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© E. Fouquet 2021 - 9ème Histoire 2021
F.V. Perrot - Sauvetage d'un bateau de pêche basbreton par le "Neptune" sur les côtes de Basse Bretagne - 1835 - © Musée des Beaux Arts de Nantes / Alain Guillard
TempÊtes et naufrages
de Vernet à Courbet
Par Emmanuel FOUQUET
Le musée de la Vie romantique nous invite jusqu’au 12 septembre à prendre le large par l’évocation du thème maritime de la tempête à travers une sélection d’œuvres (peintures, estampes, dessins mais aussi manuscrits et extraits littéraires et musicaux). Cette exposition avait été initialement prévue de novembre à mars (période où se produisent d’ailleurs les grandes tempêtes hivernales !) mais a été repoussée de plusieurs mois à cause de la fermeture des musées cet hiver en raison d’un certain virus …
En l’organisant, la directrice de ce charmant musée, Gaëlle Rio, a voulu montrer que les déchaînements de l’océan et ses conséquences tragiques, les naufrages, peuvent parfaitement refléter les tourments de l’âme romantique, courant artistique présent dès la fin du XVIIIe siècle et une bonne partie du XIXe siècle.
Dès l’entrée, dans l’ancien atelier où Ary Scheffer recevait régulièrement les principaux artistes de son époque, le visiteur est plongé dans l’ambiance. La scénographie y contribue d’ailleurs beaucoup avec, par exemple, la transformation des baies vitrées en hublots de bateaux ou un peu plus loin avec la pose de frises en papier peint représentant des galions pris dans la tempête !
La première partie de l’exposition s’attache à rechercher les sources de la représentation de la tempête qui remontent au XVIIIe siècle ou même bien avant, comme l’illustre un tableau de Rubens. Mais c’est Joseph Vernet, peintre de marines au temps de Louis XV, qui illustre le mieux l’atmosphère d’apocalypse que suscite la tempête et les drames qui l’accompagnent, ainsi que le montre avec une grande précision son tableau Naufrage. Un autre tableau, de Jean Jacques Monanteuil peint en 1820, représentant une scène de déluge, est caractéristique du souci de dramatisation propre au début du XIXe siècle, préfigurant le Radeau de la Méduse de Géricault, dont une esquisse déjà bien aboutie est présentée dans une autre salle. C’est également l’angoisse qui transparaît dans le tableau d’Ary Scheffer, La Tempête, peint à la même époque et montrant depuis la côte un petit groupe de personnes terrorisées devant la mer en furie.
Impossible de ne pas faire allusion, ici, à Chateaubriand, natif de Saint-Malo et enterré face au large sur l’îlot du Grand Bé, à travers une édition originale de ses Mémoires d’outre-tombe où celui-ci évoque les fortes tempêtes hivernales.
Th. Géricault - Le Radeau de la Méduse esquisse Bessaonneau - 1818/1819 - © Musée des Beaux-Arts d'Angers.
Dans la petite pièce attenante à l’atelier, la tempête apparaît d’ailleurs comme une véritable source d’inspiration littéraire avec des pages manuscrites de la célèbre œuvre de la fin du XVIIIe siècle de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie relatant un naufrage et qui va donner ensuite matière à une riche iconographie. Mais Victor Hugo est bien sûr le grand représentant de cette inspiration. Sous vitrines, le visiteur peut découvrir ainsi des pages des Travailleurs de la mer et des dessins de sa propre main, qui démontrent son excellente connaissance du milieu marin, pour avoir connu un exil d’une vingtaine d’années à Jersey et Guernesey.
On accède à la deuxième partie de l’exposition après avoir traversé la cour et être descendu dans l’atelier où Scheffer travaillait, parcours habituel des expositions organisées au musée de la Vie romantique. C’est le spectacle de la tempête en pleine mer auquel on assiste alors en contemplant les nombreuses toiles présentes. L’accent est d’ailleurs mis sur une différence notable avec la période précédente : la tempête et les naufrages qu’elle occasionne ne sont plus montrés depuis la côte mais dans le cadre d’une véritable « mer spectacle » que les artistes mettent en scène comme le dit aussi Victor Hugo dans une phrase figurant en frontispice dans cette salle : « nous autres gens de la terre ferme, nous ne nous figurons pas une tempête sans navire en détresse et sans naufrage … ».
