Les Frères Goncourt
© F. Robert 2020 © 9ème Histoire 2021
LES FRÈRES GONCOURT
Leur nom évoque immanquablement « Le Journal » et le « Prix Goncourt » !
Il est en effet impossible d’ignorer « Le Journal » des Goncourt dès que l’on parle de la société mondaine, littéraire et artistique du XIXe siècle : « Pendant près d’un demi-siècle, ces vieux garçons boudés par la critique, délaissés par le public, humiliés par le pouvoir et méprisés par leurs proches, se vengent de la bêtise et des moqueries en consignant chaque soir les bons mots, balourdises ou travers de ceux, grand ou petits que les hasards de la vie sèment sur leur chemin. » écrit Pierre Ménard.
Edmond et Jules de Goncourt par Gavarni - Wikicommons
Edmond est né en 1822, Jules huit ans plus tard, mais on les prendrait pour des jumeaux tant leurs idées et leurs écrits sont semblables ! Jules meurt en 1870, Edmond en 1896, si bien que quand on parle « des Goncourt », c’est surtout Edmond qui devrait être cité.
Issus de vieilles familles lorraines, ils bénéficient de « rentes » importantes -environ 10 000 francs par an, quand le salaire d’un ouvrier atteint 300 francs- provenant surtout de revenus de propriétés agricoles et de la dot de leur mère, le père ayant fait une carrière militaire sous l’Empire.
Ils ne travailleront plus jamais -l’aîné a alors 26 ans !- le salariat leur semblant bon pour ceux qui désirent un maître, non pour les « esprits libres » ; ils avaient dans leur jeunesse « tâté » d’un peu de journalisme et de peinture.
Plaque rappelant le souvenir des Goncourt 43, rue St Georges - © CR
Ils s’installent d’abord 43, rue Saint Georges jusqu’en 1868 et vont habiter ensuite 53, boulevard de Montmorency (actuel numéro 67) à la recherche du calme. Gravement atteint par la syphilis, Jules ne supporte pas le bruit de l’atelier de Sax au 50, rue St Georges qui le rend fou !
Au point qu’Edmond envisage devant le délabrement de son frère de le supprimer et de se tuer ensuite. Il y renoncera.
« … dans cette figure aimée où il y avait l’intelligence, l’ironie, cette fine et joliment méchante mine de l’esprit, je vois se glisser, minute par minute, le masque hagard de l’imbécillité ».
Le 67, boulevard de Montmorency siège de l’Académie Goncourt - © CR
Leur intérieur est de très bon goût. Alain Barbier-Sainte Marie le décrit ainsi : « … un véritable petit musée comme en témoigne la description des collections dans les sept catalogues de la vente posthume à Drouot en 1897 »
« … sur la cheminée des flambeaux en bronze d’un modèle unique étaient encadrés par deux hauts vases en biscuit de Sèvres, … on pouvait admirer le lustre de cristal de Bohème de la salle à manger… au salon un secrétaire et une commode Louis XVI… pour orner cette salle à manger où ils traitaient leurs hôtes en gourmets exigeants, ils avaient acheté des tapisseries Louis XV… »
De nouvelles acquisitions complètent les anciennes et Alphonse Daudet raconte que « … les pièces sont envahies par les vitrines, au point de perdre tout aspect pratique aux yeux du commun des mortels. »
Les deux frères hantent les magasins d’antiquité à la recherche de gravures, d’estampes et de dessins oubliés. Quand ils reçoivent, il faut aller admirer leurs achats ; gare à qui ne s’extasierait pas outrageusement ! Flaubert sera condamné à expier pour l’éternité son manque de sensibilité artistique !
Edmond se passionne ensuite pour le “Japonisme”, à la mode à cette époque, et il en fréquente d’autres fidèles au cours de dîners des “japonisants” comme le marchand d’art Bing (suivre ce lien), Degas, les frères Rouart et Monet.
Ils sortent beaucoup, les soirées sont nombreuses et ponctuées de dîners au restaurant (Le Brébant -suivre ce lien- qui a remplacé le Café Magny, Le Café Riche, la Brasserie des Martyrs…) George Sand confiait, à l’issue de son premier repas, trouver aux deux frères « ...trop d’aplomb surtout le jeune ». Entendant Edmond raconter la folie de jouissance de Baudelaire et Jules ajouter des histoires inconvenantes, elle leur lancera « Vous savez que je déteste ce genre de conversation, qu’elle me dégoûte ».
Ils fréquentent le salon de la princesse Mathilde[1] dont ils sont les intimes et reçoivent chez eux, Boulevard de Montmorency. On qualifiera de « vêpres d’Auteuil » leurs réunions du dimanche après-midi !
J.B. Carpeaux - Buste de la Princesse Mathilde -1862- © Musée d’Orsay
Leurs amis les plus chers sont bien sûr la princesse, fiers d’être conviés chez elle, à Paris ou au château de Saint Gratien ; ce qui ne les empêche pas de la dépeindre méchamment : « C’est une grosse femme, un reste de belle femme, un peu couperosée, la physionomie fuyante et des yeux assez petits, dont on ne voit pas le regard. L’air d’une lorette[2] sur le retour et un ton de bonne enfance qui ne cache pas tout à fait un fond de sécheresse ».
Flaubert (il appelle les deux frères « les bichons ») est du premier cercle, mais lui aussi n’est pas épargné : un génie de province, empâté de corps et d’esprit, un gros sensible incapable de finesse… (Ils continueront cependant de lui témoigner une sincère amitié). Flaubert, mais aussi Gavarni, Tourgueniev, Gautier et Daudet, chez qui d’ailleurs Edmond mourra en 1896.
