Berlioz dans le 9e - mars 2019
Charles Baugniet - Berlioz - 1851 © Flopinot2012
HECTOR BERLIOZ DANS LE 9e
ET SES RELATIONS AVEC LE CONSERVATOIRE
C’est dans un lieu exceptionnel, la salle du théâtre du Conservatoire (CNSAD), telle que l’a connue Berlioz, bâtie en bois sur l’emplacement du site des Menus Plaisirs entre 1806 et 1811 par Delannoy (à l’initiative de Napoléon Ier), rénovée en 1986 avec ses fresques pompéiennes, ses guirlandes, ses colonnes, son plafond orné d’anges, ses balcons décorés de médaillons d’artistes de l’époque autour des figures d’Eschyle et d’Orphée, que l’association 9ème Histoire et la Mairie du 9e (aimablement représentée par Claire Gannet, adjointe à la Culture de la Maire, Delphine Bürkli, désolée de ne pouvoir être présente) ont commémoré le 150e anniversaire de la mort d’Hector Berlioz.
La salle du Conservatoire © AP
À salle exceptionnelle, soirée exceptionnelle puisque environ 200 auditeurs (l’orchestre étant plein) purent écouter avec bonheur une brillante conférence donnée par Emmanuel Fouquet (secrétaire général de 9ème Histoire), illustrée d’extraits des Mémoires du musicien lus avec talent par Didier Chagnas (administrateur de 9ème Histoire) et ponctuée de moments musicaux de grande qualité proposés par la soprano Eliza Roussel * accompagnée à l’orgue « positif » par Marie-Ange Leurent ** (trois mélodies peu connues du compositeur ont ainsi illustré un registre un peu moins connu : «La Mort d’Ophélie », « La Captive » et « Le Spectre de la Rose », en fin de conférence, extrait des « Nuits d’Eté »).
Les Mémoires rédigés par Berlioz lui-même entre 1848 (il avait 45 ans) et 1865 (quatre ans avant sa mort) seront publiés post mortem à sa demande. Malgré quelques libertés avec la vérité historique et la réalité de certains événements, un style lyrique propre au romantisme, « très sombre parfois mais souvent plein d’humour », ils en disent long sur la personnalité de ce musicien de génie tourmenté, peu reconnu en son temps parce que trop novateur. Ah ! Didier Chagnas dans le rôle de Luigi Cherubini, dont Berlioz s’amusait à retranscrire l’accent !
Marie Alexandre Adolphe - Luigi Cherubini ca 1850
Emmanuel Fouquet livre alors son travail de recherches (dates, lieux, anecdotes, déclarations) en détaillant une biographie très fouillée de Berlioz depuis la naissance de celui-ci en 1803 à la Côte-Saint-André, dans le Dauphiné (où un musée lui est consacré), jusqu’à sa mort le 8 mars 1869. Son père, médecin, va l’initier aux lettres classiques et lui faire aimer Virgile. Ce goût de la latinité baignera nombre de ses œuvres.
UNE VOCATION
Dès douze ans il s’intéresse à la composition musicale et lorsqu’il a quinze ans, son professeur de musique le déclare « aussi fort » que lui ! Mais à la demande de ses parents, il commencera des études de médecine à Paris en 1821, avant de s’apercevoir qu’il déteste l’anatomie et la chirurgie. Il y renonce et revient à la musique. Il se met à fréquenter l’Opéra de la rue Le Peletier où il découvre Glück et Weber. À la bibliothèque de l’École royale de Musique et de Déclamation de la rue du Faubourg Poissonnière, il va étudier avec passion les partitions de Gluck. Il écrit aussi et il critique dans le journal « Le Corsaire » (il aura par ailleurs une œuvre titrée ainsi) les admirateurs de Rossini et du « bel canto » dont il juge la musique trop facile…
Repéré par le directeur de la Chapelle royale des Tuileries, professeur au Conservatoire, Jean-François Lesueur, le jeune Berlioz va suivre ses cours de composition à titre privé dès 1823. Il a vingt ans. Deux ans plus tard, il réussit à faire jouer avec succès par 150 musiciens sa « Messe solennelle » à Saint-Roch, et en 1837, à Saint-Louis-des-Invalides, il fera même exécuter sa « Grand-messe des Morts » par 600 musiciens! Le grincheux directeur du Conservatoire, Luigi Cherubini, lui permet alors d’entrer dans la classe de contre-point de Reicha. Les altercations entre les deux hommes commencent. Elles ne cesseront pas.