William Turner - Waves breaking on a shiore - 1835 - © Gallerie Tate Britain.
William Turner, qui se serait même attaché au mât d’un navire pour mieux appréhender la tempête pour un de ses tableaux (légende paraît-il !), et les peintres de marine, Théodore Gudin et Eugène Isabey, sont bien dans cette illustration dramatique, comme l’est également Louis Garneray, peintre et écrivain, véritable aventurier des mers lorsqu’il naviguait avec Surcouf.
On note la place importante accordée ici à un peintre méconnu de nos jours, Paul Huet, surnommé de son temps le « Delacroix du paysage » (ils étaient d’ailleurs amis). Plusieurs de ses tableaux sont en effet présents là dont La barque en danger et Les brisants à la pointe de Granville. Boudin, le peintre de Honfleur et de Deauville qui commença par être mousse ou Jongkind, ont une vision un peu plus libre dans le traitement de la mer déchainée, ce qui est aussi le cas de Courbet dans un style déjà plus naturaliste, son tableau La Trombe montrant bien en effet la sauvagerie des éléments et de son décor.
La dernière salle en remontant au rez-de-chaussée insiste encore un peu plus sur l’ambiance dramatique générée par les naufrages, avec leurs épaves et leurs cadavres échoués. Le thème des naufrageurs guettant leurs proies sur la côte est particulièrement présent ici car apprécié par les romantiques au moment même où va s’organiser le sauvetage en mer pour lutter contre ces pratiques. Les tableaux d’Isabey et Berthelémy en sont l’illustration mais aussi le spectaculaire grand format Vue des falaises de Houlgate de Paul Huet encore, représentant des pêcheurs portant sur la plage le cadavre d’une femme échouée.
Le tableau de Feyen-Perrin Après la tempête montrant en gros plan sur la grève une femme noyée, accentue encore le caractère morbide de ces scènes de catastrophe. Comment ne pas citer non plus l’étonnant tableau de Jules Garnier L’épave, avec pour sujet une femme nue dans une attitude de pose assez improbable pour une noyée, entourée d’indigènes n’en croyant pas leurs yeux !
Paul Huet - 1863 - Vue des Falaises de Houlgate - © Musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
L’exposition se termine sur l’évocation du thème de la veuve éplorée et de l’orphelin, illustré notamment par Ary Scheffer, le drame romantique fait alors place au pathétique, voire au mélodrame …
Une bien belle exposition à voir cet été, et même à écouter dans les deux petits espaces discrets aménagés pour entendre une sélection d’extraits musicaux et de textes littéraires lus par Guillaume Gallienne de la Comédie-Française.
© E. Fouquet 2021 - 9ème Histoire 2021
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Musée de la Vie romantique
Hôtel Scheffer-Renan
16, rue Chaptal – 75009 PARIS
Tél. 01.55.31.95.67
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Réservations recommandées
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" Nuage" de Dominique Humbert - Laque sur textile - © Bibliothèque Forney - cliché H. Tannenbaum.
Laques : Regards croisÉs
Depuis la fermeture des musées en mars 2020, rares ont été les occasions de voir des expositions, puisque la réouverture des musées n’a duré que quelques mois, jusqu’en octobre, date de leur seconde fermeture suivie quelques semaines plus tard par celle des galeries d’art, classées parmi les commerces non-essentiels. Seules les salles de vente aux enchères sont restées ouvertes et ont offert la possibilité de voir des collections d’œuvres d’art appartenant à des particuliers, mises en vente ; ainsi on a pu voir ce tableau de Van Gogh, atypique mais très beau : « Scène de rue à Montmartre » adjugé 13 millions d’euros ainsi qu’une « Danseuse au tutu vert » de Degas, des Pissarro, des Rodin, des Utrillo, des Dufy, des Calder…
Une des rares expositions visibles actuellement est présentée à la Bibliothèque Forney, à l’Hôtel de Sens, jusqu’au 29 mai. Elle est consacrée à la laque et oppose des créations du passé prêtées par le Mobilier national à des créations modernes réalisées par des membres de l’Association LAC (Laqueurs Associés pour la Création).
