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Marguerite Durand

© A. Puyöou - 2021 © 9e Histoire - 2021

 



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Portrait de Marguerite Durand journaliste, féministe par Jules Cayron  -  1897  - © Bibliothèque Marguerite Durand

 


Marguerite DURAND (1864-1936)

Une fÉministe de choc dans le 9e

 


C’est en avril 1896, à 32 ans, que Marguerite Durand devint féministe, rompant avec sa vie bourgeoise et son amant, père de l’enfant qu’elle attendait, Antonin Périvier, rédacteur en chef et dirigeant du « Figaro », journal où il lui avait confié la rubrique du Courrier (le 31 octobre 1891 (1). Antonin l’avait envoyée ce mois d’avril couvrir le Congrès féministe international qui se tenait alors à Paris (à l’Hôtel des Sociétés Savantes), avec pour mission d’écrire un article résolument railleur au sujet de ces femmes et de leurs revendications ridicules. « Le Figaro » (précédemment installé dans le 9e, 8 rue Rossini) était logé alors (depuis 1874) au 26 rue Drouot dans un immeuble spectaculaire à la façade baroque très décorée en hommage à Beaumarchais et au Barbier de Séville, bâtiment qui a malheureusement disparu (voir l’article très détaillé de Didier Chagnas consacré à la presse sur le site neufhistoire.fr).

Subjuguée par les arguments de ces suffragettes qui demandaient l’égalité des droits avec les hommes, révoltée par ce qu’elle y apprit, indignée par l’attitude d’étudiants machistes venus semer le trouble dans les débats, elle refusa tout net d’écrire cet article, rompit avec son amant et décida de consacrer sa vie à la défense des droits des femmes. Une révolution copernicienne…
 

Aux femmes le foyer…

Encore peu de temps auparavant, elle était mariée (depuis 1888) à Georges Laguerre, avocat et député socialiste du Vaucluse, dreyfusard et boulangiste (groupe ouvrier). Il l’avait initiée à l’écriture, avait publié ses premiers articles dans leur journal de propagande « la Presse » (sis au 6 rue des Capucines, dans le bel immeuble qui abrita la fin de vie de Jacques Offenbach) où il en avait fait sa co-directrice et une « muse du boulangisme ». Marguerite se passionna pour le journalisme mais elle déclarait au tout-Paris qui se pressait chez eux : « aux hommes le forum, aux femmes le foyer ». Elle avouera plus tard « ainsi pensait la majorité. J’étais alors de la majorité ». 

Son éducation au Couvent des Religieuses Trinitaires (2) de la rue Léonie (devenue Henner), dans notre 9e arrondissement, où l’avait inscrite sa mère, Anna-Alexandrine Caroline Durand (3), ne l’avait pas prédisposée au féminisme. A cette époque, la société était très majoritairement méprisante envers les femmes qui réclamaient l’égalité des sexes. Les femmes mariées n’avaient pas le droit de travailler sans l’aval de leur époux et, lorsqu’elles percevaient un salaire, elles ne pouvaient en disposer librement. Pas de droit de vote ni de contraception. Les femmes étaient considérées comme des mineures à la charge de leur mari, pas plus capables que des enfants de savoir ce qui était bon pour elles. L’idée d’en faire les égales des hommes semblait tout à fait saugrenue.


Mais la jeune Marguerite avait une personnalité hors du commun qui ne demandait qu’à s’exprimer. Elle le fît d’abord au théâtre (où elle obtint en 1879 le Premier prix de Comédie au Conservatoire) et devint en 1881 actrice à la Comédie Française dans les rôles d’ingénue et de jeune première. C’est en 1888 qu’elle arrêta la scène pour épouser George Laguerre, cet avocat très engagé défendant les libertaires et les anars, dont Louise Michel, qui la subjuguait. Marguerite avait embrassé l’homme et son idéologie. Mais, femme libre et indépendante, elle n’hésita pas à divorcer (le 9 mai 1895), dans un siècle où cela ne se faisait pas, pour vivre en union libre avec son nouvel amour, Antonin Périvier, et avoir un enfant hors mariage. Ce fils, Jacques, né le 14 août 1896, après qu’elle eut choisi sa liberté, elle devra batailler pour le garder, son père le réclamant et affirmant qu’elle ne l’avait pas reconnu. C’est grâce à l’intervention de Georges Clemenceau, ami de son premier mari, qu’elle pourra l’élever. 
 

