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James Tissot - Bal sur le pont - 1875 - © Tate Londres
Tissot, l’ambigu moderne
James Tissot - autoportrait - 1865 - © Fiane Arts Museum of San Francisco
Après un bon début de saison, riche en expositions remarquables (Léonard de Vinci, la Collection Alana, Toulouse-Lautrec, L’Âge d’or de la Peinture Anglaise, Mondrian figuratif…), on se réjouissait à l’idée de voir, à partir de mars/ avril, d’autres grands maîtres de la peinture (Turner, De Chirico, Cézanne, Matisse, L’École de Paris avec Chagall et Modigliani…) et de grands photographes (Cindy Sherman, Sarah Moon, Marc Riboud, Man Ray…) mais brusquement, le 16 mars ,coup d’arrêt, tout se fige, c’est le début du confinement pour cause de coronavirus.
L'exposition « James Tissot, l’ambigu moderne » , initialement prévue au Musée d’Orsay, du 24 mars au 19 juillet, devrait finalement ouvrir le 23 juin jusqu'au 13 septembre.
Né en 1836, à Nantes, de parents fortunés (père, riche drapier ; mère, fervente catholique bretonne), Tissot s’intéresse très jeune à la peinture et malgré l’opposition de son père, va, en 1856, faire des études aux Beaux-Arts de Paris, auprès de Flandrin et Lamothe. Il y rencontre Degas et fait la connaissance de Whistler. Ses maîtres le font travailler sur l’étude du nu et le dessin mais il est personnellement beaucoup plus attiré par la peinture flamande et germanique (Cranach, Dürer).
Dès 1859, année où, par anglophilie, il décide de troquer son prénom de « Jacques-Joseph » pour celui de « James », il est admis au Salon de Paris (portraits de femmes, scènes médiévales en costume).
James Tissot - Faust et Marguerite au jardin - © RMN Musée d'Orsay.
En 1862, il découvre Londres où le Japonisme est à la mode puis il y travaille régulièrement comme caricaturiste politique (sous le nom de Coïdé) pour le magazine « Vanity Fair ». En 1864, il expose à la Royal Academy of Arts et commence à se faire des relations dans le milieu artistique et la bonne société de Londres.
James Tissot - Jeunes femmes admirant des objets japonais - © Cincinati Art Museum - © Getty Center
De retour à Paris, il exécute une toile représentant les douze membres d’un club fermé créé au début du Second Empire « Le Cercle de la rue Royale » (d’abord situé rue le Peletier dans le 9e arrondissement) ; chacun des membres verse à Tissot la somme de 1 000 F pour la réalisation de cette œuvre exposée dans un salon du club. Il avait été décidé que cette toile reviendrait, par tirage au sort, à l’un des commanditaires en cas de dissolution du cercle.
James Tissot - Le Cercle de la rue Royale - 1868 - © RMN - Musée d'Orsay.
De gauche à droite:
Comte de La Tour-D'auvergne - Marquis du Lau d'Allemans - Comte de Ganay - Capitaine Coleraine Vansittart - Marquis de Miramont - Comte de Rochechouart - Baron R. Hottinger - Marquis de Ganay - Baron de St Maurice - Prince E. de Polignac - Marquis de Gallifet - Charles Haas.
En 1870, Tissot participe à la guerre franco-prussienne puis prend part à la Commune. Comme d’autres peintres français (Monet, Pissarro, Sisley…), il décide de quitter Paris et de s’installer à Londres. (pour lire « Les Impressionnistes à Londres- Artistes français en exil » suivre ce lien)
Si son anglophilie avait plu aux Parisiens, son côté parisien séduisit les Anglais et grâce aux relations précédemment établies en Grande-Bretagne, il s’assure très vite une nombreuse clientèle dans la haute société britannique. Il emménage dans une vaste villa à Saint John’s Wood (à l’ouest de la capitale) et devient le peintre de tous les élégants de Londres.
Sa passion pour les tissus, sa description détaillée des costumes (liées sans doute à la profession de son père) et l’importance des décors (scènes à bord de navires, dans des salons mondains) sont omniprésentes dans son œuvre.
James Tissot - Octobre - 1877 - © Musée des Arts Montréal.
Il fait la connaissance d’une divorcée irlandaise, Kathleen Newton qui devient sa compagne et sa muse. Elle sert de modèle à la plupart de ses personnages féminins. Tissot reste à Londres jusqu’au décès de sa maîtresse, morte de la tuberculose à 28 ans, en 1982. Il quitte alors définitivement Londres.
