CHARLES-HENRI SANSON
Un bourreau dans l’actuel 9e arrondissement,
Charles-Henri Sanson (1739 - 1806)
Jean-Michel DEREX
Charles-Henri Sanson, le bourreau qui a présidé à l’exécution de tant de personnalités sous l’Ancien Régime et sous la Révolution a habité dans un quartier parisien qui est devenu plus tard le 9e arrondissement.
Portrait de Charles-Henri Sanson (XVIIIe siècle)
Celui-ci était remarqué par l’élégance de ses habits, in Marie-Louise Nicolais, veuve de Desrues condamnée ayant la corde au col d'être fouettée et marquée sur les deux épaules de la lettre V, devant la porte de la Conciergerie à Paris le 13 mars 1779, et à être renfermée à perpétuité à l'Hôpital général de la Salpetrière, estampe, détail, musée Carnavalet.
Un lieu de naissance hors les murs de Paris
Charles-Henri aurait dû naître dans la maison du pilori située au milieu de la place des Halles. Depuis le 23 septembre 1688, date de la remise de la lettre de provision à Charles Sanson dit Longval, le grand-père de Charles-Henri, la famille Sanson avait la « jouissance de la maison et habitation du pillory des Halles et circonstances et dépendances sans qu’il y puisse être troublé ni inquiété pour quelque cause que ce soit » . C’était le logement de fonction de l’exécuteur. Il ne lui était pas permis de loger ailleurs dans l’enceinte de la ville. Petit et se composant d’une unique pièce située au rez-de-chaussée du pilori, ce logement était bien trop étroit pour loger une famille.
Le pilori des Halles, dessin à la mine de plomb, Claude-Louis Bernier
Charles Sanson chercha donc une maison plus spacieuse. Peut-être eut-il un moment quelques velléités d’installation de sa famille dans Paris intra-muros pour que le Parlement se crut obligé de prendre un arrêt le 31août 1709 pour préciser le lieu d’établissement de l’exécuteur . C’est ainsi que le grand-père de Charles-Henri Sanson dut s’établir sur la paroisse de Saint-Laurent, derrière la barrière Poissonnière, hors les murs de la ville, au-delà donc des portes de la ville .
Cette demeure familiale se situait à égale distance de la place du Châtelet où l’exécuteur travaillait, la butte de Montfaucon (à l’emplacement de l’actuelle rue de Meaux) et d’une annexe du gibet qui se trouvait rue de la Potence, aujourd’hui rue Philippe de Girard : tous ces lieux étaient à environ deux kilomètres soit une demi-heure à pied de la maison familiale. Il fallait que Charles Sanson réagisse rapidement aux ordres donnés par les magistrats du Châtelet ou du Parlement ; que ses aides puissent dresser sans retard une potence ou un échafaud en place de Grève ou ailleurs dans Paris.
Charles-Henri naquit dans cette maison paternelle située au coin de la rue des Poissonniers et de la rue d’Enfer , à l’emplacement des actuelles rues Papillon et Riboutté. Cette maison se trouvait dans « la Nouvelle France » ainsi nommée parce qu’on éduquait dans ce quartier des jeunes gens destinés à être envoyés au Canada .
Plan Turgot, 1739. La porte Poissonnière et le quartier de la Nouvelle France
Le quartier était relativement récent, urbanisé depuis quatre-vingt-dix ans seulement . Il était encore partiellement agricole au milieu du XVIIIe siècle dans sa partie nord avec des vignes et des terrains maraîchers. Mais la ville était proche et le lieu attirait cabarets et guinguettes.
La demeure des Sanson était plus qu’une simple maison particulière. Il s’agissait d’un hôtel particulier situé à l’emplacement de l’actuel 69, rue du Faubourg-Poissonnière dans la partie la plus urbanisée du quartier. A proximité, on trouvait des marbriers, un boulanger, un conseiller du Parlement, un maître maçon, la marquise du Prat, le tout constituant un ensemble socialement très hétéroclite composé de maisons à porte cochère et d’autres plus modestes.
En 1739, lorsque Charles-Henri naquit, le quartier était en pleine évolution et s’urbanisait rapidement. Le « château Charolais », du nom de son propriétaire, le comte de Charolais, était la demeure la plus remarquable du quartier, sans doute l’une des plus grandes et l’une des plus belles propriétés particulières des faubourgs de Paris . C’est aussi à cette époque que Le quartier vit le début de la canalisation du grand égout de Paris, chantier gigantesque qui occupa jusqu’à 2 167 ouvriers en juillet 1740. Ce fut l’un des plus grands chantiers parisiens du siècle .
