Le Hammam des Mathurins
© A. Boutillon 2019 © 9ème Histoire 2019
LE HAMMAM DE LA RUE DES MATHURINS
Rue des Mathurins, la façade de l’immeuble portant le n° 18 tranche curieusement, par son style arabo-mauresque, avec les autres bâtiments de la rue élevés à la même époque. Les arcs outrepassés de ses portes et de ses fenêtres aux entourages à claveaux alternés ou soulignés de motifs floraux, tout comme le dessin orientaliste des fontes du balcon, ne manquent pas d’intriguer les passants qui ignorent qu’il s’agit là de l’unique vestige d’un célèbre établissement de bains installé ici dans le dernier quart du XIXe siècle.
Détail des fenêtres de la façade du Hammam des Mathurins
Autour de 1875, deux architectes, Albert Duclos et William Klein, font l’acquisition d’un terrain sur la rue Neuve-des-Mathurins (elle perdra son épithète de « Neuve » en 1882) dans l’intention d’y installer, au rez-de chaussée, un établissement de bains publics « turco-romains », à mi-chemin des thermes de la Rome antique et des bains ottomans (1). Ils donneront naturellement à leur immeuble un aspect exotique en rapport avec le genre de l’établissement (2).
Dessins de la façade sur rue © Getty Images
Le Figaro du 16 mars 1876 publiait l’information suivante : « Nous nous empressons d’annoncer à nos lecteurs qu’aujourd’hui jeudi, 16 courant, a lieu l’ouverture du magnifique établissement de Bains Turco-Romains, Le Hammam, rue Neuve-des-Mathurins, 56, (3) à l’angle de la rue Auber ».
© BnF Gallica.
L’affiche publicitaire qui est diffusée à l’époque détaille tous les services proposés aux clients : Massage, Salles d’inhalation pour les deux sexes, Lavage et douches, Étuves à air sec, Piscine d’eau de source. Un Buffet-restaurant est également disponible, ainsi qu’un Trinkhalle fourni en différentes eaux minérales. En outre, les dames peuvent, après les méfaits causés à leurs cheveux par le bain de vapeur, se refaire une beauté au salon de coiffure de l’établissement.
Publicités du Hammam des Mathurins ©Paris Bise-Art
En effet, les femmes, généralement celles qui « sentent venir l’embonpoint », ou des artistes « dont les bronches ou le larynx réclament des soins spéciaux », ont aussi accès au Hammam, mais par une autre entrée, située au 47, boulevard Hausmann, et là, ainsi que l’affirmera Le Figaro, « les baigneuses sont absolument chez elles ; chaque femme y vient seule et n’est vue que par les deux dames Driot, l’une doucheuse et l’autre masseuse, qui sont discrètes comme la tombe » (4).
C’est encore dans Le Figaro qu’on pourra lire le « mode d’emploi » du Hammam : « D’abord, l’heure de la journée est absolument indifférente ; il est cependant préférable d’être à jeun. Après vous être déshabillé, traversez la grande étuve, entrez dans la petite étuve de droite chauffée à 75 degrés, restez-y de cinq à dix minutes, jusqu’à ce que la transpiration commence, puis venez l’achever tranquillement pendant une petite demi-heure dans la grande étuve. Prenez un masseur – il y en a d’anglais, d’arabes, de français – ensuite, faites-vous savonner à l’eau tiède. Enfin, si vous savez nager, jetez-vous dans la piscine ; si la piscine vous effraie, prenez une courte douche froide, en mouillant bien les pieds et pas du tout la tête, après quoi un garçon vous enveloppera de linges moelleux, et vous irez vous étendre sur un lit de repos, où vous jouirez d’un bien-être exquis ». Le journaliste précise que l’établissement est dirigé par l’aimable M. Bonnevaine et que le chef masseur, M. Driot, « se fera au besoin transpirer, masser et doucher avec vous, pour que vous n’ayez aucune hésitation et ne commettiez aucune erreur » (4).
La salle de repos du Hammam (© Photo Charles Lansiaux, Musée Carnavalet)
Une séance au Hammam ne visait pas seulement à procurer un bien-être momentané, mais les bains turco-romains se flattaient d’être un véritable traitement médical contre « les maladies rebelles aux remèdes ordinaires, rhumatismes, goutte, scrofules, obésité, etc. » et la « la médication la plus simple et la plus naturelle pour prévenir et guérir rhume, corysa [sic], les affections catharrales [sic] des bronches, du larynx, des reins, de la vessie, la diarrhée, etc. ».
Publicité parue dans le journal satirique « Le Grelot » en 1881 ©Paris Bise-Art
En 1884, on pouvait lire dans le journal Gil Blas du 23 octobre, sous le titre « Arak-Taïeb » et le sous-titre « Que la transpiration vous donne la santé. Salut turc et devise du Hammam », que «le bain turco-romain, en étuve sèche, avec massage, frictions, lavage et douches, est incomparablement le meilleur et le plus efficace de tous les bains. Il combat victorieusement les douleurs rhumatismales, articulaires, lombagos, et ses effets salutaires sont également remarquables dans le traitement d’une foule d’affections qui ont leur origine dans l’irrégularité des fonctions de la peau ».