Malgré cet éloignement de la capitale française pendant plus de dix ans, il renoue dès son retour avec le succès, exposant au Palais de l’Industrie, en 1883, des portraits de femmes appartenant à diverses classes sociales ; il s’intéresse à l’occultisme très en vogue à l’époque et s’efforce d’entrer en contact par ce biais avec sa défunte compagne
En 1888, lors d’une visite à Saint-Sulpice, il a une révélation religieuse ; il effectue alors trois voyages à Jérusalem et en Palestine puis se consacre jusqu’à sa mort à l’illustration de la vie du Christ (aquarelles aujourd’hui au British Museum) et de l’Ancien Testament (œuvre inachevée, aujourd’hui au Jewish Museum de New York).
James Tissot - L'Arche d'alliance traversant le Jourdain - 1896 - © The Jewish Museum New York.
Il passe les dernières années de sa vie dans le château familial de Buillon (Doubs) où il s’adonne à la photographie ; il y meurt en 1902.
Cet artiste, mal connu de ce côté-ci de la Manche, reste un peintre très difficile à classer ; d’abord attiré par la représentation de scènes médiévales avant d’être influencé par le Japonisme, puis de se consacrer à la peinture mondaine, il finit par l’illustration de scènes religieuses. Son œuvre revêt de multiples facettes ; Tissot conserve toute sa vie une totale indépendance artistique, refusant d’adhérer à tous les mouvements de l’époque (Degas avait sollicité sa participation à la première exposition impressionniste de 1874 et il l’avait refusée).
Cette exposition, présentée au Musée de la Légion d’Honneur de San Francisco, d’octobre 2019 à février 2020, sous le titre de « James Tissot : Fashion and Faith (Mode et Foi) » est à voir au Musée d'Orsay à partir du 23 juin et jusqu'au 13 septembre. L'accès au musée nécessitera un billet horodaté accessible sur le site d'Orsay à partir du 8 juin.
Hélène TANNENBAUM
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Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
Ouvert tous les jours sauf lundi
de 9 h 30 à 18 h (21 h 45 le jeudi)
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HARPER'S BAZAAR
Premier magazine de mode
Pour la réouverture de ses galeries de la mode (après des travaux de rénovation confiés à l’architecte Adrien Gardère, avec mise à nu de la pierre de taille des murs et l’installation d’un nouvel escalier pour accéder au niveau supérieur), le Musée des Arts Décoratifs (MAD) propose une exposition consacrée au magazine de mode américain « Harper’s Bazaar », vieux de plus de 150 ans, ce qui fait de lui le plus ancien magazine de mode existant.
Dans la première salle, il est rappelé que le premier magazine de mode ne date pas de 1867, année de la première parution de Harper’s Bazaar mais qu’il existait déjà au XVIe siècle des almanachs présentant des personnes en costume civil, que Watteau avait peint des figures de mode et qu’il y avait déjà des gazettes de mode au XVIIIe siècle.
Page de couverture du magazine "Harper's Bazaar" en 1867 Figures de Mode de Watteau, Femme assise, vers 1710
A l’origine, ce sont les frères Harper, à la tête du groupe de presse « Harper & Brothers » (publications plutôt populaires) qui décident de lancer aux États-Unis un magazine de mode hebdomadaire (il deviendra mensuel en 1901), sur le modèle d’une revue berlinoise de l’époque, Der Bazar.
Ce magazine s’adresse essentiellement aux femmes et est destiné à les instruire en matière de mode, de société, d’art et de littérature. Les Harpers en confient la rédaction à Mary Louise Booth qui, pour l’époque, était une femme engagée, aux idées très avancées : elle était journaliste, abolitionniste, suffragiste et partisane de l’union lors de la guerre civile américaine. Elle était également francophile et dès les premiers numéros, elle accorda une grande place à la littérature en publiant des nouvelles de Charles Dickens et de Wilkie Collins.
En 1913, le magazine est racheté par le magnat de la presse, William Randolph Hearst, qui passe un contrat d’exclusivité avec le dessinateur russe de Tirtoff, dit Erté (suivre ce lien), qui est proche de Bakst et des Ballets russes (suivre ce lien).
Le magazine entre dans la modernité avec l’arrivée, en 1934, en tant que rédactrice en chef, de Carmel Snow qui confère une importance accrue à la photo en engageant le photoreporter Martin Munk qui, grâce à la photo instantanée donne une image dynamique de la mode.
