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L'église Saint-Vincent-de-Paul

 © 9ème Histoire - 2022
 


Maître-autel de l'église St-Vincent-de-Paul  calvaire en bronze de François Rude (1848)  -   ©  Benchaum/Gallery  - Wikicommons.

 


Visite à l’ÉGLISE Saint-Vincent-de-Paul

 

Il faisait un temps splendide ce jeudi 21 avril sur les marches menant à l’imposante église Saint-Vincent-de-Paul située dans le 10e arrondissement et dont la paroisse inclut le côté est du 9e.  Les visages commençaient même à rougir au soleil dans l’attente du début de la visite qu’allait menait Jean Aubert, notre ancien président de 9ème Histoire !

Celui-ci allait d’abord évoquer l’histoire ancienne du lieu. Nous nous trouvons en effet ici en plein centre du Clos Saint-Lazare datant sans doute du IXe siècle, le plus vaste de Paris pendant une très longue période de l’histoire parisienne. Il était limité au nord par l’actuel boulevard de la Chapelle et à l’ouest par l’actuelle rue du Faubourg Poissonnière. Sa limite sud allait jusqu’au chemin Saint-Lazare, devenu rue de Paradis prolongée dans notre actuel arrondissement par la rue d’Enfer qui deviendra à la fin du XVIIIe siècle la rue Bleue. A l’est, le clos s’arrêtait rue du faubourg Saint-Denis utilisée pour amener les cercueils des rois de France à la basilique Saint-Denis, nous confie notre guide. Un petit oratoire Montjoie Saint-Denis a longtemps figuré à cet endroit montrant les statues des grand rois capétiens, Philippe Auguste, Louis VIII et Saint-Louis (édifiée après la mort de ce dernier).    

C’est par ici également que passera, via un aqueduc, l’eau alimentant de nombreuses fontaines parisiennes en provenance du Pré Saint-Gervais ou des collines de Belleville. Dans ce périmètre se trouvait d’importantes zones maraichères mais aussi des confréries religieuses. Une d’entre elles tiendra la grande léproserie présente sur un terrain de cet enclos qui se verra dotée de la chapelle Saint-Lazare, détruite finalement en 1823, située près de l’actuelle bibliothèque Françoise Sagan et du square Alban-Satragne aujourd’hui.

Au XVIIe siècle, la léproserie n’ayant plus de raison d’être, Saint-Vincent de Paul allait établir ici la congrégation de la Mission, avec les Lazaristes.  Dans la chapelle Saint-Lazare, figuraient d’ailleurs des tableaux illustrant la vie de Vincent de Paul, dispersés dans de nombreuses églises parisiennes lors de l’expulsion de la congrégation au moment de la Révolution, nous rapporte Jean Aubert, et même jusqu’à Copenhague ! Les terrains libérés au XIXe siècle laisseront la place d’abord à une prison où fut emprisonné notamment André Chénier, avant d’héberger aussi un asile pour « femmes de mauvaise vie » ... Les locaux à nouveau centre de détention seront ensuite transformés au XXe siècle en bâtiments dépendant des hôpitaux de Paris.

Il était temps d’en venir véritablement à l’objet de notre visite, la création de l’église Saint-Vincent-de-Paul. Ce sont les financiers Laffitte et André qui achètent lors de la Restauration les terrains entre le quartier de la Nouvelle France et ceux où sera construite un peu plus tard la gare du Nord. Treize rues sont alors ouvertes là, de la rue Charles X (aujourd’hui rue La Fayette) aux rues d’Hauteville bien sûr, mais aussi d’Abbeville ou encore de Belzunce dans l’actuel 10e arrondissement.
A noter que la place Franz Liszt qui monte joliment en étages n’a pris ce nom qu’en 1962, en mémoire du jeune musicien, celui-ci ayant habité avec sa mère après son arrivée à Paris
au 7 bis, rue Montholonpresque en face de la première église  Saint-Vincent-de-Paul construite à cet endroit en 1805, non loin de la chapelle Sainte-Anne du 77, rue du Faubourg Poissonnière, datant de la moitié du
XVIIe  siècle qui avait été détruite pendant la Révolution. Cette place s’est donc d’abord appelée Charles X puis La Fayette, comme la rue du même nom qui passe désormais en son milieu.

