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Les différentes vie de l'hôtel BONY

Les différentes vies de l’hôtel Bony,

32 rue de Trévise
 

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l’hôtel Bony, façade ouest côté rue de Trévise, état actuel © D. Bureau

Le gracieux et secret hôtel Bony du 32, rue de Trévise, édifié en 1826, constitue aujourd’hui une œuvre référence de la dernière période du néo-classicisme français à la mode à l’époque de la Restauration, sous Charles X. Fermé de longs mois pour d’importants travaux de rénovation, l’hôtel particulier a réouvert début 2024 pour accueillir désormais une société de « coworking ». Il paraît utile de rappeler ici son histoire.
On sait peu de choses de René Bony, riche entrepreneur et spéculateur, qui sous la Restauration, fit construire des maisons (plutôt appelées aujourd’hui immeubles) rue des Petites-Ecuries, rue du Faubourg-Poissonnière, rue Bleue (au 2 et au 13), mais aussi dans une cour rue Saint-Lazare. 
Celui-ci confia la construction de son hôtel à proximité de la rue Bleue (ancienne rue d’Enfer) à l’architecte Jules de Joly, qui réalisera plus tard pour le duc de Morny l’aménagement du Palais Bourbon accueillant les députés de l’Assemblée nationale et aussi la « Galerie des Tapisseries » de l’hôtel de Lassay, actuelle résidence de la présidence de l’Assemblée nationale.
Bony voulait montrer là sa belle réussite financière en édifiant son propre hôtel dans ce quartier proche des boulevards, devenu à la mode depuis la fin du XVIIIe siècle. Les hôtels d’Augny, rue Drouot et de Mercy-Argenteau sur le boulevard Montmartre ne sont en effet pas très loin, ni même l’hôtel Benoît de Sainte-Paulle de la rue du Faubourg-Poissonnière ou encore l’hôtel de Bourrienne, rue d’Hauteville.   
Il est en revanche douteux, comme c’est parfois affirmé, que le maréchal Mortier, duc de Trévise, y ait habité à la fin de sa carrière, juste avant l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe où il trouva la mort en 1835.  
Comme tout autour ne se trouvaient encore au début du XIXe siècle que potagers et terres agricoles, voire marécageuses, l’accès à l’hôtel se faisait à l’époque par un long passage pavé (toujours en place) au niveau de l’actuel 13 de la rue Bleue, seul axe proche existant dans les années 1820. 

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 le passage pavé depuis le 13, rue Bleue © E. Fouquet

Un hôtel à la mode néo-classique 


Très en retrait donc de cette rue et doté sur le côté nord de la demeure de statues à l’antique qu’on trouve encore dans des niches sur trois niveaux,


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façade nord avec statues, état actuel © D. Bureau


l’hôtel se présente alors comme un pavillon entre cour et jardin, à plan carré, présentant une architecture pleine d’équilibre et d’élégance de style néo-palladien et où le traitement des façades rappelle celle des temples romains. La partie sur cour côté est (à l’époque côté ruelle, vers la rue Bleue donc) constituait initialement l’entrée principale.

 
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façade est côté cour vers la rue Bleue, état actuel © E. Fouquet


Précédée d’un sobre perron à deux degrés (dont la marquise ajoutée à la fin du XIXe siècle et les lions en fonte qui encadraient l’entrée ont malheureusement disparu après la Seconde Guerre mondiale), cette façade se distingue par un discret avant-corps à trois travées en plein cintre aussi bien au rez-de-chaussée qu’au premier étage, sur lequel l’architecte a superposé les ordres classiques des chapiteaux de ses colonnes (doriques au rez-de-chaussée, ioniques à l’étage), en ajoutant de simples pilastres au niveau de l’attique au-dessus. 
Côté jardin (donnant maintenant sur la rue de Trévise), la façade orientée à l’ouest est là encore plus élégante et résolument néo-palladienne, avec son péristyle à quatre colonnes corinthiennes, orné d’un entablement avec frise à palmettes surmonté d’un balcon à balustres en pierre, des pilastres également corinthiens se détachent au premier étage encadrant un triplet de grandes baies en plein cintre au caractère très vénitien, puis un nouvel entablement supporte les simples pilastres du dernier étage sous combles (1).