Portrait de Carmel Snow rédactrice en chef de 1934 à 1957 par Cecil Beaton.
Carmel Snow, francophile elle aussi, s’entoure d’artistes français : le poète, illustrateur Jean Cocteau, le décorateur Christian Bérard, le peintre Raoul Dufy.
Avec le développement du sport et de la vie en plein air, elle donne une nouvelle image de la femme qui, grâce à la photographie, court, vole…
Elle se montre femme engagée en faisant part de ses vues sur la place des femmes au travail, sur la condition des artistes afro-américains et sur les dures conditions de vie dans les quartiers pauvres des grandes villes. En 1939, elle fait appel au photographe Walker Evans qui avait déjà été employé par le Ministère de l’Agriculture américain pour illustrer les conditions de vie dans l’Amérique rurale durant la grande Dépression.
Le slogan de Snow est d’être en phase avec son temps et pour ce faire, elle s’entoure de précieux collaborateurs : Alexey Brodovitch, à qui elle confie la direction artistique et Diana Vreeland, qui devient chroniqueuse et donne libre cours à son excentricité dans ses chroniques « Why don’t you »
Avec Carmel Snow ce ne sont plus seulement les modèles qui font la couverture de la revue mais aussi les personnalités de l’époque telles que Gloria Vanderbilt, Marella Agnelli qui posent pour un jeune photographe de 21 ans, Richard Avedon dont on connaît la carrière accomplie depuis. Ce photographe inventif et perfectionniste travaillera pendant 20 ans pour « Harper’s Bazaar », passant beaucoup de temps à Paris pour illustrer la série « Paris Report » de Carmel Snow, rubrique qui donne une image d’un Paris de rêve et d’élégance mais l’artiste sait aussi délaisser les beaux quartiers pour afficher les quais de la Seine, de vielles façades et des boutique anciennes.
Pendant les années de guerre, Paris n’est plus au coeur de la mode et le magazine se replie sur l’Amérique, ses artistes et ses nouvelles tendances vestimentaires, telles que le sportswear.
De retour à Paris après la guerre Carmel Snow est éblouie, en 1947, par la collection du jeune Christian Dior ; elle lui dira « Your dresses have such a new look ». « New Look » est justement le nom qui désignera la nouvelle mode.
Elle sera ensuite séduite par le couturier Balenciaga et son admirateur Givenchy qui habillera Audrey Hepburn : on voit justement dans l’exposition un extrait du film de 1957 de Stanley Donen « Funny Face » dans lequel Hepburn joue le rôle d’un modèle posant, à Paris, pour un photographe interprété par Fred Astaire, dont le personnage s’inspire du photographe de « Harper’s Bazaar », Richard Avedon.
Dans les années 60, la revue s’enrichit d’un nouvel illustrateur Andy Warhol et fait une large place aux tendances artistiques de l’époque : le Pop Art et l’Op Art.
La conquête de l’espace à la fin de la décennie donne une nouvelle image de la femme qu’illustrent très bien les stylistes André Courrèges et Paco Rabanne.
C’est à cette époque que Warhol réalise une de ses célèbres sérigraphies, celle d’Yves Saint Laurent.
Portrait d'Yves Saint Laurent par Andy Warhol 1972 - © Musée Yves St Laurent.
Dans les années 70 à 90, les couvertures du magazine sont souvent consacrées à des stars de cinéma (Farrah Fawcett, Brooke Shields, Sophia Loren, Andie MacDowell, Isabelle Rossellini…).
Lorsque Liz Tiberis en devient la rédactrice en chef en 1999, elle recentre la revue sur l’élégance et accorde davantage d’importance aux créateurs américains (Calvin Klein) et italiens (Versace, Armani).
Dans les années 2000, retour aux stylistes européens avec la nouvelle rédactrice en chef, Glenda Bailey qui donne une grande place à Galliano, Gaultier, Lagerfeld, McQueen…
Cette exposition qui suit l’ordre de parution du magazine, montre bien que Harper’s Bazaar s’est fait depuis 1867 l’illustrateur des tendances artistiques (mode, art, photographie, littérature…) de chaque période et de quelle façon il a influencé les arts.
Dans les salles des galeries de la mode sont regroupées la plupart des couvertures du magazine (dans leur ordre de parution), des extraits de films, des photos-cultes, des tableaux et des vêtements (la plupart appartenant au fonds du MAD ou à la Fondation Bergé – Saint Laurent).