L’accent est mis sur la variété des matières qu’on intitule « laque » (laque végétale, cellulosique, glycérophtalique, polyuréthane, hydrosoluble…) et la diversité des supports (bois, papier, tissu, métal…)
La laque apparaît pour la première fois à l’ère néolithique, en Chine méridionale, suite à l’incision d’un certain type d’arbres dont les coulées de sève adhèrent à l’écorce de l’arbre et se solidifient ; cette matière est tout d’abord utilisée comme vernis pour protéger ou embellir des objets utilitaires mais ses couleurs sont limitées au rouge et au noir. La laque a longtemps servi à confectionner de la vaisselle (jusqu’à l’apparition de la céramique) ; plus tard, elle sera utilisée comme élément décoratif, pour orner des meubles, des boîtes, divers objets…
"A walk in my garden" et "Moon Gold" de Nathalie Rolland-Huckel - © Bibliothèque Forney - cliché H. Tannenbaum.
Elle se répand en Occident, au XVIIe siècle, au moment de la création de la Compagnie des Indes (port d’arrivée en France : Lorient). Les meubles importés (armoires, paravents…) séduisent par leurs décors mais ne correspondent pas forcément au goût et aux besoins français. Pour cette raison, on fait appel, dès le XVIIIe siècle, aux ébénistes du faubourg Saint-Antoine qui désassemblent les panneaux des meubles orientaux pour les plaquer sur des bibliothèques et commodes fabriquées en France.
Commode de Pierre-François Quignard (ca 1785) - © collection_mobilier.national.culture.gouv.fr/media/ cliché Isabelle Bideau.
Paravent de Jean Dunand 1941 (laque végétale sur cuivre incrusté d'argent) et table "Coffee table" d'Isamu Nogushi ca 1944 (piètement en laque végétale ) - © Bibliothèque Forney - cliché H. Tannenbaum.
A cette même époque, les pays occidentaux (France, Angleterre, Hollande), devant la cherté de la laque, inventent des vernis gras de substitution (le « vernis Martin », des frères du même nom, reste célèbre). Non seulement moins coûteux, ces vernis demandent moins de savoir-faire à l’application.
Cet attrait pour la laque perdure jusqu’au Second Empire puis décline pour réapparaître à la période Art Déco d’autant plus qu’à la fin du XIXe siècle le japonisme est à la mode et inspire les artistes français. Par ailleurs, lors de l’Exposition universelle de 1900, le Japon présente de nombreuses pièces en laque, ce qui suscite un regain d’intérêt pour cette matière.
Isabelle Emmerique - Galet partie de l'ensemble de 6 galets "Le Passage" et panneaux verticaux "Blessure II - Blessure II, 2020" - Vase de Jean Dunand laque sur cuivre martelé (ca 1937) - © Bibliothèque Forney - cliché H. Tannenbaum.
Un des grands artistes/artisans dont la renommée est liée à la laque est le dinandier suisse, Jean Dunand, qui s’installera à Paris et créera un atelier employant jusqu’à deux cents laqueurs.
Plaque rappelant la localisation des ateliers de Jean Dunand rue Hallé à 75014 Paris - © L. Ferreira - Wikipedia.
A l’issue de la première guerre mondiale la firme américaine Du Pont de Nemours se retrouve à la tête d’énormes quantités de poudre à canon dont la nitrocellulose qui sera recyclée grâce à l’invention de la laque cellulosique, utilisée notamment pour vernir les carrosseries des voitures (elle est projetée à l’aide d’un pistolet à air comprimé et sèche vite, ce qui permet d’accélérer les cadences de production).
La laque cellulosique sera utilisée, dès lors, non seulement par les industriels mais également par les artistes.
L’un des buts de cette exposition est de remettre l’art de la laque à l’ordre du jour et aussi d’en divulguer les techniques et la diversité et, bien sûr, de mieux faire connaître les réalisations des artistes contemporains.
