L'Hôtel d'Augny
© E. Fouquet © 9ème Histoire 2014-2018
L'HÔTEL D'AUGNY
ACTUELLE MAIRIE DU 9e ARRONDISSEMENT
À l’endroit de ce qui fut longtemps une zone de marais, asséchés à partir du XIVe, Louis XV, devant l’accroissement de la population, autorise la construction d’un nouveau quartier, hors les murs, au nord du « Grand Cours » (ancêtre des Grands Boulevards) créé par Louis XIV. Dans cette zone de cultures maraichères, des rues sont alors créées au XVIIIe siècle dans le secteur de l’actuelle mairie du 9e arrondissement.
Le promeneur empruntant aujourd’hui le coude que forme l’actuelle rue Rossini entre la rue Drouot et la rue de la Grange-Batelière, ignore d’ailleurs le plus souvent qu’il se trouve à l'angle sud-est de l'enceinte de la ferme fortifiée de l’ancien fief de la Grange-Batelière dont le nom initial, en 1243, était «Grange Bataillé » (ferme en ordre de bataille), ce qui par altérations successives a finalement abouti au nom de Grange-Batelière.
Plan du quartier de la Chaussée d'Antin
De nombreux artisans quittent donc au cours du XVIIIe siècle le quartier du Louvre saturé pour s’y établir. Mais surtout les financiers et les fermiers généraux rachètent à bas prix aux congrégations religieuses ces vastes terrains pour y construire de beaux hôtels particuliers pour eux-mêmes ou leurs maîtresses, les fameuses « Folies ». Au XIXe, ce nouveau quartier sera ainsi décrit par Balzac comme « le cœur de Paris qui palpite entre la rue de la Chaussée d’Antin et la rue du Faubourg-Montmartre ».
En 1707, le terrain est acheté par le financier Pierre Crozat, propriétaire rue Richelieu, qui creuse un passage sous le boulevard pour relier son domaine à celui du jardin de la Grange- Batelière. Son jardinier disposait d’un pavillon situé à l’emplacement de l’actuelle rue Rossini ! Puis Alexandre-Marc-René Estienne d'Augny, fermier général âgé d’à peine 30 ans, achète trois terrains rue Neuve Grange-Batelière (actuelle rue Drouot) entre 1746 et 1748 qui représentent une parcelle de plus de 10.000 m².
Il y fait construire un hôtel particulier, entre cour et jardin, par l'architecte Charles-Etienne Briseux, entre 1748 et 1752. Le domaine s’étendait jusqu’aux maisons bordant la rue du Faubourg-Montmartre et on y trouvait des bassins, des pelouses, et même une laiterie, une basse-cour et un manège (au niveau du 3, rue de Rossini) pour le plus grand amusement de sa maîtresse Mademoiselle Beauménard ! Il y logera en 1753 la jeune femme de 23 ans, comédienne au Théâtre Français, surnommée « Gogo », du nom du personnage d’une pièce intitulée « Le coq du village » qu’elle avait joué à 13 ans (!). Voilà ce qu’en disait d’ailleurs un chroniqueur de l’époque : « Mauvaise, très mauvaise actrice, de laquelle il n’y a rien à attendre pour le théâtre et dont les amants ont tout à craindre à tous égards ».
Melle Gogo est cependant rapidement congédiée pour ses nombreuses aventures. Dans un rapport de police de 1754 on note que « d'Augny est inconsolable de son divorce avec Melle Beauménard ». En guise de consolation il épousera Melle Liacourt de l'Opéra ! Pendant la Révolution, il sera enfermé chez lui très brièvement. Ce fut l'un des seuls fermiers généraux à ne pas avoir été guillotiné pendant la Terreur, il avait d’ailleurs vendu sa charge dès 1768. Il vécut dans son hôtel jusqu'à son décès le 28 nivôse an VI (17 janvier 1798) âgé de 82 ans. Collectionneur de pierres précieuses, sa grande fortune lui avait permis surtout d’effectuer un certain nombre de dons au comité révolutionnaire du quartier qui lui accorda ainsi une relative tranquillité. Sous le Directoire, en 1795, l’hôtel, qui n’avait donc pas été confisqué, sert même de cadre aux « bals des victimes », réservés aux parents des guillotinés de la Révolution!
Quelques précisions sur l’élégante demeure de l’époque : elle présente en effet au fond de la cour d’honneur, auparavant bordée d’arbres, un corps de logis principal avec un avant-corps central à pans coupés et à fronton arrondi, flanqué de deux pavillons.
La façade sur cour comportait un rez-de-chaussée, un premier étage avec fenêtres en plein-cintre et un étage sous comble, ensemble toujours visible aujourd’hui. L'entrée se faisait par un vestibule ouvrant sur le grand escalier.
Les plus belles pièces donnaient sur le jardin (côté actuelle salle Rossini). L'agencement entre le rez-de-chaussée et l'étage était très similaire : une antichambre côté cour donnant sur un "cabinet d'assemblée" côté jardin, puis dans l'avant corps central, une nouvelle antichambre côté cour donnant sur le grand salon côté jardin, et enfin le cabinet particulier donnant sur la chambre côté jardin.
À noter qu'à l'époque, la salle à manger n'existait pas en tant que telle puisqu'on "dressait" pour la circonstance la table pour les repas dans une des pièces de réception. On pouvait y contempler de riches décors, des cheminées et des toiles peintes, notamment par François Boucher, Louis-Joseph Le Lorrain ou Jean-Baptiste-Marie Pierre.
Partie arrière de l'Hôtel d'Augny
La propriété allait connaitre de la Révolution à la Restauration quelques avatars :
Une partie de l’hôtel a d’abord été transformée en sellerie (!) louée par Nicolas Duchesne, propriétaire par ailleurs de l’hôtel mitoyen Mercy Argenteau sur le boulevard Montmartre, puis vendue à la maison Robillard & Cie, une des plus importantes manufactures de tabac sous l'Empire.