L’exposition souligne que Harper’s Bazaar a contribué à la consécration d’artistes déjà célèbres comme Erté et au lancement de jeunes artistes comme Avedon et Warhol et reste un magazine incontournable de la mode après 150 ans d’existence.
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MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS
107, rue de Rivoli
75001 Paris
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 11 h à 18 h
jusqu'au 14 juillet 2020
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En raison de la crise sanitaire actuelle nous n'avons aucune certitude que le public sera en mesure de visiter cette exposition censée se terminer le 14 juillet 2020 ou si celle-ci sera prolongée à la rentrée
H de Touluse-Lautrec - Panneau de la baraque de La Goulue à la Foire du Trône - La danse mauresque - 1895 © RMN Musée d'Orsay.
« Toulouse-Lautrec, résolument moderne »
au Grand Palais
Après la grande monographie qui lui avait été consacrée en 1992 au Grand Palais, on retrouve Henri de Toulouse-Lautrec dans les Galeries nationales, avec quelque 200 œuvres illustrant ses talents tant de peintre que de dessinateur, d’affichiste que d’illustrateur. C’est peu quand on sait qu’il a laissé à sa mort 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies et plus de 5.000 dessins mais la sélection et la rareté de certaines œuvres valent un déplacement.
H. de Toulouse-Lautrec - La grosse Maria - 1894 - © Von der Heydt Museum - Le Cirque Fernando, écuyère - 1888 - © Art Insitute Chicago.
Certaines de ses huiles ont malheureusement disparu et l’affichiste de génie continue à faire un peu d’ombre au peintre… C’est bien regrettable car il devient très difficile de pouvoir regarder ses plus célèbres tableaux, partis à l’étranger pour la plupart. Le musée d’Albi qui lui est dédié (le très beau Palais de la Berbie) a fait un grand effort en prêtant ses œuvres phares, comme le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France (qui a reçu en legs de la mère de l’artiste 371 lithographies, suivies par le fonds de son ami d’enfance galeriste et exécuteur testamentaire Maurice Joyant). Le Musée d’Orsay a participé avec de belles œuvres : « Femme se coiffant », « Femme au boa », « Rousse à sa toilette », « La clownesse Cha-U-Koo », « Seule », « Le lit », etc. Le Musée des Arts décoratifs et celui des Beaux Arts de Paris ont été aussi mis à contribution.
H de Toulouse-Lautrec Femme rousse à sa toilette - 1896 - © Musée d'Orsay H de Toulouse-Lautrec - Portrait de Van Gogh pastel - 1887 - © Van Gogh Museum.
Il faut aller admirer des œuvres très rarement visibles en France comme son portrait à la craie de Vincent Van Gogh prêté par le musée éponyme d’Amsterdam et d’autres venues de musées allemands (« La grosse Maria »,…), de Budapest. (« Ces dames au réfectoire »), de Madrid ou Copenhague (« Monsieur Delaporte au Jardin de Paris »). Clou de l’exposition, le portrait d’Yvette Guilbert chantant « Linger, Longer, Loo » a été prêté par le Musée Pouchkine de Moscou et le Museu de Arte de Sao Paulo s’est défait de plusieurs chefs d’œuvres dont le fameux « Paul Viaud en tenue d’amiral du XVIIIe siècle » et un intérieur du salon du « Divan ».
H de Toulouse-Lautrec - Portrait d'Yvette Guilbert chantant "Linger, Longer, Loo" - 1894 - © Musée Pouchkine Moscou - Archives Alinari Florance - Dist RMN
Contribution exceptionnelle des musées américains de New-York, Pittsburg, Philadelphia et des J. Paul Getty Museum et County Museum of Art de Los Angeles. Merci à la National Gallery of Art de Washington pour ces deux portraits magnifiques : la flamboyante rousse Carmen Gaudin (un de ses modèles préférés car il aimait les femmes qui ont « la tête en or ») et la serveuse Jeanne Wenz. Merci à The Art Institute de Chicago pour le prêt de trois œuvres majeures : « Au Moulin Rouge », «Au bal du Moulin de la Galette » et « Au cirque Fernando, l’Ecuyère »* (toile exceptionnelle qui avait été présentée à Bruxelles au « Salon des XX » en 1888.)
