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Grammaire sans peine des facades du 9ème

© C. Mignot 2023 © 9e Histoire - 2023

Grammaire « sans peine » des façades du 9e

 Par Claude Mignot

Il est des plaisirs parisiens délicieux et gratuits, qu’on peut goûter toute l’année (sauf les jours de grand froid) : se promener « le nez en l’air » en quête des belles façades qui font la beauté du quartier, comme nous y invite Victor Hugo : « il faut admirer sans cesse le livre écrit par l’architecture ». De même qu’un peu de botanique accroit le plaisir des promenades champêtres, comme nous l’a appris Jean-Jacques Rousseau, quelques clés de lecture architecturale augmentent le plaisir de ces promenades urbaines, où les façades d’immeuble se saluent d’un trottoir à l’autre, d’un siècle à l’autre.

Cette grammaire vaut pour tout Paris, mais chaque arrondissement a ses ordonnances dominantes et ses formules favorites, qui tiennent à son histoire singulière ; elles donnent à son paysage urbain son caractère propre. Tout entier extérieur au noyau historique de Paris contenu dans le cercle de ses remparts et de ses boulevards, le 9e ne s’est urbanisé qu’à partir de la monarchie de Juillet et du Second Empire ; aussi les façades des années 1830-1870 y sont-elles dominantes, mais les immeubles 1900 et 1930, qui sont venus s’y insérer, ressortent davantage dans le paysage des rues parce qu’ils sont plus rares.

Les immeubles de rapport avec des appartements de plain-pied superposés apparaissent à Paris au milieu du XVIIIe siècle, mais les hôtels particuliers persistent jusqu’au XXe. Ces deux familles typologiques coexistent sur la rue, où le plus souvent elles se distinguent franchement, comme on le voit Cité Malesherbes.

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11 cité Malesherbes, hôtel façade polychrome Pierre-Jules Jollivet.

© E. Fouquet 2023 © 9e Histoire - 2023

Parfois les hôtels se développent en hauteur, au point de ressembler à un immeuble de rapport si l’on n’est pas attentif, comme l’hôtel particulier d’Osiris, 8, rue La Bruyère ; inversement certains immeubles de rapport ne présentent que peu d’étages, comme place Saint-Georges, où l’on croit voir deux hôtels particuliers, alors que l’immeuble de gauche, habité par la Païva, est un immeuble de rapport.

Parcourir le 9e en regardant les façades, suppose de déchiffrer les gabarits, qui au cours du XIXe siècle libèrent progressivement la hauteur des corniches, et de connaître les règlements sur les saillies des balcons et sur les bow-windows ; car ce sont les deux premières clés qui permettent de dater les façades. Les façades font aussi vibrer la corde du temps, en déclinant par leurs ornements la succession historique des styles : première Renaissance (n° 27, rue Victor-Massé), classicisme néo-grec (square d’Orléans), éclectisme classique (place de la Trinité) ; éclectisme géographique (style néo-flamand, n° 28, rue Ballu .

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28 rue Ballu facade de style neo-flamand

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Dans cette lecture le promeneur est souvent aidé par les chronogrammes et les signatures qu’il faut chercher sur les façades. La plus ancienne signature datée, « Bringol, 1830 », est gravée au-dessus de la porte du n° 8, Boulevard Poissonnière. La plus originale en forme de rébus est le « grand-duc » sculpté, perché sur une colonnette sous le balcon de l’immeuble bâti par et pour Viollet-le-Duc.

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68 rue Condorcet : le grand-duc de Viollet le Duc

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Tout au long de leur histoire, les immeubles parisiens présentent une ordonnance ternaire : un rez-de-chaussée, où ouvrent portes, portails, devantures de boutiques, puis des étages courants, généralement de hauteur décroissante, enfin un couronnement, comble à lucarnes ou étage attique.
L’ordonnance des façades repose sur le croisement du quadrillage horizontal des étages, et du quadrillage vertical des travées. Le quadrillage horizontal peut être plus ou moins accentué par les bandeaux d’étage, les balcons et les corniches. Les baies des travées offrent généralement une gamme de dimensions décroissantes (n° 12-14 rue d’Aumale), de formes contrastées –baies cintrées ou baies rectangulaires, comme au n° 68, rue Condorcet -, ou encore d’encadrements des plus simples, aux plus riches. L’effet de dégradé peut se répéter sur les trumeaux, comme on le voit sur la maison de Bizet, n° 26, rue de la Tour d’Auvergne, où un élégant motif d’arabesques se simplifie d’étage en étage, parallèlement à l’encadrement des baies.