Robillard & Cie fait édifier là deux ateliers de fabrication de tabac au fond du jardin ! C’est ici d’ailleurs que le jeune Théodore Géricault peindra en 1812 son « Chasseur à cheval » dans un des ateliers qui lui avait été prêté, non loin du manège où étaient dressés les chevaux, qu’avait voulu Alexandre d’Augny.
Entre temps, dans les appartements de prestige de l'hôtel, avait été installé un des plus célèbres clubs de jeux d'Europe : « le Club des Étrangers » où furent donnés des fêtes et des bals, avec même l’ouverture d’un restaurant gastronomique, luxe nouveau pour l’époque…
Ce cercle subsiste jusqu’à 1829 avant que l’hôtel soit acquis par le marquis Alexandre Marie Aguado, curieux personnage de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, d’abord aide de camp du maréchal Soult puis banquier du roi d’Espagne, qui crée à Paris une affaire de produits exotiques, de vins d’Espagne et de cigares de La Havane !
Alexandre Marie Aguado
Ce riche collectionneur et protecteur de Rossini remanie complètement l’intérieur de l’hôtel et le dote d’un magnifique escalier d’honneur à volées en pierre construit autour d’un vide central ce qui lui donne une grande légèreté et en a fait un modèle de stéréotomie (art de couper les pierres). Celui-ci comporte également des rampes de bronze avec des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. Des salons somptueux sont alors aménagés avec des cheminées en marbre ornées de bronzes ciselés à palmettes, des parquets en forme de rosace et des frises dorées à palmettes aux plafonds.
On peut voir encore au rez-de-chaussée les salons de réception devenus salles d’exposition aujourd’hui, où on accède en gravissant un perron et en passant par un vestibule octogonal au splendide plafond décoré de guirlandes de fleurs et d’oiseaux avec une rosace dorée au centre. À l'étage, le cabinet d'assemblée fait place à la bibliothèque (aujourd'hui salle Émile Zola), le grand salon devient salon de musique, Alexandre Aguado étant un grand amateur de musique (aujourd'hui salle des mariages), la chambre (où avait séjourné notamment Mademoiselle Gogo !) conserve son statut pour devenir plus tard le bureau du maire. Récemment restaurées (y compris le parquet des antichambres), ces pièces sont de rares témoins du style de décoration de l'époque de la fin de la Restauration et du début de la Monarchie de juillet.
Détail du plafond du vestibule octogonal des salons Aguado
Le bâtiment a également conservé sa monumentale porte cochère sur rue avec ses grands panneaux de fonte à claire-voie comme on en conçu souvent sous la Monarchie de Juillet. Sur l'imposte, au-dessus, le marquis fit d’ailleurs ajouter les lettres AA, pour Alexandre Aguado, dans un médaillon en feuilles de laurier sous une couronne de marquis. On peut retrouver ce monogramme sur toutes les poignées de porte des appartements, et sur les garde-corps en fonte des façades (mais il n'en reste qu'un aujourd'hui, sur une baie de la façade sur jardin).
Porche d'entrée de la mairie du 9e
À la mort d’Alexandre Aguado en 1842, laissant une fortune de 60 millions de francs de l’époque, ce qui fait dire à James de Rothschild, autre richissime personnage : « Ce pauvre Aguado, je le croyais plus à son aise ! », l’hôtel est revendu par sa veuve, faute d’accord de ses enfants sur la succession, le grand jardin est alors amputé d’une grande partie de sa surface pour y faire passer ce qui va devenir le Passage Jouffroy en 1846.
Devenu en 1849, mairie de l’ancien 2e arrondissement (ce qui l’a sauvé de la destruction) puis en 1860 mairie du 9e arrondissement, où Verlaine en 1864, travailla à 20 ans au service des expéditions (!), l’hôtel fut complété après 1870 par deux ailes symétriques. L'aile droite fut achevée en 1885. Elle comportait une grande salle des fêtes au premier étage, actuellement la salle du conseil d'arrondissement. L'aile gauche, terminée en 1890, abritait le bureau de bienfaisance et les pompiers.
En dépit de quelques nouveaux travaux d’ornementation à la fin du XIXe siècle, comme la pose dans les niches du grand escalier des bustes du peintre Delaroche, du Général Foy, du compositeur Méhul, du sculpteur Pigalle et de la statue de Voltaire dans la cour (voir photo ci-dessous) l’hôtel particulier abritant la mairie s'est malheureusement peu à peu dégradé, jusqu'aux années 1970.
L'achat du Cinéma Astor, (auparavant Bal Montmartre à la fin du XIXe siècle), longeant le Passage Jouffroy qui avait déjà rogné sur le jardin de la propriété, a cependant permis d'agrandir la mairie. L'architecte Jean-Jacques Fernier a réalisé ainsi une salle des fêtes modulable pouvant accueillir 350 personnes, la salle Rossini, inaugurée en 1972 (une issue de secours donne toujours dans le Passage!)
En 1932, à la place de la statue de Voltaire, avait été installé dans la cour le monument aux morts, un bronze de Sicard représentant une allégorie de la Victoire (aujourd’hui à droite dans l’allée).
C’est aujourd’hui une des plus belles mairies d’arrondissement de Paris qui a conservé un caractère un peu provincial, qu’accentue le petit jardin à l’arrière de l’édifice.
L'Hôtel d'Augny - Cour de la Mairie du 9e arrondissement, au début du XXe siècle.
Emmanuel FOUQUET
© E. Fouquet © 9ème Histoire 2014-2018
Dernière modification : 17/09/2018 • 21:03
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