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Lire les Façades - juin 2018


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Façade des 40 & 38 rue Condorcet .

 



Apprendre à lire les façades
de notre arrondissement


 

C’est devant une salle attentive que Claude Mignot, spécialiste d’architecture et auteur d’ouvrages qui font autorité en la matière comme la « Grammaire des immeubles parisiens » paru chez Parigramme, allait effectivement se livrer, lundi 25 juin à une véritable leçon de grammaire appliquée à sa spécialité, avec l’appui de nombreuses photos. Pour mieux apprécier la richesse des façades du 9e, il allait en effet tenter de donner à cette occasion les clés de lecture de celles-ci. Leur maîtrise ne pouvant qu’accroitre en effet le plaisir que l’on peut ressentir à reconnaitre et comprendre des façades qui se saluent d’un trottoir à l’autre ou même d’un siècle à l’autre !  

Si notre conférencier ne prend pas le parti d’aborder son sujet sur le plan strict d’une évolution chronologique de l’architecture de nos rues, il distingue cependant la période 1760-1770 correspondant à la « révolution du plain-pied ». C’est à cette époque que naissent les immeubles de « rapport », constitués d’appartements indépendants qui se superposent d’un étage à l’autre. Ils se différencient ainsi des hôtels particuliers que l’on continue à voir dans Paris qui eux proposent pour une même famille un habitat réparti sur plusieurs étages.

Claude Mignot s’applique alors à montrer que dans notre arrondissement ces deux familles typologiques peuvent exister en interaction, notamment par l’introduction d’éléments de décoration extérieure.  C’est le cas par exemple à la Cité Malesherbes ou au 6 rue La Bruyère où on peut voir un hôtel particulier en forme d’immeuble de rapport. De même en 1891, est construit au 28 rue Ballu pour le peintre Charles Wislin, un hôtel particulier néo-flamand à usage également d’atelier constitué en fait de deux immeubles de rapport.


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Façade du 28, rue Ballu.

 

Une bonne manière de dater les immeubles est bien sûr de noter les signatures et les chronogrammes figurant le plus souvent au niveau du premier étage des façades, pratique particulièrement courante à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ou en observant la hauteur des bâtiments qui obéit à des règlements édictés particulièrement sous la Monarchie de Juillet ou au Second Empire.

Mais il est alors temps de donner les premières règles de grammaire appliquées à la compréhension des façades. Celles-ci semblent respecter une véritable ordonnance ternaire : rez-de-chaussée, étages courants, couronnement avec les corniches et les chéneaux d’évacuation d’eaux pluviales situés au niveau supérieur. Nos immeubles peuvent également être analysés en étudiant le quadrillage horizontal des étages comme celui vertical des travées.   

Claude Mignot donne alors plusieurs exemples avec deux immeubles accolés de la rue Saint Lazare qui ont un ordonnancement identique mais avec un traitement qui diffère : étage avec attique dans un cas et non dans l’autre. De même les rez-de-chaussée possèdent des ouvertures spécifiques. Les baies des fenêtres sont ici superposées et répétées dans leur agencement : les consoles qui les soutiennent créent un effet de dentelé.  Un autre exemple est donné avec la longue façade du 12/14 de la rue d’Aumale qui présente des bandeaux d’étage scandés par des corniches simples ou à consoles donnant un effet de dégradé.

Les bandeaux eux-mêmes offrent une ornementation très riche avec postes et grecques. Les baies se distinguent enfin par leurs dimensions décroissantes et par une ornementation plus ou moins abondante. En forme de contre-exemple, Claude Mignot nous montre que beaucoup d’immeubles du bas de la rue des Martyrs peuvent aussi correspondre à une sorte de degré zéro de la décoration architecturale avec aucune ornementation !

Pour poursuivre sa démonstration de la variété de nos façades, notre conférencier revient sur l’immeuble de la rue Saint Lazare en détaillant ses fenêtres aux baies cintrées (exigeant d’ailleurs une construction plus complexe).


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Le grand-duc de l'immeuble du 68, rue Condorcet.
 

Deux immeubles de deux personnalités ayant habité le 9e sont aussi évoqués : celui construit par Viollet Le Duc, 68, rue Condorcet, présente des baies différentes selon les étages et sa signature originale, un grand-duc, sculpté sur une colonne soutenue par une console au troisième étage, celui de Bizet, 26, rue de la Tour d’Auvergne illustre la hiérarchie ornementale décroissante au fil des étages. C’est le cas ici des corniches de dessus des fenêtres, de plus en plus simples en s’élevant dans les étages. Cette façade est d’ailleurs particulièrement remarquable avec ses pseudo pilastres d’abord cannelés au premier étage puis plats au second et absents plus haut. Les trumeaux entre les fenêtres possèdent en outre au premier étage une riche ornementation de têtes grotesques en accord avec l’ornementation des baies.

