Cimetière Montmartre
© A. Boutillon 2010 © 9e Histoire 2012-2014
UN HAUT LIEU PARISIEN
LE CIMETIERE DE MONTMARTRE, PANTHEON DU 9e
Il aura fallu l’éboulement, en 1780, d’une fosse commune du cimetière des Saints-Innocents dans la cave d’un immeuble voisin pour que l’on se décide à interdire les inhumations dans Paris intra-muros et à décréter la création de cimetières à la périphérie.
En 1798 on aménagera, au pied de la butte Montmartre, sur une partie des anciennes carrières qui avaient été fermées à la Révolution, un petit cimetière pour accueillir les défunts des arrondissements du nord de Paris[1], le Cimetière sous Montmartre. Mais ce champ du repos, comme on l’appelait aussi, d’une surface d’un hectare environ, arrivera vite à saturation et, en 1812, il faudra le fermer.
En 1825, l’acquisition de plusieurs terrains voisins permettra de le rouvrir, sur une superficie dix fois plus importante. Ce nouveau cimetière prendra alors le nom de Cimetière du Nord ou de Montmartre. En 1847, encore agrandi, il totalisera 21 hectares, mais cette partie supplémentaire sera désaffectée en 1879 et aliénée cinq ans plus tard pour la construction de l’hôpital Bretonneau et l’aménagement du square Carpeaux. En 1888, la rue Caulaincourt sera prolongée jusqu’au boulevard de Clichy par un viaduc au-dessus du cimetière, ce qui occasionnera le transfert de nombreuses tombes.
Aujourd’hui ses onze hectares environ, en font un cimetière à taille humaine, où il est agréable de flâner par un beau matin d’été et de découvrir, au détour d’un chemin, la sépulture d’un personnage connu, un monument funéraire intéressant par son originalité ou réalisé par un artiste de renom, ou encore une tombe émouvante par sa simplicité. Beaucoup de ceux qui reposent dans ce cimetière ont habité ou oeuvré, à un moment ou à un autre, dans l’actuel neuvième arrondissement. Nous ne retiendrons ici que ceux qui ont vécu au XIXè siècle, mais la liste ne saurait être exhaustive, et nous laissons au promeneur curieux le plaisir de faire ses propres découvertes.
Par l’Avenue Saint-Charles, on accède à la tombe de la famille Boulanger, dont tous le membres se sont voués à la musique. La grand-mère, Marie-Julie, née Hallinger, était mezzo soprano ; entrée à l’Opéra-Comique en 1811, elle s’y produira jusqu’en 1835. En 1830, c’est elle qui créera le rôle de Pamela dans le Fra Diavolo d’Auber. En 1810, elle a épousé Frédéric Boulanger, violoncelliste et professeur de chant au Conservatoire.
Leur fils Ernest (1815-1900) se fera connaître comme chef d’orchestre et compositeur, avant d’enseigner le chant comme son père. En 1874, lors d’un séjour à Saint-Pétersbourg pour une série de concerts, il rencontre une jeune princesse russe, Raïssa Michetsky (1858-1935), qui devient son élève et qu’il épouse trois ans plus tard ; il a alors soixante-deux ans et elle dix-neuf… Ils s’installent au 35, rue de Maubeuge, où naîtra leur fille Nadia (1887-1979). En 1893, on les retrouve au 30, rue La Bruyère. C’est là que vient au monde Marie-Juliette Olga, que tout le monde appellera Lili. En 1904, quatre ans après la mort d’Ernest, Raïssa déménagera avec ses deux filles au 36, rue Ballu.
Lili (1893-1918), la plus douée des deux sœurs, a composé de nombreuses pièces d’inspiration religieuse. Hélas, elle mourra très jeune, à vingt-quatre ans, de tuberculose intestinale. Nadia composera aussi, avant de se tourner vers la direction d’orchestre ; elle sera également une organiste émérite, suppléant notamment Gabriel Fauré à l’orgue de la Madeleine. Mais elle se consacrera surtout à l’enseignement de la composition et deviendra l’un des professeurs les plus influents du XXe siècle, à la réputation internationale. Elle ne se mariera jamais et mourra à quatre-vingt-douze ans.