La maison Sanson était spacieuse. C’était, nous dit Henri-Clément, le petit-fils de Charles-Henri, une habitation presque seigneuriale avec cour et jardin, « élevée sur un terrain d’une superficie de 1 200 toises carrées. Derrière l’hôtel, s’étendaient d’immenses jardins, pittoresquement dessinés et dont une partie, convertie en bouquets de bois et en charmilles, prenait l’aspect d’un véritable parc » . On a une description exacte de cet hôtel avec l’inventaire réalisé en 1779 lors de la vente de la propriété. Le descriptif confirme les dires d’Henri-Clément portant souvent sujets à caution. L’entrée principale donnait sur la rue du Faubourg-Poissonnière. On pénétrait dans l’hôtel particulier par une porte cochère. A la gauche de celle-ci, il y avait une porte piétonne. Au-dessus du portail se trouvaient trois pièces où Charles-Henri, et son père avant lui, préparaient des remèdes : la présence d’un fourneau permet en tout cas de le supposer. C’était là aussi qu’ils pratiquaient la médecine et qu’ils recevaient leurs patients. Au rez-de-chaussée, toujours dans le bâtiment formant le portail, se trouvaient les écuries. Une fois la porte cochère franchie, se déployaient à gauche, dans la cour, une aile avec remises et à droite, un petit jardin planté de treilles et d’arbres fruitiers. Au fond de la cour, le corps du logis du maître était composé de sept travées s’élevant sur deux étages. Les pièces étaient lambrissées et décorées de cheminées de marbre. Le sol était pavé de carreaux de pierre noirs et blancs. Derrière le logis, il y avait un parc composé d’un jardin d’agrément avec parterre, plates-bandes et buis taillés. Une autre partie était plantée d’arbres fruitiers. Un peu plus loin, une serre et un potager. Au fond du parc, un bosquet divisé en six parties par des allées plantées de quinze tilleuls et d’un orme. De là, une porte donnait accès à la rue d’Enfer . Voilà la maison du bourreau de Paris. A l’évidence, si les Sanson n’avaient pas d’honneur, ils n’étaient pas sans argent !
Les habitants de l’hôtel de la rue Poissonnière
Cet hôtel particulier était très animé. Il y avait les membres de la famille Sanson bien évidemment mais aussi les valets et les domestiques. Les premiers dormaient à l’étage noble, les autres dans les communs ou sous les toits. Mais pour les maîtres comme pour les domestiques, la nuit, si l’on arrivait à trouver le repos, il n’y avait pratiquement pas d’intimité : dans ces demeures parisiennes, chacun savait tout de l’autre.
La tablée de l’hôtel particulier de la rue Poissonnière était importante. Henri-Clément Sanson, évoquant des souvenirs familiaux rapportait, un siècle plus tard, qu’« on peut se faire une idée du grand couvert qui se dressait à l’heure du repas dans la salle à manger de l’hôtel de la rue Poissonnière » .
Quelle était le rythme et la vie de cette maisonnée ? Nous avons quelques éléments de réponse en lisant les mémoires d’Henri-Clément rédigés au milieu du XIXe siècle. Ces mémoires sont à utiliser avec grande prudence tant ils sont romancés. On peut cependant prendre quelques éléments qui ne font pas l’objet d’affabulations et qui semblent sortir de la transmission orale. Après la messe à laquelle les membres de la famille participaient de bon matin en l’église Saint-Laurent, Sanson recevait les patients dans une pièce située au-dessus du porche d’entrée de l’hôtel particulier. Henri-Clément nous dit « qu’il recevait journellement un certain nombre de malades qu’il traitait suivant leur état et leur fortune » .
Gravure d’Israël Sylvestre
La maison de Charles-Jean-Baptiste se trouvait sur la paroisse Saint-Pierre-de-Montmartre. Mais la famille, depuis son installation dans le quartier, se considérait de la paroisse de Saint-Laurent. C’est dans cette église d’ailleurs que les Sanson étaient inhumés. Et c’est dans cette église que le jeune Charles-Henri fut certainement baptisé.
