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Les Lorettes - mai 2019



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Constantin Guy  - Dans la rue - ca 1860 © RMN Musée d'Orsay

 



Les Lorettes dans le 9e du XIXe siècle

 


Emmanuel Pierrat, avocat au Barreau de Paris et spécialiste notamment de la propriété intellectuelle, a rédigé également un grand nombre d’ouvrages sur divers sujets dont certains à caractère historique. Il a publié ainsi en 2013 un livre sur le thème des Lorettes aux éditions LE PASSAGE. C’est à ce titre qu’Emmanuel Pierrat est donc intervenu mardi 14 mai à la mairie du 9e, pour évoquer devant une salle du Conseil bien remplie, le monde des demi-mondaines présentes en nombre dans notre quartier au cours du XIXe siècle. C’est d’ailleurs par le biais de la littérature de cette époque que notre conférencier allait traiter le sujet, rendant donc difficile une retranscription de tous les extraits cités…
 


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Emmanuel Pierrat débute son intervention en précisant que la prostitution était une activité florissante à Paris dès le règne au XIIIe siècle de Louis IX (plus connu sous le nom de Saint Louis) et qu’elle s’est particulièrement concentrée à la fin du XVIIIe siècle autour et sous les galeries du Palais-Royal nouvellement édifiées par Louis-Philippe d’Orléans, dit Philippe Égalité. Notre conférencier nous rappelle d’ailleurs que tout ce qui a trait aux jeux d’argent, au monde du théâtre, et bien sûr aux rapports galants tarifés, est prohibé officiellement à Paris en dehors de cette sorte de zone franche du Palais-Royal.
Celle-ci va pourtant cesser d’exister au moment de la Monarchie de Juillet notamment après les émeutes de 1831 et la reprise en main du régime menée en 1832 par
Soult, président du Conseil, et Thiers, ministre de l’intérieur. Tout un monde va alors s’établir rive droite dans les nouveaux quartiers alors en pleine expansion et qui s’ouvrent à la lumière avec l’arrivée du gaz de ville, celui de la presse mais aussi celui du monde de la finance avec les sièges des banques s’installant aux abords des Boulevards. Les théâtres fleurissent également dans ces quartiers qui deviennent à la mode, fréquentés par une population d’artistes et de bourgeois cultivés. C’est dans cette sphère que vont graviter les représentantes du monde du plaisir.

Emmanuel Pierrat les distingue en différentes catégories :

Les Grisettes, qui hantent plutôt les pourtours des Boulevards, se prostituent occasionnellement en accrochant le client sur le trottoir. Ce sont des jeunes femmes d’extraction très populaire dont le nom vient du tablier gris qu’elles portent dans les ateliers, tapisseuses, repasseuses, couturières et autres besogneuses cherchant ainsi à se sortir de la pauvreté. 
 


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Achille Deveria  -  Le lever des grisettes -  © RMN Grand Palais
 

 Les Lionnes surnommées aussi un peu plus tard les « grandes horizontales » comme le précise notre conférencier, sont des courtisanes entretenues par un seul homme, fréquentant plutôt le quartier des Champs-Elysées, et notamment le célèbre Bal Mabille (sur le site de l’avenue Montaigne) aujourd’hui disparu et dont la fameuse reine Pomaré était une des grandes figures dans les années 1844-45.

 Les Lorettes partagent elles leur frais et leurs faveurs entre plusieurs amants qui se succèdent au fil de la semaine. Ces « Arthur », comme elles les dénomment, ne sont de fait pas assez riches pour se montrer exclusifs et celles-ci se garantissent ainsi de la gêne que pourrait provoquer la rupture avec un protecteur unique ! Notre conférencier se permet même de les comparer à des sortes de geishas parisiennes en ce sens qu’elles sont souvent les compagnes des artistes, mais avec cependant sans doute un niveau de raffinement moins élevé …
 


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"Ce que c'est pourtant que nos sentiments" -
Paul Gavarni dans Le Diable à Paris édition de 1869.