Les « Frondeuses »

Libre, devenue une journaliste expérimentée, Marguerite décide en 1897 de créer un quotidien d’information générale, de centre-gauche, laïc et républicain, pour la première fois pensé, rédigé et imprimé par des femmes, « La Fronde », qu’elle installe 14 rue Saint-Georges, dans le 9e.
« L’idée m’était venue d’offrir aux femmes une arme de combat, un journal qui devait prouver leurs capacités en traitant non seulement de ce qui les intéressait directement mais des questions les plus générales et leur offrir la profession de journaliste actif », confiera-t-elle à son amie Thilda Harlor.

 


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Fac simile du journal "La Fronde" du 9 décembre 1897  -  © BNF Gallica
 


C’était incroyable pour l’époque… d’autant que les rédactrices (les « chevalières en jupon » pour leurs confrères de « La Petite République ») n’avaient a priori accès ni à l’Assemblée Nationale ni à la Bourse (interdites aux femmes) et que le travail de nuit étant aussi interdit à la gent féminine, les typographes « frondeuses » se virent contestées par les syndicats. Qu’importe : Marguerite constitue alors des syndicats féminins et ses « typotes » purent travailler la nuit.  Ses journalistes forceront les portes avec l’aide de ses amis politiques…

Un chroniqueur de « La Paix » s’inquiéta : « la pauvre femme qui devra se trouver à la gare de Lyon à quatre heures du matin ou attendre dans un café l’heure de la guillotine sera vraiment à plaindre. Pourvu que dans une razzia nocturne on ne la confonde pas avec les coureuses de nuit ». Ambiance… Mais rien ne découragera Marguerite, qui s’attaquera à tous les sujets, de la politique au sport, en passant par les préoccupations féminines (divorce, pauvreté, avortement, soin des nourrissons, etc). Pire, un certain Georges Duval, journaliste à « L’Évènement » et auteur de vaudevilles, mit en cause les capacités intellectuelles des équipes de « La Fronde » : « J’estime d’une impossibilité absolue d’obtenir d’un groupement de femmes de lettres l’unité dans les idées qui fait les véritables rédactions. Comment une personne qui change douze fois par an les fleurs de son chapeau demeurerait-elle fidèle à une opinion ? ».

« La Fronde » sera résolument dreyfusard. On lui doit l’accès aux femmes au Barreau, à l’École des Beaux-Arts et aux distinctions de la Légion d’Honneur. Il paraîtra quotidiennement jusqu’en 1903, puis mensuellement jusqu’en 1905, avant de fermer. Mais Marguerite Durand n’abandonna pas la profession et elle participa en 1909 à la création d’un nouveau journal, « Les Nouvelles », avant d’essayer de relancer « La Fronde » comme hebdomadaire en 1914 (entre le 17 août et le 3 septembre). Bien que pacifiste, elle y incitait les femmes à participer à l’effort de guerre. Devenu un journal « mixte » au service du Parti républicain-socialiste (auquel Marguerite avait adhéré), sa périodicité sera irrégulière de 1929 à 1930.

Parmi les femmes célèbres de l’époque qui y ont collaboré on trouve : Madame Séverine (Caroline Rémy), proche de Jules Vallès, grande journaliste et polémiste, qui créa le « Cri du Peuple » et fit entre autres l’éloge funèbre de Louise Michel, « seconde plume » du Journal ; la reporter Marie Choisy, qui mena une enquête sur les milieux de la prostitution parisienne et publia « Un mois chez les filles » (450 000 exemplaires); Pauline Kergomard, fondatrice des écoles maternelles ; Jeanne Chauvin, première femme qui a pu plaider en France ; Dorothea Klumpke, astronome ; Hélène Sée, première femme journaliste politique ; Alexandra David Néel, journaliste libertaire et grande exploratrice ; Renée de Vériane, sculptrice et spécialiste des sports féminins ; Danièle Lesueur, éminente femme de lettres : Marcelle Tinayre, romancière ; Lucie Delarue-Mardrus, femme de lettres, journaliste, historienne, sculptrice et dessinatrice ; Clémence Royer, philosophe et scientifique ; etc.


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Marguerite Durand en 1910  -  © Agence ROL BNF.
 


Électrices et éligibles

Pionnière dans la lutte contre le « suprématisme » masculin, Marguerite Durand ne s’en est pas tenue qu’à la création de « La Fronde ». En 1904, à l’occasion de la commémoration de son centième anniversaire, elle dénonce le Code civil napoléonien qui entérine l’incapacité juridique totale imposée aux femmes mariées qui ne peuvent donner, aliéner, hypothéquer ou acquérir un bien sans le concours de leurs maris.