La vente de la maison natale
Durant quarante années, Charles-Henri Sanson vécut dans cette maison. Mais à la mort de son père en 1778, en même temps qu’il prenait la charge d’exécuteur de la ville de Paris, son train de vie diminua. Henri-Clément Sanson, son petit-fils, en donnait l’explication un siècle plus tard : « à la mort de son père, Charles-Henri Sanson qui avait, comme on le sait, de nombreux cohéritiers, fut forcé de vendre l’hôtel de la rue Poissonnière pour faciliter le partage de la succession » : une sœur et huit demi-frères et sœurs demandaient leur part. A cela, il fallait ajouter une rente viagère que Charles-Henri devait verser à sa belle-mère.
L’hôtel de la rue Poissonnière fut d’abord évalué 63.350 livres tournois par l’architecte Jean-Charles Dumont, nommé d’office pour estimer la propriété. En fait, il fut vendu d’un seul tenant pour 100 000 livres . Ce prix allait au-delà des espérances. Aux dires d’Henri-Clément, la famille Sanson réalisa alors une bonne affaire . Le quartier était en pleine transformation et faisait l’objet de spéculations foncières importantes qui permirent de faire monter les prix . Henri Clément Sanson précisait presqu’un siècle après cette vente que « les prix des terrains avaient subi en 1778 une telle augmentation que mon grand-père vendit plus de 100 000 livres cette maison et ses dépendances » . L’hôtel particulier fut acheté par deux spéculateurs nommés Papillon et Riboutté qui lotirent le terrain et qu’ils firent traverser de deux rues qui portent encore aujourd’hui leur nom .
Une nouvelle demeure moins fastueuse que la précédente
Charles-Henri n’avait pas un capital suffisant pour acheter en 1778 une demeure semblable à celle qu’il quittait. Il alla habiter une maison située dans le même quartier, plus petite toutefois, située au 16, rue Neuve-Saint-Jean entre le Faubourg Saint-Denis et le Faubourg Saint-Martin.
Plan Turgot, 1739. Nouveau quartier de Charles-Henri Sanson
Cette rue Neuve-Saint-Jean est notre actuelle rue du Château-d’Eau située dans le Xe arrondissement. Charles-Henri qualifia cette maison « d’agréable » . Dans le mémoire qu’il soumit à l’Assemblée en 1789, Charles-Henri précisait qu’il louait cette maison 4 800 livres par an, « une maison qui puisse contenir sa famille, ses gens, ses chevaux, voitures, ustensiles nécessaires à son état, ladite maison placée à portée de pouvoir répondre promptement aux ordres » . Indication importante, cette maison se trouvait comme celle de la rue Poissonnière aux portes de Paris mais relativement près du Châtelet et du Parlement ce qui permettait à Sanson d’être prévenu rapidement lorsqu’il devait se rendre pour une exécution en place de Grève ou au pilori. Henri-Clément, le petit-fils de Charles-Henri donna un descriptif dans ses mémoires :
« Cette maison, sans être aussi vaste que celle du faubourg Poissonnière, n’était pas moins confortable. Elle offrait surtout cet avantage, que les appartements dans lesquels mon grand-père recevait le public étaient complètement séparés de l’habitation de famille. On entrait d’abord dans une grande cour carrée et longue, à l’exception d’un des angles, légèrement écorné, et où se trouvait placé une grille qui donnait accès dans la maison. Les bâtiments étaient à droite ; ils comprenaient : au rez-de-chaussée, pour l’habitation, un vestibule, une vaste salle à manger et une cuisine ; pour mon grand-père, une antichambre et un cabinet de réception, une belle pharmacie et un laboratoire ; aux étages supérieurs, les chambres à coucher. D’autres bâtiments, se prolongeant au-delà de la cour, sur une seule ligne qui continuait celle du mur d’enceinte, formaient une succession de servitudes, telles que remise, écurie, bûcher, buanderie, etc. Le long de ces derniers bâtiments était un parterre, et enfin, à l’extrémité, sur toute la largeur de la propriété, un jardin potager… Ce n’était plus le quasi-parc du faubourg Poissonnière ; mais enfin, ce n’en était pas moins quelque chose d’agréable, et tout ce qu’on avait pu tirer de la superficie du terrain, tout ce que Charles-Henri Sanson, du reste, pouvait ambitionner dans une situation de fortune bien inférieure à celle de son père et de son aïeul » .
Représentation très imaginaire de Sanson par Lampsonius
dans Un épisode sous la Terreur de Balzac.
Pour une approche plus détaillée de la vie de Charles-Henri Sanson, voir DEREX Jean-Michel, Charles-Henri Sanson.
Une vie de bourreau (1739-1806), La Louve éditions, Cahors, 2020.
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Catégorie : - Personnages
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