Claude Mignot nous livre ensuite un certain nombre d’exemples visuels pour illustrer que le rythme des baies adopté peut réellement structurer une façade. C’est le cas du 12/14, rue d’Aumale avec ses neuf baies identiques au rez-de-chaussée qui unifient en fait deux immeubles séparés ou du 136, rue Montmartre, avec ses baies abritant les fenêtres, différentes selon les étages, où ici l’immeuble est structuré de chaque côté par des niches abritant des statues.


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L'immeuble de La Païva, 28 place St Georges.
 

Le comble de la sophistication est atteint 28, place Saint- Georges avec le magnifique immeuble néo-Renaissance construit en 1841 où habita un temps La Païva, avec sa façade ordonnancée à la manière d’un palais vénitien comme le montrent ses trois baies jumelées sur l’avant corps central (immeuble que Claude Mignot nous avait détaillé lors d’une balade de rue en avril 2016). On trouve d’ailleurs plusieurs exemples dans le 9e de ce type d’architecture que constitue ces triplettes de baies centrales sur une façade, superposées d’un étage à l’autre, caractéristique de la Monarchie de Juillet mais dont le principe sera également décliné ultérieurement comme au 4, rue Blanche.
 

Notre conférencier d’un soir poursuit son propos en s’intéressant aux façades dites « à socle ». On peut les voir au rez-de-chaussée des immeubles lorsqu’ils sont traités avec des refends (en creux) ou des bossages (en saillie), eux-mêmes travaillés de manière plus ou moins sophistiqués, prolongés dans les étages par des travées en dégradé ou des pilastres superposés. Rue Clauzel, on peut trouver un exemple à minima avec un rez-de-chaussée nu, suivi d’étages courants avec bandeaux. Place Henri Monnier ou rue de Rochechouart on trouve au contraire ce type de façades vénitiennes sur des façades comportant des rez-de-chaussée à socles de refends et bossages, accompagnés de baies à pilastres souvent cannelés aux étages. Un autre exemple caractéristique est montré au 8, rue d’Aumale, qui montre un rez-de-chaussée et un entresol à effet de socle sur une façade à la vénitienne comme le prouvent ces trois baies centrales.

Pour terminer son érudite conférence, Claude Mignot détaille alors tout ce qui permet de conquérir les volumes d’une façade comme il intitule cette partie. C’est ainsi rendu possible par les implantations des balcons le plus souvent appuyés sur des consoles en pierre plus ou moins ouvragées, par les avant-corps faisant saillie sur une façade ou encore par la présence de bow-windows. C’est le cas de celui (démontable) de l’immeuble se trouvant dans l’impasse de la Tour d’Auvergne ou encore avec ceux qui encadrent le grand immeuble de pierre et de brique du 40, rue Condorcet de la fin du XIXe siècle (association d’ailleurs assez rare dans l’arrondissement) et qui avait obtenu le prix de la plus belle façade en 1903 ! Il est à noter le traitement moderne du principe de bow-window présent sur l’immeuble voisin du 38, presque en forme de pastiche.


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Façades des immeubles 12 rue de la Tour d'Auvergne et 13 place Pigalle.
                                       

On trouve aussi des exemples de façades rompant avec la symétrie de l’ornementation, c’est le cas d’un immeuble du début du XIXe siècle au 12, rue de la Tour d’Auvergne, qui présente un encadrement unique des fenêtres par des colonnes sur le côté droit du premier étage. L’unité est ici réalisée par les balustres en pierre rythmant en quelque sorte cet étage. Claude Mignot évoque rapidement enfin l’exemple du bel immeuble du 13, place Pigalle avec sa façade légèrement incurvée à saillies et aux avants corps latéraux juste esquissés.

Mais il fallait alors mettre un terme à cette conférence qui aurait pu durer sans aucun doute encore plus longtemps. Nul doute que les auditeurs d’un soir auront maintenant l’œil plus exercé en détaillant avec le vocabulaire technique employé à cette occasion, la grande richesse de nos façades !

              



Emmanuel FOUQUET
 

© 9ème Histoire - 2018


Date de création : 28/06/2018 • 16:13
Catégorie : - Echos du Terrain
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