 

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façade ouest à péristyle © D. Bureau

 Il semble qu’un petit jardin ait existé ici au niveau du soubassement à demi enterré de l’hôtel éclairé par deux oculi et auquel on accédait par deux petits escaliers semi circulaires de chaque côté de la façade du corps de logis. 
L’intérieur du pavillon obéit aussi aux règles du néo-classicisme par son plan très simple, avec vestibule, antichambres et pièces de réception. 

 

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plan du RDC et du1er étage de l'hôtel Bony 


Le décor sur lambris où règne l’illusion rappelle encore les Folies du XVIIIe siècle : faux marbres, fausses fresques à réminiscence mythologique et allégorique, comme c’était aussi la mode au début du XIXe siècle. L’entrée principale au rez-de-chaussée se faisait donc côté est en empruntant un beau vestibule présentant un carrelage noir et blanc en alternance et des colonnes à chapiteaux ioniques qui donne sur un élégant escalier à vis (précédé d’un palier dallé à trois degrés) menant aux étages. 
 

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vestibule et escalier © E. Fouquet 


Ce vestibule s’ouvre sur un exceptionnel salon d’époque Charles X avec frise à palmettes et corniche à denticules, au décor orné de cornes d’abondance, d’angelots, de pégases et autres griffons, d’inspiration pompéienne, salon qui subsiste heureusement encore aujourd’hui dans son décor presque d’origine. 
 

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grand salon (état actuel) © Morning
 

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décor du grand salon avec griffon © E Fouquet


 Durant les récents travaux de restauration, on a d’ailleurs retrouvé, lors de sondages, les premiers décors de 1826 faits en grande partie de feuillages.  Ce grand salon central était encadré côté sud à gauche de la salle à manger et côté nord à droite de la salle de billard.    
 

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grand salon vers salle à manger © D. Bureau  
 

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                 détail frise salle à manger © D. Bureau  

                            
Le premier étage avec son salon de taille plus réduite, ses chambres mais aussi son boudoir et son salon de musique, obéit au même plan mais avec des décors beaucoup plus sobres.  
A partir de 1844 l’accès principal allait se faire par la rue de Trévise, portion de voie ouverte en 1836 entre la rue Bleue et la rue Richer, au moment où tout le quartier se transformait car devenu à la mode. 

 Des nouveaux propriétaires du milieu de la finance 

René Bony ayant fait faillite, un nouveau propriétaire, le banquier basque José-Xavier de Uribarren rachète en 1853 l’hôtel et des terrains supplémentaires. Celui-ci, actionnaire de l’éphémère Compagnie du chemin de fer du Grand Central de France (1853-1857), mais aussi de la société des Chemins de fer Russes, agrandit le site en faisant construire deux immeubles de rapport identiques, au niveau du 30 et du 34 de la rue de Trévise (toujours visibles) encadrant donc la propriété.  
Le jardin est alors comblé et en partie pavé jusqu’au niveau de la rue pour faciliter l’entrée de l’hôtel aux voitures à cheval, une simple et étroite cour anglaise est aussi créée permettant de dégager le niveau en soubassement.

 Après la mort du banquier en 1861, différents propriétaires vont se succéder. En 1875 l’hôtel abrite ainsi jusqu’au début du vingtième siècle, la banque Lafontaine et Cie (créée à Charleville avec d’abord un bureau au 26, rue Bergère dès 1851). Les décors du vestibule et du salon au rez-de-chaussée semblent avoir été très peu touchés depuis 1853.   
Les espaces du premier et deuxième étage sont alors réaménagés en bureaux et va être ajouté dans les années 1900 un deuxième bâtiment côté sud, tout en longueur (à deux étages plus un étage sous combles), aux grandes baies cintrées couvrant le rez-de-chaussée et l’entresol. Ce bâtiment dont la façade s’inspire discrètement du pavillon central et dont la première destination semble avoir été une fabrique, allait être relié également au niveau du premier étage de l’hôtel par une passerelle (toujours en place).  