Notre guide nous indique que la butte qui surplombait cette place sera en grande partie rasée pour pouvoir construire dans un quartier en pleine expansion la grande église visible aujourd’hui, en remplacement justement du petit bâtiment de culte vétuste de la rue Montholon ! C’est d’abord à l’architecte Jean-Baptiste Lepère (compagnon de Bonaparte en Egypte) à qui est confiée cette mission mais c’est son gendre Jacques-Ignace Hittorff, né à Cologne, qui va reprendre le chantier en 1832. Sa notoriété allait s’imposer rapidement ensuite avec l’aménagement de la place de la Concorde et la fin de sa carrière sera encore enrichie avec la construction de la Fondation Eugène-Napoléon (dans le 12e arrondissement) et surtout celle de la gare du Nord. Il sera connu aussi sous le Second Empire pour ses mauvaises relations avec le préfet Haussmann … Hittorff décédera en 1867, 40, rue Lamartine.
 

La première pierre de l’église est posée en 1824, mais il faudra attendre vingt ans pour voir l’église consacrée en 1844, suite notamment à des problèmes de financement peu après le début du chantier. 
 



La nef de l'église St-Vincent-de-Paul   -   Photo H. Tannenbaum.
 

Son auditoire toujours installé en haut des marches devant l’église, Jean Aubert explique que le plan basilical choisi pour cette église par Lepère se justifie par la passion de l’architecte pour l’antique. Les volées de marches menant à l’église sont aussi inspirées de celles de l’église de la Trinité des Monts à Rome. A noter que le tympan du fronton comme le péristyle de l’église rappellent ceux de l’église Notre-Dame-de-Lorette construite à la même époque plus bas. Le sculpteur du tympan en est d’ailleurs le même, puisqu’il s’agit de Charles Lebœuf Nanteuil qui relate là la Glorification de saint Vincent.

Notre conférencier s’attarde surtout sur les sept fameuses plaques émaillées se trouvant sur la façade du péristyle, posées entre 1845 et 1859, et qui illustrent le goût de l’architecte pour la polychromie. Peintes par Pierre-Jules Jollivet, elles évoquent la Création et l‘enfance du Christ et sont en lave émaillée d’Auvergne, technique encouragée par le préfet de la Seine de l’époque, le comte de Chabrol de Volvic (ceci explique cela !) dont une rue proche dans le quartier va porter le nom.  Ces plaques divisées chacune en trois panneaux feront scandale pour abus de nudité et seront alors retirées. Jean Aubert nous confie qu’il a pu participer au projet de remontage de celles-ci il y a seulement une dizaine d’années. 
 



P.J. Jollivet  -  Eglise St Vincent-de-Paul  - Plaque lave émaillée La Sainte Trinité  -   ©  Vanoostjoost  -  Wikicommons.
 


Les adhérents de 9ème Histoire pénètrent ensuite dans l’église sans emprunter cependant la monumentale porte en fonte sculptée représentant les douze apôtres. La nef néoclassique, impressionnante aussi bien en hauteur qu’en longueur, et plutôt bien éclairée aujourd’hui par un soleil rayonnant, s’élève sur deux étages. Les hautes colonnes du rez-de-chaussée, couronnées de chapiteaux ioniques, supportent les tribunes encadrant la nef, avec ici ses colonnes aux chapiteaux corinthiens.

L’originalité de l’ensemble se manifeste surtout par la fameuse frise des Saints à droite et des Saintes à gauche, courant tout au long de la nef avec ses 235 personnages et située juste sous les deux tribunes ! C’est Hippolyte Flandrin qui a réalisé entre 1848 et 1853 cette peinture à la cire sur fond or, longue de deux fois 90 m.  Orsel, Scheffer et Ingres pressentis par Hittorff avaient refusé ce travail. On peut d’ailleurs voir en entrant dans l’église une reproduction dessinée en réduction permettant de mettre un nom sur chacun et chacune (l’épouse de Jean Aubert a réalisé ce travail !). Celui-ci nous indique aussi que le traitement des visages de la grande frise, souvent dénués d’expression, rappelle le style antique (certains ont même noté également l’influence de Raphaël ici). Jean Aubert nous montre alors vers le milieu de cette frise des Saints, un personnage qui représenterait Ingres, le maître de Flandrin !

