Balade autour du square d'Anvers
Balade dans le quartier du square d’Anvers
Avec Michel GUËT
C’est un peu entre les gouttes que nous avons pu accompagner Michel Guët jeudi 13 avril dans la balade proposée dans le quartier du square d’Anvers qu’il a bien connu enfant comme il nous l’a confié en préambule.
Le square d’Anvers est un de ces nombreux squares créés à Paris lors du « règne » d’Haussmann en tant que préfet. Conçu par Alphand, le grand responsable des Promenades et Plantations à cette époque, pour remplacer les anciens abattoirs de Montmartre situés alors à l’extérieur de Paris (ces sinistres « tueries » malodorantes créées par Napoléon Ier), ce nouvel espace de verdure si rare dans l’arrondissement avait été voulu par Napoléon III.
On trouve encore à cet endroit un charmant kiosque à musique de style 1900, même s’il a été légèrement déplacé pour créer un parking souterrain dans les années 1980. Le square lui-même a bénéficié d’un remaniement il y a peu et on lui a ajouté le nom de Jean-Claude Carrière, en hommage à cet artiste mort en 2021 et qui a vécu dans notre arrondissement.
On emprunte alors à droite la large avenue Trudaine, créée en 1821 pour desservir les abattoirs, plantée de platanes et coincée en quelque sorte entre les rues des Martyrs et de Rochechouart. L’avenue permettait également d’accéder aux différents gazomètres construits à cette époque dans cette partie est du quartier, dont le caractère ouvrier allait encore davantage se traduire au milieu du XIXe siècle avec la construction de la manufacture de chaussures Godillot et la Cité Napoléon, rue de Rochechouart (voir l’article dans le livre Le Neuvième, une histoire parisienne). On se dirige ensuite vers le lycée Jacques Decour (baptisé en 1944 du nom de résistance d’un professeur d’allemand de l’établissement, fusillé par les Allemands en 1942), l’ancien collège Rollin voulu ici par Haussmann, également à l’emplacement des abattoirs, qui sera fréquenté par beaucoup de professeurs ou élèves illustres tels Bergson, Mallarmé, Jules Romain, Utrillo, Courteline et plus près de nous Willy Ronis, Truffaut ou encore Nougaro. Notre guide nous montre aussi que la pierre de construction utilisée ici, dite pierre de Paris, est d’origine sédimentaire (le calcaire lutétien) qui porte donc encore souvent des traces de fossiles et il attire notre attention sur un original immeuble en briques avec ses oriels (ou bow-windows) construit en 1903 au 21, presque en face du lycée, qui dénote au milieu des autres immeubles haussmanniens plutôt bourgeois.
Un peu plus loin, au niveau du numéro 17, à l’angle de la rue Turgot, notre guide nous fera lever les yeux pour nous faire remarquer que sous la corniche de l’immeuble avec ses trois étages d’ateliers, on distingue là curieusement la date de construction : 1841 !
En arrivant au coin de la rue Bochart de Saron, comment ne pas évoquer le très bel hôtel particulier du 14 s’élevant seulement sur deux étages, qui tranche donc avec le reste du bâti de l’avenue Trudaine de style haussmannien avec sa hauteur limitée à 20 m maximum et ses balcons filants au second étage (l’étage noble) et au cinquième étage. Conçu par l’architecte Léon Ohnet en 1865, l’hôtel possède notamment au croisement avec la rue Say un magnifique grand salon au premier étage (voir l’article dans le livre Le Neuvième, une histoire parisienne).
Nous traversons alors l’avenue pour trouver en face aux numéros 37/39, l’ancienne Ecole de Commerce créée en 1863 dont l’intérieur vient d’être entièrement restructuré en espaces de « coworking ».
On remarque non loin sur le large trottoir, qui a d’ailleurs permis à Michel Guët enfant de pratiquer le patin à roulettes (!), la curieuse boite à sable en fer orné, rare échantillon subsistant de mobilier urbain conçu à la fin du XIXe siècle et utilisé alors pour répandre du sable sur les trottoirs et la chaussée en cas de verglas ou de gel.