Il suffit de se retourner pour voir, en face, la tombe d’un autre musicien, compositeur et professeur d’harmonie, Hippolyte Colet (1808-1853), auteur de plusieurs ouvrages didactiques, dont le plus connu est sa Panharmonie musicale. En tant que compositeur, on lui doit un opéra, deux opéras comiques, ainsi que quelques pièces musicales. Sur le médaillon en bronze, œuvre du sculpteur Hippolyte Ferrat, qui orne sa stèle, il a l’air songeur. Peut-être pense-t-il avec mélancolie à ses déboires conjugaux…
Il avait épousé, en décembre 1834, Louise Révoil (1810-1876), qui s’était fait connaître comme écrivain et poétesse. Les jeunes mariés s’installeront d’abord rue des Petites-Ecuries, mais, dès 1838, on les trouve au 24, rue Saint-Lazare ; ils déménageront ensuite rue Fontaine. Leur mariage sera un échec : Hippolyte a mauvais caractère, il est jaloux, et Louise, qui ne l’avait épousé que par ambition, va se détourner de lui. En 1840, alors qu’elle entretient une relation avec le philosophe Victor Cousin, elle donne naissance à une fille, Henriette, que ni le mari ni l’amant ne voudra reconnaître. Les époux se sépareront en 1843, chacun vivant alors sa vie de son côté. Hippolyte s’éteindra huit ans plus tard, dans son appartement au deuxième étage du 69, rue Blanche. Quant à Louise, elle décédera en 1876 et sera inhumée à Verneuil-sur-Avre, où sa fille s’était installée après son mariage.
Un peu plus loin, voici la sépulture de la famille Feydeau. De son propre aveu, Georges Feydeau n’était pas le fils biologique de l’écrivain Ernest Feydeau ; sa mère, Leocadie Boguslawa Zalewska, lui aurait révélé un jour que son père était en réalité Napoléon III ; selon d’autres sources, il s'agirait plutôt du duc de Morny, le demi-frère de l’Empereur.
Notre plus célèbre vaudevilliste, né 49 bis, rue de Clichy, s’est d’abord essayé au métier d’acteur, mais sans succès. Il se tournera alors vers l’écriture. Sa première grande pièce sera «Tailleur pour Dames », en 1886. En 1889, il épouse Marie-Anne Carolus-Duran, mais la vie de bâton de chaise que mène l’écrivain conduira le couple à la séparation ; Georges quitte le domicile conjugal et va s’installer au Grand Hôtel Terminus, où il louera un appartement pendant dix ans. Le divorce sera prononcé en 1916. En 1919, atteint de troubles psychiques provoqués par la syphilis, il est interné dans une maison de santé, le Sanatorium de la Malmaison, où il meurt deux ans plus tard.
De l’autre côté de l’avenue Saint-Charles, un sarcophage surmonte la tombe d’Alphonsine Plessis (1824-1847). Née à Nonant-le-Pin, en Normandie, dans une famille très pauvre, à quinze ans elle vient à Paris, où elle travaille chez un chapelier, rue Coquenard, future rue Lamartine. L’année suivante, un riche commerçant la met dans ses meubles. Sa beauté et son intelligence en feront très vite la courtisane la plus recherchée de Paris et l’élite des hommes de son temps fréquentera son salon. Entre temps, elle a modifié son nom en Marie Duplessis, qui lui paraît plus aristocratique.
Sa liaison avec Alexandre Dumas fils[2] en 1844 inspirera au jeune écrivain sa Dame aux Camélias. L’année suivante elle accepte d’épouser le comte Edouard de Perrégaux et part le rejoindre à Londres en janvier 1846. Mais le père du jeune homme ne veut pas entendre parler de cette bru, et Marie rentrera seule à Paris, où elle mourra quelques mois plus tard de phtisie dans son appartement du boulevard de la Madeleine.
Une rue du neuvième porte le nom du peintre Jules Lefebvre (1836-1911). Né à Tournan-en-Brie, en Seine-et-Marne, il commence par être apprenti dans la boulangerie familiale, avant que son père, frappé par ses dons artistiques, ne l’envoie à Paris suivre les cours de Léon Cogniet. Peintre académique, on lui doit de très nombreuses représentations féminines, mais il est surtout connu pour ses nus.
Il a aussi réalisé quelques portraits, notamment celui du prince impérial, qui posera pour lui en juillet 1870 au château de Saint-Cloud. Sa tombe est surmontée de son buste par Ernest Dubois, qui y a également reproduit, en bas-relief, La Vérité, l’un des plus célèbres tableaux du peintre.
Un peu plus haut est enterré Narcisse Diaz de La Peña (1807-1876). D’origine espagnole, il est né à Bordeaux. A dix ans, il est mordu par un serpent ; la plaie, mal soignée, s’infectera, et il faudra l’amputer ; il sera obligé, toute sa vie, de marcher avec une jambe de bois. Après un apprentissage dans une manufacture de porcelaine, il se consacre à la peinture de tableaux et se joint, en 1837, au groupe de Barbizon. Sa production picturale sera extrêmement prolifique, ce qui lui permettra de se faire construire un immeuble au 1, place Pigalle, non loin de son atelier, qui se trouvait au 11.
