Baudelaire dans le 9e
Baudelaire par Carjat - 1865 - © Sotheby's - Art Digital Studio
Baudelaire dans le 9e arrondissement
Au moment où on commémore (avec une certaine discrétion) le 200e anniversaire de la naissance de Charles Baudelaire, on peut s’attarder ici sur les adresses où celui-ci a habité dans Paris et plus particulièrement dans notre arrondissement. Durant presque toute sa vie l’auteur des Fleurs du Mal a été en effet un vrai Parisien (sans d’ailleurs véritablement évoquer la capitale dans son œuvre sauf dans Le Cygne : « Paris change ! mais rien dans ma mélancolie n’a bougé ! »), ses adresses ayant été aussi nombreuses que celles de deux autres grands auteurs, Victor Hugo et Alexandre Dumas. Comme pour ce dernier, on peut d’ailleurs souligner que la raison en a souvent été la volonté de fuir ainsi ses créanciers, le poète dandy s’étant trouvé rapidement endetté …
Né le 9 avril 1821 au 13, rue Hautefeuille dans le 6e, Baudelaire passe sa première enfance dans ce quartier, puis à Lyon, avant de revenir à Paris en 1836 pour entrer au collège Louis-Le-Grand (d’où il sera renvoyé pour indiscipline, c’est donc au lycée Saint-Louis qu’il deviendra, non sans difficulté, bachelier en 1839). Hormis un voyage entrepris vers les Indes pour le remettre dans le droit chemin et interrompu à l’île Maurice à la suite d’un naufrage, il séjourne encore rive gauche et notamment sur l’Ile Saint-Louis, au 10, quai de Béthune en 1842, puis au 17, quai d’Anjou (actuel hôtel de Lauzun) de 1843 à 1845 où il rencontre pour la première fois la belle Aglaé Savatier (qui deviendra plus tard Apollonie Sabatier) mais aussi Théophile Gautier.
Rue de la Femme sans Tête (!), actuelle rue Le Regrattier, Charles Baudelaire va alors loger non loin celle avec qui il va vivre à partir de 1842 une longue et tumultueuse relation, sa « Vénus noire », Jeanne Duval, à l’époque modeste figurante de théâtre. On a prétendu d’ailleurs qu’il l’avait rencontrée rue du Faubourg-Montmartre, tourmentée par des ivrognes et alors qu’elle était la maîtresse de Nadar (qui n’était pas encore le photographe reconnu qu’il deviendra par la suite, notamment de Baudelaire), mais le témoignage recueilli sur cet incident ne correspond guère à une chronologie plausible.
Dépensant sans compter, son notaire qui devient en 1844 son conseil judiciaire lui octroie une pension si modeste qu’elle le pousse, de désespoir, à faire une tentative de suicide. C’est aussi à cette même période qu’il fait paraître ses premières œuvres en tant que critique d’art (Salon en 1845 et 1846), considérées par lui comme « avant tout un remplissage de colonnes » (suivre ce lien vers l'article "L'Oeil de Baudelaire"), même s’il défend là Delacroix en tant qu’illustre représentant du Romantisme en peinture. Il se met aussi à rédiger parallèlement ses premiers poèmes des Fleurs du Mal. Avec la découverte des « paradis artificiels », débute également pour lui, une vie plutôt dissolue qu’il va alors passer essentiellement rive droite à partir de 1845, à bientôt 25 ans.
Il va ainsi fréquenter diverses adresses d’hôtels et de chambres garnies dans l’actuel 9e arrondissement :
Au 32, rue Laffitte, Baudelaire séjourne fin 1845 à l’hôtel de Dunkerque et Folkestone puis des Pays-Bas (occupé aujourd’hui par le groupe BNP Paribas).
L'immeuble 33 rue Lamartine où séjourna Baudelaire.
33, rue Coquenard (aujourd’hui rue Lamartine), Baudelaire vient habiter un meublé en 1846 (l’immeuble existe toujours), puis déménage la même année pour aller au 24, rue de Provence, toujours dans une modeste chambre garnie. Peu après en 1847, il tombe éperdument amoureux de la jeune Marie Daubrun et de ses yeux verts, qui jouait La Belle aux cheveux d’or au théâtre de la Porte Saint-Martin. Il lui dédiera certains de ses poèmes des Fleurs du Mal.
Le poète va ensuite participer aux journées de février 1848, sans pour autant adhérer pleinement aux idées révolutionnaires. Il va habiter à cette époque quelque temps au 46, rue Pigalle avec Jeanne Duval, lieu où ils vivent ruptures et retrouvailles.