Hélène TANNENBAUM
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Bibliothèque FORNEY
1, rue du Figuier
75004 Paris
Jusqu’au 29 mai 2021
Du mardi au samedi de 14 h à 18 h
Sur réservation : https://quefaire.paris.fr/laques-regards-croises
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Jacques-Émile Blanche - Aubrey Beardsley - 1895 © National Portrait Gallery
Aubrey Beardsley
(1872-1898)
L’exposition « Aubrey Beardsley », inaugurée au Musée d’Orsay le 13 octobre 2020, aura été de courte durée puisqu’interrompue, un peu plus de deux semaines plus tard, par le reconfinement lié au coronavirus.
Aubrey Beardsley, artiste peu connu en France, est considéré comme une étoile filante du monde artistique britannique puisque, né à Brighton en 1872, on lui diagnostique, à l’âge de 7 ans, la tuberculose dont il mourra à 25 ans.
Sa carrière artistique se déroulera sur sept ans, de 1891 à 1898, années durant lesquelles il se fait essentiellement connaître comme directeur artistique d’un certain nombre de revues (« The Yellow Book », ‘The Studio », « The Savoy »…) et comme illustrateur de romans, poèmes et pièces de théâtre.
Aubrey Bearslley - Couvertures de "The Studio" et de "The Savoy"
Déjà remarqué pour ses caricatures alors qu’il est encore au lycée, mais plus attiré par la littérature et l’écriture, il rédige alors poèmes et pièces de théâtre et réserve ses dons d’illustrateur pour les programmes des pièces qu’il interprète dans le cadre scolaire.
J.A Mc Neill Whistler 1876-1877 The Peacock Room - © Free Gallery of Art & Arthur M. Sackler Gallery.
En 1891, lors d’une visite de la demeure de l’armateur Frederick Leyland à Londres, il découvre la salle à manger (baptisée « The Peacock Room ») décorée par James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) dans un style japonisant très à la mode à cette époque en Europe. Cette rencontre avec l’art de Whistler déclenche chez Beardsley sa véritable vocation (et l’amène à mettre de nombreux détails japonisants dans ses propres œuvres), d’autant plus qu’il est encouragé au même moment par le peintre préraphaélite Edward Burne-Jones (1833-1898) à qui il montre ses dessins et qui lui dit « Je ne conseille pratiquement jamais à personne de faire de l’art sa profession mais, en ce qui vous concerne, je ne peux pas faire autrement », ce qui n’empêchera pas Burne-Jones, quelques années plus tard, de critiquer violemment le style et la vulgarité de l’artiste. Il incite Beardsley à suivre des cours à la « Westminster School of Art ». Plus tard Beardsley rencontrera Robert Ross, écrivain et critique d’art, grand ami d’Oscar Wilde, qui lui achète des dessins et l’incite à continuer sur cette voie.
En 1892, l’éditeur J.M. Dent lui confie l’illustration d’une œuvre de Thomas Malory sur la légende du Roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde : « Le Morte Darthur » (publié d’abord en 1485), puis celle de la version anglaise de la pièce d’Oscar Wilde « Salomé », initialement écrite par le dramaturge irlandais en français. On a pu voir certaines de ses illustrations lors de l’exposition du Petit Palais consacrée à Oscar Wilde, en 2016 (suivre ce lien).
Aubrey Beardsley - Le Morte d'Arthur - 1894 - © Fogg Museum Cambridge Mass USA The Dancer's Reward - Salome for Oscar Wilde's play 1894 - © artinthepicture.com
Parallèlement, il contribue comme illustrateur ou directeur artistique à plusieurs revues littéraires : « The Studio », en 1891 ; le « Yellow Book » en 1894 ; « The Savoy », en 1896. Sa contribution au « Yellow Book », célèbre revue qui met les Beaux-Arts et la littérature sur un pied d’égalité, sera brève car, même si elle doit son succès à Beardsley, aux yeux du public, ce dernier est associé à Oscar Wilde, alors poursuivi pour homosexualité par Sir Alfred Douglas, le père de son jeune amant.