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26 rue de la Tour d’Auvergne

© E. Fouquet 2023 © 9e Histoire - 2023

Deux ordonnances dominent dans notre quartier, les façades « à socle » et les façades « à la vénitienne ». Les façades à socle dérivent des palais romains et véronais du XVIe siècle. Le rez-de-chaussée est traité comme un socle puissant avec des bossages (pierres, dont le parement est saillant, en table ou rustiqué, en pointe de diamant ou vermiculé) ou des refends (motif inverse des bossages, où les joints, réels ou fictifs, sont fortement creusés). Les étages au-dessus sont scandés de pilastres ou de colonnes, souvent d’ordre colossal, c’est-à-dire embrassant deux étages, comme on le voit aux n° 8 et 10, rue d’Aumale.

8 rue d’Aumale

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Les façades « à la vénitienne » sont inspirées par les compositions des palais vénitiens, où un triplet de baies, serrées au centre, correspondant au salon, est entouré d’une ou de deux travées latérales, bien détachées sur le mur, correspondant aux chambres. Les baies centrales se distinguent par leurs formes cintrées ou par un encadrement de pilastres. Le premier immeuble ainsi dessiné apparait en 1835, au n° 7, boulevard des Capucines, juste à l’extérieur du 9e. Les exemples se multiplient dans le 9e dans les décennies suivantes : n° 1-5 rue Laffitte en 1839 ; n° 20-22, boulevard Poissonnière, vers 1840 ; n° 4 et 8, rue Blanche ; n° 39, rue d’Amsterdam ; n° 52, rue Notre-Dame de Lorette.

52 rue Notre Dame de Lorette

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Très vite cette ordonnance se libère de son modèle. Le motif ternaire central n’est plus marqué que par le rythme des baies, qui parfois n’ont plus de formes spécifiques. Certaines façades d’immeubles plus modestes n’isolent plus au centre que deux travées.

Au cours du XIXe siècle, on observe aussi l’apparition, puis le développement des saillies sur la façade : balcons, avant-corps, bow-windows. Ces derniers autorisés par un décret du 22 juillet 1882 en bois ou en métal, démontables, créent un fort accent vertical qui vient rompre la monotonie des ordonnances haussmanniennes comme au n° 57, rue du Faubourg-Poissonnière.

57 rue du faubourg Poissonnière

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 A partir de 1902, un nouveau règlement les autorisant en pierre, ils se multiplient. Les façades deviennent une surface malléable, où les ornements sculptés issus du répertoire classique deviennent plus insistants (pilastres, consoles, mascarons, cariatides). Un autre motif apparait à la même époque, les loggias horizontales, qui amplifient le motif classique des balcons.

Les balcons de fer forgé, qui fleurissent à Paris sur les façades au XVIIIe, sont remplacés presque exclusivement par des balcons de fonte moulée à partir du règne de Charles X, ce que déplore Viollet-le-Duc. Ces dentelles de fonte qui garnissent fenêtres et balcons sont d’une inépuisable variété et méritent d’arrêter le regard. Vers 1900, apparaissent les grandes portes vitrées, qui dialoguent avec les balcons (n° 24, rue d’Aumale, 1898).

Avec cette grammaire en tête, le promeneur peut au fil de ses flâneries constituer, comme au jeu des Sept Familles, de petits groupes de façades, qui se répondent d’une rue à l’autre, et définissent ce qui fait le caractère du paysage urbain de notre cher 9e arrondissement.                                                                                                                    

Bibliographie :

Claude Mignot, Grammaire des immeubles parisiens, Six siècles de façades du Moyen-âge à nos jours, Parigramme, Paris, 2013 (1ère éd. 2004) ; 100 façades remarquables, Parigramme, 2015.     

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Date de création : 21/11/2023 • 18:41
Catégorie : - Articles-Architecture
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