En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés. Mentions légales.
 
 
 
 

Marquis ALEXANDRE MARIE AGUADO

Le marquis Alexandre Marie Aguado,

banquier, mécène et collectionneur d’art

Une image contenant habits, Visage humain, portrait, cadre photo

Description générée automatiquement

Portrait Alexandre Aguado   ©musée de Versailles/ Wikipedia

Aujourd’hui le nom d’Aguado est surtout associé aux salons du rez-de-chaussée de l’actuelle mairie du 9e arrondissement, ancien hôtel d’Augny. Mais qui sait que ce personnage étonnant de la première partie du XIXe siècle avait largement rivalisé par sa fortune avec un autre personnage de la haute finance, James de Rothschild qui aura ce mot sarcastique à la mort du marquis en 1842 : « ce pauvre Aguado, je le croyais plus à son aise ! »

Or ce fils d’un gentilhomme de Séville, né en 1784, après avoir suivi le cycle de l’école militaire à Madrid où il rencontre d’ailleurs José de San Martin, futur libérateur de l’Argentine et du Pérou et qu’il côtoiera plus tard à Paris, a d’abord servi comme sous-officier dans l’armée espagnole en combattant les troupes d’invasion françaises de Joseph Bonaparte, avant de se rallier en 1810 en devenant, avec le grade de colonel, l’aide de camp du maréchal Soult !

Bien vite le jeune Alexandre, contraint à l’exil, est gagné par la passion des affaires et quelques temps après son arrivée à Paris en 1815 où il habite d’abord 6, rue Saint-Denis, il se lance donc dans divers commerces d’importation en bénéficiant des relations et de l’aide financière de sa famille. Il vend ainsi en France à peine plus âgé de 30 ans, successivement du vin d’Espagne, des produits exotiques, des étoffes, des cigares de la Havane, de l’eau de Cologne et même des parapluies ! Ces activités de négoce s’avérant très profitables, il s’installe rue du Mail mais vient vite habiter la plus honorable rue Saint-Honoré avant d’acheter un premier hôtel rue Le Peletier en 1825.

 En 1823, Aguado est devenu associé d’une maison de banque parisienne et grâce aux bonnes relations entretenues avec le roi Ferdinand VII dont il devient alors le principal banquier, il négocie avec l’Espagne le fameux emprunt Guebhard pour rembourser la dette espagnole puis participe encore à beaucoup d’autres emprunts entre 1828 et 1831. Pour le remercier de ses services, le roi d’Espagne va même lui accorder en 1829 le titre de marquis de Marismas del Guadalquivir et la concession de nombreuses mines et terrains en Espagne !   La conversion de ces emprunts le rend immensément riche sans qu’on sache exactement à combien ont pu s’établir ses profits, ce qui n’allait pas tarder à créer sur sa personne certaines suspicions, voire jalousies !  Il est certain aussi que le jeune financier a su profiter du climat économique favorable créé en France au début de la Restauration comparé aux autres pays européens.  Il est aussi un soutien discret de Jacques Laffitte, banquier en difficulté au moment où celui-ci devient premier ministre de Louis-Philippe peu après les Trois Glorieuses en 1830 et lui évite la vente de son hôtel rue Le Peletier.  Il est d’ailleurs étonnant de constater que dès 1831 Aguado cesse officiellement d’exercer sa profession de banquier (tout en continuant d’exécuter jusqu’à sa mort des opérations bancaires fructueuses …).

Naturalisé français en 1828 après une première demande faite dès 1815, son patrimoine immobilier se développe considérablement puisque cet aventurier de la finance investit une partie de sa fortune nouvelle dans l’achat, fin 1827, du château de Petit-Bourg à Evry après avoir acquis entre-temps un domaine et des maisons à Gennevilliers ainsi qu’une autre maison quai aux Fleurs à Paris …  L’hôtel d’Augny, rue Neuve Grange-Batelière va alors tomber dans son escarcelle en avril 1829 pour la somme de 500 000 F. Cet achat conjugué avec celui de nouvelles maisons de rapport à Paris (la plupart dans l’actuel 9e arrondissement : rue Chauchat, rue de Clichy, rue La Bruyère, rue Laffitte, rue de la Grange-Batelière …) ainsi que de vastes fermes dans le Bassin parisien (sans oublier le domaine bordelais de Château Margaux !), font alors d’Aguado un grand propriétaire foncier bénéficiant de revenus réguliers. Le marquis va d’ailleurs marquer de son empreinte l’ancien hôtel du fermier général d’Augny datant de la moitié du XVIIIe siècle en s’empressant de supprimer son décor rocaille jugé démodé. Il va surtout entreprendre une nouvelle décoration intérieure qui reste aujourd’hui un témoignage remarquable du style décoratif de la Restauration, à commencer par ce qui constitue l’élément le plus raffiné de l’ensemble, le plafond en forme de rosace du vestibule octogonal qui ouvre sur les actuels salons du rez-de-chaussée, à base de guirlandes de fleurs, d’oiseaux, de papillons et de petits instruments de musique entrecroisés.

