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Cesar FRANCK

César Franck (1822-1890)

par Eric Lebrun

César Franck, l’un des plus extraordinaires compositeurs du XIXème siècle, familier dans sa jeunesse du 9e arrondissement connaît un destin complexe qui trouve son épanouissement au terme d’un long parcours.

Né en 1822 à Liège, alors territoire hollandais avant de redevenir belge, le jeune César Auguste Franck bénéficie d’un enseignement musical remarquable sous la houlette de son premier directeur de Daussoigne-Méhul, le neveu du célèbre compositeur du Chant du départ et de Joseph. A l’âge de douze ans, il est déjà un pianiste prodigieux et vient de signer deux magnifiques Concertos pour piano révélés au public il y a seulement vingt ans. Son père, impresario quelque peu vénal, jouant le rôle de quelque Léopold Mozart transposé au XIXème siècle, avait projeté de faire tourner dans toute l’Europe ses deux fils (le cadet, Joseph, se distinguant particulièrement d’abord au violon puis à l’orgue).

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Description générée automatiquement Père de César Franck

La famille s’installe à Paris en 1835, d’abord au 33, rue Joubert, puis à partir de l’été 1836 au 22, rue Montholon. Le jeune pianiste doit attendre encore deux longues années pour intégrer le Conservatoire, n’ayant pas la nationalité française. Mais il se fait déjà connaître, jouant aux côtés de Liszt et d’Alkan, et profite déjà des leçons de maîtres réputés comme Anton Reicha, passeur d’une certaine tradition Beethovenienne, dont Berlioz dira : « Il m'a beaucoup appris en peu de temps et en peu de mots ». Au Conservatoire, il brillera en classe de piano avant de suivre pendant une petite année les cours d’orgue de Benoist. Curieusement, il quitte cette prestigieuse maison au terme de cette année d’étude en classe d’orgue et ne passe pas le concours de Rome qui aurait pu lui ouvrir tant de portes. Tout le portait à réussir, témoin la fugue sur un thème de Cherubini qui lui permit d’obtenir au milieu d’une moisson de récompenses un premier prix.  Mais son chef-d’œuvre à cette époque est le recueil des Trois trios op. 1 dédié à Léopold Ier, roi des Belges, dont les souscripteurs les plus célèbres furent Meyerbeer, Liszt, Auber, Donizetti, Chopin, Onslow ou Cramer.

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Affiche Trois Trios

La famille se déplace encore trois fois dans le quartier, au printemps 1841 au 6, rue de Trévise, puis à l’automne 1842 au 43, rue Laffitte (l’adresse où l’on peut acheter les Trios op. 1), puis enfin au 15, rue La Bruyère, où les frères Franck font entendre leurs meilleurs élèves dans un salon de musique. En 1845 celui qu’on appelle encore César Auguste Franck se fait connaître à nouveau par son églogue biblique Ruth qui, pour un peu, pourrait le porter sur les marches de l’Opéra, grâce au soutien de Liszt, lequel le recommande chaleureusement au peintre Ary Scheffer ; mais son heure n’est pas encore venue. Ruth contient nombre de chœurs et d’airs dont le charme est irrésistible. L’époque est sensible à l’orientalisme, depuis le succès du Désert de Félicien David, en 1844.

Coup de théâtre : Franck, ne tolérant plus la dure tutelle paternelle, décide en 1846 de rompre avec sa famille, de se prénommer plus simplement « César » et d’épouser deux ans plus tard Félicité Desmousseaux, l’une de ses élèves, fille de comédiens jouissant d’une certaine réputation. Il l’avait rencontrée dans une école de jeunes filles de la rue des Martyrs où enseignait également Offenbach. La noce est contrariée par la révolution de février 1848 et le couple doit, d’après la légende, enjamber des barricades ! La jeune Félicité est en fait une excellente pianiste qui va influencer son jeune époux, le poussant probablement à composer (peut-être malgré lui) pas moins de quatre opéras qu’il n’entendra jamais de son vivant. Son premier emploi, hormis les innombrables cours de piano qu’il donnera jusqu’à son dernier souffle, est celui d’organiste accompagnateur de l’église Notre-Dame-de-Lorette, dans le quartier de la Nouvelle-Athènes.

