Les Origines du Conservatoire
© E. Fouquet 2015 © 9e Histoire 2015
LES ORIGINES DU CONSERVATOIRE NATIONAL SUPÉRIEUR
D'ART DRAMATIQUE ET QUELQUES GRANDES FIGURES
C'est sous l’angle théâtral plutôt que musical que sera abordée, dans cet article, la création du Conservatoire, même si sa réputation au XIXe siècle était fondée essentiellement sur la musique. Nous avons eu d’ailleurs l’occasion de visiter en septembre 2013 cet établissement prestigieux, pépinière de comédiens pour la Comédie-Française, lors d’une visite de quartier.
Revenons quelques siècles en arrière : à la place du bâtiment visible de nos jours, sur un vaste quadrilatère s’étendant de la rue Bergère à la rue Richer d’aujourd’hui, rattaché d’abord à l’Hôtel-Dieu puis occupé au XVIIe siècle par des jardins maraîchers et des maisonnettes, se trouvait depuis 1760, l’intendance des « Menus-Plaisirs du Roi ».
Sous ce vocable un peu désuet se cachait en effet, sous l’Ancien Régime, le lourd service administratif, créé par Louis XIV et dépendant de la Maison du Roi, en charge du domaine royal et des fêtes. Il s’accompagnait d’un entrepôt de stockage des machines à divertissements côté rue Richer, mais aussi d’une salle de répétition pour les opéras et ballets.
Papillon de la Ferté Bernard Sarrette
Ses deux grandes figures en furent Denis Papillon de la Ferté, son intendant en 1762, guillotiné sous la Révolution, dont le fils reprit un temps la charge à la Restauration, et Bélanger, concepteur des Fêtes de la Cour en 1777 (mais aussi plus tard, en 1815, maître de cérémonie lors de la translation des cendres de Louis XVI à Saint-Denis). Ce dernier, « homme à tout faire » des Menus-Plaisirs pendant près de quarante ans, fut finalement nommé à titre officiel architecte de l’établissement à la chute de l’Empire en 1814. Il possédait sa maison au 19 de la rue du Faubourg-Poissonnière; on y voit encore les pilastres de la façade sur rue et le pavillon caché au fond de la cour avec ses niches et ses colonnes doriques à l’entrée.
DES DÉBUTS LABORIEUX...
Dès le XVIIe siècle, le besoin se fait sentir d’avoir une école de chant sans pour autant que cela se traduise véritablement dans les faits. Même si Louis XIV avait bien accueilli la troupe de Molière et créé la Comédie-Française en 1680, l’enseignement dramatique se pratiquait « sur le tas » et il était de coutume que les comédiens aillent d’abord apprendre leur métier en province.
En 1756, Lekain, tragédien et ami de Voltaire, rédigea un « Mémoire précis tendant à constater la nécessité d’établir une Ecole Royale pour exercer l’Art de la Déclamation et instruire des moyens qui forment le bon acteur comique ». Étaient ainsi établis les principes du futur Conservatoire d’Art Dramatique. Louis XV n’y donna pourtant pas suite et il fallut attendre Louis XVI et l’action de Papillon de La Ferté pour que les choses avancent.
On installa alors côté rue Bergère, dans un bâtiment contigu à l’Hôtel des Menus Plaisirs, une salle démontable : la salle de la Foire Saint-Laurent, qui allait devenir dès 1784 la Salle des Exercices, au moment où fût créée par un arrêté du roi, une École Royale de Chant, puis une École de Déclamation en 1786. Cette salle allait finalement disparaître en 1909, au moment de la construction du central téléphonique à l’architecture novatrice qui fait l’angle avec la rue du Faubourg-Poissonnière.
Salle de la Foire Saint-Laurent en 1786
François-Joseph Gossec, compositeur ami de Mozart, en fut donc en 1784 le premier directeur, mais l’école périclita rapidement faute d’une bonne gestion. La section de déclamation, (à effectif déjà réduit !) était dirigée par Molé, sociétaire de la Comédie-Française, dont Talma fut un des premiers élèves et fut fermée par Louis XVI pour des raisons économiques en décembre 1789.
La période de la Révolution n’est pas favorable à l’art dramatique et Bernard Sarrette, jeune capitaine de la garde nationale, fonde après quelques péripéties, et trois arrestations successives, le Conservatoire de Musique le 16 thermidor de l’an III (3 août 1795) dans les locaux des Menus-Plaisirs, qu’il dirigera jusqu’en 1815, avec en 1796, 600 élèves et 115 professeurs, dont un seul, Dugazon, pour la « déclamation applicable à la scène lyrique » !