H de Toulouse-Lautrec - La Blanchisseuse (Carmen Gaudin) - 1889 - © Collection particulière.
FAIRE VRAI ET NON PAS IDÉAL
Le choix de mettre en avant son côté « résolument moderne » est très pertinent (bien que les encadrements du XIXe siècle retenus soient très fatigués et peu en adéquation avec les œuvres). Élève de Fernand Cormon (avec Vincent Van Gogh), admirateur éperdu de son voisin dans le 9e arrondissement** Edgard Degas (qui l’intimidait) (suivre ce lien) et de Manet***, celui qui écrivait en 1883 « Vive la Révolution ! Vive Manet ! » a vite fait le choix d’un naturalisme expressif, « un résumé d’existence physiologique et sociale ».
Lautrec voulait à dix-sept ans « faire vrai et non pas idéal » quitte à déplaire. Comme il le fit en 1894 avec une affiche superbe mais trop caricaturale refusée par Yvette Guilbert pour son spectacle aux Ambassadeurs : « Pour l’amour du ciel, ne me faites pas si atrocement laide ! Un peu moins ! ». Lautrec a fait partie du clan des « impressionnistes du petit boulevard » avec son ami Van Gogh (suivre ce lien). Son talent influencera Egon Schiele et Pablo Picasso (périodes bleue et rose).
H. de Toulouse-Lautrec - Femme tirant son bas - 1894 - © RMN Musée d'Orsay.
Beaucoup de ses huiles ne traitent que l’essentiel du sujet, laissant le fond et des parties volontairement inachevées afin de mieux faire ressortir le sujet et le mouvement qui l’intéressent. Il nous fait participer à la vie des cabarets, des bistrots et des bordels de Montmartre en mettant en avant le potentiel poétique de ce Paris canaille. Il nous ouvre les maisons closes côté filles avec leur fatigue, leur côté désabusé, leur laisser-aller au repas ou à la toilette.
Chez lui, les sujets ne sont jamais ni idéalisés ni stigmatisés. Son style incisif et caustique est toujours respectueux de la réalité. C’est sa modernité. Lautrec aime cerner et épurer (sous l’influence des maîtres japonais), cadrer de façon audacieuse (comme Degas), adopter des angles de vision jamais encore expérimentés, faire éclater des couleurs fortes. Pour son ami le critique d’art Félix Fénéon, il « fout dans la turne un trafalgar de couleur et de rigolade » (…), qui annonce le fauvisme.
H de Toulouse-Lautrec - Panneau de la baraque de La Goulue à la Foire du Trône - 1895 © RMN Musée d'Orsay.
Ah ! les gants noirs d’Yvette Guilbert et les jambes de Jane Avril dansant un chahut (qui deviendra le cancan)… Émouvant ce portrait en pied de « tapir le scélérat » quittant la Comédie Française, le dégingandé Gabriel Tapié de Céleyran, ce cousin tant aimé amateur de voitures et compagnon permanent de plaisanteries potaches… Émouvants les deux grands panneaux (huiles sur toile) qu’il peignit en 1895 pour habiller la baraque de son amie La Goulue (en fin de carrière) à la Foire du Trône, toiles délavées, découpées, remontées, bien marquées par les intempéries, qui font partie des collections d’Orsay.
H. de Toulouse-Lautrec - L'anglaise du Star au Havre - 1895 - © RMN Musée d'Orsay.
Des salles sont consacrées à son talent d’illustrateur. Lautrec était l’ami de la plupart des écrivains de son temps même si Zola, Huysmans ou Edmond de Goncourt ne l’appréciaient pas. Thadée Natanson et son épouse Misia Godebska (suivre ce lien), égérie des Nabis, le font travailler à « La revue blanche » (1 rue Laffitte). J’ai aimé le dessin réalisé pour un double programme du Théâtre de l’Œuvre (1896), où il représente les deux auteurs, Oscar Wilde pour « Salomé » (interdit de représentation à Londres) à côté de Romain Coolus pour « Raphaël ». Lautrec était apprécié des critiques d’art de son temps et il n’avait rien d’un artiste maudit. Plusieurs livres élogieux lui seront consacrés par ses contemporains après sa mort.
Des photographies d’époque, où il se met souvent en scène avec humour, accompagnent toute l’exposition. Lautrec profitera de cette « technique » naissante pour peaufiner son art de traduire le mouvement. Personnage très attachant, il ne se départira jamais ni de son humour ni de sa bienveillance. Une place importante a été donnée aux photographies du spectacle inédit de la danseuse américaine Loïe Fuller aux Folies Bergère (joué en novembre 1892), avec des effets de voiles tourbillonnants colorés par des projecteurs. Lautrec en réalisera de belles lithographies stylisées.
