Marie Dorval - novembre 2018
Marie Dorval
une comédienne au cœur du Romantisme
C’est devant une salle du Conseil bien remplie mercredi 7 novembre, que Jacqueline Razfgonnikoff, bibliothécaire archiviste honoraire de la Comédie-Française allait évoquer avec brio la carrière et la vie sentimentale agitée d’une comédienne de théâtre assez emblématique de la période romantique de la première moitié du XIXe siècle.
Marie Amélie Thomase Delaunay, de son premier nom, est une véritable enfant de la balle puisqu’elle nait en 1798 à Lorient de parents comédiens ambulants mais perd hélas sa mère à l’âge de cinq ans et se voit alors également abandonnée par son père pour être recueillie par son oncle qui la fait monter très vite sur les planches. C’est une demoiselle à l’esprit spirituel qui dégage un charme irrésistible même si elle n’est pas réellement belle, avec son grand front bombé, ses lèvres pincées, son teint brun comme la décrira Théophile Gautier. George Sand, qu’elle connaitra plus tard, disait même d’elle qu’elle devait lutter contre des défauts naturels que représentaient sa voix éraillée et son débit maladroit, paradoxe pour une personne qui allait avoir une carrière théâtrale bien remplie ! Mais elle disait aussi qu’elle était « mieux que jolie, charmante » et que de « sa physionomie se dégageait une âme » …
Marie Dorval
Jacqueline Razgonnikoff évoque alors ses débuts où à 14 ans elle joue dans Le Mariage de Figaro sur les scènes de province, avec pour tout costume, une seule robe de théâtre qu’elle devait laver et repasser régulièrement pour l’adapter aussi aux différents rôles qu’elle devait jouer !
Elle rencontre lors d’une visite à Paris le grand comédien Talma et épouse à 16 ans un maitre de ballet, Allan Dorval, qui mourra quelques années plus tard et avec qui elle aura deux filles. Elle multiplie les tournées en province pour survivre, notamment à Strasbourg, et joue dans de nombreuses pièces, comme Werther, Les Deux forçats. Elle commence alors à être reconnue dans le théâtre populaire et débute au théâtre de la Porte Saint-Martin en 1818 pour connaitre le succès en 1827 dans une pièce Trente ans ou la vie d’un joueur, avec pour partenaire le grand comédien Frédérick Lemaître.
Frédérick Lemaître
Elle devient une parfaite représentante du mélodrame et du théâtre romantique où elle excelle pour exprimer les élans de la passion, la douleur maternelle ou encore les veuves éplorées en jouant sur des effets souvent poussés au paroxysme. C’est aussi à cette époque qu’elle fréquente Alexandre Piccinni, le compositeur de la musique de Trente ans ou la vie d'un joueur, la pièce de Victor Ducange, avant d’épouser en 1829 un journaliste et critique de théâtre, Jean Toussaint Merle, avec qui elle aura une troisième fille. Elle connait à nouveau le succès dans L’incendiaire en 1830 avant de devenir la maîtresse d’Alfred de Vigny en 1831, début d’une liaison assez orageuse où elle doit faire face au grand machisme du personnage !
Alfred de Vigny
Elle joue ensuite dans une pièce d’Alexandre Dumas qui l’apprécie particulièrement, Antony, avec cette tirade de conclusion : Elle me résistait, je l’ai assassinée… Marie Dorval va connaître un autre triomphe dans Marion Delorme de Victor Hugo où les critiques relèvent son naturel associé au pathétique. Celui-ci, avec le soutien également d’Alfred de Vigny, va réussir à la faire entrer à la Comédie-Française en 1834, dans une pièce qui ne rencontrera pas malheureusement le succès.
George Sand et Jules Sandeau
C’est à ce moment également, en 1833, qu’elle rencontre George Sand en pleine phase de séparation avec Jules Sandeau, lui-même ami de Marie Dorval (!), avec qui elle va vivre une relation tellement tendre que des rumeurs vont courir sur le niveau même de celles-ci.
En 1835, elle joue avec succès dans Chatterton d’Alfred de Vigny au Français, une des grandes pièces du drame romantique où elle tient le premier rôle féminin. La même année et au même endroit, dans Angelo ou le tyran de Padoue de Victor Hugo, avec Mademoiselle Mars, autre succès. Mais les administrateurs de la Comédie-Française semblent réticents au jeu de Marie Dorval, ce qui la conduit à se produire plutôt au théâtre de l’Odéon. Ce sont alors à nouveau des années difficiles : mort d’une de ses filles et rupture avec Alfred de Vigny qui lui reproche son amitié avec George Sand qualifiée de « damnée lesbienne » … Elle entreprend alors une relation avec Jules Sandeau !
Mademoiselle Mars.
En 1840, elle joue la pièce de George Sand Cosima à la Comédie-Française, qui se solde par un échec qui ne lui permet pas de continuer à figurer dans ce cadre prestigieux. Elle entame donc quelques tournées en province avant de rentrer à Paris en 1842 pour jouer à nouveau au théâtre de la Porte Saint-Martin, son lieu fétiche. En 1845, elle y tient un rôle énorme dans un grand drame, Marie-Jeanne ou la femme du peuple d’Adolphe Ennery, qui, malgré sa voix chancelante, impressionne le public par la force émotionnelle de son jeu.
En 1847, elle perd son petit fils qu’elle chérissait et Jacqueline Razgonnikoff nous lit l’échange émouvant de correspondance entre Marie Dorval et George Sand à ce sujet. En dépit de rôles classiques tenus dans Phèdre ou Hermione à l’Odéon, le succès n’est plus au rendez-vous et elle part une nouvelle fois en province envahie par des sentiments dépressifs. Alexandre Dumas, ami proche de Marie Dorval, rapportera cette situation douloureuse dans « La dernière année de Marie Dorval ». Elle meurt en effet à 51 ans en 1849, dans une certaine misère.
Victor Hugo et Alexandre Dumas fidèles soutiens de Marie Dorval.
Notre conférencière, qui a émaillé sa très vivante intervention de nombreux extraits de lettres et de textes de différents auteurs (difficile cependant à faire figurer ici), va en conclusion mentionner que les obsèques de la comédienne au cimetière Montparnasse se dérouleront sans beaucoup de monde et notamment sans George Sand ni Alfred de Vigny, absents de Paris à ce moment là. Cependant son fidèle ami Alexandre Dumas s'évertuera à réunir les fonds pour que la grande héroïne du drame romantique ait une tombe digne d'elle.
Emmanuel FOUQUET
© 9ème Histoire - 2018
Catégorie : - Echos du Terrain
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