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le 9é haut lieu du séparatisme Irlandais

Le 9e arrondissement, haut lieu du séparatisme irlandais

Maud Gonne  © National Library of Ireland

Le personnage de Maud Gonne, « Jeanne d’Arc irlandaise »

Les activités politiques de Maud Gonne, une des porte-drapeaux du nationalisme radical irlandais à Paris à la fin du XIXe siècle et égérie du grand poète William Butler Yeats, se sont en partie ancrées dans le 9e arrondissement.

Née en décembre 1866, au manoir de Tongham, au sud-ouest de Londres, Maud Gonne est la fille de Thomas Gonne, major dans larmée britannique qui avait de lointaines origines irlandaises. Maud accompagne son père en Irlande, une première fois, lorsqu’il y est muté en 1868, avant d’aller à nouveau avec lui à Dublin en 1882.

 

Maud a vingt ans quand son père (quelle appelle « Tommy » tout au long de son autobiographie) meurt du typhus en décembre 1886. Animée par l’idée de devenir actrice, elle retourne sur sa terre natale mais ses espoirs de percer sur la scène londonienne sont compromis par des problèmes de santé ( elle souffre de tuberculose). Pour se soigner autant que pour échapper à la rigidité « victorienne » de son oncle, chez lequel elle séjourne, Maud Gonne part pour Royat, une station thermale en Auvergne, pendant l’été 1887, accompagnée par sa tante, la comtesse de la Sizeranne, veuve dun sénateur du Second Empire et qui avait déjà introduit Maud dans la haute société lors de ses séjours parisiens.

Remarquée pour sa haute taille, sa chevelure rousse et sa fière allure, Maud Gonne ne laisse personne indifférent. A Royat, elle fait la rencontre de Lucien Millevoye dont elle devient la maîtresse. Journaliste et homme politique revanchiste et antisémite, fidèle du général putschiste Georges Boulanger, Millevoye comme le journal La Patrie dont il était rédacteur en chef, allaient être résolument anti-dreyfusards. En 1899, il tentera de venir en aide à un autre putschiste raté, Paul Guérin, qui s’était barricadé 38 jours dans une maison de la rue de Chabrol (le fameux Fort Chabrol).

Bien qu’issue de la haute bourgeoisie anglaise, Maud Gonne épouse le séparatisme irlandais le plus intransigeant. Peut-être que cette adhésion à la cause irlandaise s’explique autant par les années passées en Irlande que par le sens de rébellion qui s’observe naturellement chez les jeunes et l’aversion au rigorisme de sa famille en Angleterre. Mais c’est certainement sous l’influence des milieux nationalistes français (l’entourage de Millevoye incluait Maurice Barrès, Henri Rochefort, Edouard Drumont, Paul Déroulède et François Coppée) que Maud Gonne affirme ses propres idées et que son soutien pour lIrlande se transforme en une anglophobie extrême. Elle se fait remarquer par son premier article, « Un peuple opprimé » , paru dans La Revue Internationale en 1891, et puis par une série intitulée «  Le martyre de l’Irlande » dans Le journal des voyages en 1892, qui trouve un écho favorable dans les milieux anglophobes français. Par la suite, elle donnera plusieurs conférences sur le même thème.

2 : 6, rue des Martyrs © E.Fouquet

C’est au 6, rue des Martyrs qu’elle fonde l’Association irlandaise avec le concours de W.B. Yeats, qui assiste à son inauguration début 1897. Quelques semaines auparavant, Yeats avait assisté à la première représentation dUbu Roi au Nouveau Théâtre (aujourdhui le Théâtre de Paris) au 15, rue Blanche : la pièce dAlfred Jarry ayant eu un « effet cathartique » sur la pensée de l’écrivain irlandais.

Yeats, conquis par la jeune femme rencontrée à Londres en 1889, decide donc de lui écrire des pièces de théâtre et elle va lui inspirer quelques-uns de ses poèmes les plus connus, dont No Second Troy, que des générations d’élèves irlandais ont appris par cœur :

Why should I blame her that she filled my days

With misery, or that she would of late

Have taught to ignorant men most violent ways

Or hurled the little streets upon the great,

Had they but courage equal to desire?

….