 


Elles sont particulièrement nombreuses dans les nouveaux quartiers entourant l’église Notre-Dame-de-Lorette issus de l’ancien quartier des Porcherons, où viennent s’installer dans les années 1830 - 1840 nombre d’écrivains et autres artistes. Les promoteurs immobiliers de cette époque vont alors louer des appartements à peine terminés à ces jeunes demoiselles qui y « séchaient les plâtres ».
Dans ces rues qui vont être celles de la Nouvelle Athènes vont donc prospérer les Lorettes et particulièrement dans le secteur des rues Bréda (actuelle rue Henri Monnier), Neuve-Bréda, la fameuse Bréda street (actuelle rue Clauzel), Notre-Dame-de-Lorette et Saint-Georges. Dans cette dernière habitaient au 1
les frères Goncourt, grands amateurs des Lorettes qu’ils évoqueront souvent dans leurs œuvres ! Elles feront d’ailleurs la fortune littéraire de beaucoup d’écrivains de renom, comme Barbey d’Aurevilly, Balzac, Gauthier, Flaubert, Dumas ou encore plus tard Zola, Maupassant et Huysmans … C’est ainsi qu’Eugène Delacroix s’adressant à George Sand, situe dans ce quartier de Notre-Dame-de-Lorette « fait pour étourdir un jeune homme aussi ardent que moi, l’aristocratie de l’intelligence et de la beauté ».  
 


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Paul Gavarni  - Les Lorettes  - 1842  - Wikicommons 
 


Cela n’empêche pas les Goncourt dans leurs écrits, de faire de ces femmes un portrait le plus souvent au vitriol ou Gavarni, qui les croque abondamment dans ses illustrations, de dire : « je hais la fille, mais j’aime la femme », pour montrer l’ambivalence de leur profil.

Le terme de Lorette avait été utilisé pour la première fois par le journaliste Nestor Roqueplan pour désigner cette classe supérieure de la prostitution qui se caractérise par la liberté et l’indépendance de ses actes sur lesquelles insiste particulièrement Emmanuel Pierrat, en faisant de ces femmes en quelque sorte les pionnières de l’insoumission au pouvoir masculin (thèse sans doute un peu discutable) …

Elles ne seront d’ailleurs pas négligées par des lexicographes comme Louis-Nicolas Bescherelle ou Pierre Larousse qui ne manqueront pas de les définir dans leurs dictionnaires respectifs !  Ce dernier parle ainsi des Lorettes dans son dictionnaire paru en 1873 : « Jeunes femmes élégantes aux mœurs légères menant une vie galante ». Dans ses Mémoires, Vidocq, le brigand devenu grand policier, soulignera lui le caractère non vulgaire de ces femmes menant par ailleurs une vie bien libre.

Emmanuel Pierrat allait alors montrer dans sa conférence l’empreinte forte des Lorettes dans la littérature de la moitié du XIXe siècle, en citant les nombreuses références qui y sont faites aussi bien par des auteurs de renom que d’autres assez oubliés aujourd’hui.

Impossible donc de donner ici des extraits de l’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert, de Filles, Lorettes et Courtisanes d’Alexandre Dumas fils, ou de son célèbre roman La Dame aux camélias ou encore de Splendeurs et misères des courtisanes d'Honoré de Balzac et de Nana d'Émile Zola qui appartient lui à la troisième vague des écrivains, celle des naturalistes de la fin du XIXe siècle, comme l’évoque Emmanuel Pierrat, avec aussi les écrivains Huysmans ou Maupassant.

Si les Lorettes allaient être remplacées dans leur appellation par les Cocottes pendant le Second Empire ou par les Grues ou demi-mondaines à l’orée du XXe siècle, l’activité elle-même n’allait pas disparaître pour autant …

Une bien brillante conférence terminée en répondant aux nombreuses questions et interventions de la salle et par une séance de signatures de son livre sur les Lorettes.
 




Emmanuel FOUQUET
 


 


© 9ème Histoire - 2019


Date de création : 18/05/2019 • 13:10
Catégorie : - Echos du Terrain
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