                                      

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Eglise Notre-Dame-de-Lorette au XIXe siècle

 Le nouveau curé, le père de Rolleau, est un mélomane, il développe une intense activité musicale dans cette église. Adolphe Adam, l’auteur de Mireille, entre autres collaborera à cette entreprise. C’est évidemment un revirement complet pour un pianiste virtuose. Parallèlement il s’attache à la jeune manufacture d’orgues Cavaillé-Coll dont il devient le « démonstrateur » attitré aux côtés de Lefebure-Wély, plus populaire et charmeur que le jeune Liégeois, il faut bien le reconnaître. Il s’en ouvre dans une lettre destinée à Franz Liszt. Cavaillé-Coll, né à Gaillac, est l’héritier d’une dynastie de facteurs d’orgues ayant œuvré en Catalogne et dans la région de Toulouse, dans une tradition d’abord classique. Le jeune artisan, 1m69, les yeux d’un gris pétillant, est remarquablement inventif, intelligent et veut tout comprendre, là où ses collègues les plus réputés font encore régner l’empirisme et parfois la sèche tradition. Son atelier se situait à l’emplacement de l’actuelle rue Notre-Dame-de-Lorette.

C’est justement un instrument du jeune Cavaillé-Coll que César Franck va tenir dès 1851 à l’église Saint-Jean-Saint-François, actuelle cathédrale arménienne. Années difficiles où son talent reste assez méconnu. André Tubeuf parle judicieusement à son sujet de « la sainte habitude d’être laborieux. » En effet, quel labeur… le jeune virtuose s’est converti en un professeur débordé qui marche dans tout Paris, et parfois au-delà, pour dispenser ses leçons à une clientèle privée, ou superviser des institutions, notamment des écoles de jeunes filles.

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Portrait supposé de César Franck vers 1852

 Années sombres, pénibles, où il faut non seulement assurer le nécessaire pour le foyer, installé depuis 1848 au 69, rue Blanche, mais aussi alors que rien ne l’y oblige, payer à vie une sorte de dette morale à son père.

Mais voici qu’un nouveau revirement change radicalement la perspective. Après plusieurs tentatives malheureuses d’accéder aux tribunes de Saint-Roch ou de Saint-Eustache, il devient en 1859 l’organiste titulaire de la basilique Sainte-Clotilde, alors église, due à François-Christian Gau et Théodore Ballu, dans le quartier de l’Assemblée nationale.

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Eglise Sainte Clotilde au XIXe siècle

 Franck bénéficie d’un environnement culturel et intellectuel assez remarquable. Il signe dans la foulée un recueil de Six pièces pour grand orgue qui inaugure un genre nouveau, inspiré par les instruments très perfectionnés et déjà « symphoniques » de Cavaillé-Coll. On peut citer dans l’ordre : Fantaisie en ut (dédiée à Alexis Chauvet, organiste de la Trinité, Grande pièce symphonique (dédiée à Charles-Valentin Alkan, virtuose du piano, de l’orgue et du piano-pédalier), Prélude, fugue et Variation (dédié à Camille-Saint-Saëns), dont il existe une version alternative pour piano et harmonium, Pastorale (dédiée à Cavaillé-Coll), Prière (dédiée à son maître Benoist) et Final (dédié à Lefébure-Wély). Tiré d’abord à seulement vingt-cinq exemplaires par Mayens-Couvreur, il est aujourd’hui l’un des best-sellers mondiaux de la musique française du XIXème siècle ! Après deux années passées au 70, boulevard du Montparnasse, Franck installe sa famille au 95, boulevard Saint-Michel, haut lieu des rencontres entre compositeurs de la jeune génération qui sont ses élèves de piano au lycée des jésuites de la rue de Vaugirard. C’est à la fin des années 1860, qu’il entreprend la composition d’un vaste oratorio, Les Béatitudes, qui sera pour longtemps son œuvre la plus célèbre. Il participe en 1871 avec quelques amis dont Camille Saint-Saëns et le jeune Gabriel Fauré à la fondation de la Société Nationale de Musique dont il sera plus tard le président. Puis vient une nouvelle consécration : Franck devient professeur d’orgue au Conservatoire en 1872. Véritable ruche peuplée de créateurs inspirés comme Chausson, Duparc, d’Indy, Ropartz ou encore Lekeu, la classe de Franck, consacrée pour l’essentiel à l’improvisation est en fait un atelier de composition et attire même quelques auditeurs occasionnels comme Georges Bizet ou Claude Debussy. Cet environnement jeune et dynamique l’encourage, le pousse à se dépasser. Il conduit aux plus hauts sommets de jeunes compositrices comme Augusta Holmès et des musiciennes (ce qui n’était pas si courant à cette époque). Il brigue la classe de composition, mais c’est bien dans le cadre de la classe d’orgue qu’il va faire école, jusqu’à ses derniers instants !