Une image contenant Symétrie, cercle, intérieur, plafond

Description générée automatiquement

Une image contenant intérieur, décoration d’intérieur, mur, Revêtement de sol

Description générée automatiquement

Plafond vestibule RDC + parquet antichambre 1e © E.Fouquet

C’est ce même principe de rosace qu’on retrouve également sur le parquet en marqueterie de l’antichambre du grand salon à l’étage (qui était à cette époque sa salle à manger dotée d’une grande table oblongue et de vingt chaises, l’actuelle salle des mariages).

Une image contenant intérieur, meubles, mur, sol

Description générée automatiquement

Cheminée RDC © E.Fouquet

 Ne sont pas moins remarquables ces splendides cheminées de marbre réhaussées de bronze doré ciselé qu’on trouve à chaque niveau ainsi que les frises à palmettes en stuc doré des plafonds, sans oublier l’étonnant escalier d’honneur, exemple rare de stéréotomie avec ses marches en pierre évidées par-dessous, qu’on atteint après avoir franchi dans le pavillon de gauche le vestibule au plafond voûté à caissons.

Alexandre Aguado n’a pas manqué de signer cet édifice par son monogramme AA qu’on retrouvait partout sur les poignées de porte, les garde-corps des fenêtres ou du balcon sur jardin, sans oublier le portail sur rue avec ses vantaux ajourés en fonte moulée, technique particulièrement utilisée sous Charles X, où figurait également son chiffre (disparu depuis) dans la couronne de lauriers de l’imposte au-dessus !

Une image contenant métal, laiton, bronze, mur

Description générée automatiquement

Poignée de porte © E.Fouquet

Car le richissime marquis menait grand train dans les années 1830 en recevant le Tout-Paris dans son hôtel particulier. Ainsi chaque jeudi, le monde des arts et de la culture au sein duquel figurait Balzac défile à sa table. Passionné par la danse et surtout par les danseuses, il multiplie les conquêtes féminines à cette époque et sa relation avec la ballerine Alexandrine Fitzjames va même défrayer la chronique.  Si Aguado comme on l’a vu, cesse à un moment de se concentrer sur ses activités de banque qui lui ont pourtant valu reconnaissance et honneurs, ce sont les arts qui vont constituer désormais son nouveau terrain d’exercice et tout d’abord l’Opéra dont il allait découvrir l’univers à travers son amitié avec Rossini installé à Paris depuis 1824 (dont l’épouse cantatrice était madrilène !) et qu’il va, outre les cadeaux somptueux offerts, propulser vers la gloire.

Une image contenant habits, Visage humain, personne, portrait

Description générée automatiquement

Rossini par Carjat

Celui-ci va en effet diriger en 1825 et 1826 le Théâtre Italien de la salle Favart (actuel Opéra-Comique) puis jouer ses propres opéras comme le Siège de Corinthe et surtout Guillaume Tell à l’Opéra Le Peletier. Les soutiens financiers octroyés par Aguado à ces deux institutions de l’art lyrique allaient d’ailleurs, au début des années 1830, donner au marquis un rôle à peine voilé dans leur gouvernance, y compris dans les choix des costumes de scène (d’inspiration espagnole). Il peut profiter également à l’Opéra de la prestigieuse loge royale réalisée initialement pour Louis XVIII, véritable appartement privé avec vue sur la scène qu’il finit par céder au duc d’Orléans dans un geste magnanime … Au Théâtre Italien, Aguado ne manque pas non plus d’installer sa femme Maria dans une loge dotée d’un salon privé des plus luxueux.

C’est justement ce luxe étalé à profusion avec par exemple 1300 bouteilles des meilleurs Château-Margaux entassées dans la cave de son hôtel de la rue de La Grange-Batelière, qui va au fil des ans alimenter les ragots sur ce personnage considéré comme un parvenu au goût incertain dont le titre même de marquis suscite de plus en plus de railleries. L’idée lui vient alors de collectionner des œuvres, un des bons moyens pour lui de rejoindre le monde aristocratique.  Pourtant sa collection de peinture installée dans la galerie Aguado (aujourd’hui disparue), accessible par l’escalier d’honneur sous le toit sur le côté de son hôtel particulier, va être rapidement l’objet de moqueries.