Le père de Berlioz finit par accepter sa vocation mais sa mère reste opposée à cette vie d’artiste. Il a ses habitudes au café Le Cardinal (toujours en exploitation) boulevard des Italiens, très fréquenté par les artistes d’alors, et il gagne un peu d’argent comme choriste au Théâtre des Nouveautés (à l’époque rue Vivienne). Le théâtre de Shakespeare sera une révélation pour Berlioz, comme pour Hugo, Vigny, Dumas, Delacroix Théophile Gautier et autres de ses amis. Le 11 septembre 1827, il va tomber fou amoureux d’une actrice irlandaise, Harriet Smithson, jouant le rôle d’Ophélie dans « Hamlet ». Il se rapproche alors d’elle en venant se loger au 96, rue de Richelieu.
Paul de Pommayrac - Hector Berlioz 1840 © Musée Berlioz George Clint - Harriet Smithson © Musée Berlioz
INCOMPRIS
Quand il a vingt-cinq ans, il veut voir reconnus ses talents de compositeur et il demande au surintendant des Beaux-Arts, Sosthène de La Rochefoucauld, la permission de faire jouer ses œuvres au Conservatoire. Malgré les réticences de Cherubini, il y réussira le dimanche de Pentecôte 1828, mais ce concert sera un demi-échec. Un critique de l’époque l’éreinte : « son style est énergique et nerveux. Mais le compositeur, entraîné par sa jeune et ardente imagination, s’épuise en combinaisons d’un effet passionné, son originalité va jusqu’à la bizarrerie »… On peut dire que cette incompréhension de son talent durera malheureusement en France… jusqu’à sa mort.
Puis il découvre Beethoven, dirigé par François-Antoine Habeneck, en 1828 au Conservatoire, et ce sera une révélation. « La secousse que j’en reçus fut presque comparable à celle que m’avait donnée Shakespeare. Il m’ouvrait un monde nouveau en musique ». Goethe (traduit par Gérard de Nerval) lui inspirera « Huit scènes de Faust », qu’il fera jouer en 1829 au Conservatoire avec plus de 100 musiciens et quatre paires de timbales, conduits par Habeneck. Pour une fois, il remportera un franc succès. Malheureusement cette même année, il échouera pour la troisième fois au concours du Prix de Rome. Le compositeur Boïeldieu, membre du jury, lui reprochera son manque de « gracieux » et, dans son accompagnement, « ce rythme que l’on n’a jamais entendu nulle part »…
VILLA MÉDICIS
1830 sera sa grande année : après quatre échecs successifs dus à la modernité de son style et à des audaces qu’on ne lui pardonne pas, il va enfin obtenir le Grand Prix de Rome à l’unanimité, synonyme d’une bonne pension pendant cinq ans.
Joseph Kriehuber - Marie Moke
Le 5 décembre, il va donner sa Symphonie fantastique (toujours dirigée par Habeneck) « au profit des victimes de Juillet », une révolution à laquelle il a vaguement participé. Sa muse s’appelle alors Marie Mocke, une jeune pianiste qui « lui a mis au corps toutes les flammes et tous les diables de l’enfer ». Suite à l’opposition de sa mère à leurs fiançailles, Mlle Mocke épousera quelques mois plus tard Camille Pleyel, le facteur de pianos de la rue Cadet. Mais ce concert a créé, comme la pièce « Hernani » de Victor Hugo, soutenu lui aussi par les « Jeunes France », un scandale par sa modernité. Ce soir là, le jeune Liszt (dix-neuf ans) qui n’est pas le dernier à s’enthousiasmer, invite Berlioz chez lui, au 61 rue de Provence. Ils resteront par la suite des amis très proches.