Ces années sont décidément heureuses pour ce musicien si travailleur et patient. En 1873, à la suite de la guerre et de la Commune, ce sera Rédemption, malheureusement bien mal interprétée au désespoir du compositeur (il faut reconnaître que la partition, d’un genre nouveau, pouvait dérouter les musiciens…)

Naturalisé français en 1873, il est convié cinq ans plus tard à participer à l’inauguration de l’orgue du Palais des Fêtes du Trocadéro, écrivant pour cette occasion Trois pièces qui comptent parmi les plus grands chefs-d’œuvre destinés à cet instrument. Il s’agit de la Fantaisie en la (d’abord appelée Fantaisie-Idylle), le Cantabile et la Pièce héroïque où plane le souvenir de Chopin puisqu’il s’agit d’une véritable Polonaise...

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Palais des Fêtes du Trocadéro 1878

Commence alors une décade prodigieuse. De 1879 à sa mort en 1890, date de sa disparition, il accumule de nouvelles pages proprement géniales et se positionne comme l’un des maîtres incontestés de cette fin de siècle : on peut citer entre autres le Quintette, des Poèmes symphoniques comme Le chasseur maudit, Rebecca, oratorio écrit à l’occasion de la naissance d’un petit enfant, les Variations symphoniques, Psyché, Prélude, aria et final pour piano, la Sonate pour violon et piano, la Symphonie en ré mineur, le Quatuor à cordes, les Trois chorals pour orgue, mais aussi un vaste et magnifique opéra, Hulda, enfin donné dans son intégralité à Paris en juin 2022, troisième d’une série de quatre ouvrages lyriques presque complètement ignorés.

Relevons quelques pépites, et d’abord les deux grands triptyques pour le piano, instrument qu’il avait délaissé dans le domaine de la composition depuis sa jeunesse. Il signe maintenant de véritables monuments d’un profond lyrisme, solidement structurés, où plane une forme de spiritualité très particulière. L’utilisation des registres du piano est proprement symphonique, parfois proche d’une certaine forme d’impressionnisme, cependant que, dans sa thématique comme dans sa conduite, l’hommage à Bach reste évident. La Sonate pour violon et piano, abusivement interprétée comme celle de Vinteuil dans l’œuvre de Proust (ne serait-ce pas plutôt celle de Saint-Saëns qui aurait inspiré le romancier qui était par ailleurs fin mais discret musicien ?) était un cadeau pour le mariage du grand violoniste belge Eugène Ysaÿe. En quatre mouvements, elle dévoile dans sa troisième partie un extraordinaire récitatif qui semble errer comme la pensée d’un homme perdu dans la rêverie la plus passionnée. L’œuvre est depuis cette époque au répertoire des plus grands interprètes. La Symphonie en ré mineur, partition tardive à une époque où les Français se penchent avec un grand succès sur le genre (pensons aux symphonies de Saint-Saëns, de Lalo, de d’Indy) semble un hommage à Franz Liszt, car le thème initial évoque le souvenir des Préludes du compositeur hongrois. Architecture de pénombre, cette œuvre fait éclater la pleine lumière dans son final, utilisant tout le riche matériau thématique sans exclusive dans chacun des mouvements. C’est ce qu’on appelle le principe cyclique (l’équivalent du retour de tel personnage dans la Comédie Humaine de Balzac par exemple). Dans les Trois Chorals pour orgue, composés pour l’essentiel à Nemours pendant sa convalescence, il renouvelle encore le genre de la musique pour son instrument de prédilection, associant avec un naturel confondant les grandes formes héritées de la tradition allemande (Bach mais aussi Beethoven) et un langage d’une liberté harmonique sans précédent.

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César Franck par Jeanne Rongier

L’influence de ce musicien au parcours contrarié sera très durable ; aujourd’hui encore sa recherche de formes originales et travaillées, d’un langage en perpétuel renouvellement, ne laisse pas indifférent les jeunes générations de compositeurs. Dans une paysage musical et social dominé par l’opéra, alors qu’il aura tenté par quatre fois de s’imposer dans ce domaine, Franck va donner ses lettres de noblesse à la musique instrumentale avec une maîtrise assez confondante et un lyrisme incandescent.


© 9ème Histoire - 2023


Date de création : 22/06/2023 • 12:12
Catégorie : - Echos du Terrain
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