Lors de l’épidémie de grippe (5) venue de Russie qui, en quelque trois semaines, au cours de l’hiver 1889-1890, avait causé des centaines de morts à Paris, l’établissement de la rue des Mathurins n’hésitait pas à affirmer : « Par ces temps d’influenza, la plus stricte observation des règles de l’hygiène s’impose comme un devoir envers soi-même. Aussi doit-on prendre fréquemment des bains de vapeur au Hammam, 18, rue des Mathurins ».
C’est toujours en lisant Le Figaro qu’on découvre que « le Hammam est devenu une mode et une distraction parisiennes […] Aujourd’hui, l’établissement de la rue Neuve-des-Mathurins est le rendez-vous de tout ce qui vit à Paris, homme politiques, artistes, journalistes, élégants […] ».
Tout le gotha de l‘époque s’y retrouve : Gambetta, le baron Haussmann, les ducs d’Aumale et de Montpensier, respectivement fils et petit-fils du roi Louis-Philippe, le prince de Galles, futur Edouard VII, le baron de Rothschild, le prince Napoléon, dit Plon-Plon, etc.
L’empereur du Brésil et le général Grant ont été vus aussi occasionnellement au Hammam. Quant au shah de Perse, il y fait de fréquentes visites (4).
Un petit établissement d’hydrothérapie était annexé au Hammam, où l’on pouvait, sans avoir à passer par les étuves du bain turc, « prendre la douche écossaise ou froide, en pluie, en jet, en cercle, en bain de siège, etc. […] Certains jours on fait littéralement queue pour se faire doucher par Raymond, qui est en train de passer à la postérité par la façon rapide et adroite avec laquelle il vous administre sans douleur les douches les plus rudes et les plus froides » (4).
L'immeuble de l'ancien Hammam 18 rue des Mathurins © A. Boutillon.
Le Hammam se visitait comme un musée : le public y était admis, moyennant 1 fr, un soir par semaine, afin non seulement de lui faire admirer les magnifiques décors exotiques de l’établissement, mais également pour initier hommes et femmes aux pratiques du bain turco-romain et, sans doute, les inciter à en devenir clients. Au fil des années, le Hammam ajoutera d’autres cordes à son arc ; on pouvait lire, en effet, dans Le Gaulois du 19 septembre 1884, cet entrefilet : « Le Hammam vient d’inaugurer une nouvelle attraction. Le premier et le quatrième mercredi de chaque mois, on peut y voir, de huit heures et demie à dix heures et demie, le célèbre nageur Henry Johnson. Soirée très intéressante. Demander les billets à l’administration, 18, rue des Mathurins ».
Au cours des années suivantes, on ne trouve plus, dans les quotidiens parisiens, mention du Hammam de la rue des Mathurins. L’établissement aurait perduré jusqu’en 1954. Après sa fermeture, une rénovation complète a fait disparaître tous les décors intérieurs, ne laissant subsister que la façade (6). Il y a quelques années s’y sont installés les magasins C&A.
(1) La mode est alors à l’hygiénisme, importé de Turquie vers le milieu du XIXe siècle par un diplomate écossais, David Urquart, et qui sera par la suite largement diffusé en France.
(2) Les deux architectes construiront, quelques années plus tard, toujours dans un style orientalisant, l’Eden Théâtre, rue Boudreau, dans le 9e. Après avoir changé de nom à plusieurs reprises, l’établissement sera finalement démoli en 1895. C’est à son emplacement que s’élève aujourd’hui l’Athénée-Louis Jouvet.
(3) Le 56, rue Neuve-des-Mathurins, deviendra quelques années plus tard le 18, rue des Mathurins.
(4) Le Figaro du 24 juin 1878.
(5) On parlera même de pandémie, la maladie s’étant propagée dans toute l’Europe, et jusqu’en Amérique. A Paris, l’influenza avait fait des ravages dans toutes les couches de la société, y compris dans la classe politique, où l’on mentionne, parmi les malades, le président du Conseil, Sadi Carnot. « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient atteints ». Les morts se compteront néanmoins par centaines tous les jours à Paris. Le journal Le Gaulois rapporte que le service des pompes funèbres est tellement débordé par le nombre de décès que l’administration a dû engager un personnel supplémentaire. Et comme de nombreux employés funéraires sont eux-mêmes malades, il a fallu organiser un système de porteurs dans les cimetières, où les convois doivent attendre des heures entières, à la suite l’un de l’autre. Cette désorganisation donnera lieu à quelques incidents désagréables, dont celui-ci, survenu dans le 9è : « On devait inhumer hier le cadavre d’un habitant de la rue Blanche, M. L… A l’heure fixée pour l’enterrement, les invités arrivèrent. Pendant deux heures ils attendirent l’arrivée du char qui devait enlever le corps. On courut à la mairie de l’arrondissement, où l’on apprit que, faute de corbillard, l’enterrement ne pouvait avoir lieu que le lendemain ». (Le Gaulois des 27 et 30 décembre 1889).
(6) Site « Paris Promeneurs ».
Aline BOUTILLON
© A. Boutillon 2019 © 9ème Histoire 2019
Catégorie : - Articles-Balades dans le 9e
Page lue 8898 fois