Plus fréquents sont les bancs datant sensiblement de la même époque que l’on doit à Davioud, présents ici comme dans tout Paris. La largeur des trottoirs a permis également d’installer une de ces fameuses colonnes Morris où étaient placardées les affiches des programmations théâtrales (et dans lesquelles les employés municipaux pouvaient déposer leur matériel de nettoyage). Nous poursuivons vers la rue des Martyrs pour évoquer les deux fameux cabarets en vogue à la fin du XIXe siècle au niveau du 30 de l’avenue : l’Ane Rouge, le « Paprika » aujourd’hui, et L’Auberge du Clou massacrée récemment et désormais appelée « Season » (voir l’article dans le livre Le Neuvième, une histoire parisienne) qui a gardé encore des traces de ses anciennes peintures murales au sous-sol.
Sans vouloir citer tous les personnages du monde artistique qui ont résidé dans l’avenue, particulièrement au XIXe siècle, Michel Guët ne peut manquer de mentionner le compositeur Emmanuel Chabrier et le célèbre peintre de marines Eugène Boudin qui ont résidé tous deux un temps au 27, la peintre impressionniste américaine Mary Cassatt présente au 13 et plus près de nous, Jean Anouilh au 26 ou encore Fernandel au 15 ...
Nous empruntons alors la résidentielle rue Condorcet pour nous rendre devant le n° 68 et faire ainsi un petit salut à la sculpture du Grand-duc qui nous regarde du haut de la colonnette apposée sur la façade, signature en guise de clin d’œil de Viollet-le-Duc, le grand architecte qui a fait construire cet immeuble en 1860 pour y résider et y abriter son atelier.
Michel Güet évoque alors l’amitié de celui-ci avec Prosper Mérimée, à cette époque inspecteur général des monuments historiques, ce qui va lui donner l’occasion de montrer son amour du Moyen-Age sur des sites anciens comme la cité de Carcassonne ou le château de Pierrefonds et bien sûr Notre-Dame de Paris, où il se met en scène en Saint-Thomas sur une des statues entourant la flèche (sauvées lors de l’incendie en 2019) ! Il construira aussi trois autres immeubles dans l’arrondissement : 23, rue Chauchat, 15, rue de Douai et 28, rue de Liège.
Dans cette rue ont habité également au 50, Erik Satie, au 43, Claude Nougaro et Cité Condorcet, Willy Ronis.
Nous remontons alors par la rue Rodier, où résida pendant dix ans au 55, le grand reporter Albert Londres et où se tenait au 53 le réputé studio de danse de Max Bozzoni où furent élèves les étoiles de l’Opéra : Aurélie Dupont, Patrick Dupond et Agnès Letestu. Au 58, l’habitat est décidément éclectique avec la résidence d’Emile Reynaud, pionnier du cinéma, sans oublier au 33, Charles Baudelaire !
Revenus avenue Trudaine, nous passons à droite devant le 8 et la dynamique galerie de peinture de Michel Guillet pour déboucher rue Marguerite de Rochechouart (du nom d’une abbesse de Montmartre), devant le 76 où fut arrêté en pleine rue le sinistre Landru, en 1919 …le jour même de son 50e anniversaire.
Nous rejoignions la place où se trouvait le cinéma « Le Delta » avant-guerre, à l’emplacement de l’ancienne barrière Rochechouart où s’est battue Louise Michel durant la Commune, le 24 mai 1871. Nous apercevons alors au croisement des rues de Gérando et de Dunkerque, l’immeuble où résida Stéphane Grappelli au 5e étage du 87, rue de Dunkerque, de 1968 à sa mort en 1997.
Photo Grappelli à son baIcon (Philippe Baudoin)
Il nous restait alors à regagner le square d’Anvers en empruntant le boulevard Rochechouart où est né Jean Gabin au 23 et où à l’angle de celui-ci, se trouvait le café « Les Oiseaux », lieu de rendez-vous dans les années 30, d’André Breton et de sa maîtresse, Jacqueline Lamba, qui deviendra sa seconde épouse.
Pour terminer cette visite de près de deux heures, Michel Guët nous raconte une anecdote concernant la chanteuse Fréhel qui, trouvée près du square en état d’ivresse par des sergents de ville, est finalement relâchée en entonnant simplement « C’est la java bleue » !
Une bien instructive promenade dont ce modeste compte-rendu ne donne qu’un petit aperçu …
Avril 2023 texte d'Emmanuel Fouquet
Catégorie : - Echos du Terrain
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