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bâtiment sud (à gauche) et passerelle (état 2024) © E Fouquet


Tombé progressivement dans l’oubli, peut-être en raison de son emplacement un peu caché, le site va se dégrader malgré l’inscription en 1927 des façades de la cour et du jardin de l’hôtel, du vestibule, de l’escalier et du grand salon du rez-de-chaussée, à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Différents propriétaires et occupants vont se succéder avant et après la seconde guerre mondiale. Une entreprise de peinture semble par exemple avoir occupé un temps le sous-sol de l’hôtel … 

La période arménienne 

On sait qu’après le génocide arménien, intervenu en 1915 et 1916, le quartier était devenu dès les années 20 celui de la « petite Arménie » avec l’implantation ici d’un certain nombre de commerçants et artisans d’origine arménienne.
 La rue de Trévise comme les rues aux alentours (Bleue, Lamartine) allait alors devenir un haut lieu de vie de la communauté arménienne.  L’hôtel Bony va ainsi accueillir en 1945 la Maison nationale arménienne (Azkayin Doun, en arménien) qui organisera notamment des cours d’arménien pour les enfants et des cours de théâtre ou de chant comme l’a décrit, Madame Palouyan, libraire rue de Trévise : « C’était une belle maison avec trois étages, un jardin, une salle des fêtes. J’étais dans les chorales, je répétais des pièces de théâtre … C’était à nous, aux Arméniens ! »(2). En 1953 c’est le quotidien Haratch (« En avant ») véritable tribune politique et culturelle arménienne créée en 1925 par Chavarch Missakian, qui après avoir interrompu sa publication entre 1940 et 1945, s‘installe dans les mêmes locaux.  

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Chavarch Missakian  

 La communauté va cependant se disperser au fur et à mesure de l’arrivée des nouvelles générations et la Maison nationale arménienne quitter les lieux au début des années 60 ainsi que le journal Haratch dirigé à partir de 1957 et à la mort de son créateur, par sa fille Arpik qui ira s’installer rue d’Hauteville jusqu’à la fin de sa parution en 2009 (3). 

 Le sauvetage d’un site en état d’abandon

 A la fin des années 60 le couturier Daniel Hechter occupe les lieux avec un atelier de confection installé au rez-de-chaussée du bâtiment sud. Des associations de quartier vont ensuite se mobiliser pour éviter de justesse que l’hôtel, en quasi-état de péril avec une toiture prenant l’eau, des pièces ouvertes à tout vent, dépouillées de leurs lustres, appliques et autres bronzes, ne soit rasé par un promoteur immobilier qui avait pour objectif d’en faire un foyer pour personnes âgées ainsi qu’un centre sportif … 

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l’hôtel Bony (état dans les années 1960/70) 

Le classement Monument Historique obtenu enfin en 1976 (suivi par l’inscription en 1986 de la grille côté rue Bleue), va lui éviter heureusement cette issue fatale et les premiers travaux de sauvegarde vont alors être menés.  
 En 1984, la société Paris bail achète en effet la propriété sur saisie immobilière en s’engageant à la restaurer. L’architecte en chef des Monuments historiques de l’époque, Pierre Prunet, prend alors pour parti de revenir à l’état proche de 1826 : dès 1985 la partie de terrain côté rue de Trévise est à nouveau excavée à son niveau d’origine et deux escaliers semi circulaires (mais en béton !) réintroduits de chaque côté de cette façade.  La décoration intérieure est restaurée en respectant celle en place depuis 1853. 