UNE VOLONTÉ IMPÉRIALE.
Heureusement pour l’art dramatique, Napoléon devient empereur en 1804. Il est grand amateur de théâtre et de ceux qui le jouent, comme le montre son admiration pour le comédien Talma et sa maîtresse de l’époque, la tragédienne Mademoiselle George, «Georgina» (future Inspectrice au Conservatoire après Mademoiselle Mars). Il promulgue surtout en 1806 un décret établissant une École de Déclamation à l’intérieur du Conservatoire de Musique, en ajoutant trois classes à celle existant déjà : « Deux de ces classes seront affectées à l’enseignement de la déclamation applicable à la scène lyrique, les deux autres à l’enseignement de la déclamation dramatique ».
Parallèlement, Napoléon Ier fait édifier là par Delannoy, de 1806 à 1811, l’actuelle salle de théâtre, classée monument historique en 1921 après avoir échappé de peu à la destruction pour cause de vétusté. Le théâtre précédé d’un vestibule à colonnes et d’un escalier d’honneur avec un grand bas-relief représentant Minerve distribuant des couronnes, a en effet survécu de justesse aux remaniements du second empire.
A noter que sous l’Empire, les Menus proprement dit étaient devenus dépôts des fêtes publiques ainsi que du Théâtre Français, et dans une cour étaient entreposés par Napoléon Ier les chevaux du quadrige de la porte de Brandebourg dérobés à Berlin, avant leur restitution à la Prusse en 1815…
Si l’intérieur du théâtre en hémicycle a connu une nouvelle décoration en 1866 puis une rénovation en 1986, réduisant la capacité de la salle de 1.000 à 450 places, celui-ci conserve l’esprit d’origine avec ses fresques pompéiennes, ses guirlandes, ses colonnes striées, et son plafond orné d’anges. Les deux balcons sont décorés de médaillons d’artistes de l’époque autour des figures d’Eschyle et d’Orphée. L’acoustique est demeurée excellente grâce à l’utilisation du bois.
C’est en 1801 que Chaptal pose également la première pierre de la bibliothèque, grande salle dotée de poutrelles peintes, qui allait contenir des milliers de documents musicaux, et qui est devenue l’actuelle salle de répétition Louis-Jouvet, réduite du fait de la construction du bureau de poste en 1919, à l’angle de la rue Bergère.
L’entrée principale du Conservatoire située en fait 17, rue du Faubourg-Poissonnière, est dotée au moment de la Monarchie de Juillet d’une porte monumentale, aujourd’hui disparue, ornée de quatre statues : l’Opéra, l’Opéra comique, la Comédie et la Tragédie. On trouve en effet là depuis 1912 le central téléphonique, à la conception architecturale moderniste.
Entrée du Conservatoire, 17, rue du Faubourg-Poissonnière
LA MISE EN PLACE D'UN ENSEIGNEMENT RÉGLEMENTÉ AVEC DES PROFESSEURS DE RENOM.
Des classes de théâtre furent donc ouvertes sous le premier Empire, avecTalma comme professeur, et l’établissement prit le nom de Conservatoire de Musique et de Déclamation. Il avait notamment pour mission de former les artistes de la Comédie-Française et de l’Opéra.
En 1808 est mis en vigueur un règlement qui variera peu pendant des décennies : enseignement sur trois années, classes limitées à douze élèves respectant la parité garçons-filles, admission et sortie sur concours (assorti d’un contrôle continu tout au long de l’année sous forme d’exercices publics) permettant un recrutement des lauréats par la Comédie-Française, puis également par l’Odéon.