Les rapports sont complexes entre Maud et Yeats (à la personnalité bien moins « enflammée »). Il va pourtant  la demander en mariage en 1899 , avant de faire quelques années plus tard, la même demande à sa fille Iseult, née en 1894 de sa liaison avec Lucien Millevoye, mais en vain dans les deux cas !

William Butler Yeats © National Library of Ireland

Une ruche éditoriale

Le mensuel LIrlande libre, organe de la colonie irlandaise, partage la même adresse que l’Association irlandaise. Un journaliste expérimenté, l’irlando-australien Arthur Lynch, qui habite au 22, rue Chaptal, est étroitement associé à la rédaction et à la gestion du journal en 1897-1898. Et c’est dans l’appartement de Lynch que Maud Gonne, Millevoye et lui se réunissent pour élaborer une réponse à l’accusation, dans la presse anglaise, d’une tentative d’assassinat du Tsar Nicolas II lors de sa visite à Paris en décembre 1896 par des révolutionnaires irlandais.

Mais L’Irlande libre n’est pas le premier journal irlandais à paraître dans le 9e arrondissement. Seize ans auparavant, durant lhiver 1881-1882, le journal nationaliste United Ireland, interdit au Royaume Uni, est imprimé chez Schiller au 10, rue du Faubourg Montmartre.

10 rue du Faubourg-Montmartre © I.Ryan

Même si Maud Gonne et Lucien Millevoye mettent fin à leur liaison sentimentale en 1894, ils restent complices sur le plan politique, partageant encore pour un temps le même nationalisme hargneux et anglophobe. Les titres de certains articles dans L’Irlande libre en donnent le ton: « La persécution anglaise des prisonniers politiques », « La répression aux Indes » et, article écrit par Maud Gonne elle-même au titre particulièrement accrocheur,  « Politique d’extermination ». Un autre article, « L’infériorité des Anglo-Saxons », n’est pas signé, mais pourrait aussi bien être de la main de Maud Gonne que de celle de Lucien Millevoye. A la une du dernier numéro de l’Irlande Libre en avril 1900 paraît une caricature de la reine Victoria ainsi qu’un article « La reine de la famine », signé par Maud Gonne. Le journal rappelle sans cesse comment la France et l’Irlande doivent, comme par le passé, faire cause commune contre l’impérialisme britannique. L’Angleterre, explique le premier numéro, « n’a pas cessé, Français, de vous jalouser, de vous craindre, de vous haïr et elle guette l’heure favorable aux trahisons diplomatiques… Mais celle-ci approche et l’Europe entière se soulève déjà contre cette toute-puissance anglaise qui est une honte pour la civilisation, un péril incessant pour la paix ». Il n’est pas surprenant que, Maud Gonne ait été régulièrement  suivie par les services secrets britanniques, souvent avec la complicité de leurs homologues français.

L’Association irlandaise se réunit chaque semaine au 6, rue des Martyrs, notamment pour organiser des manifestations en commémoration de la grande rébellion de 1798 en Irlande et du débarquement d’un corps expéditionnaire français sous le commandement du Général Humbert (hélas arrivé trop tard) dans l’ouest de l’ile cette même année. W.B. Yeats assiste à au moins une de ces réunions en 1898, de même que le fils de l’ancien président de la République Patrice de Mac Mahon, ainsi que John Millington Synge, autre « vedette » du renouveau littéraire irlandais. L’Association explore aussi d’autres moyens pour promouvoir la cause irlandaise et embarrasser le pouvoir britannique. En ceci, elle est bien servie par Maud Gonne, qui déploie tous ses talents d’agitatrice dans le but de sensibiliser le public à la cause irlandaise et de dire du mal de la perfide Albion. A part ses articles et ses pétitions, elle donne des conférences sur la souffrance des Irlandais sous le règne de la reine Victoria, dont une à la mairie du 5e arrondissement en 1897 qui inclut « des projections lumineuses montrant des scènes  d'expulsion et de brutalités de la police anglaise ».