The Yellow Book - 1894 -
Ses illustrations n’étant plus les bienvenues, il est renvoyé de la revue par l’éditeur John Lane et il part pour Dieppe où il rejoint une colonie d’artistes anglais, parmi lesquels se trouve l’éditeur Leonard Smithers qui lui proposera de collaborer à une nouvelle revue, « The Savoy », qui ne connaîtra que huit numéros.
Parallèlement, il continue à illustrer des ouvrages dont celui d’Alexander Pope (1688-1744) « The Rape of the Lock », « Mademoiselle Maupin » de Théophile Gautier, « Lysistrata » d’Aristophane et des satires de Juvénal. Certains de ces ouvrages comportant une grande part d’estampes érotiques ne peuvent être vendus dans des librairies et ne seront accessibles que par souscription.
Aubrey Berdsley - The Rape of the lock 1896 - © Tate Britain The Peacock skirt 1894 - © Perthelion
En 1897, de plus en plus malade, il s’installe dans le sud de la France, à Menton et se convertit au catholicisme. Il travaille sur l’illustration d’une nouvelle édition de « Volpone » de Ben Jonson (1572-1637).
Sentant sa mort proche, il demande à son éditeur, Smithers, de détruire ses dessins érotiques et pornographiques, ce que ce dernier ne fit pas. Il meurt en mars 1898.
Avant de développer un style, facilement reconnaissable et qui lui est propre, il est influencé par les préraphaélites (Gabriel Dante Rossetti, Edward Burne-Jones…), par Whistler et le Japonisme, par les affiches qu’il découvre lors d’un séjour à Paris, se rendant compte de l’impact sur le public de cet art dans la ville (il participe, à Londres, en 1894, à une exposition d’affiches, aux côtés de Jules Chéret et de Toulouse-Lautrec) ; il est également influencé par le mouvement « Arts and Crafts » de William Morris et par l’Art Nouveau.
Aubrey Beardsley - Messalina and her companion - 1895 - © Tate Britain.
Cet artiste, dandy, anticonformiste et provocateur dont Jacques-Émile Blanche disait « Beardsley est attiré dans la vie que par ce qu’elle a d’excitant, de brillant, de rare et par le grotesque, le monstrueux, le comique », est complétement à contre-courant dans une Angleterre victorienne ; il contribue de façon conséquente à l’atmosphère décadente, « fin de siècle » que connaît alors la Grande-Bretagne.
Espérons que nous aurons la possibilité de voir ou de revoir cette exposition qui était initialement prévue jusqu’au 10 janvier 2021.
Hélène TANNENBAUM
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Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
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Exode - © Musée de la Libération - Le Parisien.
1940 Les Parisiens dans l’Exode
Autrefois installé au-dessus de la gare Montparnasse, le Musée de la Libération-Musée du général Leclerc- Musée Jean Moulin, a été transféré après quatre ans et demi de travaux dans un des deux pavillons Ledoux situés à Denfert-Rochereau. Ce nouveau musée a été inauguré symboliquement le 25 août 2019 pour célébrer le 75e anniversaire de la Libération de Paris.
Le concepteur de ce bâtiment, Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806), avait été nommé architecte de la Ferme Générale et chargé de réaliser, autour de Paris, une enceinte de 24 km percée d’une cinquantaine de barrières où on percevait des taxes sur les marchandises entrant dans la ville. De ces barrières, il ne reste aujourd’hui que les rotondes de la Villette et du parc Monceau, les deux pavillons à Denfert-Rochereau et ceux de la barrière du Trône à la Nation.