LA TRINITÉ ROMANTIQUE
Berlioz demeurera deux ans à la Villa Médicis, dirigée alors par le peintre Horace Vernet. Il y composera « La Captive », d’après un poème tiré du recueil des « Orientales » de Victor Hugo. En 1832, de retour à Paris, il veut faire jouer son « immense symphonie », qu’il a retravaillée. Le 9 décembre, « La Symphonie fantastique » avec sa suite « Lélio ou le Retour à la vie », toujours sous la direction de Habeneck, est programmée au Conservatoire et jouée devant toute l’élite artistique parisienne : Hugo, Dumas, Sand, Chopin, Liszt, Vigny, Delacroix, Heine, Paganini… mais aussi Harriet Smithson, qu’il n’a pas oubliée. Gautier parlera de la « Trinité romantique » que Berlioz formait avec Hugo et Delacroix, et Heinrich Heine raconte : « Berlioz, à la chevelure ébouriffée, jouait des timbales tout en regardant l’actrice d’un visage obsédé et, à chaque fois que leurs yeux se rencontraient, il frappait encore d’une plus grande vigueur ». C’est en octobre 1833 qu’il épouse Harriet, avec pour témoin Liszt, contre l’avis de leurs familles respectives et qu’ils s’installent à Montmartre (actuelle rue du Mont-Cenis), où naîtra leur fils Louis. Entre 1835 et 1844, ils logeront rue de Londres, à différentes adresses (n° 34, 35 et 31).
H. Lehman - Franz Liszt 1838 © Getty Moriz-Daniel Oppenheim - Heinrich Heine 1831 © Kunsthalle Hamburg
En 1834, à la demande de Niccolo Paganini, Berlioz compose « Harold en Italie », inspiré d’un poème de Byron, et fait donner cette symphonie le 23 novembre au Conservatoire. C’est un fiasco. Paganini est déçu de ne pas être mis plus en valeur dans les parties d’alto, et une direction désorganisée fait partir des instruments souvent à contretemps. Pour la critique ce sera « Haro sur Harold » et Berlioz décidera alors de diriger lui-même plus souvent ses œuvres. Chef d’orchestre inspiré, il remplacera l’archet de violon par une « baguette » en sapin avec le succès que l’on sait. Il utilisera même un sabre pour diriger sa « Symphonie funèbre et triomphale » lors du défilé commémorant le 10e anniversaire de la révolution de 1830.
Ses concerts sont suivis par le duc d’Orléans, ses amis Liszt et Chopin, Hiller, Vigny, Nerval, Dumas, ainsi que par les Bertin, propriétaires du « Journal des Débats », qui vont lui confier des articles sur les concerts du Conservatoire, et ses critiques sévères ne vont pas améliorer sa popularité. La famille connaît des difficultés financières et sa nomination en 1838 comme bibliothécaire adjoint au Conservatoire, avec un petit salaire, sera bienvenue. Il ne montera au grade de bibliothécaire principal qu’en 1850 mais jamais à la direction du Conservatoire dont il rêvait. Ses relations avec Cherubini, qu’il traite d’ « agent subalterne », restent très mauvaises. Celui-ci lui refusera en 1838 le poste de professeur de composition et d’harmonie sous prétexte qu’il ne pratique pas le piano… et nommera au poste un non-pianiste !
Anecdote émouvante : le 16 décembre 1838, peu avant de mourir d’une maladie du larynx, Paganini, accompagné de son fils Achille qui lui servait d’interprète, lui fit dire que « votre musique l’a bouleversé et que s’il ne se retenait pas, il se mettrait à vos genoux pour vous remercier ». Ce qu’il fit sur scène immédiatement après…
Le lendemain, il lui faisait porter une lettre de félicitations et de compliments accompagnée d’un don de 20 000 francs. Don bienvenu ! Berlioz avait beaucoup de difficultés à faire jouer ses œuvres, à plaire aux critiques et à gagner sa vie. En 1849, il crée La Société Philarmonique qui lui permettra de diriger quelques concerts dans la salle Sainte-Cécile (disparue), 49 bis rue de la Chaussée d’Antin.
A. Yvion - Berlioz et Paganini © M. Taieb & M. Austin
UNE MUSIQUE DE FOU
Il est mieux reçu à l’étranger. Dès 1842, il joue en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Hongrie et en Russie, « devenant une sorte de musicien errant en Europe durant une vingtaine d’années ». Il en aura de la rancœur, qu’il exprimera dans ses Mémoires, avec son caractère intransigeant et caustique.
« La principale raison de la longue guerre que l’on m’a faite est dans l’antagonisme existant entre mon sentiment musical et celui du gros public parisien. Toute musique qui s’écarte du petit sentier où trottinent les faiseurs d’opéras-comiques fut nécessairement pendant un quart de siècle, de la musique de fou pour ces gens-là. Le chef d’œuvre de Beethoven (la 9e symphonie) et ses colossales sonates de piano sont encore pour eux de la musique de fou ». Malgré sa réception à l’Institut en 1856, il déclarera en 1857 que « Paris est la capitale de la barbarie musicale ».