« Il n’est pas une femme qui ne doive maudire le Code. Il n’est pas une femme riche ou pauvre, grande dame ou travailleuse, qui, dans sa misère ou dans ses biens, dans sa personne, dans ses enfants, dans son travail ou son désoeuvrement, n’ait eu ou n’aura à souffrir grâce au Code ».

 

En 1907, après avoir organisé dans son journal un référendum sur la question  « Souhaitez-vous le droit de vote pour les femmes, oui ou non ? » et obtenu une réponse positive de toutes les lectrices, elle organisa une manifestation dans Paris, la première manifestation féministe de la capitale.  Quelque 8 000 femmes défileront dans les rues en entonnant des chants patriotiques et en tenant des pancartes affirmant : « Les femmes françaises veulent voter ». Tous les journaux en parlèrent… sans effet. Cette même année, elle organisa un Congrès du travail féminin et tenta de fonder L’Office du Travail féminin avec son ami René Viviani, ministre du Travail dans le gouvernement Clémenceau. Faute de crédits et en raison de la ferme opposition de la CGT, cet office ne verra pas le jour.
 


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Caricature et affiche électorale de Marguerite Durand   -  1910.
 


Échec aussi quand elle tente d’organiser des candidatures féminines aux élections législatives de 1910 et se présente elle-même dans le 9e arrondissement (4). « Le Figaro » s’inquiétait déjà en juillet 1899 : « Qui sait si l’accession des femmes aux fonctions gouvernementales ne sera pas parmi les conséquences indirectes de l’œuvre de Marguerite Durand ? A force de coudoyer dans les couloirs de la Chambre rédactrices et reporteresses (sic), leurs maîtres (sic) finiront peut-être par trouver naturel qu’elles y puissent siéger comme eux ».  La campagne sera courte : ces candidatures sont jugées irrecevables par le préfet de la Seine. Mais la question sera portée devant le Conseil d’État qui déclara en 1912 que « les lois régissant la composition de la Chambre des Députés sont sans application à l’égard des femmes » (« Le Figaro » du 27 janvier 1912)

Le 23 mars 1910, dans le cadre de sa campagne, elle avait fait une conférence (avec entrée gratuite pour les électeurs du 9e arrondissement), à la Salle des Agriculteurs, 8 rue d’Athènes, pour expliquer sa position : « Les femmes doivent être électrices et éligibles ». Puis, en rétorsion à ces refus de candidatures, elle appela les femmes à boycotter le recensement en cours avec un argument d’une logique implacable : « Si nous ne comptons pas, pourquoi nous compte-t-on ? ». Lors du rejet du projet de loi sur le vote des femmes au Sénat en novembre 1922, Marguerite Durand expliqua, dans « Le Figaro » du 22 novembre : « Ce vote ne me surprend pas le moins du monde. Je m’y attendais et, tout en le déplorant, (…) il me semble que l’accession des femmes aux fonctions législatives était souhaitable parce qu’elles auraient apporté dans nos méthodes politiques un élément nouveau. (…) En tous cas, nous ne nous laisserons pas abattre par cet insuccès ». 
 

La bibliothèque éponyme

Ses arrière-petites filles de cœur, qui se battent pour obtenir une meilleure représentation dans les comités exécutifs, après avoir fait céder le plafond de verre des conseils d’administration, et pour la parité des salaires, ont tout loisir de remonter le cours de l’histoire du féminisme : en 1931, cinq ans avant son décès, Marguerite Durand avait fait don à la Ville de Paris de l’imposante documentation (un millier de journaux, affiches, thèses, dessins, essais, plus de 10 000 ouvrages, dont le manuscrit original d’ « Histoires de ma vie » de Louise Michel,…). Cette documentation qu’elle avait réunie depuis la création de « La Fronde » au 14 rue Saint-Georges. Elle commença par animer elle-même ce Premier Office de documentation féministe qu’elle voulait largement accessible au public. Cette « bibliothèque », qui porte aujourd’hui son nom, a malheureusement dû voyager. Installée d’abord trop à l’étroit à la mairie du 5e, elle a été réorganisée en 1989 pour un meilleur accès du public au 79 rue Nationale, dans le 13e arrondissement. Un collectif « Sauvons la BMD » se bat encore aujourd’hui pour que les intéressés y aient un accès plus pratique. 