A.F. Callet - Nicolas Ledoux, architecte, et sa fille Adelaïde - © Musée Carnavalet
Les deux pavillons rectangulaires de quatre étages de la barrière d’Enfer étaient ornés de frises réalisées par le sculpteur Jean-Guillaume Moitte, grand Prix de Rome en 1768. Après avoir servi de barrières d’octroi, ils abritèrent, à partir de 1867, des services municipaux (voie publique de la Ville de Paris, inspection générale des carrières, laboratoire d’essais des matériaux …)
Peu avant la seconde Guerre Mondiale et en anticipation des sombres journées à venir, un abri de défense passive avait été installé dans le sous-sol des pavillons pour permettre aux services techniques de la Ville de Paris de continuer à fonctionner en cas de guerre. Ce fut le pavillon ouest qui fut retenu pour y installer le musée car c’est dans son abri souterrain que le chef de l’Etat-Major des FFI de la région parisienne, le colonel Rol-Tanguy (1908-2002), avait établi son poste de commandement du 20 au 28 août 1944.
Barrière sur la route d'Orléans - © Musée Carnavalet.
Au rez-de-chaussée du musée, un espace est dédié à l’exposition permanente ; à l’étage, un autre est occupé par les expositions temporaires (actuellement, cette exposition sur l’exode des Parisiens en 1940) ; enfin, au sous-sol, on peut voir le PC du colonel Rol-Tanguy.
L’exposition permanente retrace les événements de l’entre-deux-guerres, ceux qui ont mené à la seconde Guerre Mondiale puis aborde la période d’Occupation, la guerre elle-même, la Résistance et la Libération de Paris, de la France et de l’ensemble des territoires français.
Dans la première salle, un hommage est rendu à deux personnalités qui ont marqué cette époque, Jean Moulin (1899-1943) et Philippe de Hautecloque, mieux connu sous le nom de général Leclerc (1902-1947). Toute une série de documents (articles de presse, photos, lettres personnelles, objets) exposés ici nous les rendent plus proches, plus familiers et illustrent bien ce qui les différenciait (origines, parcours) et ce qui les rapprochait (un même idéal, une même foi).
Portrait de Jean Moulin - © Studio Harcourt 1937 Portrait du Général Leclerc - © Fondation Mal Leclerc de Hauteclocque
Dans l’auditorium du rez-de-chaussée, un autre hommage est rendu à Cécile Rol-Tanguy (1919-2020), épouse du colonel Tanguy, décédée en 2020. Grande résistante, elle fut aux côtés de son mari tout au long de la guerre, lui servant d’agent de liaison, transcrivant les appels et les courriers clandestins pendant la semaine de la Libération de Paris.
Portrait du Colonel Rol -Tanguy - © L'Humanité.
L’exposition temporaire située à l’étage et intitulée « 1940- Les Parisiens dans l’Exode » permet de mesurer l’inquiétude des Parisiens dès 1939, puisque déjà un certain nombre d’enfants avaient été évacués vers la province pour les protéger d’éventuels bombardements sur la capitale. Une période d’accalmie avait suivi la déclaration de guerre des Français et des Britanniques à l’Allemagne le 3 septembre 1939. Mais lors des premiers bombardements qui touchèrent la capitale le 3 juin 1940 la panique gagna la population parisienne dont deux tiers prirent le chemin de l’exode (soit 2.000.000 de personnes) rejoignant les 6.000.000 de Belges, Luxembourgeois et Néerlandais, déjà sur les routes françaises pour échapper à l’avance des armées allemandes.
Des photos, des films et des dessins d’enfants nous les montrent sur les routes, en voiture, à bicyclette, tirant des carioles, poussant des brouettes remplies d’affaires de première nécessité, dans un total chaos ; certains cherchaient à rejoindre de la famille, d’autres une résidence secondaire, d’autres enfin fuyaient sans but précis. En chemin, on les voit traverser des villes dont les autorités étaient mal préparées à recevoir un tel afflux de personnes et à leur venir en aide en leur fournissant de la nourriture et un toit provisoire.
L'exode le 13 juin 1940 sur la route de Fontainebleau. Travail de l'élève Régine Laurensou - © Le Parisien - Musée de la Libération.
Pendant cet exode, certaines familles à pied, avaient confié leurs enfants à des personnes motorisées, sans laisser d’adresse ; au moment du retour sur Paris, 90.000 enfants furent portés « manquants ».
Après dix jours d’errance, le remplacement du président du conseil, Paul Reynaud, par le maréchal Pétain et la signature de l’Armistice entre la France et l’Allemagne (Paris étant désormais en zone occupée), la plupart des Parisiens regagnèrent la capitale, croyant à une paix durable.