Avenue de Montmorency, sous une dalle gravée de leurs deux portrait, reposent Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) Huot de Goncourt. Les deux frères, qui ont publié plusieurs ouvrages en commun, sont surtout connus pour leur Journal, rédigé entre 1851 et 1896. Au début, c’était surtout Jules qui écrivait ; après sa mort, Edmond poursuivra l’œuvre tout seul.
En 1849 ils se sont installés au 43, rue Neuve Saint-Georges ; ils déménageront en 1868, car Jules, déjà malade, ne supporte plus le tintamarre qui vient d’en face, chez Adolphe Sax[3].
Edmond instituera par testament une société littéraire chargée d’attribuer tous les ans un prix de 5.000 francs de l’époque à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année. La Société littéraire des Goncourt deviendra l’Académie Goncourt.
Un peu plus loin se dresse le monument funéraire de Gilbert Duprez (1806-1896), qui fut le premier ténor en France à lancer un contre-ut en voix de poitrine ; c’était en 1837, sur la scène de l’Opéra de la rue Le Peletier, dans le Guillaume Tell de Rossini. Il fondera par la suite sa propre école de chant, dans son hôtel particulier de la rue Turgot.
Avenue de la Croix, on peut s’étonner de lire, sur une stèle, cette épitaphe en italien : Arrigo Beyle Milanese Scrisse Amò Visse Ann. LXIX M. II morì il XXIII Marzo MDCCCXLII »[4]. Henri Beyle (1783-1842), qui allait prendre dès 1817 le nom de plume de Stendhal, était en effet le plus italien des Français : il avait séjourné à plusieurs reprises en Italie, notamment en tant que consul de France à Trieste et à Civitavecchia, et passé de nombreuses années à Milan. Il dira d’ailleurs : « Le cœur est toujours pour Milan, c’est ma patrie ».
Rentré à Paris en 1836, il s’installe jusqu’en 1839 au 8, rue de Caumartin, où il écrit La Chartreuse de Parme en cinquante-deux jours, puis il repart une dernière fois pour l’Italie, que sa santé l’obligera à quitter à nouveau en 1841. Il mourra quelques mois plus tard rue Neuve-des-Petits-Champs. Sa tombe, ornée d’un médaillon de David d’Angers, d’abord sous le viaduc, a été transférée ici en 1892.
A quelques pas de là, ayons une pensée pour la belle Madame Récamier (1777-1849), qui repose ici aux côtés de ses parents, Jean et Marie-Julie Bernard, et de Jacques Rose, son époux, auquel on l’a mariée à quinze ans. Le mariage ne sera jamais consommé, car M. Récamier était en fait le père biologique de sa femme et, par ce mariage, il s’assurait de lui léguer sa fortune ; ce qui ne se fera pas, hélas, car en 1819 il sera complètement ruiné !
Juliette Récamier a tenu, sous le Directoire, un salon brillant dans son hôtel de la Chaussée d’Antin. Avec son amie Mme de Staël, elle deviendra une figure clé de l’opposition au régime impérial, ce qui lui vaudra, en 1811, d’être exilée ; elle ne rentrera en France qu’à la chute de Napoléon. En 1819, après la ruine de son mari, elle s’installera à l’Abbaye-aux-Bois[5], où son salon sera fréquenté par toutes les célébrités de l’époque. Elle aura une multitude de soupirants, mais elle les éconduira tous, à l'exception du prince Auguste de Prusse, avec lequel elle fera même des projets de mariage... qui tourneront court. Elle aura, plus tard, une longue liaison avec Chateaubriand, qui durera jusqu'à la mort de l'écrivain en 1848. Juliette décèdera à son tour, l'année suivante, victime du choléra.
Au bout de l’avenue on peut voir la tombe de Louise Weber (1866-1929). Celle qui deviendra célèbre sous le nom de la Goulue a commencé sa carrière au cirque Fernando[6]. On la retrouve ensuite au Moulin de la Galette, où elle danse le cancan. Quand le Moulin Rouge ouvre ses portes en 1889, elle s’y produit avec Valentin le désossé, Grille d’Egout et Nini Pattes en l’air. En 1893, elle inaugure la scène de l’Olympia, mais elle abandonne bientôt le music-hall pour devenir dompteuse. En 1907, elle change encore une fois de métier : elle devient actrice et joue dans de petits théâtres. Par la suite, elle connaîtra la déchéance et la maladie. Elle mourra hydropique en 1929.
Le Chemin Troyon doit son nom à Constant Troyon (1810-1865), peintre réaliste, ami de Jules Dupré et, comme lui, très attaché à la représentation des animaux de la campagne. Atteint d’hallucinations, il finira par peindre des vaches dans les arbres et mourra fou, à cinquante-cinq ans, dans son appartement du boulevard Rochechouart.