Sa vie privée n’est pas consolante… Harriet, jalouse obsessionnelle, est vite tombée dans la dépression et l’alcool. Elle était quasi impotente quand ils emménagent rue Blanche, d’abord au 43 puis au 65. Elle mourra en 1854, à Montmartre où elle était retournée vivre seule. Depuis 1841 Berlioz entretenait une liaison avec la jeune chanteuse Marie Recio, (« dont il a dit un peu méchamment qu’elle miaulait plus qu’elle chantait »…) Elle jouera un rôle d’impresario dans ses tournées. Ils partagèrent un appartement rue de Provence avant de s’installer à partir de 1844 rue La Bruyère, là où eut lieu leur mariage dix ans plus tard. « Sa vie amoureuse aux multiples liaisons » va donc se dérouler dans notre 9e arrondissement. Il tentera d’y séduire Pauline Viardot, dans son hôtel particulier de la rue de Douai, lorsqu’il écrit pour elle en 1859 l’adaptation en français pour mezzo-soprano d’ « Orphée et Eurydice » de Gluck. Plus tard Pauline Viardot deviendra professeur de chant à ce même Conservatoire, avec lequel il est resté lié toute sa vie, comme lecteur à la bibliothèque, étudiant, bibliothécaire, compositeur et chef d’orchestre.
Marie Recio vers 1888
Sa santé se dégradait. En 1862 il perd son épouse Marie Recio, qui a 48 ans. En 1865, dans son bureau de bibliothécaire, il entasse les 1.200 exemplaires de ses Mémoires qui viennent d’être imprimés. La perte de son fils en 1867 le met au désespoir et il aurait brûlé tous ses souvenirs dans la cheminée de ce même bureau, à l’exception d’une guitare offerte par Paganini et un bâton d’orchestre de Mendelssohn (rencontré lorsqu’il était à la Villa Médicis). Il avait heureusement légué auparavant ses partitions au Conservatoire.
Gravement malade, il part en Russie pour quelques mois, deux ans avant sa mort, le 8 mars 1869. Ironie du sort pour cet artiste « maudit » en quelque sorte : lors de ses obsèques à l’Eglise de la Sainte-Trinité, ce sera le requiem du détesté Cherubini qui l’accompagnera… Il repose au cimetière de Montmartre, à côté de ses deux épouses, Harriet et Marie. Il n’aura jamais pu faire représenter de son vivant l’intégralité de son dernier opéra tiré de Virgile, « Les Troyens à Carthage ».
Emmanuel Fouquet et Didier Chagnas © AP
En reprenant en conclusion le sous-titre du Traité d’orchestration et d’instrumentation écrit par Berlioz en 1843, « ce musicien de génie aura été vraiment, pour Emmanuel Fouquet, le grand représentant en France de la musique romantique de la première moitié du XIXe siècle en imaginant un nouveau style polyphonique où il cherche à développer (…) le caractère expressif des divers instruments de l’orchestre ». Il avait même créé pour Adolphe Sax, son voisin de la rue Saint-Georges, un « Chant sacré pour sextuor à vent » (dont la partition a été perdue).
Anick Puyôou
Eliza Roussel - Eric Lebrun et Marie-Ange Leurent © AP
* Eliza Roussel, soprano, est née à Varga, en Bulgarie. Elle a obtenu le Premier prix de fin d’études supérieures de l’Académie de Musique de Sofia en 2000, le Premier prix d’opéra et le Deuxième prix de lied et mélodie au concours « La scène française à Paris, le diplôme d’art lyrique de l’École normale de Musique en 2001, le DEM mention très bien du Conservatoire du Centre de Paris et le Premier prix de chant lyrique du CNR de Paris en 2005.
** Marie-Ange Leurent, enseignante, qui a étudié l’orgue avec Gaston Litaize et Michel Chapuis, a obtenu un Premier prix au CNSM de Paris. Elle est l’organiste titulaire du grand orgue de l’église Notre-Dame-de-Lorette, où elle forme un duo réputé avec son mari, l’organiste Eric Lebrun. Ensemble ils ont enregistré, entre autres, l’intégrale des œuvres de Jean-Sébastien Bach.
© 9ème Histoire - 2019
Catégorie : - Echos du Terrain
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