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Hôtel Bony façade côté rue Trévise (état fin années 1980)

Pour rentabiliser son opération, la société propriétaire obtient aussi l’autorisation de créer certains aménagements. 
C’est ainsi que lui est accordé le droit de construire un immeuble de bureaux sur six étages côté rue de Trévise, entre les deux immeubles du 30 et 34 édifiés dans les années 1850, qui constitue donc le nouvel accès principal à l’hôtel Bony.
Dans le même temps, le sous-œuvre du corps de logis principal est repris pour permettre la création d’un vaste parking souterrain relié à la fois à l’hôtel lui-même mais aussi au bâtiment sud comme à celui donnant sur rue, avec rampe d’accès débouchant pour les voitures côté cour vers la rue Bleue, en réutilisant donc le passage privé pavé initial.  
 Enfin l’immeuble du début du XXe siècle, côté sud de la parcelle, est réhabilité également en bureaux.  
Diverses sociétés vont alors occuper les lieux dont des compagnies d’assurance et une banque de marché avant qu’une nouvelle restauration fidèle soit lancée sous la direction des Bâtiments de France à la fin des années 1990 qui procède au ravalement des façades et à la sauvegarde de la décoration intérieure du rez-de-chaussée de cet hôtel, considéré comme un bel exemple d’architecture privée d’époque Restauration. Le réaménagement de la partie bureaux est également entrepris à cette occasion. C’est la société de communication Burson Marsteller I & E qui va occuper le site de 2001 à 2019.

En 2021, la société Swiss Life Asset Managers France, propriétaire dorénavant du lieu, signe un bail d’occupation avec la société Morning, spécialiste des espaces de travail en « coworking ». 
L’ensemble bénéficie à nouveau, en 2022 et 2023, de très importants travaux de restauration conduits par l’agence d’architecture Calq portant à la fois sur les parties classées en 1976 de l’hôtel particulier et la modernisation des deux bâtiments à usage de bureaux présents côté rue et sur le côté sud (4). 

La partie creusée du jardin devant la rue de Trévise est alors comblée pour répondre au plan d’origine et présenter un sol à nouveau de plain-pied. L’ancien parking en sous-sol est surtout totalement restructuré sous forme de « socle commun » qui permet de relier un ensemble comprenant l’hôtel particulier du XIXe siècle, le bâtiment de six étages à l’entrée rue de Trévise et « l’Orangerie », nouveau nom du bâtiment du début du XXe siècle sur le flanc sud. 
 

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sous-sol aménagement 2023 © E Fouquet


Le site certifié HQE (Haute Qualité Environnementale) couvre ainsi aujourd’hui plus de 4 000 m2 pouvant accueillir près de 500 personnes avec ses nombreux équipements (accessibles à tous par la création d’ascenseurs) : bureaux et salles de réunion, et même salle de bien-être, salle de sport, et un grand espace de rencontre au sous-sol avec son vaste et original comptoir design de 15 m de long permettant une restauration légère !


Il n’est pas inimaginable de penser que Jules de Joly, l’architecte du XIXe siècle, serait aujourd’hui sans doute heureux de la belle renaissance, après des années d’errance, de ce lieu au charme discret ! 


 
 Sources
1.    Le Faubourg Poissonnière par Pascal Etienne, DAAVP, © 1986
2.    Je me souviens du 9e arrondissement par Sonia Kronlund, Parigramme © 2001
3.    Un territoire de l’identité arménienne, le 9e arrondissement de Paris par Sarah Djergaïan dans Hommes et migrations, n° 1265, Persée, © 2007 
4.    Dossier restauration Hôtel Bony n° 15459 par Pierre Bortolussi, DRAC IDF © 2019  

Emmanuel FOUQUET



© E. Fouquet © 9e Histoire - 2014-2025


Date de création : 10/03/2025 • 10:13
Catégorie : - Articles-Architecture
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