Il faut découvrir tout cela. Vous avez le temps. L’exposition, qui a ouvert ses portes le 9 octobre, ne les refermera que le 27 janvier 2020
Anick PUYÔOU
Plus d'information encore sur Toulouse-Lautrec en suivant ce lien.
* Le cirque Fernando s’était installé en 1873 sur un terrain vague à l’angle de la rue des Martyrs et du boulevard de Rochechouart. Il deviendra le cirque Medrano en 1897 puis le Cirque de Montmartre en 1973, avant de laisser place à l’immeuble « Le Bouglione » (décoré depuis peu de fresques représentant des dessins d’enfants évoquant le cirque réalisés dans les écoles locales).
** Ses adresses successives à Montmartre : l9 bis rue Fontaine, 27 rue Caulaincourt, 19 rue Fontaine, 21 rue Fontaine, 27 rue Caulaincourt, 5 avenue Frochot. Entre 8 et 10 ans, Henri a fréquenté le lycée Fontanes (futur lycée Condorcet).
À noter : dans le catalogue (bilingue) de l’exposition une biographie de Stéphane Guégan fait désormais autorité (lieux et dates).
*** En mars 1890 Henri de Toulouse-Lautrec a participé à la souscription qui visait d’acheter « Olympia » pour faire entrer l’œuvre de Manet dans les collections nationales.
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GRAND PALAIS GALERIES NATIONALES
3 avenue Général Eisenhower
75008 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 20h
mercredi, vendredi & samedi de 10h à 22 h
du 9/10/2019 au 27/01/2020
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Berthe Morisot - Dans la véranda, 1884 - © collection privée.
Berthe Morisot
Cet été, deux femmes ont été mises à l’honneur dans deux grands musées parisiens ; la première, Dora Maar, au Centre Pompidou du 5 juin au 29 juillet ; la deuxième Berthe Morisot, au musée d’Orsay du 18 juin au 22 septembre.
Dora Maar, surtout connue pour avoir été, un temps, la compagne de Picasso, était pourtant une artiste à part entière. Si, après sa rencontre avec le peintre espagnol, elle avait délaissé la photographie pour s’adonner essentiellement à la peinture, elle reste, avant tout, une photographe remarquable. Très éclectique, son objectif a fixé tout d’abord ses proches, connus ou inconnus, puis des modèles (pour les grands couturiers ou les magazines de mode), des paysages, les bas-fonds londoniens ainsi que de vieux quartiers parisiens aux bâtiments lépreux, un peu à la façon d’un Atget ou d’un Ronis. Elle méritait mieux qu’une exposition de courte durée en plein été.
Quant à Berthe Morisot, une sélection de son œuvre (composée au total d’environ 400 tableaux) est présentée actuellement au musée d’Orsay.
Le choix des tableaux exposés porte sur « les figures et les portraits » et ces œuvres sont présentées selon un ordre thématique (« Vie Moderne », « Figures en Plein Air », « Femmes à leur Toilette », « Femmes au Travail », « Finis/ non Finis », « Un Atelier à soi »…) et chronologique.
Berthe Morisot - Jeune fille près d'une fenêtre, 1879 - © RMN musée d'Orsay.
Berthe Morisot est réputée être la grande figure féminine du groupe impressionniste même si on peut considérer l’Américaine Mary Cassatt comme faisant également partie du groupe.
Berthe est née à Bourges en 1841 ; ses parents qui appartenaient à la grande bourgeoisie (son père était préfet) étaient ouverts aux arts.
S’il était de bon ton, à l’époque, pour une femme d’apprendre la musique ou le dessin, c’était en amateur, en attendant de se marier (c’est ce qui s’est passé dans le cas de la sœur de Berthe, Edma, qui après avoir pris des cours de peinture, se maria à M. Pontillon et délaissa cet art qu’elle maîtrisait fort bien). Mais ce n’était pas du tout ainsi que Berthe envisageait son avenir, elle voulait faire de la peinture une profession, comptant ainsi assurer son indépendance. Dès 1857, elle fit des études artistiques auprès de Joseph Guichard (1806-1880), puis se mit à copier les œuvres du Louvre avant de s’initier à la peinture en plein air auprès de Corot.