Si on lève les yeux, on peut admirer également le beau plafond en bois peint d’inspiration paléochrétienne avec ses poutres apparentes. A noter qu’elles sont soutenues par des légers poteaux en fonte de fer. C’est cette fonte de fer peinte qui est aussi utilisée pour les grilles fabriquées par les ateliers Calla tout proches, qui habillent tout le rez-de-chaussée de l’église et qui sont dessinées par Hittorff lui-même, comme les barrières en bois isolant des bas-côtés (démontées aujourd’hui). Jean Aubert nous fait remarquer ensuite qu’exception faite des médaillons représentant dans une longue frise juste sous le plafond de l’église, des papes, évêques et anges,  seuls deux peintres ont travaillé pour cette église : Flandrin donc et Picot, auteur sur la voûte de l’abside au fond de l’église de la magnifique peinture du Christ en majesté entouré d’anges et archanges (avec Saint Vincent de Paul prosterné) mais aussi auteur de la Frise des Sacrements peinte sur le soubassement de cette même voûte, en utilisant la même technique que Flandrin, donnant ainsi une unité aux œuvres peintes de l’édifice. Picot plus âgé, avait eu pour maitre David et a réalisé aussi, rappelons-le, la peinture de la voûte de l’abside à Notre-Dame-de-Lorette. 

Jean Aubert nous montre également la très belle sculpture au-dessus du maitre autel du Christ en croix avec à ses pieds Marie et Jean, réalisée en bronze doré par François Rude, et dominée par un baldaquin tout en dorures voulu par Hittorf. 

En passant par le déambulatoire derrière le chœur, notre guide d’un jour nous fait accéder alors à la chapelle de la Vierge à la belle voûte à caissons, très vaste et créée plus tardivement en 1869. On voit ici derrière l’autel de la Vierge, des mosaïques modernes de Labouret qui tranchent avec ce qu’on peut voir dans le reste de l’église. On remarque également sur un côté de la chapelle une statue de la Vierge à l’enfant par Carrier Belleuse (qui avait son atelier rue de la Tour d’Auvergne), assez originale par le geste même représenté et par le visage impassible de Marie, et de l’autre côté, une copie offerte par Louis-Philippe de la statue de Jeanne d’Arc exécutée par la princesse Marie d’Orléans. On trouve enfin sur les murs de cette chapelle des peintures de Bouguereau datant de la fin du XIXe siècle.   
 



Carrier Belleuse Statue de la Vierge à l'enfant     -     Photo E. Fouquet.
 


Cette visite hautement documentée allait se terminer par une petite escalade en revenant vers l’entrée de l’église, pour accéder à la tribune de l’orgue de l’incontournable Cavaillé-Coll installé là en 1852, Hittorff en ayant même dessiné le buffet, désormais placé plus loin dans la tribune gauche.

Nous avons alors le loisir de profiter tout à la fois d’une vue dominant la nef, de mieux apprécier sa belle voûte en bois peinte et d’admirer d’un peu plus près la frise ceinturant cette nef. Jean Aubert nous précise enfin que la lumière présente dans cette église (souvent justement critiquée par le passé pour son absence) s’est sensiblement améliorée du fait que les vitraux initialement entièrement polychromes, se sont vus éclaircis peu après leur pose grâce à la suppression de leurs contours peints. Est-ce d’ailleurs pour cette réputation d’église assez sombre, qu’en 1963 Jean-Pierre Mocky avait tourné ici son film Un drôle de paroissien, avec Bourvil en pilleur de troncs ?!

Notre talentueux guide aurait voulu nous réserver une surprise pour finir : atteindre, pour ceux qui le désiraient, la terrasse entre les deux clochers d’où on bénéficie d’une vue imprenable sur Paris et Montmartre derrière, mais peine perdue, l’accès était fermé …   Cela n’a pas empêché en conclusion de remercier vivement Jean Aubert pour sa passionnante visite dont cet écho ne constitue qu’un modeste compte-rendu.
      


Emmanuel FOUQUET
 


© 9ème Histoire - 2022
 


Date de création : 28/04/2022 • 15:08
Catégorie : - Echos du Terrain
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