Alphonse Baudin (1811-1851), médecin et député, est mort sur une barricade, tué par une balle perdue alors qu’il manifestait contre le coup d’Etat du 2 décembre 1851, qui allait amener Napoléon III au pouvoir. Son monument funéraire, qui n’est plus qu’un cénotaphe, puisque ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1889, est surmonté d’un gisant par Aimé Millet ; le sculpteur l’a représenté la tête rejetée en arrière, comme au moment de sa mort, et l’on peut voir, sur sa tempe droite, le trou fait par la balle mortelle.
La sépulture d’Alexandre Dumas fils (1824-1895), au fond de l’Avenue de Montmorency, ne passe pas inaperçue : sous un monumental dais de pierre porté par des colonnes en granit blanc, son gisant, la tête couronnée de lauriers, est l’œuvre de René de Saint-Marceaux. Fils naturel d’Alexandre Dumas et d’une couturière, il a sept ans quand son père consent à le reconnaître et il vivra très mal cette illégitimité.
Juste derrière se trouve la tombe d’Adolphe Nourrit (1802-1839), qui fut de longues années premier ténor à l’Opéra de Paris, avant que Gilbert Duprez ne vienne l’évincer, en 1837. Nourrit ne s’en remettra jamais et un soir, à Naples, il se jettera par la fenêtre de son hôtel.
Sur la même rangée se dresse la chapelle funéraire du peintre Ary Scheffer (1795-1858), l’un des chefs de file de l’école romantique et portraitiste de renom. D’origine hollandaise, il arrive à Paris en 1811 et suit les cours du peintre Pierre Guérin. En 1822, il est professeur des enfants d’Orléans. A partir de 1833, il réalise plusieurs tableaux pour la galerie des Batailles du musée de Versailles. Vers la fin de sa vie, il se consacrera à la peinture d’inspiration religieuse. Sa fille, Cornelia Marjolin, également inhumée ici, a reproduit sur les murs intérieurs des peintures de son père et sculpté le bas-relief « Ange pleurant sur un tombeau » placé au fronton.
On trouve aussi dans ce caveau Ernest Renan (1823-1892), qui a épousé Cornélie Scheffer, la nièce d’Ary. Elevé dans la foi catholique, c’est paradoxalement l’étude des textes bibliques, sur lesquels il se penche avec l’œil critique de l’historien, qui l’amènera à perdre la foi. En 1863, il écrit une Vie de Jésus, où il s’attache à démontrer que le Christ n’était qu’un homme et non l’incarnation de Dieu.
Le caveau des Scheffer a hébergé temporairement la dépouille du patriote vénitien Daniele Manin et de sa fille Emilia. En 1849, obligé de s’exiler, Manin était venu en France dans l’intention de s’installer à Paris avec sa famille. Mais sa femme étant morte en cours de route, c’est avec sa fille qu’il s’installe au 70, rue Blanche. En 1854, Emilia meurt ; Ary Scheffer, qui habite à deux pas de là, rue Chaptal, vient en voisin et propose à Manin d’inhumer la jeune fille dans son propre caveau ; son père l’y rejoindra trois ans plus tard. En 1868, leurs cendres seront transférées à Venise.
La tombe de Laure Permon, duchesse d’Abrantès (1784-1838), ornée d’un médaillon de David d’Angers, est juste à côté. Laure connaît Bonaparte depuis son plus jeune âge, car leurs deux mères étaient amies d’enfance. C’est donc dans l’entourage du jeune général qu’elle fait la connaissance du bel Andoche Junot, qu’elle épouse en 1800, à seize ans. Junot, qui a été fait duc d’Abrantès en 1807, sera atteint de troubles psychiatriques et mourra fou en 1813, ne laissant à sa femme que d’énormes dettes. Pour les éponger, elle devra vendre ses meubles et ses bijoux. Dès 1814, elle s’était ralliée aux Bourbons, ce qui lui permettra, quand elle n’aura plus d’argent, de quémander une pension au roi.
Vers 1828, Honoré de Balzac, avec lequel elle aura une longue liaison, va la pousser à rédiger ses mémoires, dont il écrira d’ailleurs lui-même des chapitres entiers. Elle s’est repliée dans un modeste appartement au 18, rue de La Rochefoucauld, où elle continue à tenir salon. Dix ans plus tard, hélas, ses derniers manuscrits seront refusés ; dans la misère, elle déménage dans un pauvre logement de la rue de Navarin, mais ses créanciers l’obligeront à le quitter. Malade, elle ira mourir à l’hôpital.