C’est d’abord au Salon officiel qu’elle exposa ses premières toiles, répétant l’expérience année après année pendant près de dix ans (sauf en 1869 et 1871). C’est à cette occasion qu’elle fit la connaissance d’Édouard Manet qui la représenta douze fois dans ses propres tableaux et qui resta toute sa vie un intime de Berthe. Malgré l’avis contraire de ce dernier elle adhéra dès le début au courant impressionniste et exposa aux côtés des impressionnistes tous les ans, sauf en 1879 après la naissance de sa fille, Julie.
Très proche d’Édouard Manet, déjà marié, c’est son frère, Eugène, qu’elle épousa en 1874.
Berthe Morisot - Monsieur Manet et sa fille, 1883 - © Musée Marmottan Monet
Tout au long de sa carrière, elle fit poser ses proches : ses sœurs d’abord, puis ce furent sa fille, ses nièces et son mari qui lui servirent de modèles soit dans des scènes d’intérieur, soit dans des scènes de plein air. Les tableaux peints en extérieur étaient généralement achevés en atelier.
Par contre, pour réaliser ce qu’Orsay intitule « Femmes à leur toilette », ce furent des modèles professionnels qu’elle utilisa.
Berthe Morisot - Devant la psyché, 1890 - © collection Fondation P. Gianadda, Martigny CH
Elle peignait surtout des scènes de « sa » vie quotidienne, celle représentant la bonne bourgeoisie vivant confortablement dans des maisons avec vue sur un jardin et villégiature, les femmes toujours élégamment habillées non pas par des grands couturiers à la mode mais par d’habiles couturières les imitant.
Elle représentait aussi des femmes d’un milieu plus modeste (salle « Femmes au Travail ») : des nourrices, des domestiques, des lingères… montrées dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes, signifiant ainsi que le mariage et la maternité n’étaient pas les seuls « débouchés » pour les femmes.
Berthe Morisot - Blanchisseuse, 1881 - © Ny Calsberg Glyptotek - Copenhague
Certains critiques d’art ont reproché à Berthe Morisot de ne pas achever ses tableaux (« salle « Finis/ non Finis ») ; il est vrai que le pourtour de certains tableaux reste non peint et donne une impression d’inachevé, tout comme certains visages dont les yeux, la bouche, le nez ne sont pas représentés mais peut-être est-ce un parti pris de l’artiste et non une marque d’inachevé.
Si les parents de Morisot se sont révélés plutôt conciliants, acceptant de faire construire pour leurs filles artistes un studio (salle intitulée « Un atelier à soi », d’après le titre du roman de Virginia Woolf « A Room of one’s own »), et encourageant la carrière de Berthe, il n’en est pas de même de leurs contemporains qui ne comprenaient pas qu’une fille de 33 ans puisse n’être pas mariée et prétende épouser une carrière artistique.
Berthe Morisot - Vue du Petit Port de Lorient, 1869 - © National Gallery of Arts Washington DC
Rebelle, elle l’était, refusant plusieurs prétendants et décidant de vivre de sa peinture ; rebelle également lorsqu’elle rejoignit le groupe des impressionnistes très fortement critiqués à leur début.
Elle vécut non pas dans son milieu social d’origine mais entourée d’artistes (Manet, Degas, Renoir, Monet, Fantin-Latour, Mallarmé…), organisant même pour eux des dîners, le jeudi soir, dans sa maison du 40, rue Villejust.
Parce qu’elle était femme, jamais elle n’obtint la notoriété d’un Manet ou d’un Degas même si dans le milieu artistique elle était pleinement reconnue ; on l’a souvent représentée comme le peintre des femmes, de la maternité, de la famille alors que son œuvre est très variée (paysages, marines…) comme le montre l’exposition d’Orsay consacrée à une artiste disparue trop tôt, à l’âge de 54 ans.
Berthe Morisot - Cache-Cache, 1873 - © collection particulière.
Pour ceux qui voudrait en savoir plus sur Berthe Morisot : « Berthe Morisot, le Secret de la Femme en Noir » de Dominique Bona - Éditions Grasset.
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Musée d'Orsay
1, rue de la Légion d'Honneur
75007 Paris
Ouvert tous les jours de 9 h 30 à 18 h
Sauf lundi
Jusqu’au 22 septembre 2019
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Hélène TANNENBAUM
© 9ème Histoire 2019