C’est un certain Udine Salpêtre qui obtint le premier prix lors du concours de sortie de 1809, mais malgré ce nom destiné à mettre le feu aux poudres, sa carrière ne dura qu’un feu de paille…
Rapportons ici les propos de Samson, élève à l’âge de 16 ans et futur doyen de la Comédie-Française en 1842, concernant la classe-vedette de Talma entre 1809 et 1815 : « Talma donnait ses leçons chez lui plus souvent qu’au Conservatoire; quand il y venait, nous allions tous l’entendre, car il était aussi admirable dans la classe qu’au théâtre. Il parlait sans aucune prétention et, quand les mots ne lui venaient pas, il finissait sa phrase en disant « comme ça ». Alors sa belle et mobile physionomie terminait sa pensée avec une éloquence que sa parole n’eut pas égalée, et quand il joignait l’exemple au précepte, nous étions, pour ainsi dire, haletants d’admiration. Il nous fallait faire de grands efforts pour retenir nos applaudissements. Quoique je ne fusse pas de sa classe, chaque fois qu’il m’entendait, il m’adressait quelques mots aimables dont j’étais d’autant plus touché que les autres professeurs n’avaient pour moi, les jours d’examen, qu’un froid silence ou des observations sévères.» «… Pas de force ! Que la trace ne s’en aperçoive pas !» disait-il à une Phèdre de sa classe qui ne paraissait pas le comprendre. «Songez que Phèdre, consumée depuis longtemps par sa passion a passé trois jours sans manger et trois nuits sans dormir. Elle n’est pas sur terre, elle est dans les nuages». Et l’organe du grand professeur se voilait ainsi que son regard, quand il faisait parler l’épouse de Thésée… »
François-Joseph Talma - sculpture de David d'Angers Talma par Louis-Léopold Boilly
Durant les premières années de la Restauration, l’établissement redevenu «Ecole Royale de Chant et de Déclamation de l’Académie Royale de Musique», est laissé sans direction avant la nomination de Cherubini à ce poste de 1822 à 1842. Compositeur talentueux mais personnage austère, il gère au plus près l’institution comme le déplore Samson devenu professeur : « J’avais été nommé par Cherubini d’abord professeur suppléant en 1828. La lettre qui m’annonçait ma nomination se terminait par ces mots : « Je vous annonce avec plaisir que vos fonctions sont gratuites ». Je dois dire que cette nouvelle ne me fit pas tout le plaisir qu’elle avait procuré à celui qui me l’apprenait, mais néanmoins je remplis avec zèle mes fonctions… »
UNE COHABITATION DIFFICILE ENTRE THÉÂTRE ET MUSIQUE
En 1831, pour des raisons d’économie, Louis-Philippe ferme les classes de Déclamation de ce qu’il a décidé d’appeler à nouveau « Conservatoire Royal de Musique », avant que Thiers en 1836 ne les rétablisse.
Il apparaît alors que c’est le genre musical qui prime dans les activités du Conservatoire, comme le prouve en 1828 la création de la « Société des Concerts du Conservatoire » par Habeneck.
La salle résonne encore en effet des concerts donnés au XIXe siècle : y furent jouées, pour la première fois en France, les symphonies de Beethoven dès 1828, et la fameuse 9e en 1840. Berlioz y créa le 5 décembre 1830 sa «Symphonie Fantastique», et en 1839 son «Roméo et Juliette». Liszt et Chopin y jouèrent souvent également.
Au milieu du XIXe siècle, la majeure partie des Menus-Plaisirs est peu à peu démolie, même si les magasins de l’Opéra vont subsister jusqu’en 1894, date de leur destruction par incendie. En 1853, le Conservatoire se voit doté d’une nouvelle façade avec entrée rue du Conservatoire nouvellement ouverte, comme la rue Sainte-Cécile. Elle est due à Janniard avec un style classique à deux étages et attique, surélevée d’un niveau en 1972, ainsi que le mur pignon rue Sainte-Cécile, orné de masques et de lyres.
Si musique et théâtre cohabitèrent au Conservatoire jusqu’en 1945 (avec l’intermède de la rue de Madrid de 1910 à 1945 pour cause de vétusté des anciens locaux), la musique en était l’activité prédominante comme le prouve la spécialité de ses différents directeurs, tous musiciens, de Luigi Cherubini à Claude Delvincourt en 1946, en passant par Esprit Auber, Ambroise Thomas ou Gabriel Fauré.
Luigi Cherubini Esprit Auber Ambroise Thomas Gabriel Fauré portrait de John Singer Sargent
En 1946, les classes d’art dramatique allaient seules revenir rue du Conservatoire, donnant naissance au Conservatoire National d’Art Dramatique, puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en 1971, rattaché au Ministère de la Culture. L’entrée actuelle du 2bis rue du Conservatoire surmontée d’un masque de tragédie, et le hall d’accueil que l’on connaît maintenant, datent de 1950.
QUELQUES GRANDES FIGURES THÉÂTRALES
Tout au long de ces années, les classes de Déclamation, appelées ensuite classes d’Interprétation, allaient par la sévérité de leur sélection, produire une succession de talents.
Ainsi Mademoiselle Mars, nommée Inspectrice des Etudes Dramatiques en 1842 et qui habitait l’hôtel particulier 1 rue de la Tour-des-Dames (Talma habitait le 9 de la même rue !), ou Rachel, qu’évoque avec lyrisme Samson, son professeur, dans ses Mémoires: « Oh les magnifiques soirées ! Je ne les oublierai jamais, non plus que ces matinées consacrées à l’enseignement dramatique de ma merveilleuse écolière. Pensez que cette enfant ne savait rien, que je devais lui expliquer le caractère du personnage qu’elle représentait avant notre leçon de déclamation. Mais une fois qu’elle m’avait compris, elle entrait tout entière dans l’esprit du rôle. Rien n’était vague, rien livré au hasard. C’était une diseuse de premier ordre et digne, dès ses débuts, de servir de modèle.»