Avenue Hector Berlioz, voici d’abord la sépulture du compositeur Victor Massé, (1822-1884), auteur d’opéras, opéras comiques et opérettes ; la plus connue de ses œuvres est Les Noces de Jeannette, composée en 1853 et qui a eu un immense succès. Atteint d’une sclérose en plaques, paralysé les dernières années de sa vie, il s’éteint à soixante-deux ans dans sa maison du 1, avenue Frochot.
Un peu plus loin, c’est encore un médaillon de David d’Angers qui orne la tombe de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), Celle qui est considérée comme l’une de nos plus grandes poétesses a commencé par être actrice, et même cantatrice : elle fait ses débuts à seize ans au théâtre de Douai, sa ville natale ; en 1815, à Bruxelles, elle est Rosine dans Le Barbier de Séville de Rossini.
En même temps, elle commence à écrire des poèmes et publie son premier recueil en 1819. A partir de 1832, elle se consacrera exclusivement à l’écriture. Entre 1838 et 1840, elle a habité 8, rue La Bruyère.
Sous un monument surmonté de son buste par Marquet de Vasselot repose Emmanuel Gonzalès (1815-1887). Auteur de nombreux romans et pièces de théâtre, il est, en1863, président de la Société des Gens de Lettres. Il habite avec sa famille, rue Breda, un appartement où sa femme tient un salon brillant. Sa fille Eva (1849-1883) aura son atelier de peintre à la même adresse.
On atteint la sépulture de la famille Viardot par le Chemin Duc. Si l’on ne présente plus Pauline, fille du ténor Manuel Garcìa, petite sœur de la Malibran, et dont on connaît presque tout : sa carrière de mezzo soprano, son amitié avec George Sand, sa relation avec Ivan Tourgueniev…, on parle rarement de son mari. Louis Viardot (1800-1883) est journaliste et écrivain ; il écrit dans Le Globe, La Revue des Deux Mondes, Le Siècle… ; en 1841, il fondera, avec George Sand et Pierre Leroux, La Revue Indépendante.
Nommé directeur du Théâtre Italien en 1838, il démissionnera après son mariage avec Pauline, en 1840, afin de s’occuper de la carrière de sa femme et la suivre dans ses tournées. En 1844, à Saint-Pétersbourg, le ménage Viardot fait la connaissance d’Ivan Tourgueniev et une solide amitié les liera au jeune écrivain russe. Sa connaissance de l’espagnol avait permis à Louis de traduire le Don Quijote de Cervantes ; plus tard, avec l’aide de Tourgueniev, il traduira les œuvres de Gogol et de Pouchkine. On lui doit aussi de nombreux essais et une Histoire des Arabes et des Mores d’Espagne.
Louis Viardot et Ivan Tourgueniev mourront tous deux en 1883. Pauline quittera l’année suivante son appartement du 50, rue de Douai pour le 243, boulevard Saint-Germain, où elle s’éteindra en 1910.
Chemin Artot, une des plus anciennes sépultures du cimetière est celle des Sanson, une famille d’origine florentine venue en France dans la suite de Marie de Médicis. Elle contient la dépouille des trois derniers représentants d’une dynastie dont les membres, de 1688 à 1847, seront bourreaux de Paris de père en fils. Le premier des trois, Charles-Henri (1739-1804), est né rue Bleue, dans une maison que possédait son père. Il commence sa carrière de bourreau sous Louis XV. L’invention de la guillotine lui facilitera la tâche, mais lorsqu’il tranchera la tête de Louis XVI, le 21 janvier 1793, ce sera pour lui un tel traumatisme qu’il décidera de ne plus exercer sa charge et de laisser son fils Henri (1767-1840) lui succéder. C’est donc ce dernier qui guillotinera Marie-Antoinette le 16 octobre 1793.
A la mort d’Henri, le flambeau passera à son fils Henri-Clément (1799-1889). Mais celui-ci, joueur invétéré, engagera son outil de travail, c’est-à-dire la guillotine, pour payer ses dettes de jeu. Il sera évidemment démis de sa charge quand l’Administration découvrira la chose. Comme il n’a eu que des filles, c’est donc avec lui que s’éteint la dynastie, en 1847.
A l’angle du Chemin Artot et de l’avenue qui désormais porte son nom, un monument moderne abrite la sépulture d’Hector Berlioz (1803-1869). Le compositeur avait d’abord été inhumé dans la septième division, presque au fond du cimetière ; à l’occasion du centenaire de sa mort, en 1969, sa tombe a été transférée dans cet emplacement plus central et un nouveau monument fut élevé par souscription nationale. Il repose ici aux côtés de ses deux femmes, l’actrice irlandaise Harriet Smithson, dont il s’est séparé en 1840, et la chanteuse Marie Recio, qu’il a épousée en 1854 après la mort de Harriet.
