monteleone). Edgar De Gas a passé également quelques mois en Louisiane (octobre 1872-mars 1873) dans la famille américaine de sa mère, les Mousson, famille protestante originaire d’Orléans qui avait fait fortune à Haïti et à la Nouvelle-Orléans.



 


© 9ème Histoire 2018


Date de création : 06/06/2018 • 17:14
Catégorie : - Echos du Terrain
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