Une image contenant intérieur, art, meubles, Arts visuels

Description générée automatiquement

galerie Aguado © musée Carnavalet

A partir de 1835, Alexandre Aguado se lance en effet dans l’achat, sans regarder au prix, de quantité d’œuvres (395 tableaux et 36 statues selon l’inventaire fait à sa mort) qui seront alors vendues au-dessous de leur prix d’achat et dispersées pour beaucoup d’entre elles dans les musées de France. Il se fait en effet souvent abuser par les marchands. La consultation des catalogues au fil des années a pu faire notamment apparaître des différences notables, des tableaux d’abord attribués à des maitres finissant par l’être aux élèves de ces mêmes maîtres, voire à des peintres moins connus ... Ainsi Jésus remettant à Saint Pierre les clefs du paradis sera finalement réattribué à Cano au lieu de Murillo ou La Dame à l’éventail sera reconnu comme authentique seul chef-d’œuvre de Velázquez possédé, au contraire de 17 autres tableaux.

Une image contenant Visage humain, peinture, habits, portrait

Description générée automatiquement

La Dame à l’éventail par Velázquez © Wallace Collection, Londres/ Wikimedia Commons

Stendhal a même pu écrire en 1837 dans sa Correspondance en parlant de cette galerie : « six Corrège, huit Raphaël, etc., c’est à dire qu’il n’y a ni Corrège, ni Raphaël, mais huit ou dix tableaux fort remarquables ».  Un critique a pu également déclarer sèchement : « La fortune qui fait des grands seigneurs et qui leur donne les moyens d’acquérir des centaines de tableaux, ne leur donne pas aussi aisément le goût nécessaire pour les bien choisir. Elle fait des amateurs, elle ne fait pas des connaisseurs ». Quoi qu’il en soit, le grand mérite de ce collectionneur parfois peu avisé, va être de faire connaître de façon éclatante la peinture espagnole du Siècle d’or en France, jusqu’ici presque inconnue.

La possession d’une bibliothèque a paru également importante pour Aguado comme nouveau signe distinctif de noblesse mais à un degré moindre que les œuvres d’art.  Il ne s’agit pas là d’une bibliothèque accumulée au fil des ans par sa famille mais le fruit d’achats effectués une nouvelle fois durant les années 1830. Pas vraiment ici d’ouvrages rares mais plutôt contemporains de son époque avec une part importante de littérature espagnole. On en a compté près de 1800 lors de la vente effectuée en 1843 par la veuve d’Aguado.

On voit qu’Alexandre Aguado s’est créé en quelque sorte un véritable périmètre d’influence à l’époque de la Monarchie de Juillet, avec bien sûr l’achat d’abord de son bel hôtel particulier rue de la Grange-Batelière mais aussi par celui de terrains et de maisons dans la même rue, ainsi que par un certain pouvoir de contrôle sur l’Opéra Le Peletier et le Théâtre Italien de l’autre côté du boulevard, tous deux à proximité immédiate. Il est à noter cependant que si les réceptions dans son bel hôtel parisien sont nombreuses à ce moment-là réunissant le monde du journalisme, de la littérature ou de l’Opéra mais aussi celui de la banque et de la politique, en revanche il n’est guère invité lui-même dans les salons parisiens, hormis au Jockey Club (à côté, dans la même rue !), ce qui laisse à penser qu’une certaine défiance existait de la part de ces différents milieux, peut-être à cause de son parcours peu commun

Ses véritables amis semblent avoir été peu nombreux mis à part le général de San Martin, le grand libérateur d’ Amérique du sud connu dès son adolescence en Espagne, venu habiter non loin lors de son exil, rue Neuve Saint-Georges et qui, comme ancien camarade, tiendra un des cordons du cercueil à ses obsèques en l’église Notre-Dame-de-Lorette, le 30 avril 1842, après la mort brutale à 58 ans d’Alexandre Aguado lors d’un voyage sur ses terres d’Asturies, désigné également comme un de ses quatre exécuteurs testamentaires. On peut enfin observer que les trois fils d’Alexandre et Maria Aguado, Alexandre, Olympe et Onésipe, aux ambitions plus modestes, n’ont pas repris le flambeau des activités financières de leur père et n’ont pas donné naissance à une dynastie bancaire au fil des générations à la différence des Rothschild en l’occurrence. Ce constat explique sans doute que cette personnalité atypique qui a pourtant occupé le devant de la scène dans la première moitié du XIXe siècle soit désormais tombée dans un certain oubli.

Tombe_Aguado_au_Peere_Lachaise.JPG

le tombeau d’Alexandre Aguado au Père Lachaise © Wikimedia Commons

 Sources :

La Mairie du 9e, Hôtel d’Augny par Thierry Cazaux. Paris-Musées ©2002

L’ivresse de la fortune, JM Aguado un génie des affaires par Jean-Philippe Luis. Payot ©2009


 © 9e Histoire  2024


Date de création : 01/07/2024 • 15:05
Catégorie : - Personnages
Page lue 48 fois


Réactions à cet article


Personne n'a encore laissé de commentaire.
Soyez donc le premier !