A la fin de l’exposition, les commissaires dressent un parallèle entre l’exode des Parisiens en juin 1940 et celui de mars/avril 2020, jetant des milliers de Parisiens fuyant le virus, sur les routes pour chercher refuge chez leurs proches ou dans des résidences secondaires.
Le nouveau musée de la Libération - © Les Echos.
Hélène TANNENBAUM
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Musée de la Libération
4, avenue du colonel Henri Rol-Tanguy
75014 Paris
Ouvert tous les jours sauf lundi
de 10 h à 18 h.
jusqu'au 13 décembre2020.
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Le Pont Neuf emballé par Christo en 1985 © Christo 1985 - Photo Wolfgang Volz
CHRISTO ET JEANNE-CLAUDE
PARIS !
Très romantique l’histoire de ces deux êtres apparemment faits l’un pour l’autre, nés le même jour de la même année (13 juin 1935) : l’une Jeanne-Claude Marie Denat, née à Casablanca, issue d’une famille de militaires ; l’autre Christo Vladimirov Javacheff, né à Gabrovo ; en 1957, il quitta sa Bulgarie natale en passant par Prague, Vienne et Genève avant de gagner Paris, pour échapper au régime communiste.
Dans un premier temps, pour gagner sa vie en France, Christo, formé à l’École des Beaux-Arts de Sofia, se consacre à la peinture de portraits mondains ; il fait notamment celui de Precilda de Guillebon qui le présente à sa fille, Jeanne-Claude.
Jeanne-Claude et Christo devant le Pont Neuf en cours d'empaquetage - 1985 © Wolgang Volz
La première partie de l’exposition présentée au Centre Pompidou jusqu’au 19 octobre 2020 est consacrée aux années parisiennes de Christo et de Jeanne-Claude (1958-1964), la deuxième à l’empaquetage du Pont-Neuf, à Paris, en 1985 ; entre les deux parties, un film de 1990 des frères Maysles, intitulé « Christo in Paris », narre l’aventure du Pont-Neuf en y mêlant de nombreuses informations biographiques sur les deux artistes.
Arrivé à Paris, Christo commence sa carrière en emballant des petits objets (bouteilles, pots de peinture, boîtes de conserve…) dans du papier ou du tissu froissé qu’il rigidifie en y ajoutant de la laque ou de la colle avant de les ficeler.
Il passe ensuite à des objets de plus grande dimension dont on n’est pas censés connaître la nature.
Christo - Empaquetage et Cratères © Christo & Jeanne-Claude foundation - © Centre Pompidou
Il réalise aussi des tableaux eux aussi à partir de tissu froissé et rigidifié auquel il ajoute du sable et de la poussière pour former des « Cratères », paysages lunaires faits de reliefs et de crevasses.
En 1962, pour protester contre l’édification du mur de Berlin qui avait eu lieu près d’un an auparavant, il monte, dans l’étroite rue Visconti, dans le VI è arrondissement, une barricade intitulée « The Iron Curtain » (le Rideau de Fer) faite de barils de pétrole colorés et cabossés dont la police exige immédiatement le démantèlement.
Christo - The Iron Curtain. © Christo & Jeanne-Claude foundation - © Centre Pompidou
Cette même année le couple envisage déjà l’empaquetage d’un monument parisien et c’est sur l’Arc de Triomphe qu’ils jettent leur dévolu. Ils ne verront jamais la réalisation de ce projet (« l’Arc de Triomphe Wrapped ») puisqu’initialement prévu du 6 au 19 avril 2020 puis reporté non pas pour cause de pandémie mais pour permettre la nidification de faucons crécerelles, habitués au monument, ce projet avait été déplacé à l’automne 2020, avant d’être reporté à l’automne 2021. Christo est mort le 31 mai 2020, juste avant l’ouverture de l’exposition qui lui est consacrée à Pompidou ; Jeanne-Claude est décédée en 2009. Réalisé soixante ans après sa conception, ce projet d’empaquetage exigera 25 000 m de tissu recyclable de polypropylène argent bleuté et 7 000 m de corde rouge.