Rachel sera d’ailleurs nommée première femme professeur d’une classe de Déclamation, l’année même de sa mort en 1858.
Mademoiselle Mars Rachel Sarah Bernhardt
Comment ne pas évoquer aussi la grande Sarah Bernhardt, la « voix d’or » selon Victor Hugo, entrée au Conservatoire à 16 ans en récitant une fable de La Fontaine (!), et qui enseignera là une seule année, en 1907 : « L’enseignement de Mme Sarah Bernhardt est infiniment profitable. Il est souple, subtil et clair. Il n’impose pas à des jeunes gens très divers un lyrisme uniforme, un monotone romantisme. Il donne aux élèves la science d’utiliser l’inspiration et non de s’en dispenser.» Chronique d’Edouard Hesley.
Certes l’institution n’a pas cessé d’évoluer au cours de toutes ces années. Admis aujourd’hui après un concours d’entrée très sélectif : plus de 1.000 candidats pour 30 postes! Les élèves suivent des cours pouvant aller désormais jusqu’au doctorat.
Les cours se sont diversifiés, et en dehors des fondamentaux que sont les cours d’interprétation, sont proposés maintenant, par exemple, des cours de mise en scène. Il serait trop long d’énumérer ici tous les professeurs qui ont marqué de leur empreinte le Conservatoire. Citons plus près de nous, Antoine Vitez, Jean-Pierre Miquel, Michel Bouquet ou Daniel Mesguich. Pléthore de comédiens devenus célèbres y ont bien sûr également été élèves.
Donnons la parole d’ailleurs à de grands noms du théâtre pour parler de la difficulté de devenir comédien:
Louis Jouvet, professeur de 1934 à 1940 et de 1947 à 1951, en 1936 au Figaro (à propos de ses « loupiots ») : « C’est très délicat, vous savez, de présider à la naissance d’un tempérament d’artiste. Un rien suffit parfois pour tout détruire, tout anéantir. Ils ne comprennent pas toujours quelle est leur véritable route. Tous ces gosses qui viennent à nous avec tant de confiance - on décèle vite ceux qui ne font du théâtre que pour des raisons subsidiaires - ont besoin avant tout d’un « père spirituel » qui sache les guider. La sincérité de ces jeunes gens exige qu’on réponde à ce qu’ils viennent demander. »
Jacques Charon, sociétaire de la Comédie-Française, années 1950.
Le premier talent d’un acteur est cette qualité indéfinissable qu’on appelle la Présence.
« L’épreuve du Concours est sévère : dix minutes pour se vendre, pour tout prouver, conquérir le public et enlever le Prix. Dix minutes, c’est plutôt trop. Mais le jeune comédien ne le sait pas encore. Il ne peut même pas le croire. C’est tellement effrayant de penser : « je vais entrer en scène et, dans les trente premières secondes, mon mariage avec le public se fera, ou pas. Il va m’écouter ou décrocher. Votre présence entre en même temps que vous, ou jamais. Un premier prix de Conservatoire est moins le résultat d’une démonstration brillante de savoir-faire devant un jury que le résultat d’un coup de foudre entre le nouveau comédien et un public. »
En forme de conclusion, citons cette chronique du début du siècle dernier d’un journaliste, Adolphe Brisson, qui garde sans doute une certaine actualité : « Et maintenant que deviendront nos lauréats, lâchés sur le pavé de Paris, après l’éphémère enivrement de leur victoire ? Chaque année la même question se pose. Elle comporte la même réponse. Quelques uns, très rares, sont arrivés à la réputation, la plupart ont sombré, ou bien exercent leur profession sans éclat. Et s’ils s’illusionnent sur leurs mérites, la faute en est à nous qui traitons en artistes ces écoliers. Ils comprennent de ce qu’ils ont reçu de leurs maîtres n’est que le rudiment du métier, l’outil qu’il est nécessaire d’avoir en main pour accomplir sa besogne : c’est à quoi sert justement le Conservatoire. ».
Emmanuel FOUQUET
Sources bibliographiques principales :
- Le Faubourg Poissonnière, Pascal Etienne, DAAVP, 1986
- Deux siècles au Conservatoire National d’Art Dramatique, Monique Sueur, CNSAD, 1986
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Catégorie : - Articles-Arts & Métiers
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