A son décès, en 1862, Marie est enterrée au cimetière de Montmartre. Deux ans plus tard, Berlioz est prévenu que la sépulture de sa première femme, au cimetière Saint-Vincent, doit être déplacée. Il va donc la faire exhumer et transférer dans le caveau où repose déjà Marie. Quand il mourra à son tour, en 1869, au 4, rue de Calais, le monument funéraire sera orné d’un médaillon le représentant de profil, œuvre du sculpteur Cyprian Godebski. Lors du transfert de la tombe, ce médaillon sera incrusté dans le nouveau monument. La couronne portant le nom Berlioz, qui surmontait l’ancien monument, sera posée sur la tombe des parents du compositeur à La Côte Saint-André.
En pénétrant dans l’ancien enclos israélite[7], on est accueilli par une statue monumentale de Moïse, copie, par Antonin Mercié, de celle de Michel-Ange. La tombe qu’elle surmonte contient la dépouille de Daniel Ifla (1825-1907). Né à Bordeaux dans une famille originaire de la communauté juive portugaise, à dix-sept ans, il monte à Paris. Par la suite, il deviendra banquier et amassera une fortune colossale. En 1861, il changera son patronyme en Osiris.
En 1854, il a épousé Léonie Carlier, fille d’un entrepreneur de peinture qui habite la rue La Bruyère, rue où Ifla possédera lui-même cinq hôtels particuliers. Mais Léonie meurt en couches deux ans plus tard, ainsi que les jumeaux qu’elle vient de mettre au monde… Daniel ne se remariera jamais et consacrera sa fortune à des œuvres caritatives, devenant le plus grand philanthrope de son temps et un important mécène. En 1877, il fait construire à ses frais la synagogue de la rue Buffault et, en 1896, il rachète le domaine de Malmaison, alors complètement délabré, qu’il fait restaurer ; il en fera don à l’Etat. A sa mort, le plus gros de sa fortune ira à l’Institut Pasteur.
Plus loin, une sépulture attire l’attention, avec son fronton orné de trois têtes de bouc et sa clôture aux panneaux ajourés où l’on retrouve le même animal[8]. C’est celle de Salomon Halphen (1773-1840) et de son épouse Malka Cahen ; elle est entourée des tombes de leurs enfants. Fondateur d’une importante joaillerie, Salomon Halphen laissera à ses héritiers dix millions de francs. Domicilié rue La Feuillade, il ferait figure d’intrus dans un article consacré au neuvième arrondissement, mais ce serait oublier qu’avant 1860 celui-ci était encore le deuxième et se composait de quatre quartiers : Chaussée d’Antin, Faubourg Montmartre, Feydeau et Palais-Royal. En 1847, son fils Edmond sera le maire de ce vaste arrondissement ; la mairie se trouvait alors rue Pinon, actuelle rue Rossini.
Au bout du Chemin Halévy s’élève le monument funéraire de la famille du même nom, surmonté d’un buste, par Francisque Duret[9], de Fromental Halévy (1799-1862)[10] , auteur de nombreux opéras, dont le plus connu est La Juive. A l’intérieur, un autre buste est l’œuvre de sa femme, la sculptrice Hannah Léonie Rodrigues-Henriques, issue d’une famille de banquiers. Ils ont eu deux filles : Esther, morte en 1864, et Geneviève, qui épousera Georges Bizet.
Le frère de Fromental, Léon[11], a épousé la fille d’Hippolyte Lebas, l’architecte de Notre-Dame-de-Lorette. Leur fils Ludovic, auteur dramatique et romancier, collaborera avec Henri Meilhac à de nombreux livrets d’opérette, ainsi qu’à celui de l’opéra Carmen de Bizet. Ludovic épousera Louise Bréguet, fille du célèbre horloger. Ils auront deux fils : Elie et Daniel. Ce dernier aura pour gendre Louis Joxe et pour petit-fils Pierre Joxe.
A quelques pas de là, le mausolée de la famille Millaud abrite la dépouille de Moïse Polydore Millaud (1813- 1871). Originaire de Bordeaux, il monte à Paris en 1836. Associé à Jules Mirès, il rachètera plusieurs journaux financiers et fondera la Caisse des Actions réunies et la Caisse Centrale des Chemins de Fer, dont il se retirera en 1853. Il constituera par la suite une société immobilière, grâce à laquelle il fera fortune. En 1854, il rachète à Emile de Girardin[12] le journal La Presse, qu’il revend cinq ans plus tard. En 1863, il fonde Le Petit Journal, qui deviendra le quotidien le plus vendu du XIXè siècle et, en 1864, Le Journal Illustré. Son hôtel particulier, rue Saint-Georges, a été démoli et remplacé en 1929 par le théâtre Saint-Georges.