Le projet de Christo pour l'Arc de Triomphe. © Christo & Jeanne-Claude foundation.
Après avoir utilisé papier et tissu opaque pour emballer des objets (petits et grands) il se sert du polyéthylène, une matière transparente, pour emballer des statues et des modèles vivants.
Une salle de l’exposition est consacrée aux devantures de magasins (« Store Fronts ») réalisées par l’artiste, deux d’entre elles sont présentées, à côté de nombreux projets pour des installations similaires, montrés à Pompidou, sous forme de dessins préparatoires ou réalisés en miniature dans des armoires à pharmacie. Ces devantures sont occultées par du papier ou du tissu mais éclairées de l’intérieur, laissant penser qu’elles cachent quelque chose.
Christo - Store Front. © Christo & Jeanne-Claude foundation - © Centre Pompidou
Là s’arrête la carrière parisienne du couple qui s’installe définitivement à New York en 1964.
Dans les années qui suivent, ils se mettent à réaliser des œuvres monumentales proches du « land art » qui associe écologie et plein air, ( emballage d’une falaise près de Sydney, en Australie, « Wrapped Coast », 1969 ; rideau dans le Colorado, 1972 ; barrière/ grande muraille en Californie ; empaquetage du Pont-Neuf, 1985, et du Reichstag, 1995 ; portiques à Central Park, « The Gates », 2005 ; des passerelles flottantes, « Floating Piers », 2016, près de Milan…) probablement très coûteuses mais entièrement autofinancées par le couple grâce à la vente de dessins, études préparatoires, maquettes et lithographies réalisés pour des œuvres antérieures ou pour l’œuvre elle-même; l’autofinancement des opérations réalisées est un point important auquel, si l’ on en croit le film des frères Maysles, Jacques Chirac, alors maire de Paris, aurait été sensible pour l’empaquetage du Pont-Neuf.
Christo - Wrapped Coast - 1969 Little Bay Sidney - © Christo & Jeanne-Claude foundation Christo - Le Reichstag empaqueté © Information immobilière
La deuxième partie de l’exposition est consacrée au Pont-Neuf empaqueté, projet dont la réalisation a pris dix ans pour des raisons techniques mais aussi pour des raisons politiques et administratives. Les démarches entreprises pour obtenir les autorisations ont été multiples et longues : il a fallu convaincre les politiques et ensuite les riverains, puis faire jouer les influences des uns et des autres, confectionner les mètres de toile polyamide nécessaires à l’empaquetage du pont (y compris les trottoirs, les voûtes, les arches, les lampadaires…).
Ensuite il a fallu réunir des équipes de cordistes, plongeurs, alpinistes pour la mise en place de la toile : un immense travail pour une installation temporaire qui dura du 22 septembre au 6 octobre 1985 mais encore aujourd’hui on se souvient du joli plissé de la toile et des reflets du tissu dans les eaux de la Seine.
Christo - Projet d'empaquetage du Pont Neuf © Christo 1984 - et son reflet dans les eaux de la Seine - © Photo Wolfgang Volz
Ce qui est montré à Pompidou, c’est cette « exposition-dossier » que les deux artistes avaient l’habitude d’élaborer et de conserver pour chacune de leur réalisation : des dessins préparatoires, une maquette, des photographies (des réunions tenues avec les décideurs, des artisans lors de leurs interventions), des documents juridiques, des courriers administratifs…
Après avoir vu cette exposition, nous nous montrerons plus attentifs, sans doute, lors de l’empaquetage de l’Arc de Triomphe, sachant les difficultés posées par une telle réalisation et le nombre de personnes impliquées dans l’opération et nous ne pourrons que regretter qu’aucun des deux artistes ne puisse voir la concrétisation de leur projet.
Une exposition « emballante » à ne pas rater.
Hélène TANNENBAUM
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Centre Pompidou
Place Georges Pompidou
75004 Paris
Ouvert tous les jours sauf mardi
de 11 h à 21 h.
Du 1er juillet au 19 octobre 2020.
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