Cependant, les activités de l’Association et le comportement histrionique de Maud Gonne lassent John Millington Synge, de sorte que l’auteur du Baladin du Monde occidental s’en éloigne rapidement. Millevoye aurait dit « Pourquoi ne libérez-vous pas l’Irlande comme Jeanne d’Arc libéra la France ? ». Cependant, comme l’exemple de Synge le montre, la personnalité de Maud Gonne ne faisait pas l’unanimité parmi les Irlandais. Yeats doit écrire à une organisation franco-irlandaise, l’Association de Saint-Patrice (qui regroupait les Anciens Irlandais, voir plus bas), pour lever le soupçon qu’elle était une espionne anglaise. En Irlande, certains hommes politiques aux sensibilités plus modérées l’accusent de sectarisme et se méfient de son goût pour l’ostentation. Il n’est pas non plus certain que la « Jeanne d’Arc » d’Irlande ait été prise au sérieux par ceux qui déclencheront  « les Pâques sanglantes » à Dublin en 1916 et la guerre dindépendance trois ans plus tard.

 Le soutien aux Boers

Maud Gonne et ses amis nationalistes français sont particulièrement remontés contre les Britanniques au moment de la deuxième guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902). Un meeting contre l’Angleterre organisé par Millevoye dans la salle de spectacle de Tivoli Vauxhall (située aujourd’hui rue Léon-Jouhaux dans le 10e arrondissement) aboutit au chaos. En décembre 1900, Maud Gonne elle-même est sur place au Grand Hôtel, rue Scribe pour accueillir Paul Kruger, président de la République sud-africaine et figure de proue de la cause des Boers.

Le Grand Hôtel  © E.Fouquet

Arthur Lynch part défendre cette cause à la fin de 1899, laissant sa place au sein de la rédaction dIrlande Libre à la grande féministe, Madame Adrienne Avril de Sainte-Croix. Comme Maud Gonne, Avril de Sainte-Croix soutient plusieurs causes « progressistes » et à partir de 1900 organisera plusieurs meetings féministes dans les locaux de la Société des ingénieurs civils au 19, rue Blanche.

Un autre Irlandais, John MacBride, forme une brigade irlandaise au sein des forces boers. Bien que d’une classe sociale bien « inférieure », MacBride épouse Maud Gonne à Paris en février 1903 et leur fils, Seán, naît un an plus tard. Mais le couple se sépare en 1906.

Maud Gonne, John et Sean MacBride © Tatler, février 1904

 

Pendant la première guerre mondiale, Maud Gonne travaille dans plusieurs hôpitaux militaires en France (mais, selon son fils, refuse de soigner les soldats anglais) avant de se persuader qu’elle pouvait être plus utile à la cause indépendantiste en Irlande même, où elle part en 1917. Après un séjour dans une prison londonienne, elle et son fils, Seán, sont de retour à Paris en janvier 1922,

dans lintervalle entre la fin de la guerre dindépendance irlandaise et l’éclatement de la guerre civile. Ils assistent au Congrès de la nation irlandaise, au Grand Hôtel de la rue Scribe, organisé par ceux qui refusent le traité de paix signé avec le gouvernement britannique. Seán sera impliqué dans l’importation d’armes pour le compte de l’Irish Republican Army (IRA), opposée au gouvernement issu de la guerre d’indépendance. Il passera par la suite plusieurs années à la tête de l’IRA clandestine, avant d’embarquer dans une longue carrière internationale. On lui décernera le Prix Nobel de la paix en 1974.

Des liens profonds et anciens

Les liens entre le 9e arrondissement et différents courants du nationalisme irlandais étaient déjà profonds avant l’arrivée de Maud Gonne.

John Patrick Leonard, natif de Cork, est une figure centrale du nationalisme irlandais depuis son installation définitive en France en 1834 et sa mort dans ce pays 55 ans plus tard. En tant que président de lUnited Irish Club, Leonard est décrit par un des associés comme « le chargé daffaires dun gouvernement irlandais à Paris ».

John  Patrick Léonard © Public Museum of Cork

Malgré ses origines modestes, il est un trait d’union entre les Anciens Irlandais, des personnes d’un certain rang comme le Duc de Magenta (Patrice de Mac Mahon devenu  président de la République de 1873 à 1879), le Vicomte O’Neill de Tyrone dont les origines irlandaises remontaient aux XVIIe et XVIIIe siècle, et une nouvelle génération d’Irlandais aux vues plus radicales qui arrivent à Paris comme réfugiés politiques au cours du XIXe siècle. Leonard, enseignant au Collège Chaptal, a résidé à plusieurs adresses aux alentours, y compris au 45, rue de la Chaussée d’Antin en 1849 et un an plus tard au 46, rue de la Victoire.

passage cocher du 46, rue de la Victoire  © E.Fouquet

Parmi les indépendantistes irlandais que Leonard a connus, figure James Stephens, rebelle invétéré et fondateur de lIrish Republican Brotherhood qui a longtemps vécu dans la misère au 50, rue de la Rochefoucauld.