Après avoir vécu à un certain nombre d’adresses dans Paris et encore plus brièvement en province, Baudelaire revient de 1852 à 1854 rue Pigalle, pour s’installer à l’hôtel du 60 de la rue où il fait parvenir ses poèmes des Fleurs du Mal à Madame Sabatier dont il s’est entiché et qui tenait salon tout près, au 4, rue Frochot. C’est une période de plus en plus difficile pour l’auteur des « fleurs maladives », dont la reconnaissance reste confidentielle et les travaux de traduction de l’œuvre d’Edgar Poe ne lui assurent pas pour autant des revenus correspondant à ses dépenses.
La situation du poète s’aggrave encore avec la parution des Fleurs du Mal en 1857, œuvre dédiée à Théophile Gautier, « poète impeccable » pour Baudelaire. Ce dernier fait l’objet en effet d’une condamnation avec amende pour atteinte à la morale. Il erre alors dans Paris d’hôtel en hôtel et fréquente aussi les cafés, comme La Brasserie des Martyrs au niveau du 7/9 de la rue du même nom, rendez-vous des artistes (disparu aujourd'hui) où le poète se rendait souvent avec son ami Manet (le peintre du tableau intitulé "La Maîtresse de Baudelaire" censé représenter sa "Vénus noire").
La dame à l'éventail ou la Maîtresse de Baudelaire - 1862 - © Budapest - Musée des Beaux Arts.
Il allait aussi au Café Riche du 1, rue Le Peletier (véritable institution à l'époque mais fermée en 1916, à la différence de son annexe Le Petit Riche, au 25 de la même rue), comme en témoigne les Goncourt dans leur Journal : « Baudelaire soupe à côté, sans cravate, le col nu, la tête rasée, en vrai toilette de guillotiné. Une seule recherche : de petites mains lavées, récurées, mégissées. La tête d’un fou, la voix nette comme une lame. Il se défend, assez obstinément et avec une certaine passion revêche, d’avoir outragé les mœurs dans ses vers ».
Il vient résider ensuite de juillet 1859 à avril 1864 à l’hôtel de Dieppe, 22, rue d’Amsterdam (hôtel trois étoiles aujourd’hui). Candidat malheureux à l’Académie Française, il y écrit là Les Paradis artificiels. Non loin au 26 de la même rue, il aurait également fréquenté l’Austin Fox bar, endroit qui sera encore plus à la mode des artistes et écrivains à la fin du siècle.
L'hôtel de Dieppe 22, rue d'Amsterdam - © Booking.com 2019
Durant cette période, promenant son spleen, le poète va devenir un habitué du Casino au 18 de la rue Cadet, établissement plutôt mal famé, et un de ses biographes, Eugène Crepet, rapportera ainsi le témoignage d’un de ses amis : « Baudelaire se promenait à l’écart, en solitaire… Un soir, il me parla d’une fille à qui il avait demandé, sans se nommer, si elle connaissait ses œuvres. Elle répondit qu’elle ne connaissait que Musset ! Vous voyez la colère de Baudelaire … ».
Jules Claretie dans son Journal du 4 septembre 1901 dit encore : « … Et alors, assis tout seul devant quelque table ronde, dans un coin, remplaçant le haschich par le houblon, il regardait passer, au son de quelque valse de Métra ou de quelque quadrille d’Offenbach, le défilé macabre des viveurs aux yeux troubles et des jolies filles aux pommettes rosées par la phtisie. — Qu’est-ce que vous faites-là, Baudelaire ? lui demandait ce petit abbé de Charles Monselet, qui entrait au Casino Cadet comme Bernis à Trianon. — Mon cher ami, je regarde passer des têtes de mort ! »
Portrait de Baudelaire par Carjat - 1863 - © British Library
La fin de vie de Baudelaire va s’avérer de plus en plus difficile, très endetté, il part pour un séjour à Bruxelles entre 1864 et 1866 où il est victime d’une congestion cérébrale qui va bientôt le priver de la parole.
Admis en clinique à Paris dans le quartier de Chaillot, il va y décéder le 31 aout 1867 à 46 ans. Il sera inhumé au cimetière du Montparnasse (suivre ce lien) retournant ainsi côté rive gauche qui l’a vu naître.
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
L'albatros
Emmanuel FOUQUET
Catégorie : - Fiches Express - Auteurs
Page lue 4126 fois