Son fils Albert (1844-1892), écrivain et auteur dramatique, a écrit de nombreux livrets d’opérette. En 1873, il rencontre l’actrice Anna Judic (1849-1911), qui est mariée, mais divorcera pour l’épouser. Il écrira pour elle, entre autres, Mam’zelle Nitouche, qu’Hervé mettra en musique et qui connaîtra un énorme succès en 1883. Anna Judic est inhumée non loin, dans son propre caveau familial.
Avenue de Montebello, Paul Delaroche (1797-1856) s’est spécialisé dans le genre romantique, qu’on appellera troubadour. Peintre d’histoire, il réalisera plusieurs tableaux historiques pour le musée de Versailles et, en 1841, une fresque monumentale pour l’amphithéâtre de l’Ecole des Beaux-Arts. Ses domiciles rue Saint-Lazare et rue des Dames en font un pilier de la Nouvelle-Athènes.
L’architecte Jacques Hittorff (1792-1867), d’origine allemande, partage sa dernière demeure avec son beau-père, Jean-Baptiste Lepère (1761-1844), avec lequel il a travaillé à la construction de l’église Saint-Vincent-de-Paul. Parmi les autres réalisations parisiennes de Hittorff, il faut citer le Cirque d’hiver, les mairies du 5è et du 1er, les aménagements de la place de la Concorde, mais surtout ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, la gare du Nord. On lui doit aussi la chapelle contiguë de la comtesse Marie Potocka, l’un des rares monuments funéraires polychromes de Paris.
Derrière la sépulture Lepère-Hittorff on peut voir celle de Louise Vernet (1814-1845), mariée en 1835 à Paul Delaroche, et qui mourra à trente-et-un ans, laissant deux petits garçons et un époux inconsolable.
La tombe de son père, (1789-1863), d’aspect médiéval, se trouve de l’autre côté de l’avenue. Fils de Carle et petit-fils de Joseph, Horace Vernet s’est spécialisé, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, dans la peinture de batailles. Sa Défense de la Barrière de Clichy a fortement inspiré les bas-reliefs qui ornent le monument au maréchal Moncey, place de Clichy. Il exécutera aussi plusieurs toiles pour le musée de Versailles.
A la suite de la chapelle Potocka, voici la sépulture d’Hilaire Germain Edgar de Gas (1834-1917), mieux connu comme Edgar Degas. D’un père à moitié italien et d’une mère créole, fille d’un riche négociant de la Nouvelle-Orléans, il est né 8, rue Saint-Georges et habitera de nombreuses années le neuvième. Dans les années quatre-vingt, il s’adonnera à la sculpture en cire et en terre glaise[13]; après sa mort, beaucoup de ses modèles seront coulés dans le bronze. De 1895 à 1896 il s’essaiera à la photographie dans son atelier du 37, rue Victor-Massé. Il mourra à quatre-vingt-trois ans, presque aveugle.
Avenue des Anglais, le buste de Jacques Offenbach (1819-1880), par Jules Franceschi, veille sur sa tombe, dessinée par Charles Garnier. Né à Cologne, il vient à Paris à quatorze ans pour y entrer au Conservatoire et s’installe avec son père et son frère 23, rue des Martyrs. Il habitera plus tard de longues années rue Laffitte. Auteur d’une centaine d’œuvres musicales, ce sont surtout ses opérettes qui sont passées à la postérité, dont beaucoup ont été créées par Hortense Schneider, son interprète fétiche. Sa dernière oeuvre, Les Contes d’Hoffmann, sera créée à l’Opéra-Comique quatre mois après sa mort.
Pour la tombe d’Henry Mürger (1822-1861), sur l’avenue Cordier, Aimé Millet a sculpté La Jeunesse effeuillant des roses. De l’écrivain, né dans le neuvième, et où il passera la plus grande partie de sa courte vie, on connaît surtout les Scènes de la Vie de Bohème, publiées en feuilleton à partir de 1845. Il en tirera lui-même une pièce de théâtre et Giacomo Puccini s’en inspirera pour son opéra La Bohème en 1896. Il mourra en un mois, atteint d’une gangrène foudroyante.
Plus avant, Calliope, muse de la poésie, monumentale statue en marbre de Cyprian Godebski, annonce de loin la sépulture de Théophile Gautier (1811-1872). Le futur auteur de Mademoiselle de Maupin et d’Emaux et Camées a dix-huit ans quand il rencontre Victor Hugo, dont il sera un admirateur passionné. L’année suivante, en février 1830, il est à ses côtés lors de la Bataille d’Hernani, qui oppose les classiques aux romantiques. En 1841, il habite rue de Navarin, dans l’ancien hôtel du vicomte de Botherel ; c’est là qu’il écrit le livret du ballet Giselle pour Adolphe Adam.