En avril 1848, Leonard et d’autres compatriotes assistent à une représentation de Phèdre à la Comédie français qui se termine avec l’actrice déployant le drapeau tricolore et entonnant La Marseillaise. Les Irlandais sont tellement frappés par cette manifestation du républicanisme à la française qu’ils conçoivent rapidement la version irlandaise du même drapeau (vert, blanc, orange, encore celui de la République d’Irlande d’aujourd’hui). Leonard réussit à organiser aussi une réunion où le drapeau de cette nouvelle (quoique très hypothétique) république soeur est présenté à Alphonse de Lamartine, alors ministre des affaires étrangères de la Deuxième République. En même temps, Leonard continue à cultiver ses relations dans les milieux franco-irlandais conservateurs, organisant chaque année pour les Anciens Irlandais  la fête de la Saint-Patrick au restaurant Le Grand Véfour au Palais Royal. Dans la guerre franco-prussienne, il coordonne l’aide financière pour la France arrivant d‘Irlande et d’Amérique. Il obtiendra la Légion d’honneur grâce à son courage comme infirmier dans le corps des ambulanciers irlandais affecté à l’armée de la Loire.

John Augustus O’shea © An iron-bound city or Five months of peril and privation,

Ward and downey, London, 1886

Autre figure haute en couleur, John Augustus O’Shea (né en 1839 dans le comté de Tipperary), s’enrôle dans la Légion irlandaise formée pour défendre des Etats pontificaux contre le royaume de Sardaigne et les « Garibaldiens » en 1860. Fait prisonnier mais rapidement libéré, O’Shea fait partie des jeunes irlandais nationalistes qui affluent à Paris au cours des années 1860. Et c’est à Paris qu’il lance sa carrière comme journaliste, couvrant le procès du prince Pierre Bonaparte pour le meurtre de Victor Noir et l’exécution de Jean-Baptiste Troppmann avant d’être nommé par le Standard de Londres comme correspondant spécial pour couvrir la guerre franco-prussienne. Logé au rez-de-chaussée du 1, rue de Clichy, OShea partagera les privations des Parisiens pendant la durée du siège entre septembre 1870 et janvier 1871, de même que son collègue nationaliste, le Dublinois Edmund O’Donovan. Bien qu’il n’exprime qu’une sympathie toute relative pour les communards dans ses articles, O’Shea est arrêté le 30 juin 1871 au niveau du 30, rue de Clichy « pour avoir fait publiquement l’éloge du général Dombrowskl et de membres de la Commune » et sera conduit au commissariat de Saint-Denis.

O’Shea, qui avait déjà eu maille à partir avec les autorités françaises, laissera un témoignage assez piquant de sa vie d’assiégé dans le 9e arrondissement, dans son livre An iron-bound city or Five months of peril and privation © Ward and downey, London, 1886.

Dès le XVII e siècle la France s’est montrée la fidèle alliée de l’Irlande. Le républicanisme irlandais étant durement réprimé dans son pays même, Paris en devient un des principaux foyers après la Révolution française.

 Même si au tournant du XX e siècle, l’alliance franco-irlandaise décline au fur et à mesure des progrès de l’Entente Cordiale entre la France et la Grande Bretagne, on voit ainsi dans la deuxième moitié du XIXe siècle les nombreux séparatistes irlandais installés à Paris suivre le développement urbanistique de la capitale et abandonner progressivement leurs  « nids » du Quartier Latin (souvent des mansardes insalubres) pour les quartiers relativement plus aisés de la rive droite, en élisant souvent domicile dans le 9e arrondissement où se trouvaient maintes rédactions de presse et salles de réunions.

Isadore Ryan

 Sources bibliographiques :

  • A servant of the Queen, Maud Gonne MacBride © Victor Gollancz (édition 1974),1938
  • Un Irlandais à Paris, Janick Julienne © Peter Lang, 2016
  • Irish Paris, Isadore Ryan © Amazon Publishing, 2024

Date de création : 27/11/2025 • 10:59
Catégorie : - Histoire
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