L’amour du prochain et des animaux

On oublie souvent de dire que Marguerite Durand a aidé Jeanne Pallier à fonder en 1915 un Club féminin automobile afin que les femmes puissent aider les services de santé en allant chercher les blessés sur le front, ce qui leur fût refusé dans un premier temps. Ce n’est qu’en 1917 que le gouvernement français accepta leur aide. Les 120 ambulancières et les 70 infirmières du Club sauvèrent nombre de vies en rapatriant les blessés du front jusqu’aux hôpitaux.

Si sa candidature aux législatives n’eut aucun écho dans la presse en 1910, cette dernière fit par contre grand bruit de son adoption d’un animal de compagnie excentrique qui amusa le tout-Paris, une jeune et très affectueuse lionne, baptisée « Tigre » (en hommage à son fidèle ami Georges Clemenceau ?). On a pu lire sous la plume de Pierre Laffitte, dans « Femina » (installé dans l’immeuble de l’actuel Théâtre Saint-Georges) :
« Madame Marguerite Durand, qui s’est rendue célèbre par ses idées féministes et par la constance qu’elle a mise à les défendre, notamment en fondant naguère « La Fronde », journal fait par et pour les femmes, ne se contente plus de songer à triompher de l’Eternel Masculin. Depuis quelques jours, elle loge une jeune lionne dans le jardin de son petit hôtel, près du Parc Monceau. Cette admirable bête que, par amour du paradoxe sans doute Mme M. Durand a baptisée « Tigre », s’est montrée d’une exceptionnelle douceur : elle est très familière avec Mme Durand et sa femme de chambre. Mais la petite lionne deviendra une grande lionne et Mme Durand n’envisage pas sans inquiétude cette inévitable éventualité ».
Marguerite Durand aimait les animaux et elle participa avec enthousiasme à la fondation du cimetière animalier d’Asnières, sur l’île des Ravageurs, en 1899, au côté de Georges Harmois. 

Marguerite Durand est décédée le 16 mars 1936 et elle est enterrée au cimetière des Batignolles (10e division). Elle est une grande figure féministe française, qui s’instruisit et travailla dans le 9e arrondissement, trop peu connue.

 

Anick PUYÔOU
 

NOTES         


  1. Tous les sujets seront traités dans le « Courrier du Figaro», avec des questions comme « Y-a-t-il inconvénient ou avantage pour nous Français à ouvrir avec tant de facilité nos caisses aux emprunts étrangers ? » ou  « L’impératrice Eugénie avait-elle un budget spécial pour ses toilettes ? Le chiffre en était-il élevé ?». Ce sera pour Marguerite « une gymnastique salutaire ».
  2. En 1866, les Sœurs Trinitaires de Valence louèrent un local rue de la Tour des Dames à la demande de curé fondateur de la paroisse de la Trinité, pour accueillir des pensionnaires et des externes. En 1870 elles s’installent rue Léonie (qui deviendra la rue Henner en 1908). En 1871, le pensionnat et l’externat des Religieuses Trinitaires de Valence de Neuilly et de la rue Léonie sont regroupés rue Léonie. Puis l’achat de l’hôtel particulier du 40 rue La Bruyère (qui jouxte) permit des agrandissements et l’Institution La Bruyère (où étudieront notamment Françoise Hardy puis Chantal Goya dans les années 60) occupa entièrement l’angle des deux rues perpendiculaires. Après des fermetures, l’accueil de dames pensionnaires, et une forme de laïcité, les bâtiments ont été abandonnés en 1989, vendus puis découpés en appartements. Les Trinitaires se sont réinstallées rue de l’Abbé Carton (XIVe).
     
  3. Marguerite Durand née le 24 janvier 1864 à Paris VIIIe, est déclarée par sa mère « fille naturelle ». Registre des Naissances cote V4E897, page 21/31, acte de naissance n° 110. ArchivesdeParis.fr.
     
  4. Elles seront quatre à se présenter et voir leurs candidatures rejetées : Marguerite Durand, Renée Mortier, Gabrielle Chapuis, et Hubertine Auclert. Cette dernière, adhérente à la Ligue française pour le Droit des Femmes (avec Victor Hugo comme président d’honneur, Léon Richer et Maria Deraismes), fonda en 1876 La Société des Droits des Femmes (devenue en 1883 Le Suffrage des Femmes) et lança en 1881  le journal militant « La Citoyenne ». 

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Date de création : 11/04/2021 • 11:08
Catégorie : - Articles-Personnages
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