Le cénotaphe en granit rose d’Emile Zola (1840-1902) domine le rond-point. Né à Paris d’un père italien et d’une mère française, il est l’un des romanciers les plus traduits et publiés au monde. Il est au sommet de sa gloire quand il publie, dans L’Aurore du 13 janvier 1898, son fameux J’accuse !, en faveur d’Alfred Dreyfus, ce qui lui vaudra un procès en diffamation et une condamnation à un an de prison, l’obligeant à fuir à Londres, où il restera onze mois.
Après son mariage, en 1870, il s’était installé, avec sa femme Alexandrine, rue de Boulogne, aujourd’hui 23, rue Ballu. Par la suite, ils quitteront ce domicile pour le 21 bis, rue de Bruxelles ; c’est là que, dans la nuit du 29 septembre 1902, lui et sa femme sont intoxiqués par une cheminée qui tire mal. Seule Alexandrine s’en tirera. La police conclut à un accident, mais la rumeur parlera d’assassinat… Les cendres de l’écrivain ont été transférées au Panthéon en 1908.
Quelques mètres avant la sortie, le promeneur pourra s’arrêter un instant devant la tombe de Sacha Guitry (1885-1957). Comédien et auteur dramatique, il a occupé la scène pendant une grande partie du XXe siècle et son nom est désormais indissociable de celui du théâtre Edouard VII.
Aline BOUTILLON
© A. Boutillon 2010 © 9e Histoire 2012-2014
[1] Paris s’arrêtait alors à l’enceinte des Fermiers généraux, d’où sont issus nos boulevards de Clichy et de Rochechouart.
[2] Il la décrit ainsi : « Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage…On eût dit une figurine de Saxe ». On le verra souvent s’arrêter devant sa tombe et y déposer un bouquet de fleurs.
[3] D’origine belge, ce facteur d’instruments de musique vient à Paris en 1841 et installe ses ateliers dans un vaste hangar au 50 de la rue Neuve-Saint-Georges. Il est surtout connu pour l’invention du saxophone, mais il est également à l’origine de plusieurs autres instruments qui porteront son nom : le saxhorn, le saxtuba et le saxtromba. A son décès, il sera aussi inhumé au cimetière de Montmartre.
[4] « Arrigo Beyle, milanais, écrivit, aima, vécut 59 ans et deux mois. Il mourut le 23 mars 1842. » Stendhal avait, dès 1821, rédigé une épitaphe qui, traduite en français, disait : « Ci-gît Arrigo Beyle, milanais. Il vécut, écrivit, aima. Il s’en alla à l’âge de… en 18… ». Le prénom « Arrigo », est une variante de « Enrico », traduction courante de « Henri ».
[5] Ancien couvent de bénédictines, il sera divisé, après la Révolution en logements. Les bâtiments seront démolis en 1907 pour l’élargissement du boulevard Raspail. Ils se trouvaient rue de Sèvres, en face de l’hôtel Lutétia.
[6] Situé boulevard Rochechouart, au coin de la rue des Martyrs, il sera repris en 1897 par le clown Geronimo Medrano, dit Boum Boum, qui lui donnera son nom. La chapelle funéraire de la famille Medrano se trouve au bout de l’avenue Berlioz.
[7] En 1804, un décret avait prescrit que les cimetières devaient comporter un carré clos de murs réservé aux cultes non catholiques. Ce décret sera abrogé en 1881 et les murs de l’enclos juif démolis.
[8] La tête de bouc pourrait être le poinçon de l’entreprise familiale ; ce sera en tout cas celui de Charles Halphen, inventeur, en 1850, d’un alliage appelé l’Alfénide.
[9] A l’origine, la statue le représentait en pied, mais, brisée lors d’un orage, elle a été réduite à l’état de buste
[10] C’est son père, Elie Halfon Lévy, venu de Bavière, qui changea le patronyme familial en Halévy lors de sa naturalisation, en 1807
[11] Léon habitera au 22, rue de Douai, immeuble où est déjà installé le ménage Bizet et où Ludovic emménagera à son tour.
[12] Emile de Girardin avait fondé La Presse en 1836. Avec sa femme, Delphine Gay, qui tiendra un salon brillant, ils ont habité au 11, rue Saint-Georges, adresse qui a été aussi celle du journal. Ils sont inhumés avenue Travot, côte à côte sous deux dalles distinctes.
[13] En 1881, sa Petite Danseuse de quatorze ans, habillée de vrais vêtements : tutu de gaze, corselet de satin, chaussons de ballerine et ruban de soie dans des cheveux en crin de cheval, sera jugée vulgaire et fera scandale.
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