Les changements de régimes politiques ne leur ont pas posé trop de problèmes. Chez Mathilde on trouve toutes les opinions. Ils se disent trop fiers pour s’abaisser à « flatter le pouvoir » et décrivent ainsi Napoléon III : « …son regard torve, l’œil d’un lézard qui paraît dormir et qui ne dort pas… »
J.F. Raffaëlli Portrait d’Edmond de Goncourt – 1888 - © Musée des Beaux-Arts de Nancy.
Edmond a eu peur au moment de la Commune, réfugié dans sa cave, il pense sa dernière heure venue. « Tout autour de la maison des détonations effroyables. C’est le Mont Valérien qui nous lance un obus par minute. Un désagréable sentiment d’anxiété qui, à chaque coup de canon, vous tient pendant les quelques secondes, dans la crainte de le sentir sur sa maison, sur soi ».
Parfois, leur intuition est vive, Edmond disait en 1867 : « …je dînais hier à l’Ambassade à côté d’une Américaine, je me disais que ces hommes et ces femmes semblaient destinés à devenir les futurs conquérants du monde ! »
Les femmes ne sont pas épargnées, elles sont pour eux « hystériques, cupides et manipulatrices ». George Sand a quelques qualités à leurs yeux, mais, disent-ils, « c’est parce qu’elle possède une construction un peu hermaphrodite » !
Ce qui ne les empêche pas de fréquenter les demi-mondaines et quelques lorettes “pour l’hygiène“. Mathilde, furieuse, leur dit un jour « vous ne connaissez pas les femmes, je ne vous ai jamais connu une maîtresse ! » Leurs pas les conduisent même à plusieurs reprises, chez La Païva[3] en bas des Champs-Elysées : « …vieille courtisane peinte et plâtrée avec un sourire et des cheveux faux » et disent de son hôtel particulier que « …c’est un Louvre du cul » !
Salon de l'hôtel particulier de la Païva aux Champs-Elysées - © Le Parisien / Jean Nicholas Guillo.
Ils ont peu de sentiments religieux. Au retour d’un office, ils écrivent : « Les prêtres chantaient par habitude, le Christ, au fond, baillait, les bedeaux même n’ont pas l’air de croire que c’est arrivé ».
Et bien sûr les deux sont antisémites ! Voilà le portrait dressé du baron James de Rothschild : « Une monstrueuse figure, la plus basse, la plus épouvantable face batracienne, des yeux éraillés, des paupières en coquille, une bouche en tirelire et comme baveuse, une sorte de satyre de l’or », ce qui ne les empêche pas d’accepter les invitations de Betty de Rothschild (suivre ce lien).
Quant à leur œuvre littéraire, elle a été féconde et à leur époque assez bien perçue en dépit d’un style abscons. Par exemple, une femme contente est éjouie, elle peut perdre toute pudicité, on se trouve dans la désespération, un homme peut être cocotteux…
A présent, il n’en reste à peu près rien, seuls surnagent quelques romans : “Germinie Lacerteux“, “La fille Elisa“, “Mme Gervaisais“ et une pièce de théâtre “Henriette Maréchal“.
Dans ces ouvrages, débauche et crudité du langage effraient la presse et Mathilde leur dit que “Germinie“ l’a fait vomir. Leur ancienne domestique Rose les a beaucoup inspirés.
Ils avaient cependant assez d’humour pour se joindre au Café Riche aux dîners des “auteurs sifflés“. Tous : Goncourt, Zola, Daudet, Tourgueniev ont eu des mésaventures théâtrales.
A propos “d’Henriette Maréchal“ « … on se rend désormais à leur pièce comme on irait au cirque ou à la morgue. A la troisième représentation, le premier acte est intégralement sifflé, à la quatrième, la police est obligée d’expulser les agitateurs, à la cinquième des tracts invitent les étudiants de l’école de droit à huer la pièce ». Les Goncourt voulaient être célèbres, les voilà servis !
Ils sont à l’origine du mouvement qu’on appellera le « naturalisme », mais c’est Zola qui en sera le représentant le plus brillant (suivre ce lien). En conséquence, les deux frères le détestaient, le considérant comme un usurpateur. Ils l’appelaient “l’italianasse“ et disaient que Zola était « le plus sale des êtres » !
Tombe des Goncourt au cimetière Montmartre - © Parisette Wikipedia.
Leur journal (suivre ce lien) est une “mine“ pour appréhender la vie parisienne du XIXe siècle, fresque d’un siècle en pleine mutation. Ils reposent au cimetière de Montmartre.
De plus le prix Goncourt et l’Académie Goncourt (suivre ce lien) font que leurs deux noms sont connus de tous encore aujourd’hui.
Françoise ROBERT
Sources :
Pierre Ménard : « Les Infréquentables Frères Goncourt » -préface de Michel Winock - Editions Taillandier ;
Alexandre Gady : La Place St Georges et son Quartier – Paris Musées
Article d’Alain Barbier Ste Marie
Robert Courtine : La Vie Parisienne – Librairie Académique Perrin.
[1] Nièce de Napoléon Ier qui a tenu un célèbre salon d’abord rue de Courcelles, puis rue de Berri.
[2] Jeune fille légère et pauvre cherchant fortune dans le quartier de l’église Notre-Dame-de-Lorette
[3] Grande cocotte qui s’était fait construire un somptueux hôtel particulier au 25, Champs-Elysées où était reçu le Tout-Paris de l’époque.
© F. Robert 2020 © 9ème Histoire 2021
Catégorie : - Ecrivains & Cinéastes
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